Caths vendredi 1er Août 1975 Tach
Caths Vendredi 1er Août 1975 Tach
Ses parents se disputent une fois de plus au sujet de Robert.
Elle entend les mots : dépecé et mutilé. Ils ne pourraient pas une bonne fois pour toute arrêter et se taire ? Elle plaque ses mains sur ses oreilles.
Quand ils partent, elle reste longtemps roulée en boule sur mon lit à tenter de l'imaginer. A tenter d'imaginer son petit corps si fragile, si malingre couvert de sang.
Et puis ras le bol !
Dans mon coin toilette sous le lavabo, elle vide le contenu du petit meuble dans un sac poubelle sauf un rouge à lèvres noir et du vernis noir qu’elle applique consciencieusement sur ses ongles de pieds et de mains qu’elle passe d'abord un long moment à manucurer.
Son ventre gargouille, un chewing-gum le fera patienter.
Elle admire longuement ses ongles noirs mais non, ça ne lui plaît pas. En saisissant le dissolvant, elle voit le rasoir mécanique et à côté les boîtes de lames.
Elle en prend une puis assise sur le lit, elle la pose sur son poignet, puis la déplace partout où elle voit des veines mais elle n'y arrive pas, elle a peur d'avoir mal et du coup, elle la jette au loin et éclate en sanglots.
Elle n'a même pas le courage de le rejoindre.
Elle a honte. Elle est sûre que lui aurait eu le courage.
Elle enlève sa chemise de nuit. Debout, elle regarde son corps, et en fait un examen minutieux, puis elle met une lame dans le rasoir et commence un rasage intégral y compris de son crâne.
Un frisson la parcourt lorsque les premières longues mèches blondes tombent au sol, elle ne peut plus faire marche arrière.
Quand elle a fini, le miroir lui renvoie l'image d'un autre moi-même, elle ne se reconnaît pas.
Un être androgyne au torse presque plat et sans rien en bas. Elle cache son bas-ventre d'une main. Elle pourrait passer pour un garçon, un joli garçon.
-Tu sais que je pourrais tomber amoureuse de toi.
Elle trouve même que d'un certain côté, elle ressemble à Robert sans ses cheveux blonds et elle trouve ça plutôt cool !.
- Bonjour jeune homme veux-tu être mon ami ? Mon amant ? Hou là, tu perds la tête, tu t'en rends compte ?. Hé! Qui es-tu toi pour me dire ça ? Moi je suis... Elle hésite, ce reflet d’elle qui n'est pas elle comment l'appeler ? Ah mais oui ! Moi je suis Tach ! Bonjour Tach, enchantée de faire ta connaissance.
Dehors, le soleil est levé.
Elle a faim.
A quoi ça sert de manger ? A rester en vie, pfff quelle servitude.
Mais d'abord, elle doit finir de trier le contenu du petit meuble. Elle entasse son passé sur le tas de fringues qu’elle compte jeter aussi lorsqu’elle aura récupéré d'autres grands sacs poubelle.
Tach ne se maquille pas. C'est un mec.
Par contre, elle cache le rasoir et les lames derrière l'armoire qu’elle a repoussée contre le mur.
- Catherine ma chérie, tu es réveillée ? Purée mais elle hallucine, sa mère a dormi derrière ma porte ou quoi ? Qu'est-ce encore que tout ce bruit ?
- Je refais la déco de ma chambre.
Elle remet le verrou avant de pousser l'encombrant lit au milieu de la pièce, la commode et la coiffeuse ayant pris sa place contre le mur.
D'ailleurs ce lit lui sort des yeux, munie d'une lame de rasoir, elle se met debout sous le baldaquin que sa tête soulève. Elle a envie de le lacérer, mais elle se laisse tomber à plat dos et jette la lame sous la coiffeuse.
Elle se souvient de lui. De son sourire et de ses yeux brillants lorsqu'il se glissait sous les draps et qui lui disait combien il m'enviait d'avoir un lit comme celui-ci Ses yeux où se reflétaient les étoiles d'argent du tissus au-dessus de lui.
Son cœur se serre.
Bref !
Elle saute au sol. Elle enlève le verrou et ouvre la porte, traverse le couloir. Elle est nue... ou nu, comme un ver. Un ver lisse sans poil.
Dans le couloir, il y a ses parents et le père Camerer une bible à la main.
Elle traverse juste pour entrer la chambre de son frère Théo dont la porte est en face de la mienne.
Théo qui est en vacances et qui dort encore, elle va à la fenêtre et fait claquer les volets.
Il se redresse et va pour l'envoyer chier mais reste muet en la voyant.
Elle lui fait un pied de nez puis va jusqu'à sa grosse panière de linges sales.
Elle savait qu’elle pouvait lui faire confiance, elle est pleine. Elle la renverse et étale les vêtements.
Théo est aussi grand que moi.
Il ressemble à Christophe d'après tout le monde, mais elle, elle ne trouve pas.
Elle récupère un tee-shirt tâché de cambouis et un bleu de travail qu’elle enfile.
Ils puent la testostérone et l'huile de moteur bref, ils puent Théo.
C'est ce qu’elle veut.
Elle se glisse dans les draps à côté de lui. Il râle, il est nu dessous. Ça la fait rire. Elle se love contre lui qui ne sait pas quelle contenance prendre puis il lui rend mon câlin.
Elle l'embrasse sur la joue et se lève et repoussant d'un coup toutes les couvertures et en passant au-dessus de lui, l'exposant aux regards des adultes restés à l'entrée de la chambre.
Ils s'écartent quand elle fait mine de vouloir les repousser, descend pieds nus jusque dans la boutique puis jusqu'au labo.
En bas, il y a les deux apprentis et les deux ouvriers, à chacun d'eux, elle roule une grosse pelle bien baveuse, les laissant sidérés. Puis elle remonte en mordant dans un croissant tout chaud. Elle a pris la gamelle avec le fond de ganache praliné qu'ils ont posé sur le dessus de la pile de vaisselle à laver que Etienne l'apprenti trisomique doit laver après avoir balayé le sol. C'est la seule chose que son père lui fait faire.
Dans la gamelle, elle ajoute une poignée de croissants.
Elle les dégustera en pensant à lui.
Dans le salon où Annie repasse, elle se laisse tomber sur le canapé et après avoir allumé la télé commence à manger.
Sa mère vient se mettre devant elle.
- Catherine es-tu devenue folle.
Elle ne la regarde pas.
- Je suis Tach dorénavant, Cath est morte. Poussez-vous s'il vous plaît madame.
Sa mère éteint la télé. Tach me lève furieux.
- Décidément t'as le chic pour faire chier.
Elle évite la claque puis quatre à quatre remonte dans sa chambre où elle s'enferme à nouveau.
- Bon maintenant, il faut que je me casse de ce bagne.