Richard Lundi 1 septembre 1975 Accueil rentrée
- Bonjour mon amour, reste au lit, tes donzelles ne font leur rentrée que demain profite !
- Mais il est six heures.
- Oui, je sais, mais aujourd'hui les premiers gamins arrivent vers sept heures. Je t'aime.
Au grand portail, un camion s'avance.
Richard soupire, les vacances sont vraiment terminées et son intendant qui est bloqué en Corse à cause des grèves de ferry. Il pourrait se payer un billet d'avion franchement. Eux, ils volent. Je laisse Cohen gérer.
Petit détour par la cuisine où Firmin est déjà au boulot, lui au moins, on peut compter sur lui. Quand son cuistot le voit, il lui sert un bol de café.
- Et le coiffeur c'est pour quand ?
- Jamais ! Foutez-moi à la porte si vous voulez, mais je suis comme Samson, sans mes cheveux, je ne suis plus rien. Et avouez que vous êtes jaloux ?
- Bordel c'est une question d'hygiène quand le comprendrez-vous ?
Le cuistot mets une main à son oreille.
- Hein ? Quoi ? Vous dîtes quoi ?
Le colonel lui fait un geste de la main en souriant.
- Tout à l'heure je vous ramène un gamin, vous me le faîtes déjeuner et si vous pouviez veiller à ce qu'il mange tous les jours correctement, ce serait sympa.
- No problème, il a quoi ce gosse ?
- Rien de spécial mais quand vous le verrez, vous comprendrez en sachant qu'il a quatorze ans...
L'enfant dort profondément. Il est trempé de sueur, il a du encore se battre contre ses démons, j'espère que quand il y aura les autres gamins, cela se passera bien.
Richard ouvre tous les rideaux.
Ce soir, cette chambre sera pleine.
- Aller debout mon gars. (Il le secoue d'abord doucement mais comme cela ne suffit pas, il rejette le drap et sourit, toi je ne sais pas quels sont tes rêves mais ce ne sont pas des cauchemars. Il attrape le gosse par le bras et le redresse.) Debout petit gars, je n'ai pas toute la journée devant moi.
Le gamin s'habille pendant qu'il enlève de son lit tous les draps et l'oreiller qu'il va ramener à Gisou.
Lorsqu'il pose sa petite valise sur son lit, il le voit défaillir et il n'est pas sûr de comprendre, il n'aurait pas du y toucher ? Là, il pousse le bouchon un peu loin.
- Je suis déjà viré ?
Oh, non pardon !
- Non, non, je la pose sur le lit juste pour montrer qu'il est déjà prit. (Et dire que certains font tout pour que je les vire et lui angoisse déjà du contraire.) Aller hop maintenant tu vas déjeuner puis tu vas voir Madame Calliop et te faire couper les cheveux.
Lorsqu'il ouvre la porte de l'appart, il tombe sur Véronique encore en chemise de nuit, il lui colle le paquet de linge dans les bras puis l'embrasse sur le front.
- Tu sais que t'es la plus belle, toi !
Puis repart de suite, laissant la gamine embarrassée qui continue vers la cuisine.
- Maman, Pa vient de me mettre ces draps qui puent dans les bras, c'est quoi encore cette blague ?
- Ah oui, ce sont les draps qui ont servi pour le gamin. Elle enlève la taie et tend l'oreiller nu à sa fille. Tu le remettras sur le fauteuil de ta chambre.
Cette dernière le prend en soupirant et le cale sous son bras tout en se servant du lait et une grosse part de brioche.
- Et pourquoi as-tu du lui fournir des draps, l'école ne le fait pas ?
- Si, mais Madame Calliop n'était pas encore là. Et puis qu'est-ce que ça peut te faire, est-ce toi qui va les repasser ?
- Bin manquerait plus que ça ! Moi, plus tard je ne repasserai rien, trop chi... fatiguant.
Et fait un immense sourire à sa mère.
Ce soir, deux cent soixante garçons de onze à vingt et un ans envahiront cette école, tout doit être parfait ! Et déjà hier Monsieur Cohen lui a indiqué un soucis avec la chaudière du bâtiment quatre mais heureusement ce n'est pas celui des dortoirs.
Sa secrétaire l'accueille fraîchement sans se lever de son bureau, le téléphone dans la main gauche dont elle cache
une partie de sa main droite.
Devant elle, trois gros classeurs sont ouverts plus quatre agendas ainsi que plusieurs dossiers d'élèves.
- Vous avez déjà trois rendez-vous, à neuf heures quinze, trente et quarante cinq. Je n'en ai pas pris après comme vous me l'avez demandé mais faudra me dire quand je pourrai en reposer.
- Demain, demain, aujourd'hui je me dois d'être là pour l'accueil des parents et des élèves. Des élèves surtout d'ailleurs, les parents, ils me gonflent.
La femme sourit.
- Les frères Fontaine n'arriveront que dans quinze jours, ils ont la scarlatine.
- Quelle bonne idée qu'ils la gardent loin de mon école, pas envie d'avoir à gérer une épidémie comme il y a quatre ans, non merci !
- J'ai gardé le meilleur pour la fin. Il allait rentrer dans son bureau et se retourne vers elle, en enlevant ses lunettes et en plissant les yeux, elle a l'air amusée. Madame Calliop a forcé la porte de votre bureau, bon courage !
Elle le voit reprendre sa respiration comme un nageur avant de plonger puis il pousse sa porte.
Son bureau disparaît sous un tas de pantalons, chemises et draps sans aucun respect pour tout ce qui s'y trouvait avant.
Encore cette bonne femme, il n'est même pas encore huit heures et déjà à pied d’œuvre pour me harceler. Il soupire, encore une année à devoir subir ses récriminations quotidiennes.
- Ah mon colonel ! Je refuse de distribuer les paquetages si je n'obtiens pas une promesse de votre part d’obtenir du neuf et aussi une apprentie.
- Pour l'apprenti, je vous en ai envoyé deux, vous les avez récusés, je ne peux pas faire mieux, à vous d'y mettre aussi du votre.
- Mais c'était des garçons, je vous ai demandé des apprenti"e"s.
- Et pour le reste, le mieux que je puisse faire c'est vous offrir un aller pour Paris que vous alliez vous plaindre directement au ministère. Mais moi, avec les finances que l'on m'alloue, je ne peux vous donner plus. Et de toute façon ce n'est pas moi le comptable.
- Oh, je sais, mais il n'est pas là !
- Hélas, je ne le sais que trop !
- Mais regardez mon colonel, nous allons encore les repriser mais s'ils tiennent plus d'un jour, nous aurons de la veine.
Elle lui tend des pantalons déchirés ou usés.
- Bah, c'est que vos reprises ne sont pas assez bien faîtes.
(Il voit la petite femme devenir rouge pivoine.) Bon OK ! Je sais tout ça. C'est pour cela que je me suis mis d'accord avec le tailleur de Sainte Mitre pour lui envoyer les parents des plus fortunés pour y faire tailler les uniformes de leur chérubins. Cela vous en fera déjà moins à distribuer. De plus, à partir de l'année prochaine chemises et sous vêtements seront à leur charge intégrale pour tous. Ensuite, les élèves du second et troisième cycle des derniers étages en chambre et non en dortoir, devront porter leurs propres draps et couverture, ce qui nous permettra aussi de sérieuses économies. Mais maintenant au-revoir, j'ai d'autres chats à fouetter.
- Pardon ?
- Non rien. Il sourit. Ah d'ailleurs en parlant de chat, j'ai un gamin dont j'ai la charge et qui est à traité un peu mieux que les autres vu son passé, voici son nom, merci d'avance ! (Il lui tend un petit bout de papier qu’elle plie et glisse dans son corsage) Quant à vous, que je ne vous retrouve plus dans mon bureau ou c'est la porte, et pas que celle de mon bureau !
Il ouvre la fenêtre pour évacuer un peu l'odeur entêtante du parfum de la fourrière qui debout les mains sur les hanches semble prête à exploser.
- Ah bin ça, j'aimerais bien voir, vous seriez bien mal sans moi !
- Vous voulez voir de suite ? Il saisit quelques pièces de tissus et les jette par la fenêtre. Il va pour recommencer mais la petite femme se saisit du reste de son tas de chiffons, faisant au passage tomber le cadre contenant la photo de sa femme et de ses filles qu'il rattrape de justesse avant le sol, mais tous les dossiers empilés sur le bureau, éparpillent leurs feuilles aux quatre coins de la pièce. Elle sort précipitamment en grommelant cédant la place à la secrétaire amusée.
- Oh non, mon colonel, vous avez osé ? Attendez, allez-y je vais ramasser et je rangerai. De toute façon, c'est moi qui les ai remplis ces dossiers, je m'y retrouverai mieux que vous. aller, aller filez, on vous attend !
Il sort poussé dehors par la jeune femme qui lui prend le cadre des mains pour aller le reposer sur le bureau.
Il remet ses lunettes rageusement.
Et bien, l'année va être longue si je n'arrive pas plus à me faire respecter. Mon pauvre Richard, ta femme a peut-être raison : tu es trop faible avec les jolies filles !
C'est alors qu'il voit arriver le concierge avec une liasse de courriers. Encore combien de bonnes nouvelles ?
- Monsieur Cohen alors, comment c'est passé la journée d'hier ?
- Ce petit est très bien, ma femme au bout de deux repas en serait presque à vous proposer de l'adopter, c'est dire.
Le colonel sourit
- Ah non, le courrier vous le donnez à ma secrétaire. Aujourd'hui je n'est pas de temps pour la paperasse.
Des parents s'avancent vers lui avec un gamin sûrement en sixième, il abandonne le concierge avec une tape sur l'épaule.
- Monsieur, Madame, jeune homme bienvenus...
Mais qu'est ce qu'il fout avec ce plateau ? Firmin et son acolyte à la porte du mess sont hilares. Un jour, ces deux là je vais les étrangler.
- Où vas-tu avec ce plateau ?
- Chez Madame Calliop.
- Avec des cœurs en chocolat ? Tu veux avoir un traitement de faveur et n'est-elle pas un peu trop vieille pour toi ? (Le gamin rougit et balbutie une réponse.) C'est bon file !
Il le regarde amusé zigzaguer entre les gens. Puis il se retourne vers le mess, là, le cuistot referme vite la porte.
Allons bon maintenant il va me falloir me farcir une idylle entre les deux pires gamins de l'école, l'année va être longue, mais longue.
Ah ! Lorenzo et ses deux comparses, qui vont-ils prendre pour souffre douleurs cette année ? Secrètement le colonel
espère que cette année, il se trompera et tombera sur un garçon qui saura le remettre à sa place.
- Lorenzo, Mongeot et Trudeau, vous allez où comme ça? Les trois interpellés se figent au garde à vous. C'est quoi cette tenue ? Depuis quand, a-t-on le droit de mettre les mains dans les poches, et Trudeau allez cracher ce chewing-gum vous savez que c'est interdit, vous voulez commencer l'année en retenue ?
Le colon les abandonne pour serrer la main d'un couple mais les regarde retourner dans le bâtiment des dortoirs. Pourquoi a-t-il l'impression qu'ils préparent un mauvais coup ?
Peu de temps après, il voit le gamin avec sa valise à la main se diriger vers la sortie. Eh non, non, Houla pas de bêtise mon petit gars et il abandonne le couple précipitamment.
- Pardon désolé, une urgence à régler. (Non, il ne veut pas sortir mais jeter sa valise, mais pourquoi ? Passant derrière lui, il la saisit. La pauvre valise n'est plus qu'une loque, on dirait qu'un camion lui a roulé dessus, qu'est- ce qui s'est encore passé ? Purée, on est le premier jours les gars !) C'est qui ?
- Un accident mon colonel et pareil pour ça.
Il lui tend le cadenas dont la tige a été sectionnée.
Là, il comprend le grand sourire satisfait de Lorenzo, il a déjà trouvé son souffre douleur pour l'année. Et bien vraiment cette année commence fort. Et l'autre petit imbécile qui refuse de le dénoncer comme à chaque fois. Ras le bol !
Il l'attrape par le bras et le ramène à Lorient à qui il donne les restes du cadenas.
- Lorient vous lui donnez un autre cadenas et costaud celui-là puis vous me coincez Lorenzo car je crois qu'on tient sa nouvelle cible.
Les parents sont tous partis, c'est la première fois où les rangs se forment. Voir les sixièmes se placer est un plaisir renouvelé chaque année. Et dans un mois, ils seront les premiers rangs formés.
A côtés, les plus âgés sont nonchalants, voir leur certitude de force tranquille l'amuse aussi. C'est devant eux qu'il aime se tenir, observant et ne loupant aucun manquement, gare à celui dont le calot penche ou la cravate baille. Richard rejoint son capitaine dans son plaisir de casser leur certitude, de toujours leur rappeler que non, ils ne sont pas au-dessus des autres et que eux doivent continuer à tendre vers l'excellence et ont toujours à le craindre, lui.
Les troisièmes ne sont toujours pas descendus, pour tromper son angoisse il passe dans les rangs.
- Pas de duvet jeune homme. - Toi, si tu n'es pas passé au coiffeur, demain, je le fais moi-même. - Madame Calliop ne t'a pas donné de cirage ?
Lorsqu'il sort du rang, il voit le gamin devant Nevière, il s'arrête.
- File minus va rejoindre les sixièmes !
- Mais suis en Math Sup aussi !
- Et moi,je suis le roi d'Angleterre.
Gâche a récupéré le gamin, Nevière se penche. Tant pis pour lui, il le pousse, l'ado perd l'équilibre.
- Le roi d'Angleterre lui, il tient debout. Zut le calot du roi d'Angleterre vole, il aurait du être sur sa tête et non par terre. Vous attendez quoi pour le ramasser ? L'ado fait trois pas puis revient. Vous avez de la chance que le premier jour, on a pour tradition de ne pas sanctionner car là vous cumulez Nevière en rompant ainsi les rangs tête nue de plus. Vous n'allez pas rester major longtemps si vous ne changez pas de comportement !
Là-haut Gisou et les filles regardent. Il enlève son calot et le fait claquer contre sa cuisse puis le remet. Elles ont disparues, ce petit code entre elles et lui, le fait sourire. Tout à l'heure des têtes vont tomber.
- Garde à vous ! Bienvenus à vous tous. Je serai encore cette année votre colonel. Rappelez-vous que vous êtes ici pour donner le meilleur de vous même et que nous n'acceptons ici, ni les paresseux, ni les tricheurs. Il s'est déplacé pour se mettre en face du gamin. J'espère que vous trouverez tous votre place parmi nous en apprenant le respect des règles mais aussi de tous ceux qui vous entourent. (Son regard se pose sur Lorenzo qui a un sourire qu'il n'aime pas.) N'est-ce pas Monsieur Lorenzo ? En tout cas je vous souhaite à tous une bonne année studieuse 1975 - 1976. Rompez et bon appétit ! Gâche, je vous les laisse. Vous savez où me trouver au cas ou ? Bonne soirée à tous.
L'appartement est silencieux, il rejoint sa femme dans la cuisine en enlevant sa cravate et en commençant à enlever sa chemise. Lorsqu'il l'embrasse celle-ci pose sa main sur sa poitrine nue.
- C'est bien calme, où ont donc ces terreurs que je les rosse ?
Elle sourit.
- Sûrement dans leur chambre.
Il jette en passant sa chemise dans le panier à linges sales dans la salle de bain sans éclairer la lumière. Il a entendu le rire étouffée mais ne réagit pas.
- Bon, les vilaines trop curieuses, j'arrive pour vous donner votre punition bien méritée. (Il ouvre les portes des chambres des filles.) Vous pouvez toujours vous cacher, je vous trouverai.
Il va alors dans sa chambre et s'assied sur son lit pour s'enlever ses chaussettes quand cinq amazones rousses en pyjama lui sautent dessus. Isabelle lui mettant le bébé en premier. Une bagarre de chatouilles démarre. De la porte Gisou les regarde en souriant.