Robert Samedi 20 Mars 1976 vacances de Pâques 1
Samedi 20 Mars 1976 vacances de Pâques 1
- Tu vas encore allé en vacances avec le colon ?
- Comment veux-tu que je le sache ?
Allongé, à plat ventre sur mon lit, appuyé sur mes coudes, la tête posée sur mes mains, je regarde Claude tasser son oreiller et sa couette dans son placard. J'attends qu'il ait fini ses bagages pour descendre déjeuner avec lui.
Aujourd'hui l'école se vide de 99 % de sa population, seuls les punis et ceux que les parents ne peuvent récupérer restent, dont normalement je fais parti...
La porte de la cave est ouverte, je regarde vers l'appart, Isabelle me fait signer de monter. J'attrape Claude par
la manche.
- Viens !
C'est Gisou qui nous accueille.
- Ah, tu as emmené Claude avec toi.
Il a droit à la bise lui aussi. Nous nous déchaussons et nous la suivons dans la cuisine, les filles sont à table. Isabelle plisse les yeux en regardant Claude méchamment puis se lève et quitte la cuisine.
- Je crois qu'elle t'en veut toujours.
- La faute à qui ?
- A Aline peut-être ?
Je vois son poing se serrer, mais je lui lance un grand sourire, ici je suis en sécurité.
- Vous comptez manger debout ? Robert prend le tupperware rouge dans le frigo, c'est le gâteau fromager, je pense que vous pourrez me le finir, les filles n'ont pas aimé et si Richard mange tout, il va être malade.
Dans la grosse boîte ronde il reste les trois quart du gâteau et des parts qui ont la pointe en moins.
- Et donc nous, si nous mangeons tout ça, nous ne serons pas malade? (Gisou veut m'enlever la boîte. Je l'éloigne dans l'autre sens.) Mais je je n'ai pas dit que nous ne voulions pas être malade !
Véro se lève et va poser son bol dans l'évier.
- Maman ces mecs ce sont de vraies poubelles à pattes !
- Véronique ton langage !
- Quo ? Je n'ai rien dit de mal ? Elle fixe sa mère quelques secondes. Oh ! Les hommes, non ces garçons car pour moi ce ne sont pas encore des hommes sont de vraies poubelles. J'suis contente de ne pas être un mè.. un garçon.
- Moi, ça me va d'être une poubelle tant que cela me permet de me régaler, il est très bon ton gâteau Gisou.
- Oui madame je confirme, il est très bon.
- Et des fayots en plus ! Vous me dégoûtez.
Gisou passe derrière moi pour aller dans le placard ranger un torchon puis me fait pencher la tête sur la côté.
- Tu as des boutons toi ?
- Oui hélas, mais pas trop sur la figure pas comme certains.
- Claude ton train est à quelle heure ?
- A quinze heures madame.
- Gisou tu crois que je pourrais avoir le droit de l'accompagner ?
- Faut que tu vois avec Richard.
Sur le quai de la gare il fait une chaleur étouffante.
- Purée que j'aimerais partir avec toi.
- Purée que je suis content de partir sans toi.
- Ah ! ah ! bin ne me demande plus jamais de te passer mes classeurs. Et contrairement à toi Anaïs aurait-été contente de me voir.
C'est la première fois que je suis hors de l'école tout seul, j'ai l'impression d'être... je ne sais pas quoi mais différent. J'essaie de paraître le plus grand possible. Dans une vitrine je me vois. A l'école, à part au-dessus des lavabos il n'y a pas de miroir. Ça va, je me plais, j'suis pas trop mal. Dans le magasin justement il y a des filles, je leur souris, elles doivent croire que c'est pour elles que je me suis arrêté, oh quel con ! Je pique un sprint jusqu'au coin de la rue. Pourquoi ? Je ne sais pas. Honte d'avoir été surpris, peut-être.
De toute façon, ce sont des gamines plus jeunes que moi, elles ne m'intéressent pas.
Je rajuste ma tenue puis je mets les mains dans les poches, ça fait plus cool et je rentre lentement à l'école. J'ai hâte de vieillir.
- Qu'est-ce que tu faisais hors de l'école toi ?
- J'ai accompagné D' Aureilhan à la gare.
- Et depuis quand as-tu plus de seize ans, toi !
- J'ai l'autorisation de mon tuteur.
- Mais oui, bien sûr, viens un peu ici, mon gars !
J'ai beau répéter au capitaine Gâche que j'ai reçu l'autorisation, rien ni fait. Je me retrouve traîné par le bras en salle de permanence où les punis travaillent.
- Monsieur Landrieu donnez donc des feuilles à cet animal qu'il me noircisse au moins six feuilles de son explication au fait d'être sorti de l'école sans autorisation et ce soir pas de repas pour vous jeune homme et j'y veillerai personnellement . Puis avec sa tendresse toute personnelle il me balance derrière un bureau où il jette un stylo piqué au petit quatrième devant moi, et le tas de feuilles.
J'ai renoncé à me défendre et à m'expliquer de toute façon,il ne m'écoutera pas.
Je réfléchis à comment je vais remplir ces feuilles. D'abord je demande au petit, un stylo rouge et avec, j'écris en gros sur chaque feuille un mot ou plusieurs de cette phrase :" J'avais l'autorisation écrite du colonel pour sortir du lycée." Je rends les stylos au gamin puis me lève et vais tendre mes feuilles au capitaine qui devient aussi rouge que mes écrits.
- Ah ! tu te crois malin, tu te crois intelligent, tu as quinze ans, avec ou sans autorisation tu n'as pas le droit de sortir de ce bahut ! (Là, je crois que j'ai les oreilles débouchées pour quelque temps, tellement il a hurlé.) En slip de suite !
(Quoi ? Il a pété une durite ou quoi ?) Dépêche-toi ou je le fais moi-même.
- On a pas le droit d'aller courir au soleil mon capitaine.
Bon, même protégé par Richard je préfère m'exécuter, tellement je le sens capable de frapper.
Traîné par le cou, il m’emmène jusqu’à l'escalier central.
- Tu vas jusqu'en haut puis tu descends jusqu'en bas en courant. Et tu as intérêt à courir mon gars.
Monter les trois étages ça va, descendre les cinq étages ça va, mais les remonter c'est plus dur. Quand je passe devant lui un peu trop lentement à son goût, je prends un coup dans le dos qui m'envoie valser sur les marches. Je me mords la lèvre et accélère. Quand je descends, je rase le mur loin de lui. Le retour est lent mais je puise le peu d'énergie qui me reste pour passer devant lui en courant. Dernière descente, j'espère. En bas la main posée sur la rambarde, je reprends mon souffle mais je l'entends m'intimer de me dépêcher, de toute façon mes fringues sont là-haut.
- Qu'est-ce que tu fous dans cette tenue ?
Je regarde le colon.
- C'est Gâche. il m'a puni, je dois monter et descendre en courant.
- Encore ! Sa dernière marotte depuis qu’il ne peut plus vous faite satelliser.
Je commence à remonter. Richard me double, son pas est plus lourd que le mien, surtout que je suis en chaussettes mais actuellement, largement plus rapide.
Quand j'arrive Richard a, dans une main mes vêtements et dans l'autre les feuilles. Gâche est au garde à vous, il ne me jette même pas un regard.
- Prends tes pompes et vas à l'appart, file ! je commence à m'habiller. Non disparaît !
Je ne me le fais pas dire deux fois. Je m'habille en bas, l'oreille restée à l'étage mais je n'entends rien. Je suis déçu.
La porte de la cave est fermée. Je dois sortir du bahut pour aller sonner de l'autre côté... Cohen me laisse passer sans problème.
C'est Véro qui m'ouvre, elle est seule, Gisou n'est pas là, elle est au docteur pour Coco et Fanfan qui ont plein de boutons. Isabelle et Yvy sont chez des copines.
Je fanfaronne, moi je ne l'ai pas eu, na !
- Et bien, tu l'auras adulte et tu vas en chier.
- Tu sais que tu parles mal ?
- Gnia gnia gnia.
- Gisou ne serait pas contente du tout de ta façon de parler et de ta tenue qui n'est pas digne d'une demoiselle.
Elle lit dans le gros fauteuil assise en travers, adossé à un des bras, les jambes passées au-dessus de l'autre. Je regarde le méli-mélo de photos faites à Noël. Sous le verre quelqu'un a glissé une photo d'identité de moi.
- T'as vu le petit chéri à Maman a sa photo avec celle de la famille. Il est content le petit chéri ?
Je ne l'ai pas entendu se lever et elle s’est collée à moi derrière moi. Elle me dépasse encore mais beaucoup moins, j'ai pris huit centimètres en sept mois. Je veux la repousser, elle cherche à m'attraper les poignets, on finit mains contre mains. Et là, je m'aperçois que je suis devenu aussi fort qu'elle. Mais je me retrouve parterre tout de même, elle fait du judo et s'en sert contre moi. Ce n'est pas juste. Elle veut s'asseoir sur moi mais j'arrive à la faire tomber, et c'est à mon tour de me retrouver sur elle en travers de son torse. J'écrase des trucs tout mous, ça me fait sourire et elle comprend. Elle s'agite, bat des jambes que ne recouvre plus sa jupe. J'y mettrais bien les mains. Elle a lâché mes mains et cette fois la lutte reprend d'une façon plus classique avec elle, elle me griffe le visage et me mord le bras. Je dois lui coincer les mains à nouveau
- Eh ! mais c'est quoi ça ?
Je la lâche et nous nous remettons debout, je regarde mes chaussettes.
- C'est lui qui a commencé, il m'a dit des choses méchantes.
Je la regarde offusqué.
- Moi ? t'es gonflée.
- Véronique tu es punie dans ta chambre, quant à toi, suis-moi.
Gisou a dans les bras une Coco couverte de boutons qui comate sur son épaule. Elle la pose sur son lit. Fanfan se déshabille est se glisse toute nue dans son lit. Je ramasse ses vêtements et les pose au pied de son lit puis vais m'asseoir à côté d'elle et l'embrasse sur la joue.
Tenu par l'oreille, je finis dans la salle de bain, assis sur le rebord de la baignoire.
- Elle ne t'a pas loupé, mais c'est bien fait pour toi.
L'alcool pique mais stoïque je ne dis rien. Lorsqu'elle sort je lui emboîte le pas. Elle me montre le fauteuil d'un doigt, je m'y assieds, le livre de Véro ( Les quatre filles du docteur March.) est posé ouvert, à côté, je note la page cent trente-sept puis commence à le lire.
- Alors comme ça, vous vous êtes battus ? (Je vais pour répondre à Richard. Il me fait signe de me taire.) Je ne veux pas savoir. Tu es puni comme elle. (Il me tend les feuillets que j'ai rendu à Gâche.) Assieds-toi à cette table, et tu as six feuilles recto verso pour m'expliquer pourquoi ton comportement était impoli et pourquoi tu mérite d'être puni. Mais en tout cas, elle ne t'a pas loupé.
J'aime pas sa punition mais il faut que je me vois dans une glace.
Elle se glisse derrière lui et m'arrache le livre des mains puis retourne dans sa chambre.
- C'est MON livre !
- Page cent trente sept.
- Oui, je sais.
Je m'ennuie. Je me roule en boule les feuilles serrées contre ma poitrine. Pose la tête sur le bras du gros fauteuil, il sent bon, il a l'odeur de cette famille.
Richard me secoue.
- Vas faire un sac avec tes vêtements et ton cartable. Tu défais ton lit et ramène tes draps ici. Aller ne lambine pas ! On va passer à table donc tu as juste le temps de faire l’aller-retour ?
On part ce soir ? De nuit ? Enfin m'en fous moi, tant qu' ils ne me laissent pas, pour moi, c'est ça l'essentiel. Ma hantise là, c'est juste de croiser Gâche mais ni à l'aller, ni au retour, je ne le vois.
- Tu peux les mettre directement dans la machine s'il te plaît ? Je m'exécute puis vais sortir de la cuisine quand elle me fait signe de m'approcher. Elle regarde ma joue griffée puis tire mon col de chemise. Profite que tu es là pour aller te baigner.
- Dans votre salle de bain ?
- Et tu vois un autre endroit où il y a une baignoire ? (Elle sourit.) Tu as déjà pris un bain moussant ? Je secoue la tête. Bon rejoins moi là-bas avec ton pyjama.
La pièce sent les fleurs, la rose et la lavande je crois. Le robinet coule et en-dessous se forme un cratère de mousse.
- Aller dépêche-toi qu'on puisse manger. Pose ton linge ici, elle me montre le sol à côté de la porte. Je viendrai le chercher.
Ah ça, dès qu’elle est sortie, je suis vite à poil, j'ai hâte d'être dans l'eau.
Je note la différence de température entre la mousse et l'eau qui me brûle mais tant pis. C'est rigolo. J'oublie de fermer le robinet et n'y pense que quand la baignoire déborde un peu. Vite j'ouvre la bonde et évacue le trop plein.
Cette baignoire est immense, allongé, je ne touche ni d'un côté ni de l'autre. Je reste couché au fond, les yeux me piquent mais c'est trop drôle.
Une tête au-dessus de la baignoire. Je m'assieds en cachant mon entre-jambe.
- Ouf, j'ai eu peur que tu ne te sois noyé. Je passais juste prendre tes vêtements. Et te poser une serviette, elle me la montre, posée sur la chaise au-dessus de mon pyjama. Tu t'amuses bien ?
Je hoche la tête. Je suis horrifié et je n'ai qu'une hâte qu'elle s’en aille. Alors, vite, vite, je sors de la baignoire et enfile mon pyjama en m'étant presque pas séché. Puis je reste là, adossé au lavabo, je n'ai pas envie de sortir, je tremble de froid et de honte.
Je me regarde dans le miroir. J'ai cinq belles estafilades qui courent de la limite de mes cheveux à mon menton. Par contre autre chose me fait les oublier, au-dessus de ma lèvre supérieure il y a un léger duvet brun.Oh merde comment j'ai fait pour louper ça ? Faut que je me rase mais j'ai rien. Je demanderai à Richard si j'arrive à sortir d'ici et affronter le regard de Gisou.
La porte s'ouvre et reste ouverte sur le vide.
- A table !
- A quoi tu joues ?
- Maman m'a dit de te le dire sans regarder dans la salle de bain.
- Bou ! Yvy part en courant et en riant.
Richard dans la cuisine nous regarde. Nous sommes tous en pyjama sauf Gisou. Je rougis en passant devant elle.
- Ton pyjama t'es largement trop petit, tu as bien grandi, c'est Mamie qui sera contente.
Hein ? Pourquoi Mammema devrait être contente de me voir grandir ?
Je regarde Richard et Isabelle ouvrir le canapé du salon.
- Vous savez que j'aurais largement pu dormir dessus ?
- Et j'y aurais dormi aussi. Alors tais-toi et aide-nous plutôt.
(Au lieu de ça, je reste immobile et rigole car j’imagine le colon dormant sur le canapé.) Hou hou l'ahuri, donne-nous la couverture.
Tout le monde dort, sauf moi. L'appart est silencieux. Je me lève et regarde par la baie vitrée restée ouverte. En bas devant l'escalier central, deux points de braise. Gâche sûrement et Lorient ou Caprais. Je parcours les fenêtres des dortoirs. Les chambres sont situées plus haut que l'appart car sous les toits.
- Tu ne dors pas ? Je rougis. Gisou fait un nœud avec la ceinture de son peignoir. Je ne veux pas la regarder, je pense à ce soir. Je lui en veux et j'ai honte. Elle passe sa main sur ma joue. Je m'écarte d'elle et me glisse sous les draps jusqu'au dessus de ma tête. Je sens qu'elle s'assied sur le lit. Je suis désolée pour tout à l'heure. Mais j'ai eu vraiment peur. Tu sais c'est mon cœur de Maman qui a réagi. (Ouais et c'était peut-être une de tes filles dans l'eau ? Je ne dis rien mais je n'en pense pas moins. J'aurais fait un mètre quatre-vingt dix, tu serais aussi venu voir dans la baignoire ? Marre marre marre.) Bon et bien bonne nuit mon garçon.