Robert jeudi 30 Octobre 1975 les Alpes Véro
Robert jeudi 30 Octobre 1975 les Alpes Véro
Je me mêle peu à eux.
Ce n'est pas que j'ai peur des filles mais ces derniers jours m'ont échaudé et puis ce n'est pas ma famille.
Je ramène mon bol dans la cuisine et le lave, j'ai hâte de retrouver mon bouquin au calme sous ma couette.
- Hep ! Holà pas si vite ! où vas-tu ?
Le pied sur la première marche, je me retourne pour regarder le colon couché sur le canapé, ses deux dernières assises sur son ventre.
- Dans la chambre. Je vais lire.
- Ne peux-tu le faire aussi ici.
Voilà pourquoi je monte dans la chambre, encore une fois, je suis le centre de l'attention de toute cette famille. Bon bin, let’s do some homeworks ! Mais si ça continue, je vais avoir fait tous les exos du livre.
Deux mains se posent à plat sur la table : le colon.
Qu’ai-je fait encore ? Je lève les yeux vers lui, inquiet. Il sourit. Il m'enlève le stylo des mains, et m'emmène avec lui dehors.
Rémy débite les bûches que Papapa pose sur le billot, hier on leur en a livré plusieurs stères. Il me tend la hache en souriant. Je la prends, je fais mine qu'elle est trop lourde pour moi mais en fait elle est plus petite que celle de mon père. Je laisse retomber. La bûche tombe coupée en deux.
- Waouh, bravo !
Je hausse les épaules.
- La première fois que mon père m'a collé sa hache dans les mains, j'étais aussi grand qu'elle et je n'arrivais pas à la lever. La vôtre est plus légère et plus petite.
J'attends que l’un d’eux remette une autre bûche mais au lieu de cela, je les vois soupirer, lever les yeux au ciel. Ils ont quoi encore ? Ras le bol !
Je pose la hache et vais pour retourner dans la maison mais Papapa m'arrête puis posant son bras sur mes épaules, il me montre les filles, enfin Véro et les jumelles autour d'un vélo, debout à l’envers, posé sur sa selle. Je n'ai pas encore aperçu leurs grandes sœurs.
- Tu sais réparer une roue crevée ?
- Oui.
- Bon, alors va les aider.
Je ne peux m'empêcher de le regarder. Il a l'air sérieux, c'est ça le pire.
- Obligé ?
- Non, mais tu vas devoir aussi faire des efforts de ton côté, et ça, tu le sais.
Cette fois, c'est à moi de soupirer, je n'ai pas vraiment le choix.
Je m'approche d'elles en traînant les pieds.
- Je peux vous aider ?
Elles se retournent sur moi.
- Oh mon dieu, on nous envoie le sauveur. Parce que tu crois quoi ? Que parce que nous sommes des filles, on ne sait pas changer la roue d'un vélo ?
Wahoo ! Bon, et bien, moi, je rentre. Je jette un regard noir à Papapa et je retourne à mon bouquin, lui au moins, il ne m'envoie pas chier !
Installé en tailleur sur un des rocking-chairs, je ne la vois pas venir. J'ai presque une crise cardiaque quand elle le couche à l'horizontal. Pour me retenir des deux mains pensant me fracasser en arrière, j'envoie valser le livre et j'avoue, je crie comme une fille. Et l'autre idiote qui est pliée en deux devant moi. Et je ne peux ni la frapper ni l'envoyer chier car en criant, j'ai rameuté tous les adultes.
Richard vient se mettre entre nous deux et me regarde énervé.
- Qu'as-tu encore fait ?
Je n'attends pas qu'il m'engueule, je ramasse mon bouquin et monte dans la chambre.
Je claque la porte, me laisse glisser au sol derrière elle et laisse sortir ma rage en tapant de toutes mes forces à coup de poing contre le sol et les murs.
Un jour, je la tuerai !
Marre, marre, marre, c'est encore et toujours moi qui m'en prends plein la gueule alors que je n'ai rien fait ! Mais pourquoi ? J'suis franchement maudit !
- Robert, ouvre-moi s'il te plaît.
- Non !
- Dois-je aller chercher un des hommes ? Je me lève et ouvre à Mammema. Elle tient à la main un paquet de coton et un flacon. Elle me caresse la joue d’un air triste puis me serre contre elle. Véro nous a dit que tu n'as rien fait. Tu aurais pu le dire toi aussi.
- Il ne m'aurait pas cru.
Elle m'embrasse sur le front.
- Allez viens t'asseoir et fais-moi voir tes mains. Rémy faisait comme toi, tellement qu'un jour il a tapé trop fort sur du béton et a fini avec un plâtre. Du coup ça l'a calmé, mais s'il te plaît ne sois pas aussi stupide que lui. Elle me passe du coton arrosé d'alcool. Ça pique mais je m'en fiche. Ses gestes sont doux. Pourquoi Véro ne ressemble-t-elle pas à sa grand-mère ? Elle sourit. Quand elle lève les yeux, j'ai l'impression bête d'être pris en faute et je me sens rougir. Je me lève et vais devant la fenêtre en fourrant mes mains dans mes poches. Aïe ! Ça fait plus mal que l'alcool. Elle vient derrière moi, met ses bras autour de moi et pose son menton sur ma tête.
- A quoi penses-tu ?
Je réponds pas car je n'ai rien à répondre. J'aimerais être comme eux. J'aimerais être l'un d'entre eux mais je ne suis qu'un gamin qu'ils accueillent car ils ont pitié de moi.
On reste ainsi un instant puis elle me fait me tourner, m'essuie les joues et sans un mot me tenant contre elle, me fait descendre.
En bas, les filles sont toutes assises à la table où d'habitude je travaille, et là, ce sont elles, qui sont devant des livres et des cahiers.
Françoise me court dessus.
- Tu sais lire ?
- Non !
Elle est surprise une seconde puis se met à rire.
- Tu me lis une histoire ?
Elle tient un livre de contes, on s'installe sur le canapé et je commence à lui lire, Coco nous y rejoint le pouce à la bouche.
A midi, Gisou nous envoie tous les deux chercher les hommes pour manger et récupère Coco pour la mettre dans sa chaise haute.
Franchement, je souffle et affiche une mine mécontente quand elle vient nous le demander.
Finalement c'est Fanfan qui y va, moi, je reste sous le préau, à l’entrée du sas, et fais demi-tour en voyant son père la prendre sur ses épaules puis venir vers moi.
Je n'ai pas envie de voir, ni de parler au colon.
Dans le sas lorsque je pose la main sur la poignée de la porte d'entrée de la cuisine, celle-ci s'ouvre brutalement sur Véro et ses deux fidèles ombres.
- Tiens, le fou furieux.
- Non, le goret qu'on égorge.
- Bou hou hou ! Une des jumelles, les mains à la hauteur de son visage, mime quelqu'un d'effrayant.
Pour pouvoir passer, je la repousse violemment contre le tas de godasses où elle s’écroule,
Derrière moi, j’entends Richard bloquer sa fille et l’empêcher de sortir.
- Où vas-tu jeune fille ? Tu es punie je crois, tu retournes avec moi dans le salon, je crois que tu as des excuses à présenter à quelqu'un. Tu l'as fait ?
- Non, Papa... me force pas à ça. Je te déteste.
- Et bien, tu seras punie jusqu'à ce que tu l'ais fait.
Avec Maïté et Isabelle, nous mettons la table. Isabelle passe derrière moi pour poser les assiettes.
- Désolée pour hier, avec Maïté, nous avons été débiles, j'espère que tu nous pardonnes. Maintenant vas voir Véro, et dis lui tout haut que c'est pas grave et que tu lui pardonnes comme ça Papa lui foutra la paix et vous serez réconciliés. Et en plus, tu auras le beau rôle.
Je regarde incrédule Isabelle qui vient de me chuchoter cette idée saugrenue. Moi, pardonner à Véro? Contrairement à elle, cette garce ne s'est pas excusée. Sur le coup, je suis contre totalement, j'aime bien voir Véro assise les bras croisés sur le rocking-chair en train de faire la gueule, les pieds remontés contre ses fesses.
Et puis...
Je pose le dernier verre et au lieu de retourner vers la cuisine, je vais faire un bisou à Coco dont la chaise haute est derrière le rocking chair.
Et là, c’est à mon tour d'appuyer sur le dossier du fauteuil à bascule. À son tour de hurler. Non, non, moi, j'ai juste crié, OK ? Alors qu'elle… elle hurle tellement… qu'elle me fait presque pitié. Puis elle se lève et me court après, autour de la pièce. Je passe sous la table, tourne autour de Mammema puis des mutter, lorsque je passe à côté des jumelles, elles essaient de m'attraper, elles aussi. Le passage au-dessus du canapé est plus difficile car Véro me tient par la manche du pull et se retrouve avec le pull dans les mains et moi, torse nu. Là, je vois qu'Isabelle et Maïté tiennent chacune une jumelle et les mutter les plus jeunes mais personne ne nous engueule. Moi, je m'amuse comme un petit fou mais d'un coup, je m'arrête et lui fais face à Véro en souriant.
- Aller on fait la paix ?
- T'es qu'une pourriture !
- Non, je t'ai juste rendu la pareille.
On est devant la cheminée, le feu donne des reflets encore plus rouges à ses cheveux. Elle est toute rose de s'être énervée et ses yeux lancent des éclairs. D'un coup, je suis hyper malheureux, elle est trop belle mais c'est la fille du colon.
Elle ramasse mon pull et me le tend.
- Tu ferais bien de le mettre sinon Maman va te faire une scène. Et viens, on va manger.
Après le repas, pour ne plus me voir dans mes livres Richard se débrouille pour me trouver mille et une occupations que je fais en silence sans jamais rechigner.
Mais cela aussi l’agace.
Pour finir, il m’envoie chercher du bois. La réserve à côté de la cheminée est pleine, je vais le lui dire mais je me tais. Il ordonne, j’obéis. Il est le colon, moi, son élève.
Lorsque je reviens les bras chargés de bûches qu’il m’a dit d’aller chercher, il m’attrape par les épaules et, me met face à lui puis me secoue. Surpris, je laisse tomber une bûche qui loupe ses pieds de quelques centimètres.
- Pardon, mon colonel.
Oups ! Et puis flûte.
- Hein, quoi ? Mais arrête, arrête, c’est une corvée pour toi d’être ici ? Mais qu’est-ce qu’il t’arrive ? A l’école, je te vois rire. Alors qu’ici même si tu as ma propre mère qui te traite mieux que nous lorsque nous étions petits. On ne t’entend pas et tu tires tout le temps la gueule. Mais qu’est-ce qu’il faut que nous fassions pour que tu te sentes bien avec nous ?
Là, c'est carrément tout le reste des bûches qui tombent ; il fait un saut en arrière, moi non. Je reste comme statufié, les bras le long du corps. Mon regard va des uns aux autres, tous me regardent. Je monte en courant dans la chambre. Une fois là-haut, je me mets à pleurer de honte. J’en ai marre de rien comprendre. De ne pas comprendre ce qu’ils attendent de moi.
A dix-neuf heures c'est Véro qui vient me chercher sans un mot mais je m'assieds à côté d'elle et des jumelles pour manger stupéfaites.
Après le repas les filles commencent une partie de Monopoly assises par terre devant la cheminée. J’enjambe le plateau pour aller jusqu’à la pile de tapis-peau de vache. Isabelle me demande gentiment de passer derrière elle au retour. Je récupère ma carpette préférée, presque noire avec des poils tout doux. La tenant au-dessus de ma tête derrière mon dos, sa queue traînant au sol, je repasse au milieu des filles mais cette fois les pions et les fiches valsent. Elles crient, et j'esquive les coups en riant.
J’étale ma peau et me couche dessus à plat ventre les pieds posés presque dans le feu. Gisou me regarde de la porte de la cuisine, je lui fais mon plus beau sourire. Elle secoue la tête et retourne dans l’autre pièce.
Je remarque à portée de main, les nattes de Véronique, je tire d’un coup bref dessus puis joue l’innocent. Richard veut que je m'intègre, OK ! Je jouerai donc au même jeu que ses filles !