Véro samedi 17 octobre 1975 mon papounet
Véro samedi 17 octobre 1975 mon papounet
C'est samedi, Véronique a trois tonnes de travail mais aucune envie de travailler, qu'est-ce qui lui arrive ? Enfin elle croit savoir : elle a envie de le revoir, de lui parler ! Il lui manque...
Papa est enfermé dans son bureau.
- Papa ! Besoin d'aide ! Tiens, et dis moi si c'est bon.
Il la regarde s’avancer vers lui.
- Hum ! Accessoirement, je travaillais.
Elle n’en tient pas compte, elle vient derrière lui et entourant son cou de ses bras, l’embrasse sur la joue.
- Oui, moi aussi. Allez mon petit papounet chéri.
Elle lui met Rimbaud dans les mains et clame le spleen avec emphase. Elle reste dans son dos, d'un œil elle le surveille tout en regardant dans la cour. Elle repère très vite, l'autre, assis sur un banc, un bouquin à la main, le nez en l'air, il rêve.
- C'est bien mais tu ne me l'avais pas récité le mois dernier ?
Elle joue l’étonnée.
- Ah bon ? Non, non, merci mon papounet d'amour. Tu m'autorises à aller promener Sheba ?
Là, son père se tourne vers elle qui, les mains jointes, le regarde suppliante..
- Oui, si tu veux, mais c'est à monsieur Cohen qu'il faut demander surtout et ne la lâche pas cette fois.
Elle aimerait sauter sur place, s’écrier : Yes ! Mais elle préfère s’en tenir à une expression de bonheur presque extatique.
- Oui, voui, mon papounet chéri rien qu'à moi !
Elle lui claque deux puis trois bisous sonores sur les joues et s’éloigne avec son cahier.
Et voilà comment on emballe un petit papa trop crédule. A elle la liberté ! Il a oublié qu’elle était punie.
Dans la loge, pas de Cohen senior, il y a Adam qui bosse sur sur cours d'anatomie, il colorie des dessins, ça fait très maternelle. Il a vingt-deux ans, il est en fac de médecine à Marseille. Il est d'accord pour le chien qui a compris et qui fait déjà mille et une démonstrations de joie. Mais il vient une idée à Véronique.
- Adam, tu accepterais de nous aider Isa et moi ?
Il lui sourit amusé
- Cela dépend pour quoi ?
- Hier, nous sommes rentrées en retard de la piscine, tu ne veux pas dire à Papa que nous sommes restées à papoter avec toi ? Il ne dit rien. Les yeux plissés, il fait tourner un crayon de couleur violet autour de ses doigts. Elle ajoute alors : Ce serait à charge de revanche.
Elle y ajoute mon plus sublime sourire.
- Désolé mais hier soir, je suis rentré à plus de vingt-trois heures. Demande à Simon. Il ne dira pas non. Mais en fait vous faisiez quoi ? Il sourit, son crayon, cette fois dans la bouche. Véronique ne peut s’empêcher de le trouver moche : un gros nez, des yeux noirs et… c'est un vieux ! Il rigole. Oh ! Oh ! il y a des garçons là-dessous, non ?
Je lui tire la langue et ressort du côté de la cour.
Bizarrement le chien s'évade, sa laisse est une véritable anguille entre les mains de Véronique qui n’ose pas l’appeler de peur que son père ne l’entende.
Finalement, elle le récupère au milieu de la cour, c'est un élève qui l'a attrapé. Et c’est fou le nombre de garçons qui veulent d’un coup caresser ce stupide chien qui secoue sa longue queue en panache.
- Il est beau ton chien… comme toi.
Elle n’a même pas un regard pour le débile profond qui vient de la comparer à un chien, non une chienne puisque Seba est une femelle.
Qant à l'autre nouille, il n'a pas bougé de son banc. Ah si ! Il a peut-être compris ? Véronique rentre dans son immeuble par les caves et laisse la porte ouverte.
Elle attend.
Viendra ? Viendra pas ?
Elle accroche le chien au fond du couloir. Je sursaute lorsqu’elle se retourne. Il est juste devant elle. Il tend la main vers Sheba qui la lèche.
- Désolé si je t’ai fait peur.
- C'est quoi ton accent ? Il fait un pas en arrière, il fronce les sourcils, plus de sourire. Oups, elle comprend qu’elle a fait une gaffe, l'aurait-elle vexé. Elle le pousse alors contre le mur. Ne fais pas la gueule, tu n'as pas l'accent d'ici, c'est tout. Mais rien à faire, envolé le sourire. Dans le noir ses yeux brillent.
Puis son sourire revient.
Elle est heureuse.
Le baiser qui suit est différent des précédents. Elle ne sait pas pourquoi. Peut-être parce qu’elle ne découvre plus qu’elle l’attendait. Malheureusement il doit partir. Il sort, pousse la porte, re-rentre et lui dit :
- Je suis alsacien, cela ne te dérange pas trop j'espère. On se voit demain ?
Alors ça, c’est son vœux le plus cher, mais elle ne sait pas comment. Elle n'a plus le choix, il faut qu’elle trouve un moyen. Il devra surveiller la porte.
Il fait nuit dans la chambre, elle a du mal à m'endormir.
- Isa ?
Sa sœur lui répond de suite.
- Oui ? Alors, tu l'as revu ?
Elle se penche vers la couchette de sa sœur en-dessous de la sienne puis soupire.
- Demain il veut que l'on se revoit. Mais j'en ai marre de la cave, c'est franchement pas super romantique.
Isabelle se fait moqueuse.
- Plains-toi ? Et pourquoi tu ne l'inviterais pas dans ta chambre tant que tu y es ?
- Véronique souffle et se re-allonge sur le dos.
- C'est ça, moque-toi de moi, jalouse ! Demain, je lui dirai d'aller chercher Claude. Nous allons finir par l'aménager cette cave et y descendre des petits gâteaux et des boissons !
Isabelle rigole comme une bossue et elle aussi. Elle s’imagine bien la tête de sa mère si elle lui disait : Maman je vais jouer à la dînette dans la cave.
Elles délirent un certain temps sur ce sujet jusqu'à ce que leur père vienne leur dire de se taire et de dormir. Avant de sortir, il se retourne vers elles.
- Au fait, pourquoi vous ne nous avez pas dit jeudi que vous étiez avec les fils de monsieur Cohen ? Ils sont gentils ces deux garçons. Bonne nuit les grandes.
- Bonne nuit Papa. Mais tu devrais t’excuser de ne pas nous avoir crues.
Il ne s’excuse pas mais ses yeux rient, elle aime quand il essaie de rester sérieux, mais avec elle, ça ne prend plus. Elle lui tend les bras et il revient lui faire un gros câlin avec pleins de bisous et Isabelle qui s’est levée, se joint à nous.
Une fois la porte refermée, elle doit expliquer à Isabelle qui n'en revient pas.
- Bin t'es gonflée toi !
En tout cas, Véronique n’est pas peu fière d’elle.
- A toutes fins, il faut les moyens !
Elle a l’impression que son oreiller sent encore le chlore et ça la rend heureuse.