Robert jeudi 17 juillet 1975 Toujours un garçon !
Une douleur lancinante au niveau de mon sexe me réveille, je veux y porter la main car mes poignets et mes chevilles sont attachés.
Je suis couché sur le dos, dès que je bouge, j'ai l'impression que l'on m'en arrache la peau. Je veux crier mais quelque chose dans ma bouche m’en empêche. Juste au-dessus de ma tête un appareil émet des sons en continu ou des sifflements à intervalles réguliers. J’ai aussi très mal à la tête.
Je réalise que je suis à l’hôpital, mais je ne comprends pas pourquoi.
Et cette douleur !
Je m’agite. Je veux m’asseoir mais je suis bien trop bloqué. Je remarque un tube qui sort du creux de ma clavicule. Lui me brûle. J’en ai aussi un au bras gauche. Mais qu’est-ce qui a bien pu m’arriver ?
Une infirmière attire mon regard en m’appelant par mon prénom. Elle disparaît pour revenir au bout d'un temps qui me semble durer un siècle, avec ce que j’identifie comme un médecin.
- Bonjour mon petit, content que tu reviennes parmi nous.
Revenir ? J'étais parti ? Et je serais parti où d'après eux ? Surtout ficelé comme je le suis.
Je bouge les bras pour leur montrer mais ils ne semblent pas comprendre. Je renonce. Ce qui m'importe c'est qu'ils m'enlèvent de ce lit de fakir qui me bousille le dos.
Et voilà, cette fois ils disparaissent tous les deux.
Je comprends que je dois prendre mon mal en patience. Je me laisse aller à somnoler, je n’ai que ça à faire. Et puis, si je ne bouge pas, mon dos me lance moins.
On me touche, une peur indicible m’envahit, je me réveille en hurlant en silence. J’ai toujours ce maudit tube en bouche.
Ce sont deux infirmières différentes, avec le même médecin
- Là, là, calme... Nous n'allons pas te faire de mal. J'enlève l'oreiller le temps de t'ôter le tube que tu as dans la gorge, puis je te le remettrai, là, sois sage, ne bouge-pas !
C'est très désagréable, mais je me laisse faire, je n’ai pas le choix de toute façon. Et puis après je pourrai parler et leur demander pourquoi je suis là.
- Tu as mal ?
Tiens c’est vrai, la douleur a plus ou moins disparu.
- Non, là, ça peut aller. Tout à l’heure oui, j’avais très mal. Pourquoi est-ce que je suis là ? Pourquoi suis-je attaché ?
Il a l’air surpris.
- Tu ne te souviens pas ?
Bin non puisque je le lui demande, pas très fut fut le toubib.
- Non !
Mon regard va de l’un à l’autre.
- Le docteur t’expliquera, dors tant que tu peux, le temps passera plus vite pour toi, d’accord ? Et dès que tu as mal, tu m’appelles. Je te mets la sonnette dans la main droite.
L'infirmière me relève la tête pour me remettre l'oreiller, immédiatement mon dos m’arrache presque des larmes et je cherche à voir cette fameuse sonnette. Mais ce que je vois c’est mon torse puis mon ventre et surtout mon bas-ventre.
Je suis nu mais la moitié inférieure de mon ventre et mon entrejambe sont recouverts de gazes d’où sortent deux tubes. Et des genoux à mon cou pratiquement, mon corps a pris une couleur allant du noir au violet clair zébré de noir et je suis devenu un hérisson car j'ai sur tout le corps des petits fils noirs durs dressés.
L’infirmière doit sentir que je m’affole, elle me plaque sur le dos.
- Qu’est-ce que j’ai ? Mais répondez moi ? Et là d’un coup, tout me revient, en un flash rouge. Je ne suis plus un garçon, c’est ça ? Il l’a fait ? Il m’a tout coupé ? Non, je ne veux pas !
Je hurle, je me débats.
La douleur revient, intense, intolérable.
Je ne sais pas ce qu’ils m'injectent mais tout redevient noir.
…………………………………………………………………
Il est là devant moi, immense, il n’y a que lui, je ne vois que lui.
Son bras se lève et s’abaisse.
“Tu n’as pas le droit de vivre !”
Je hurle.
J’aimerais partir, j’aimerais m’enfuir mais je ne peux pas.
Je suis attaché.
Ses mains brillent dans la nuit, phosphorant à la lumière de la lune.
Et toujours cette douleur.
Et toujours ces coups.
“Tu n’as pas le droit de vivre !”
Ses paroles résonnent, rythmant les coups et mes cris.
Je veux fuir, je veux vivre.
J’ai le droit de vivre.
Je veux qu’il s'arrête.
“Je t’aime mon fils !”
Non, non, tu ne peux pas, je ne peux pas être ton fils !
Lâche-moi !
Et toujours ce bras qui se lève, qui s’abaisse et toujours cette douleur.
…………………………………………………………………
Je me réveille à nouveau, je suis toujours sur le même lit mais ailleurs, dans une chambre, seul.
Je suis toujours attaché. J’essaie de me contorsionner mais cela ne fait qu’accentuer la douleur de mon dos. Je dois trouver sa fameuse sonnette, j’appuie dessus de toutes mes forces et avec frénésie. Une infirmière entre, lentement, trop lentement à mon goût.
- Détachez-moi ! Vous n’avez pas le droit de m’entraver comme cela. Je veux savoir ce qu’il m’a fait, ce que j’ai ! Et j’ai mal, j’ai mal.
Je sanglote.
- Bon tout d’abord mon petit, tu vas te calmer. Regarde-moi, plus tu t'agites, plus tu auras mal, alors ne bouge plus. je te détacherai lorsque tu seras plus calme. Tu es un véritable tsunami. Même endormi, tu te tortilles comme un petit vers, c’est pour cela que nous t’avons attaché, non pour te punir mais pour ton bien pour que tu ne te fasses pas mal.
La femme qui me parle avec un très fort accent alsacien, est blonde, ses cheveux tirés en arrière, avec un visage rond assez doux mais elle m’est de suite antipathique et je me mets à la détester.
- j’ai soif.
Elle me fait boire une gorgée d’eau.
- Voilà, je reviendrai tout à l’heure t’en redonner. Et si tu es calme à midi, je te détacherai les bras pour que tu puisses manger. Je pense que le docteur Péret viendra te voir cet après-midi comme tous les jours depuis que tu es avec nous.
- Depuis combien de jours ?
- Nous en sommes déjà au matin de ton troisième jour. Elle me laisse, je la regarde sortir.
Je la déteste de me laisser.
J’ai encore soif, très soif. Faim non.
Je redresse ma tête autant que je peux pour regarder mon ventre mais je ne vois qu’un tas de gazes et mon dos me lance. Je dois encore attendre, je finirai bien, malheureusement, par savoir ce qui me reste. Et elle a raison, il faut que je dorme et tenter de ne pas y penser.
J'ai dû m’endormir.
Une jeune femme d'une vingtaine d'année pas plus, habillée d’une blouse rayée rose pose un plateau sur la table. Elle me sourit en me voyant réveillé puis regarde ma fiche au pied de mon lit.
- Bonjour Robert, c’est ça ? Tu as faim je pense, je vais t’aider à manger un peu.
Elle redresse ma tête de lit pour que je sois en position semi-assise, met la table au-dessus de moi, au-dessus de mon ventre. J’ai déjà repéré la salade de betterave, et quand elle soulève le cache et que je vois le poisson, je secoue la tête.
- Je ne veux pas manger, je n’ai pas faim. J’ai soif, je veux juste boire.
- Allons, allons, un garçon comme toi a besoin de manger pour devenir un homme fort et costaud.
Elle approche la fourchette avec du poisson, je m’éloigne au maximum. Elle ne me propose que du riz, mais dessus il y a de la sauce dans laquelle nage le poisson, je secoue la tête. J’ai trop faim, je mange les betteraves. Au dessert, c’est une poire au sirop, j’accepte ainsi que le fromage, du camembert semble-t-il.
Elle me donne ensuite, seulement, à boire.
L’ infirmière de tout à l’heure revient.
Elle voit que je n’ai mangé que je n’ai pas touché au plat principal.
- Qu'est-ce que c'est que ça, tu es un petit peu difficile ? Un petit capricieux. Elle rapproche la table et tente, elle aussi. Juste une bouchée de poisson et un peu de riz. Tu ne veux pas me faire plaisir ? Elle me bloque le visage d'une main et force mes lèvres avec la fourchette qui me pique et me blesse la gencive, les dents restant serrées. Je me débats. Je ne la déteste plus, je la hais. Allons, allons, il faut que tu manges.
Le goût même léger me révulse, j'ai un haut le cœur, elle abandonne.
Je me penche au-dessus de l’assiette et crache le grain de riz resté entre mes lèvres.
La femme à la blouse rose repart avec son plateau. Je réclame à boire. L’infirmière me présente un demi verre d’eau.
- S'il vous plaît, détachez-moi au moins une main.
- C’est le docteur qui décidera, si tu es sage mais franchement…
Avant de partir, elle me propose de l’eau, lorsqu’elle pose le verre contre mes lèvres, je fais exprès de lui faire pencher davantage. L’infirmière jure car si j’ai pu avoir plus d’eau, le reste s’est répandu sur mon torse et mes pansements. Et c’est énervée que je la vois s’éloigner.
J’ai toujours très soif et je commence à en avoir marre qu'on me dise d'être sage comme si j'étais un tout petit bébé.
Je somnole lorsque le docteur Péret entre.
- Salut bonhomme, comment vas-tu aujourd’hui ? Tu sais que tu nous en as fait une de ces peurs ?
- J’ai quoi exactement et pourquoi je suis attaché ? Et pourriez-vous fermer cette porte ?
- Pendant que je suis là, je vais te détacher, après je verrai avec l’interne, d’accord ? J’apprécie de pouvoir m’asseoir, mon dos , mes fesses me lancent. Je me contorsionne autant que je peux, pour toucher mon dos. Sous mes doigts, un pansement qui va du cou aux fesses qui elles sont nues et sous mes doigts je sens les stigmates laissés par la ceinture de mon père. Par contre, quand je veux toucher à mon gros paquet cadeau, il me retient la main. Non bonhomme. Si tu veux que ça guérisse bien n’y touche pas. Ils ont mis six heures à tout recoudre, normalement tout sera comme avant, du moins il me l’a promis. Je pense que le chirurgien devrait passer te voir, ce soir ou demain. Je te sais intelligent alors soit patient.
La porte s'ouvre sur l'infirmière.
- Pourquoi cette porte est-elle fermée ? Dans ce service, les portes doivent rester ouvertes. De plus, Monsieur, qui vous a autorisé à le détacher ?
- Je suis son médecin.
- Vous êtes interne ici ? non . Alors vous n'avez aucun droit pour décider ce qui doit être fait ou pas. Allons, donne-moi ton bras.
Je m’éloigne tant que je peux, agrippant de ma main les barres du lit opposées à elle.
- Non !
- Et bien on va voir qui décide, mon petit.
Je me débats, je suis à deux doigts de la mordre. J'ai mal à nouveau et je me mets à pleurer de douleur et de rage.
- Non, non, nooooon.
Le docteur Péret se met entre elle et moi.
- Attendez, laissez ce gamin, allez chercher un interne, il décidera.
Elle me lâche et furieuse sort de la chambre, il ferme la porte derrière elle. J'ai mal, je me laisse glisser vers le fond du lit malgré la râpe dans mon dos, pour ne plus avoir les jambes droites, les plier, les bouger.
Le docteur Péret soupire et m'enlève aussi les bracelets de chevilles. Doucement car chaque geste m'est douloureux, je bouge les jambes.
La porte va claquer contre le mur lorsqu'elle l'ouvre.
Je sursaute, effrayé, je voudrais me mettre en boule, mais je ne peux même pas.
Elle semble proche de l'apoplexie quand elle voit mes jambes libres. Mais ne dit rien car un médecin la suit.
- Bonjour collègue, comment vas-tu ? Alors c'est toi, celui qui nous l'a amené ? Mademoiselle Meyer, faîtes donc confiance au docteur Péret. Personnellement, je lui confierais ma vie sans problème.
- Docteur s'il vous plaît.
- Oui bonhomme.
Il doit avoir à peu près le même âge que le docteur Péret.
- J'ai quoi exactement ?
- Ah ça c'est l'urologue qui répondra à ta question lorsqu'il passera te voir.
A dix-huit heures, on me laisse manger sans aide, ma soupe, mon poulet, ma purée, ma tranche de gruyère et ma compote. Cela me change des repas de la maison.
Le docteur Péret ne part que quand j’ai fini de manger mais sans avoir réussi à m'obtenir un drap pour me couvrir..
Dans la soirée, l’infirmière vient me prendre elle-même la température, surveillant que je garde bien le thermomètre en bouche suffisamment longtemps en l'y tenant.
Puis elle éteint la lumière, je m’endors assez rapidement malgré une soif inextinguible.
Deux infirmières me réveillent en me remettant les bracelets aux poignets puis aux chevilles. J’essaie de résister, de les supplier rien n’y fait.
- Désolé mon petit, tu bouges beaucoup trop quand tu dors, tu te fais du mal sans le vouloir.
- Pitié, je ne dormirai plus s'il le faut mais non pas ça. L'une des deux sourit, l'autre ricane, elle, je ne l’aime déjà pas, elle me fait peur. J'ai mal, vous n'auriez pas un truc ? Elle reste un moment à me regarder puis touche à mon paquet cadeau. Ah bin tiens quelle bonne idée !!! Je pousse un cri de surprise, ça la fait sourire. Mais vous êtes une pourriture, je vous dis que j'ai mal et vous faîtes en sorte que j'ai encore plus mal.
Très contente d'elle, elle sort et éteint la lumière sans fermer la porte. Même si je sais qu'elles ne reviendront pas, je pleure en appelant pendant un moment.