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grâce à vous deux Richard et Gisou (incomplet, en cours d'écriture )

23 janvier 2010

Robert lundi 1 septembre 1975 Aix 3

Robert lundi 1 septembre 1975 Aix 3

 

- Aller hop debout bonhomme ! Tu t'habilles et tu me suis.

Le colon ne me laisse même pas le temps de me réveiller qu'il me met debout en me soulevant par un bras et déjà commence à défaire mon lit pour faire un tas des draps et de la couverture sur l'oreiller. Il prend le second traversin du lit d'à côté et le pose sur le matelas de mon lit. Oh ! Tiens, c'est vrai ça, c'était le seul à avoir deux traversins. Puis il saisit ma valise et la pose aussi sur le lit. J'hésite entre mes sandalettes et les chaussures des Cohen mais si je dois m'en aller, je n'emporterai que ce qui m'appartient.

- J'suis viré ?

Il a l'air surpris.

- Non, bien sûr que non. Oh ! ta valise ? C'est pour montrer que ce lit est déjà pris.

- Ah !

Je suis rassuré mais il doit me prendre pour un débile profond.

- Bon, mais dépêche-toi, je n'ai pas que ça à faire.

Il me pousse devant lui jusqu'à la cantine puis dans la cuisine où il m’assied de force sur une chaise puis s'en va avec toujours la pile de draps sous le bras.

- Firmin, vous me le nourrissez puis chez Madame Calliop.

- Bien mon colonel ! Tu veux quoi, salé ou sucré ?

Mais il me met déjà sous le nez un bol énorme avec du lait crémeux qui sent comme celui de la ferme des Pfizer. De l'autre côté de la table il y a déjà une pile de morceau de viande débités presque à la taille d'un cube. Il a en main, une sorte de courte machette bizarre, arrondie. Me faisant sursauter, il l'abat sur une baguette qui se retrouve débitée en gros bouts qu'il coupe ensuite en deux. Il s'éloigne pour revenir avec une jatte qui sent le pâté, oh des rillettes ! Et une énorme boîte de conserve de cinq kilos de confiture de fraise qu'il ouvre à un ouvre-boîte fixé au mur, qu'il pose ensuite devant moi à côté des rillettes.

Je manque de prendre du café sur moi quand il en verse une grande rasade dans mon bol puis dans un autre bol beaucoup plus petit pour lui.

Il se remet à couper sa barbaque comme si je n'existais plus.

Je n'ai ni couteau, ni cuillère et ce géant avec ses cheveux longs, blonds attachés par un foulard comme un pirate m'impressionne et je n'ose l'interrompre.

- Ah ! te voilà ! Premier jour, premier retard et dernier j’espère, sinon c'est la porte !

- Oui monsieur Firmin ! (Derrière moi, un ado bedonnant vient d'entrer, il a un casque bol dans les mains, il doit avoir une mobylette, la chance ! Il me regarde avec un sourire narquois et passe dans une autre pièce, d'où il revient en enfilant un grand tablier comme celui de Firmin et sur la tête un chapeau blanc.) Et c'est qui lui ?

- Un élève, t'occupe ! Oh quel con, quel con mais quel con ! (Il se précipite vers moi et je me recule sur ma chaise un peu effrayé, qu'ai-je fais ? Ou plutôt qu'est-ce que je n'ai pas fait ? Mais je le vois alors me tartiner la moitié du pain avec des rillettes et l'autre de confiture.) Jul, tu veux un café ? (Mais il est déjà en train de servir un autre bol de café que l'ado vient prendre ainsi qu'une tartine de rillettes.) Et toi le microbe, tu n'as pas faim ?

- Si mais pourriez-vous me passer une cuillère s'il vous plaît ?

Je pose mon bol dans ce qui me semble être un lave-vaisselle et cela semble les amuser.

- Pardon monsieur c'est où chez Madame Calliop ?

Le cuistot et l'apprenti se regardent.

L'homme me prend par les épaules et m'accompagne jusqu'à la porte du mess. Dehors, il commence à y avoir du monde : des garçons, certains déjà en uniforme, d'autres non, certains seuls et certains accompagnés de un ou plusieurs membres de leur familles. J'aperçois le colon qui sert la main à des parents et à un garçon pas plus grand que moi qui semble ne pas en mener bien large.

- Tu vois la porte là-bas, où viennent d'entrer deux garçons et en sortir un, les bras chargés, et bien c'est là. Mais attention, cette femme c'est un dragon femelle, tu sais quand tu entres dans son antre mais tu ne sais pas quand tu en sors, alors je vais te donner un gage de paix en mon nom.

Je retourne avec lui en cuisine. Il me donne un petit plateau où il pose une tasse sur sa soucoupe, avec du café. A côté sur une serviette pliée en triangle, il pose une cuillère, casse trois carreaux de chocolat qu'il taille en cœur et deux biscuits tout frais sorti du four.

Il me raccompagne jusqu'à la porte du mess avec sa machette à la main.

- Si tu fais tomber le plateau, je te coupe en rondelles.

Bon bin il n'y a plus qu'à…

 

 

- Vous allez où comme ça jeune homme ?

Il a le soleil derrière lui et je ne peux, ne veux pas regarder le colon, je me sens rougir.

- Chez Madame Calliop.

- Avec des chocolats en forme de cœur ? Tu espères être mieux traité que les autres ?

- C'est pas...

- Je ne t'ai pas autorisé à parler. Files !

Je réussis à traverser la cours tant bien que mal et je me glisse à l'intérieur en profitant qu'un grand sort, en me glissant sous son bras.

Dedans, il fait sombre mais un comptoir presque plus haut que moi, déjà assailli par cinq ou six garçons est violemment éclairé par un néon juste au-dessus, ainsi que plus loin trois postes de travail avec des machines à coudre toutes différentes.

- Madame Calliop ?

- Oui c'est moi, qu'est-ce que tu veux ?

Je vois sortir de derrière le comptoir une femme aussi large que haute, très maquillée, jupe courte, juchée sur des talons vertigineux comme son décolleté.

- De la part des cuisines.

- Tu es un nouvel apprenti ?

Je secoue la tête.

- Non, non, un élève.

- Alors c'est un pot de vin ? (Putain elle va me le prendre son plateau ? Je n'ai qu'une envie, c'est de le laisser tomber, de fuir et d'aller me rouler en boule dans un coin. Les mecs me regardent en rigolant.) Bon, viens avec moi. (Elle me fait entrer dans un pièce éclairée normalement. Il y a un bureau et au-milieu de la pièce une sorte de petite estrade carrée.) Monte là-dessus ! (Elle me débarrasse du plateau qu'elle pose sur le bureau où elle prend un mètre ruban et un bout de chocolat qu'elle croque.) Tu es le petit alsacien du colon, c'est ça ?

- Oui, possible.

Elle se penche sur un gros registre.

- Weisembacher Robert, dortoir quatre.

- Oui madame

Bras tendu en croix et jambes écartées, elle me mesure sous toutes les coutures, puis me tend un bout de papier.

- Tiens, va voir les filles derrière le comptoir. Elle sort avec moi, Tania tu lui donnes du cent trente avec vingt centimètres d'ourlet non coupé sinon tu seras bonne pour lui changer dix fois de pantalons en six mois.

Les garçons sont servis et d'autres ont pris la queue derrière moi. Je sors avec un immense sac polochon blanc super lourd et presque aussi grand que moi ainsi qu'une pile de draps et couvertures que je pose sur mon lit.

- Eh toi ! casse-toi de mon lit !

- Non, c'est le mien.

- Ah ! donc c'était à toi les merdes dans l'armoire ? Et bien tu peux les récupérer dans la poubelle et si c'était ta valise, désolé, il lui est arrivé un accident.

De l'autre côté de la pièce, à côté du lit devant la fenêtre il y a ma valise, toute aplatie. Je comprends de suite qu'il a sauté dessus pour l'avoir explosée ainsi. A côté, le cadenas donné par le colon. Je regarde le gars, il fait trois fois ma taille autant en largeur qu'en hauteur, avec un teint olivâtre, des petits yeux légèrement en amande sous des sourcils fins formant des virgules ridicules dont l’un est cassé par trois petites cicatrices parallèles qui se continuent sur la paupière et sur son nez qu’il porte droit sec et très étroit. Derrière lui, deux autres du même gabarit,un blond foncé aux yeux bleus dont les coins tombent comme s’il allait se mettre à pleurer, encadrant un nez en patate énorme et un brun aux yeux clairs d’un marron délavé et indéfinissable, dont le ventre qui distend les boutons de sa veste indique un être mou et plus porté sur la bouffe que les études, le collent et rigolent avec lui. A la rigueur je me battrais volontiers contre lui mais contre trois, non je ne suis pas fou.

Je reprends mon sac et vais le poser sur le lit d'en face qui semble libre puisque l'armoire est encore ouverte. Je vais ensuite récupérer mon linge dans la poubelle au fond de la pièce. Quand je reviens mon sac a été vidé sur le sol autour de mon lit et les trois cons se marrent assis sur le lit de celui qui semble leur chef.

Chouette, à peine arrivé, je sais que je vais encore passer une année d'enfer.

Un gars déjà en uniforme vient poser ses affaires sur le lit à côté de moi.

- Clavier, il t'a pris ton lit, tu t'en fous ?

J'ai tout ramassé et commencé à replier mais je m'arrête et regarde le nouvel arrivant. Il me tend la main.

- Clavier Philippe, c'est normalement le lit du major mais moi franchement je m'en fous.

- C'est quoi un major ?

- Un titre qui donne certains droits et devoirs dont celui de pouvoir dénoncer certains cons à Gâche. Je vois les trois cons disparaître. S'il t'emmerdent dis-moi le, OK ? Méfie-toi surtout de Maxime, c'est lui le pire.

Lorsque j'ai tout rangé et fait mon lit comme mon père me l'a appris, j'ai enfilé un des deux survêtements, Philippe m'a dit que, chaque couleur correspond à une semaine et on commence par le bleu. On n'a pas des baskets mais des sortes de petites chaussures basses en coton blanc et la femme m'a donné une boîte avec une pâte blanche pour les blanchir et une boîte de cirage noir pour les chaussures d'uniforme.

Pour ma valise, il n'y a plus rien a faire, Maxime me dit de la descendre la jeter dans la grande poubelle.

Ce que je fais, mais pour cela, je dois aller à côté du portail et de la maison des Cohen. Lorsque je me tourne pour retourner au dortoir, je bute contre le colon juste derrière moi.

- Pourquoi la jettes-tu ?

- Elle a eu un accident. Je sors le cadenas de la poche et lui tends. Et lui aussi, je suis désolé.

Je lève les bras pour me protéger quand il lève la main... pour saisir ma valise et la regarder avant de la reposer dans la poubelle.

- C'est qui ?

- Un accident, je vous dis.

Et, c'est, traîné par le bras que je retourne vers le bâtiment. Les parents et les élèves s'écartent devant nous.

Je suis à la limite de pleurer, mon premier jour me donne envie de mourir.

On s'arrête devant les chambres du rez de chaussée. Là, il tend le cadenas à un jeune militaire :

- Vous lui en trouvez un autre et trouvez qui en est l'auteur ?

Il est parti et l'autre prend le relais après avoir fouillé dans une boîte en bois pleine de cadenas.

- Tiens, mets ton ruban à la nouvelle clef. Moi c'est le caporal Lorient et si tu as un soucis quel qu'il soit, c'est moi que tu viens voir OK ?

- Oui Monsieur !

- Non tu dois dire : Oui mon caporal et pareil pour le colon ou le capitaine, compris ?

- Oui mon caporal.

Lui, il n'a pas l'air trop méchant mais bon, je méfie.

Par contre, quand on arrive dans la chambre trois nouveaux garçons prennent possession de leur lit mais moi mon armoire que je n'avais pas pu fermer, est vidée au sol. Je ne dis rien et ramasse.

Le caporal va parler aux garçons mais ils n'ont rien vu. Même s'ils avaient vu, ils n'auraient rien dit et je les comprends.

Le cadenas est plus gros que l'autre, j'espère aussi qu'il sera plus résistant.

Le caporal m'emmène ensuite lui même au coiffeur.

Lorsque j'en sors, je me gratte de partout mais je n'ai plus qu'un demi-millimètre de poils sur le crâne.

A midi, les tables ne sont pas toutes pleines et je m'assieds avec Philippe qui en profite pour me mettre au parfum de toutes les règles et obligations. Par contre, derrière lui, à l'autre table, il y a les trois abrutis qui passent le temps du repas à me faire des signes de menace que je préfère ignorer.

- Et si je bute un autre élève ?

- Ça dépend, si t'es pris, t'es renvoyé mais si tu n'es pas pris, on sera nombreux à te vouer un culte.

On éclate de rire tous le deux et sommes menacés de punition par le capitaine.

On passe l'après-midi ensemble et bientôt je connais tous les autres gars du dortoir.

Un seul truc me chiffonne, personne ne me croit lorsque je dis que je ne suis pas en troisième mais en maths sup en plus contrairement aux autres, je n'ai ni sac ni matériel scolaire. Je poserais bien la question au colon vu qu'il est mon tuteur mais il a disparu et j'ai peur qu'il ne m'engueule. Bref, je verrai bien demain.

Il n'y a plus de parents et nous sommes tous dans le dortoir, je remarque que des petits groupes se sont formés, mouvants et interchangeables, seuls les trois cons restent entre eux et tous les autres semblent les fuir.

Lorsque la cloche sonne pour le repas, nous descendons tous et des rangs se forment. Au sol, des marques que j'avais déjà repérées. Mes camarades de dortoir s'alignent derrière le 3, moi, je tente d'aller là où sont marquées les deux lettres MS.

- Ho-la va rejoindre ton rang.

- Vous êtes les Maths Sup ?

- Oui, et toi en sixième déguerpis !

- Non, comme vous.

Mais le Capitaine me ramène avec les troisièmes et me colle au premier rang à côté de Clavier pas beaucoup plus grand que moi. OK ! J'ai compris, mais si demain, je me retrouve en troisième, je n'apprécierai pas la blague et je me casserai de cette école.

Du coup, je me retrouve assis à la table du milieu des trois tables assignées à notre dortoir. Et comme je suis en bout de table, je me retrouve responsable pour aller chercher les brocs d'eau. Chouette ! Il contiennent deux litres chacun et sont super lourds et pendant que je me balade, personne ne surveille mon assiette, du coup quand je reviens je n'ai plus ni pain, ni viande ni fromage. Mais quand arrive le dessert je comprends pourquoi tous vident leur verre et se resservent m'envoyant chercher de l'eau, du coup la pomme finit d’abord dans ma poche.

Le repas fini, tous s'en vont et je vais pour les suivre mais celui en face de moi me fait non du doigt.

- Ceux qui sont de service d'eau le sont aussi pour le débarrassage et le nettoyage.

Sur le coup, je fais un peu la gueule, c'est quoi cette arnaque ? Mais en fait, c'est très cool. Non seulement, on est pas surveillé sauf par le cuistot qui est encore plus gamin que nous dans sa tête mais en plus, il nous gave des restes, y compris des restes des tables des profs, alors comme je suis devenu un véritable ventre à pattes, je décide d'être de service à chaque fois que je pourrai.

Lorsque à vingt heures, les lumières s'éteignent, mes démons reviennent et lorsque Clavier m'aura secoué deux fois, je décide de ne plus dormir et je m'assieds sur mon lit bien décidé à résister au sommeil.

 

 

 

 

 

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22 janvier 2010

Robert dimanche 31 Août 1975 Aix 2

Robert dimanche 31 Août 1975 Aix 2

 

J'ai envie de pisser.

Il fait nuit.

Quelqu'un a tiré les rideaux.

Autour de moi flottent plusieurs odeurs. Je trouve vite les sandwichs. Mais d'abord, je dois trouver où vider ma vessie et boire.

Je m'aperçois alors que je suis pieds nus et je n'ai absolument aucun souvenir d'avoir enlever mes chaussures.

Je sors dans le couloir. Il y fait très noir et je ne trouve aucun interrupteur. Il font comment pour allumer la lumière. Enfin... pas grave.

Au niveau des escaliers, j'hésite, dois-je monter ou descendre ? Je décide de descendre. Au rez-de chaussez, je trouve enfin des sanitaires et des douches. Ainsi que des chambres individuelles fermées à clef. Dedans, il y a encore des affaires personnelles.

En remontant, je découvre par hasard les interrupteurs du premier étage. Ils sont tous au niveau de la cage d'escalier dans une sorte de petite armoire métallique fixée au mur en hauteur, les enfants ne doivent pas avoir le droit d'y toucher. Je trouve ça horrible mais bon, faudra que je m'y fasse.

J'éteins et monte au second et c'est pareil.

Du coup, je décide de pousser plus loin mon inspection.

Au troisième, encore deux dortoirs mais eux ont les interrupteurs dans les chambres et dans le couloir, et en plus ils ont des sanitaires.

A étage supérieur, ce sont des chambres de dix et de deux. Eux aussi, ont des sanitaires et en plus des douches. Au dernier étage, c'est sous les combles et il n'y a que des chambres de deux et pareil sanitaires plus douches. Je ne comprends pas cette différence de traitement.

 

De retour dans ma chambre, je reste dans le noir mais je mange les sandwichs en me penchant à une des fenêtres de l'autre dortoir. De là, je vois une ville et j'admire ses lumières, sûrement Aix.

Quand j'ai fini, je remonte boire.

Je n'ai plus sommeil, cela m'amuse d'être seul dans cet immense bâtiment. Je suis le seul survivant d'un univers apocalyptique. J'ai du monter et descendre cent fois l'escalier, et enfin fatigué, je regagne mon lit où je me couche enfin, après avoir enlevé mon short et mon tee shirt. Les draps et l'oreiller sentent bons malgré ma sueur.

 

Un homme me secoue.

- Debout mon gars. Il est midi, tu viens partager notre repas.

Il ouvre les rideaux. Je m'habille très vite et refais mon lit, il me regarde faire en souriant.

C'est qui encore lui, déjà ce n'est pas un militaire, il porte un bleu de travail. Sûrement l'homme à tout faire dont celui de s'occuper du gamin encombrant que je suis ?

Dehors, il fait toujours aussi chaud et le ciel est toujours aussi bleu par contre il y a un vent froid qui me surprend.

 

- Francis, tu ne m'avais pas dit qu'on avait un invité.

- C'est le c’lon qui m'a dit de m'en occuper jusqu'à d'main et de le faire travailler avec moi.

C'est la concierge qui nous a ouvert le portail hier.

- Alors c'est quoi ton petit nom mon garçon, moi c'est Madame Cohen et lui, cette vieille bleusaille c'est mon époux. Tu sais, j'ai déjà entendu parler de toi, tu serais un drôle de coco, est-ce vrai ce que l'on m'a raconté ?

- Je ne sais pas madame, mais on n'a pu que vous dire du bien de moi.

J'espère que la Courvitt ne lui a pas fait me éloges sinon je vais avoir une de ces réputations. J'accompagne ma réponse d'un grand sourire.

Elle me sourit amusée, en retour.

- Francis, si tu dois le faire travailler avec toi, trouves-lui d'autres chaussures parmi les anciennes de tes fils sinon il va se blesser, c'est assuré ! En attendant mon garçon, assieds-toi là ! Elle me montre la table où il y a déjà deux couverts et pose devant moi une autre assiette. Mais, je ne sais toujours pas ton nom et Francis a besoin de savoir du combien tu chausses.

- Robert madame et sinon du trente huit ou du trente neuf.

(En fait, j'en sais rien du tout et je réponds au hasard. Elle pose devant moi une assiette de purée et de boudin.) Merci madame, cela sent très bon.

Elle s'arrête de servir les deux autres assiettes et me regarde surprise.

- Et bien, merci à toi.

- Mais puis-je d'abord me laver les mains ?

- Oui bien sûr.

Debout devant l'évier, je prends le gros cube de savon vert et avant d'y frotter les mains, je le sens, son odeur me plaît.

- C'est du savon de Marseille, tu ne connais pas ?

- Non madame.

Vu la manière dont elle me regarde, je dois être un extra-terrestre pour elle.

Je m'assieds à nouveau, en même temps que Monsieur Cohen qui me tend de grosses chaussures de travail. Je les enfile, elles me sont un peu grandes mais en serrant bien les lacets ça ira.

- Et bien voilà, maintenant mangeons ma femme !

- Tu vois que j'ai eu raison de ne rien jeter comme tu voulais que je le fasse, nous aurons bien le temps quand nous partirons à la retraite.

Je les regarde tous les deux et me dis qu'elle sera bientôt là pour eux.

 

Toute l'après-midi, il se sert de moi comme porte-faix car il doit vider une pièce pleine de cartons pour les monter dans un grenier où on déloge des chauve-souris. Ensuite, il veut m'expliquer comment réparer une chaudière au fioul mais c'est la même que celle de l'hôtel et c'est moi qui lui montre qu'il se trompe. Du coup, je lui raconte un peu ma vie d'avant en évitant tout de même certains passages.

 

Le soir, je mange à nouveau avec eux.

- J 'espère que tu aimes la soupe.

- Oui madame, on en mangeait tous les jours chez moi.

Ce qu'elle ne dit pas c'est que derrière Francis sort saucisson et fromage dont il garnit pour lui et moi une demie-baguette. Quand il me lâche plus tard dans le dortoir j'ai le ventre plein et content de ma vie. La seule chose qui me manque c'est Caths, il faut que je trouve le moyen de lui écrire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

21 janvier 2010

Robert samedi 30 Août 1975 Aix 1

Robert samedi 30 Août 1975 Aix 1

 

Nous arrivons vers sept heures à Marseille.

- Avant de prendre le TER pour Aix, nous allons déjeuner car j'ai bien besoin d'un café .

J'ai donc droit à un chocolat car le café ce n'est pas pour les enfants et à du pain avec du beurre et de la confiture qu'elle me tartine elle-même, bin oui, je ne dois, vu mon jeune âge, pas savoir le faire moi-même. Ou alors... elle a peur que je l'égorge avec le couteau.

 

 

À Aix, je découvre celui qui sera mon tuteur, il nous attend comme convenu à la gare.

Il n'est pas beaucoup plus grand que les autres, mais son uniforme détonne avec les tenues estivales des gens qui l'entourent.

 

Bla, bla, bla, gnia, gnia, gnia, elle se plaint encore de moi. Et moi, puis-je me plaindre d'elle ?

 

Ne pas bouger, ne pas réagir. Sa main sur mon épaule m'attire à côté de lui, la vieille me lâche. Ouf ! je n'avais plus de sang dans la main. J'ai l'impression d'être un meuble, ou un petit animal de compagnie qui change de propriétaire.

- Alors mon gars, il me faudra donc te tenir à l’œil ?

Je bafouille un truc complètement incompréhensible en secouant la tête.

Je l'écoute parler avec l'autre chouette et même s'il est courtois et poli, elle se fait plusieurs fois remettre à sa place copieusement et rien que pour ça, je vais le vénérer.

 

Par contre je suis déçu par sa voiture. Il aurait au moins pu avoir un truc plus classe style Jeep ou Land Rover au lieu d'une 4L vert forêt.

 

Je suis assis au milieu de la banquette arrière pour voir la route devant nous mais je l'aperçois qui me zieute dans le rétro alors je glisse sur la banquette jusqu'à la portière pour sortir tant que je peux de son champ de vision surtout que l'autre continue à déblatérer sur moi. Une vraie mytho cette nana. J'espère bien qu'un jour je pourrai lui dire ses quatre vérités mais là, je dois juste me taire et ça me bouffe.

 

On passe devant l'entrée de l'école sans s'arrêter pour se garer dans un petit parking fermé au pied d'un immeuble. A côté, il y a une grosse voiture bleue marine avec des auto-collants de l'Armée de l'air mais à l'intérieur il y des couvertures roses avec des fleurs, des papillons et des petits anges.

- Je monte présenter Madame à ma femme puis je redescends très vite pour t'emmener à tes quartiers. Je te fais confiance, tu m'attends ici, d'accord ?

L'autre est déjà en train de monter, je n'existe déjà plus pour elle, tant mieux cela m'évite de devoir refuser de lui dire au-revoir.

Immobile devant la porte de l'immeuble, j’attends qu'il veuille bien revenir. Le soleil pratiquement au zénith me force à plisser des yeux et me brûle.

Il a laissé la porte des escaliers ouverte. J'ai deux possibilités, entrer me mettre à l'ombre et rester ici. J'opte pour la seconde possibilité surtout que je l'ai entendu descendre très discrètement mais pas sortir, et donc me surveiller.

Purée, il descend dans mon estime, il me prend lui aussi pour un débile mental ?

Et c'est reparti, cette fois, il a sa main sur ma nuque, ce contact m'énerve mais je pense qu'il faudra que je m'habitue à être confondu avec un caddy ou peut-être me confond-t-il avec une canne ?

On ressort par le grand portail du parking qu'il laisse ouvert, sur la grande route. Je dois ressembler à ces condamnés qu'on emmène en prison. Dois-je en adopter l'attitude ?

C'est une femme qui nous ouvre le grand portail de l'école. Devant nous s'ouvre une immense cours couverte de graviers. Elle est bordée sur les quatre côtés par de hauts bâtiments et celui du fond ressemble à un gigantesque gymnase. C'est ce qui m'effraie le plus dans cette nouvelle vie : le sport, je ne suis pas physiquement fait pour ça !

Le dortoir où il m'emmène est au second du premier bâtiment.

Il m'indique le premier lit à côté de la porte où il y a une pile de draps et couverture.et me tend un cadenas avec une clef au bout d'un ruban bleu.

- Tu fais ton lit, tu ranges tes affaires dans cette armoire et tu m'attends, sois sage, on viendra te chercher.

 

Me voilà seul dans cette immense pièce où s'aligne deux rangées de quinze lits et armoires identiques.

De l'autre côté du couloir, une porte fermée s'ouvre sur une pièce identique mais sur elle une petit carré indique : "4eme" et sur la mienne "3eme". Je tique un peu, il n'y aurait pas une erreur ?

Bon, nous verrons plus tard, là, je dois être "sage". Alors rapidement, je fais mon lit et range mes affaires dans l'armoire. Je ne sais pas ce que je dois faire de ma valise, elle se glisse parfaitement sous l'armoire.

Maintenant, il ne me reste plus qu'à attendre. Et rapidement je me fais chier comme un rat mort.

Je regarde par les fenêtre, le mât en haut du quel flotte notre drapeau tricolore, monopolise un moment mon attention qui tout aussi vite passe à autre chose.

Je m'ennuie.

Est-ce qu'on lui a dit que j'ai du mal à rester immobile ?

Est-ce qu'on lui a dit que mon cerveau explose s'il n'est pas nourri et là, il est en ébullition. Je passe en revue le tableau de Mendeleïev à travers tout ce qui m'entoure mais mon univers actuel est si pauvre que j'en viendrai presque à regretter d'être là.

Je retourne sur mon lit. Je suis un rat mort ! Couché sur le dos, bras et jambes tendus vers le ciel, tête sur le côté langue pendante... ça faisait rire Caths quand je faisais le con comme ça... pas mon père mais lui, on s'en tape.

Caths... la tête sur l'oreiller qui sent trop bon, je rêve d'elle.

 

 

 

 

20 janvier 2010

Richard Samedi 30 Août 1975 Accueil 2

Richard Samedi 30 Août 1975 Accueil 2

 

La gare est fraîche par rapport à la chaleur caniculaire qui écrase la ville d'Aix en ces derniers jours d'Août.

Un accident entre un solex et un camion le bloque un quart d'heure devant la statue du Roy René et ensuite il ne trouve pas de place devant la gare mais quelques rues plus loin vers la Fac de lettres.

Des yeux, il cherche parmi les nouveaux arrivants une femme, jeune sûrement puisque c'est encore une demoiselle, accompagnée d'un ado sûrement grassouillet et boutonneux puisque l'éducateur le décrit comme ayant pour seules occupations celles de lire et manger. Encore un qui va souffrir à l'école.

Il a peur de les avoir loupés et regarde aussi autour de lui sans plus de succès. 

Heureusement le tableau d'affichage lui apprend que leur TER a encore plus de retard que lui et cela le détend un peu.

A l'heure dite, il reprend ses recherches dans la vague des nouveaux arrivants.

A côté de lui, quelqu'un toussote, c'est une femme maigre aux lèvres pincées d'un certain âge tenant par le poignet un gamin qui a grand max une dizaine d'années.

- Colonel Granier ?

Un peu déçu, il lui répond affirmativement et serre la main osseuse quoique moite et molle.

Il jette un regard rapide et indirect à l'enfant. Où est l'ado de quatorze ans ?

- Avez-vous fait bon voyage ?

Là la femme a un regard noir vers l’enfant.

- Il aurait pu être meilleur s'il s'était tenu tranquille. Et franchement j'aurais dû prévoir une laisse car il a passé son temps à me fausser compagnie.

La femme tient le garçon par le poignet et il remarque que la main du gamin semble plus claire que le reste du bras et pourtant celui-ci affiche déjà une teinte laiteuse que même la peau de ses filles n'a plus en cette fin de vacances.

Sur le visage de l'enfant, les sentiments qu'il éprouve se lisent sans fard.

Le colonel pose sa main sur l'épaule du garçon et l'attire vers lui, la femme le lâche et l'enfant secoue sa main et fait tourner son poignet avec un plaisir évident.

- Alors comme ça, tu ne sais pas obéir et il me faudra te tenir à l’œil ? La réponse est incompréhensible car inaudible mais le gamin lance un regard haineux à la femme. A l'école, nous n'aimons guère les têtes brûlées et nous savons les mater.

La femme pour la première fois esquisse un léger sourire vite réprimé.



Durant le trajet en voiture pour revenir à l'école, Richard surveille le gamin dans son rétroviseur intérieur.

Si, sur le trajet à pied, il semblait plus intéressé par le sol que par ce qui l'entourait, gardant toujours la tête baissée, là, il le voit s'animer. A un feu rouge, il le voit même sourire à une jeune femme à l'arrière de la voiture d'à côté. Puis l’enfant remarque que l'homme l'observe dans le rétroviseur et lui envoie un regard autant désapprobateur que amusé puis s'assied le plus possible dans son angle mort.

Qu'as-tu à cacher bonhomme ?

Mais ce qui marque surtout Richard ce sont ses yeux. Il a rarement vu des yeux aussi beaux, d'un bleu sombre presque violet bordés d'une double rangée de cils longs et épais. Lui à l'adolescence, il va faire des ravages et Richard pense avec angoisse à ses filles.






Arrivé en bas de l'immeuble où il loge, le colonel prie la “convoyeuse” de bien vouloir monter car sa femme l'attend puis s'adresse à l'enfant.

- Je présente Madame Courvitt à ma femme et ensuite je t'emmène à tes quartiers. Puis-je te faire confiance ? Tu m'attends sagement ici d'accord ?

Le gamin hoche la tête.

Richard a envie de lui demander s'il ne sait pas parler mais il n'a pas le temps, il le laisse et rejoint la femme.




Au troisième, Gisèle lui serre déjà la main et l'invite

à entrer.

- Ah très bien, je vois que les présentations sont faites donc je vais rapidement m'occuper du gamin et je reviens. Mesdames !

Là, il voit sur le visage de la femme, de la peur.

- Vous l'avez laissé seul dehors ? Vous êtes courageux ou inconscient, il a sûrement déjà dû filer.

Son inquiétude fait sourire Richard. Même s'il est parti, on aura tôt fait de le récupérer, ce ne serait pas le premier à se faire la malle.

Il est confiant et descend le plus silencieusement possible. En bas, la porte est bloquée en position ouverte pour le cas où il serait parti, pour pouvoir se jeter à sa poursuite en courant.

Mais le gamin est toujours là. À l'endroit exact où il l'a laissé. 

Il l'observe.

Debout, il sert sa petite valise rouge entre ses bras comme un trésor. 

Il ne porte qu'un short en coton très court qui flotte autour de ses cuisses maigres et un tee shirt d'un rouge qui semble loin d'être neuf. Il est où l'ado qu'on lui a décrit passant ses journées à manger ? Heureusement qu'il y a une visite médicale au début du mois de septembre. Pourtant ce gosse sort de l'hosto, s'il était malade, ils l'auraient vu et s'en serait aperçu.

Richard remet ses lunettes et referme la porte en faisant du bruit pour ne pas le surprendre.



Premier arrivé, premier servi. Il lui assigne le premier lit à côté de la porte dans le dortoir des troisièmes, avec les garçons de son âge. Il l'estime trop jeune pour être mis avec les élèves de sa future classe, tous majeurs et puis toutes les chambres doubles sont pleines, il l'a accepté en surnuméraire, intéressé et curieux d'avoir ce petit surdoué comme élève dans son école. Dire que sans ça, il ne serait pas son tuteur.

- Range le contenu de ta valise dans l'armoire, puis fais ton lit. On viendra te chercher.

 

Il lui faut maintenant s'occuper de l'autre sorcière. Oui c'est ça, elle ressemble à une de ces caricatures de sorcière, il ne lui manque que le bouton sur le nez avec la touffe de poils.



Richard pose son oreille sur le panneau de sa porte d'entrée. La voix douce et fraîche de Gisou lui parvient, puis celle, sèche et cassante de la sorcière mais il fronce les sourcils en entendant celle d'Isabelle.

Il pose quelques secondes sa main sur la poignée, le temps de se composer un visage avenant au contraire de son envie d'entrer et laisser exploser sa colère de ne pas avoir été obéi et d'expédier cette abominable bonne femme à grand coup de balai.

Aller ! Plus vite, il entrerait, plus vite il pourrait se débarrasser d'elle en l'accompagnant jusqu'à son hôtel.

- Me revoilà ! J'espère que vous me pardonnerez mon absence et espère aussi n'avoir rien manqué.

- Madame nous racontait comment, "Robert", car il semblerait que ce jeune homme s'appelle Robert, l'a fait tourner en bourrique.

- Devant nos filles ? (Les cinq sourires qui s'alignaient sur le canapé disparurent dans une course vers leurs chambres. Il hausse la voix.) Mesdemoiselles, je statuerai sur votre sort ce soir. Gisèle, ma mie, puis-je te parler seul à seul ?

Madame Courvitt semble totalement absorbée par le contenu de sa tasse qu'elle porte à ses lèvres fines sans en boire une goutte.

Richard pousse sa femme jusqu'à la cuisine et en ferme la porte.

- Richard, je suis totalement désolée mais elle m'a demandé si j'avais des enfants et quand j'ai répondu oui, elle a désiré faire leur connaissance. Que voulais-tu que je fasse ? Et puis... Pour tout te dire, je ne les ai jamais vu aussi sages et polies, même Coco, c'est tout dire.

- Mais ce n'est pas de tes filles dont je me méfie, c'est de cette vieille sorcière.

- Richard...

Le regard qu'il lui décoche lui intime le silence et il ouvre avec violence la porte en plaquant à nouveau un sourire affable sur ses lèvres et retourne vers le salon où ils retrouvent la femme toujours dans la même pose.

Il s'assied dans son fauteuil en face de là où Gisou était assise, il y a peu. Cette dernière arrive avec une tasse supplémentaire.

- Richard, du café ?

- Volontiers, merci. Alors Madame Courvitt, votre train est à quelle heure ce soir ?

Il la voit blanchir. Elle pose sa tasse en tremblant.

- Ce soir ? Et bien c'est-à-dire que j'ai réservé une place dans celui de demain à neuf heures. Cela ne vous dérange pas j'espère ?

Richard prend la tasse que sa femme lui tend et croisant les jambes se laisse aller en arrière en montrant son contentement par un immense sourire.

- Nullement, j'ai prévu cette éventualité en vous réservant une chambre dans l'hôtel juste en face de la gare. Vous n'aurez donc qu'à traverser la petite place pour aller prendre votre train. Et ne vous inquiétez pas pour les frais, j'aurais plaisir de vous les offrir. Il en va de même, si vous vous servez du service de restauration de l'hôtel.

- Madame Courvitt ne peut cacher son désappointementement.

Richard croise le regard de sa femme et boit son café moins sûr de lui.

- Richard, je pense que Madame Courvitt appréciera que tu lui fasses visiter l'école, pendant ce temps, je ferai manger les filles et ensuite nous pourrons déjeuner ensemble que nous trois et ainsi elle pourra finir de nous informer au sujet de ce garçon.

Vers dix-huit heures, il peut enfin la raccompagner à son hôtel.

A son retour, il se précipite vers le dortoir où il a abandonné à lui-même le garçon.

Il dort couché sur le dos, les bras en croix. Richard tire les lourds rideaux marrons qui servent de volets.

Il lui enlève ses sandalettes largement trop petites pour lui et plus que usées. Lorsqu'il les pose devant l'armoire, il voit la valise et, tout en le surveillant de peur qu'il ne s'éveille, il s’en saisit et l'ouvre. Elle est vide. Dans l'armoire, parfaitement pliés, il y a trois slips, un tee shirt blanc et un débardeur tricoté main marron.

Déçu, il referme l'armoire et repose la petite valise.

Avant de s'en aller, il reste à le regarder, il semble si petit, si fragile.



- Alors ? Tu es passé le voir ? En tout cas, tu devrais avoir honte de l'avoir oublié.

- Oui je sais, j'ai manqué à tous mes devoirs et si je ne l'avais pas trouvé endormi, je te l'aurais ramené pour que tu le fasses manger.

- Oh mon Dieu mais c'est vrai et en plus tu l'affame.

- Arrête ! Je m'en veux assez comme ça. J'ai honte, tu ne peux savoir. C'est la faute à cette bonne femme.

- C'est vrai ce qu'elle nous a raconté ? Son père est-il vraiment le monstre qu'elle nous a décrit ? Je n'arrive même pas à imaginer qu'un père puisse faire ça à son enfant. Quelle horreur ! Et tu me dis qu'il n'est pas plus grand que Yvette. Pauvre puce . Non, ne touche pas ! Si tu as si faim, je t'en fais un aussi mais ceux-là sont pour lui. Et toi tu vas bientôt passer à table.

- Un tout petit, s'il teu plaît !

Il joint les mains avec des yeux suppliants. Elle lui donne son sandwich et emballe les deux autres dans des torchons.

- Bon je vais vite lui porter.

Il allait mordre dans le pain mais s’arrête surpris.

- Toi ?

Elle l’interroge en souriant, sûre d’elle.

- Oui, tu me l'interdirais ?

Il se lève et va jusqu’au fond de l’appartement.

- Je dis aux filles que l'on s'absente.



L'enfant dort toujours, il serre son oreiller dans ses bras, roulé en boule autour, tout en bas, au pied du lit.

Lit qui est un vrai champ de bataille.

Quant au garçon, il est en sueur et ses cheveux bruns plaqués sur son visage.

Gisou pose les sandwichs à la tête du lit.

La lumière crue du couloir l'éclaire, Gisou se penche sur lui. Elle montre à son mari son dos, zébré de cicatrices et lui serre le bras avec un air horrifié. L'homme hoche la tête et pousse sa femme dans le couloir. Il va fermer la porte quand l'enfant se met à hurler "non, non !" Puis s'agite en tous sens, semblant repousser des mains et des pieds un agresseur invisible.

Richard s'assied sur le lit et saisit le gamin dans ses bras et le tenant plaqué contre lui, le berce comme il l'aurait fait avec une de ses filles, pour ne le reposer que lorsque l'enfant est redevenu une poupée molle au souffle régulier. Il ramasse l'oreiller tombé au sol et le pose contre lui.

Gisou la main devant sa bouche a des larmes au coin des yeux.
















19 janvier 2010

Richard Samedi 30 Août 1975 Accueil 1

Richard Samedi 30 Août 1975 Accueil 1

 

Le regard de Richard croise celui de Véronique, les coudes plantés sur la table tenant son bol devant sa bouche. Il fronce les sourcils et avance sa main tenant sa petite cuillère vers les coudes de sa puînée qui sourit et se recule.

- Papa, il arrive quand le garçon ?

Surpris, il la fusille du regard.

- Ici jamais ! Ensuite Véronique, ce ne sont pas tes affaires.

La mère debout devant l’évier soupire.

- Quand elle arrêtera d'écouter aux portes.

L’ado réfute cette accusation calomnieuse.

- Mais Maman ce n'est pas vrai, je ne fais jamais ça, moi !

En affichant une mine boudeuse, l'ado secoue énergiquement sa lourde masse de cheveux roux.

Sa voisine de table la repousse

- Mais arrête d'envoyer tes poux dans mon bol.

Véronique se tourne furieuse vers sa soeur.

- Je n'ai pas de poux !

L'homme attrape au vol le bras qui s'est levé.

- Pas de ça à table, mesdemoiselles.

De l'autre côté de la table, la mère pose dans sa chaise haute le bébé qui vient d'arrêter de téter.

- Et moi d'ajouter, ni ici, ni ailleurs,Véronique tu es une demoiselle pas un des soudards de ton père.

Richard réagit amusé.

- *hé ! Tous les garçons ne sont pas des soudards !

Véronique adresse un sourire entendu à son père.

- Toi par exemple ?

- Voilà tout à fait ma fille !

Gisou passe derrière lui et pose sa joue contre la sienne.

- En attendant mon cher mari, je n'élève pas des sauvageonnes mais des jeunes filles bien éduquées et polies, n'est-ce pas Mesdemoiselles ?

Un quatuor de voix se fait entendre :

- Oui Maman.

Un chuchotis suivi d'un gloussement font se braquer sur l'aînée, trois regards courroucés ou amusés.

- Véro, une jeune fille bien éduquée ?

La mère lève les yeux au ciel et soupire. L’homme lui, se veut menaçant 

- Bon, en attendant filez. Mais quand ils arriveront, je vous veux dans votre chambre, porte fermée et gare à vous si je l'entends s'ouvrir.

- Oui Papa !

 

L'homme boit lentement, par petites gorgées, le contenu de l'élégante tasse en porcelaine décorée de roses dorées. Son regard suit la taille fine de sa femme debout devant l'évier.

Son regard descend le long des jambes qu'il devine sous la jupe qui bouge au moindre de ses mouvements. Il descend jusqu'à ses petits pieds coquins qui glissent silencieusement sur le sol dans ces trop laides savates en feutre. Alors son esprit repense aux jolies mules brodées, bordées de fourrure qu'il a vu dans la vitrine de ce magasin où elles ne sont pas les seules choses à avoir éveillé son imagination. Un écrin de douceur pour ces petits petons.

- Richard ?

- Oui mon amour ? Tout fut délicieux comme toujours.

Sans un mot, il se lève, l'enlace et embrasse sa nuque repoussant la grosse tresse rousse. Puis la forçant à se tourner, l'embrasse langoureusement en savourant chaque seconde de cette étreinte.

Il pose enfin dans l'évier, la tasse qu'il a conservée à la main.

Dans le placard ouvert, il se saisit ensuite du torchon suspendu à un crochet en forme de tasse et se met en devoir d'essuyer la vaisselle propre que sa femme pose sur l'égouttoir.

- J'arrive à me faire obéir de plusieurs centaines de galapiats bourrés d'hormones et pas par mes propres filles.

Amusée, elle pose un doigt mouillé sur son nez.

- Faudrait pour cela que tu enlèves ce sourire bêta que tu as dès que tu les regardes. Tu es faible avec elles, mon amour, trop faible !

L'homme éclate de rire et se penche sur la joue que sa femme lui tend.

- C'est parce que je vois à travers elles, celle qui fait mon bonheur depuis bientôt vingt ans.

Amusée, elle lui sourit. Comment fait-il pour après tout ce temps de vie commune à réussir à l’émouvoir ainsi. Elle aussi se trouve très faible.

- Et bien Monsieur le joli cœur ferait bien d'aller mettre ses souliers et filer à la gare pour accueillir la brave dame et ce fameux gamin sinon vous allez arriver en retard jeune homme.

Il pose le torchon sur la table et va s'asseoir sur le petit banc autour duquel s'alignent des paires de chaussures de filles de toutes tailles. Il sort les siennes du placard juste derrière. Son visage s'est fermé et il tire sur ses lacets avec des gestes brusques, trop brusques.

- Ah zut ! On a encore d'autres lacets ?

Sans un mot la jeune femme va se saisir d'une vieille boîte en fer de biscuits hollandais et en sort un lacet puis elle s'agenouille devant son époux, posant la boîte à côté d'elle. Le lacet est vite remplacé et fermé par un double nœud. Elle en profite pour lui lacer aussi l'autre chaussure puis se relève avec sa boîte, et en profite pour déposer un baiser sur le front tendu de son homme.

- Voilà ma grosse brute.

Il la saisit par la taille, enfouit son visage contre son ventre avant de l'écarter.

- Tu sais hier, j'ai encore relu le dossier du gamin et j'ai comme les autres fois, eu beaucoup de mal et pourtant je ne pense pas être un homme spécialement sensible mais là, pauvre gamin.

- Tu me le feras lire ?

- Non, tu en ferais des cauchemars.











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18 janvier 2010

Robert vendredi 29 Août 1975 départ pour Aix

Robert Vendredi 29 1975 Août Aix 1

 

Elle sonne exactement à dix heures pile.

Je suis prêt et ne tiens plus en place depuis au moins trois heures.

Une nuit agitée m'a jeté du lit très tôt mais maintenant face à la vieille, je tente de faire bonne figure mais j'angoisse.

Lorsque je dis au-revoir aux Péret, c'est mon passé que je quitte. Je sais que je ne les verrai plus.

Je n'ai qu'une petite valise en carton rouge pratiquement vide car je n'ai rien à moi sauf un sac en plastique avec une bouteille de coca et un paquet de biscuits au chocolat.

Madame Courvitt a une Dauphine blanche qui doit avoir plus de vingt ans.

- Ah non mon petit Avec moi, les enfants s'assoient à l'arrière.

Je lâche donc la poignée de la portière avant pour aller lancer ma valise sur la banquette arrière où mes fesses la rejoignent.

Je ne peux m'empêcher de faire la grimace car sa voiture pue comme elle : les pieds et le lait caillé.

A Colmar, elle gare sa voiture près du tribunal et me fait mettre ma valise dans le coffre.

- Il ne faut pas la laisser visible mon petit, car il y a trop de voleurs et de gens malfaisants, ils me fractureront les vitres pour te la voler.

J'obéis mais cela me fait rire, qui voudrait voler une valise en carton rouge décolorée avec juste, trois slips ?

Puis me tenant par le poignet, elle me traîne derrière elle vers le tribunal. J'avoue que je mets très peu d'entrain à la suivre.

De plus, j'ai ma petite idée de ce qu'on vient faire là, alors je veux prendre mon temps pour admirer l'architecture du grand escalier qu'elle peine à monter. Voyant ça, j'accélère et elle se met à m’invectiver ce qui fait se tourner les gens autour de nous.

En haut, nous montons encore mais par un tout petit escalier jusqu'à un bureau où une secrétaire nous introduit.

Une femme nous tourne le dos.

Cheveux gris coupés courts au-dessus de la nuque, elle porte un tailleur en fin tissu gris et ample. Elle est au téléphone et parle de tétines, de biberons et de couches. Quelque chose la fait rire, j'aime bien son rire.

Quand elle se tourne pour raccrocher le combiné, je la trouve plus jeune que je ne le pensais et un sourire illumine son visage agréable.

- Bonjour mon garçon, je suis contente de te voir, de pouvoir enfin faire ta connaissance. (Elle décroche à nouveau le combiné.) Faites entrer Maître Patelin s'il vous plaît. Madame Courvitt, je suis désolée mais vous allez devoir sortir.

La vieille ne semble pas d'accord mais sort en laissant la place à une autre femme, la trentaine avec la longue robe noire bordée de l'hermine blanche des avocats. Elle ferme la porte derrière la sorcière puis s'approche de moi en souriant. Sa main se lève vers moi, vers mon visage, je recule brusquement en bousculant le petit fauteuil où j'aurais dû m'asseoir lorsque la juge m'a fait signe de le faire.

Je suis dos au mur, les mains à plat contre celui-ci, prêt à me propulser vers la porte si elle recommence.

Elles se regardent étonnées.

- N'ai pas peur, je ne voulais pas te frapper.

- Je sais.

- Bon. On se serre la main ? Elle me tend la main, je la saisis brièvement. Allez viens t'asseoir, on doit parler tous les trois. Je suis Maître Patelin et je serai ton avocate pour le procès contre ton père.

- Je n'ai plus de père.

- Hélas si, et tu dois nous aider à mieux comprendre ce qui s'est réellement passé. On a les versions de ta mère, de tes sœurs, des Lutz...

- De Caths aussi ?

- Oui, de Catherine aussi.

- Elle a dit quoi ? Qu'est-ce qu'elle vous a raconté ?

Les deux femmes se sourient mais se taisent. Très bien alors moi aussi. Et puis, je n'ai pas envie de tout raconter, surtout pas à deux femmes. J'ai la nausée rien que d'y penser. Je réussis à tout refouler lorsque je suis éveillé, à ne plus y penser et là tout revient. Je secoue la tête, les poings devant les yeux, je ne veux pas ! Ça fait trop mal, je me suis relevé et mon poing frappe le mur vers lequel je me suis tourné.

- Non, non, je n'ai rien rien à dire.

J'entends la porte s'ouvrir puis se refermer, je me retourne et glisse le long du mur, me laissant en boule contre le sol, je serre mes genoux contre moi en hoquetant, me balançant d'avant en arrière. Non, je veux oublier et ne pas en parler.

Maître Patelin est sortie, je reste seul avec la juge assise sur le fauteuil où l'avocate était assise avant, elle ne dit rien mais me tend un mouchoir. Je m'essuie avec ma manche. Elle sourit sans rien dire. Elle me laisse me calmer. Je me lève, je tremble. Elle me tend une petite bouteille d'eau minérale. Elle sort d'où celle-là ? Je la vide et lui rends.

- Tu vas mieux ? On se revoit pour le procès et là tu seras bien obligé de nous donner ta version tu sais ? Si c'est trop dur, tu peux aussi l'enregistrer et nous écouterons ton enregistrement mais sans ton témoignage ton père risque de ne pas être condamné, tu comprends ?

Je hoche la tête mais je regarde mes pieds, mes orteils qui dépassent de mes sandalettes d'enfant, trop petites pour moi. J'ai subitement envie de les couper, ils dépassent, j'ai envie de sentir cette douleur, peut-être me ferait-elle oublier celle que je porte en moi sans arrêt ?

- Je peux m'en aller ?

- Oui. A bientôt mon garçon.

Je ne lui serre pas la main, les deux sont cachées sous mes bras. Je veux fuir, être ailleurs.

Le poignet tenu par la vieille me fait mal mais je cristallise ma pensée dessus, je ne l'entends même plus.

Elle ne se tait qu'une fois dans la voiture.

Mais bientôt, elle en a après les autres conducteurs.

L'arrêt suivant, c'est dans une sorte d'école où l'on prend le repas de midi. Je suis assis à une table de huit, je n'ai pas faim et ils servent du poisson. Normal, c'est vendredi. Une nana me sert même si je refuse.

- Tu resteras à table jusqu'à ce que tu aies fini ton assiette, tu sais ?

Je repousse l'assiette et pose mon front sur mes bras croisés, ils me font tous chier !

 

J'ai dû m'endormir car lorsque la vieille vient me chercher et me tire, je manque tomber du banc et il n'y a personne d’autre que nous dans la salle et la table est débarrassée.

La cour aussi est vide.

Elle sort ma petite valise du coffre et me la tend. Elle même a saisi un gros sac de voyage dans un affreux tissu marron qui me fait penser à une tapisserie oubliée dans un grenier depuis deux cent ans. Bref, il est aussi moche qu'elle.

 

- On va prendre le bus pour aller à la gare.

Je m'en fous moi, comment on y va, à pieds, en bus ou en voiture, ce qui m'énerve c'est sa façon de me tenir le poignet, qu'elle serre comme une malade et me traîne comme un gamin de quatre ans.

 

A la gare, on a une heure d'avance et nous attendons assis à côté d'une famille avec un petit chien blanc dont la langue pend hors de la bouche et dont les yeux sont blancs aussi. Il renifle mes mollets et les lèche.

- Désolée, mais il doit bien aimer ton odeur.

- Pas grave, ça chatouille juste.

La vieille qui m'avait lâché se met debout d'un coup et se déplace de plusieurs sièges, m’obligeant à la suivre.

Mais pourquoi ? Qu'ai-je fait de mal ? Est-ce parce que j'ai osé parler à une gamine qui doit avoir dix ans? Mais je ne suis pas un pédophile, moi ?

 

Enfin, nous pouvons monter dans le train.

Nous sommes dans un wagon couchettes.

Le contrôleur semble tiquer en me voyant puis nous montre nos places. Nous avons les deux couchettes du milieu à droite, je choisis derechef celle du dessus. Il y a déjà deux femmes qui me sourient.

Lorsque une autre arrive, elle ressort et se plaint de ma présence.

- Mais monsieur c'est un compartiment féminin, il n'y a pas sa place.

- Madame c'est un enfant.

- Et bien trouvez-moi une place dans un autre compartiment.

L'homme regarde les feuilles fixées sur une planchette.

- Il ne me reste qu'une couchette de libre mais elle est dans un compartiment masculin.

- Et bien, vous pouvez l'y mettre, lui !

- On ne sépare pas un enfant de sa grand-mère, madame.

Je pouffe et saute au sol.

- Une, ce n'est pas ma grand-mère et deux, je veux bien y aller. J'ai déjà ma valise dans une main et mes sandalettes dans l'autre.

La vieille pousse des cris d'orfraie blessé.

Je reste sérieux mais intérieurement je m'amuse.

La dame entre dans le compartiment et ferme la porte, très contente d'elle.

Dans la coursive, Madame Courvitt discute avec véhémence avec le contrôleur. Elle est chiante, elle veut que j'aille où, franchement ?

- Bon faut arrêter une minute là ? Je ne vais pas me barrer tout de même, vous pourriez réfléchir trente secondes aussi. J'ai qu'une envie c'est d'aller dans cette école alors à quoi ça rimerait que je me casse ? Et puis la dame, elle n'a pas tort. Je ne suis plus le gamin de 10 ans dont j'ai l'air. A quatorze ans ma place n'est pas au milieu de bonnes femmes, non ?

Le contrôleur a l'air d'halluciner et il nous fait signe de nous taire tous les deux.

- Bon, j'ai une autre solution, je peux ouvrir deux couchettes dans ma chambre, tu viens avec moi.

Cette fois, la vieille ferme sa gueule et moi j'y gagne, la couchette est plus large et le lit est déjà fait avec de vrais draps.





17 janvier 2010

Caths samedi 16 Août 1975 fuite

1975 Caths Samedi 16 Août fuite

 

La voix qui la réveille, elle ne la connaît que trop. Sa mère ne parle pas, elle crie et Catherine l’entend malgré les trois portes fermées entre elles.

- Non ! Elle rentre avec nous, c'est notre fille, pas la tienne.

- ...

- Non ! Elle ne va pas gâcher sa vie à cause d'un petit moins que rien qui l'a mise enceinte, Marie tu n'as aucun droit sur elle, nous oui, nous sommes ses parents.

 

Catherine  boucle rapidement son sac et se glisse sans bruit dans le couloir jusqu'à la porte d'entrée qu’elle fait claquer derrière elle.

Elle est très vite dehors, bousculant sans s’excuser un couple de petits vieux dans le hall d’entrée de l’immeuble et court à perdre haleine dans les petites rues qui zigzaguent devant elle.

Elle ne sait pas où elle va, elle veut juste mettre de la distance entre eux et elle.

Non ! Ils ne la ramèneront pas chez eux.

Dorénavant Paris sera sa nouvelle ville.

Dans la capitale, elle sait qu’elle pourra se perdre dans la multitude et passer inaperçue.

 

Elle leur en veut encore plus, ils ont dû prendre le premier train ou venir en voiture dès que Matie à raccroché hier soir.

Elle s'arrête enfin de courir.

Son cœur bat tellement fort qu’elle a l'impression qu'il va s'arracher de sa poitrine.

Elle pose sa main sur son ventre. Et si courir comme ça pouvait lui faire du mal. Quelle taille a-t-il ? Celle d'un pois chiche ? Elle le voit déjà grand dans ses bras, un petit garçon qui s'appellera Robert comme son père.

 

Elle s’arrête devant une grande église. Une dame en ouvre grand les portes et ses cloches sonnent. Il est six heures, elle voit des paroissiens entrer, elle les suit. Elle ne croit plus en Dieu, mais qui viendra la chercher dans une église pendant une messe ? Personne ! Surtout pas ses parents.

Cela fait longtemps qu’elle ne va plus à la messe sauf quand Robert y était de service en tant qu'enfant de chœur. Elle se mettait alors derrière une des colonnes et lui faisait des grimaces qui le faisaient rire et ça rendait fou le père Camerer qui le changeait dix fois de place durant la messe jusqu'au jour où il a arrêté son sermon pour venir vers elle alors elle est sortie précipitamment. Mais alors, quelle engueulade elle a pris le soir quand le père Camerer est venu à la maison. Elle n'a plus recommencé mais elle allait l'attendre à la sortie du presbytère.

 

Catherine choisit une place au fond de l'église dans l'aile de gauche, elle s'y met à genoux et pose mon front sur ses mains les yeux fermés. Il y fait frais, et l'ambiance y est apaisante. Une sorte de torpeur la saisit, elle ne pense plus à rien.

- Jeune homme ! Oh pardon jeune fille, tu vas bien ? Je te laisse prier à moins que tu aies besoin de parler ?

Le prêtre est tout jeune, il a de jolis yeux verts et un tout aussi joli sourire.

Elle pense encore au père Camerer qui lui a encore dit il y a peu : Dieu voit tout et sait tout. je décide d'être honnête.

- Oui et non mon père. Je me reposais surtout. Puis-je encore abuser de l'hospitalité de Dieu ?

Il lui sourit.

- Veux-tu venir te confesser pour voir si je peux t'aider ?

Pourquoi pas ? Elle a envie de parler, besoin de raconter ce qu’elle ne peut raconter ni à ses parents, ni à sa marraine. Et lui, avec ses jolis yeux verts, il est là pour ça, non ? De plus, il est tenu au secret.

 

Lorsqu'il sort, le prêtre ne lui dit pas  de réciter deux fois d'un truc et trois d'un autre. Il se contente de la bénir.

Elle sort aussi.

Elle me sent mieux d'un certain côté.

Parler lui a permis de remettre ses idées en place, il faut qu’elle retrouve Dan et ses copains.

Elle ne sait pas pourquoi mais quelque chose la pousse à lui faire confiance.

Elle récupère son sac et met rapidement de la distance entre ce curé, certes très mignon mais qui veut qu’elle reste et ça, c'est gentil mais non merci !

 

A midi, elle est au trou des Halles, je sais qu'ils y ont rendez-vous avec d'anciens copains. Mais hélas, il n'y a personne.

- Bonjour, vous connaissez Dan, Thib, Michka et Typh ?

Au bout d'un moment, elle en a marre de demander ça à tous les jeunes un peu dans leur style et décide de retourner vers Clichy. Elle surveillera le départ des parents et retournera chez Matie.

Puis son regard est attiré par un couple au coin d'une rue, ils sont habillés avec des grandes robes aux larges manches ornées d'étoiles. Il fait des tours de magie et elle joue de la harpe. Elle s'approche d'eux. La fille a un petit ventre rond.

- Merlin et Morgane ?

Les deux se tournent vers elle puis s’échangent un regard surpris.

- Oui et toi ?

Merlin s'approche d’elle et fait sortir un bouquet de fleurs de sa manche. Ça la fait sourire.

- Tach et je cherche Dan et les autres.

La fille s'arrête de jouer et se lève lourdement pour les rejoindre.

- Et tu leur veux quoi ?

Catherine est un peu surprise par son agressivité.

- Ils m'ont dit de les rejoindre ce midi aux halles mais ils n'y sont pas.

Son ton change alors.

- Ah ouais, mais c'est aux Halles de Rungis sûrement, Dan y bosse souvent.

- Ah, OK, merci !

 

Donc retour là où j‘ai fait leur connaissance. Avant de s’en aller, elle parle un peu avec eux. Pour le futur bébé, ils ont décidé de se “ranger” de peur de se le faire enlever. Catherine lorsqu’elle s’éloigne pose ses mains sur son ventre, elle réalise que même quand, il sera là, on pourrait le lui enlever et la peur la fait pleurer.

Deux heures plus tard, elle émerge de la station de métro et sourit car ils sont garés au même endroit que la veille.

- Hello ! Je peux me joindre à vous ?

Les trois semblent heureux de me revoir.

- Tu vois Michka quand je te dis que Dan est voyant.




16 janvier 2010

Caths Jeudi 14 Août 1975 départ

1975 Caths Jeudi 14 Août départ

 

A une heure du matin, son réveil résonne sous son oreiller. Il n’a pas besoin de la réveiller, elle angoisse tellement qu’elle n'a pas dormi

Elle n'a pas beaucoup de temps, dans une heure son père descendra au labo pour mettre en route les premiers pâtons.

Comme le prévoyait la météo, le ciel est de plomb, le ciré de Théo se remarquera moins.

Elle coince les battants de sa fenêtre pour qu'ils ne claquent pas, la chambre sera inondée mais de ça, elle m'en fout. Comme elle a laissé le verrou sur sa porte, ils ne s'apercevront de sa fuite que ce soir au plus tard, cela lui laisse le temps d'être loin.

Elle sait où aller, sur la D 417 en direction d’Épinal, il y a tout le temps beaucoup de circulation sur cette route car c'est aussi celle de Paris.

Elle a préparé un carton protégé d'un plastique transparent.

Dessus un seul nom en gros et en rouge : Paris !

A Paris, elle a sa marraine, elle a retrouvé son adresse au dos d'une carte d'anniversaire, qui, maintenant est bien au chaud dans la poche de son jeans.

Elle sourit en pensant à sa mère qui va être toute contente de trouver le bleu de Théo dans le panier de linge sale de la salle de bain. Mais Théo va râler car c'est encore à lui qu’elle a volé le jeans qu’elle porte ainsi que la chemise et le tee-shirt. Par contre la casquette est une ancienne toute pourrie de Robert.

 

Il pleut et elle commence à avoir froid. Elle se souvient des conseils qu’elle a lus : de ne pas rester immobile mais d'avancer alors elle ne se tourne que quand elle voit des phares allumer la route.

Elle est partie depuis une heure quand un petit camion frigorifique s'arrête à sa hauteur. Le conducteur ouvre la portière passager.

- Je vais à Rungis, si ça te va grimpe mon garçon.

- Oui merci Monsieur, très bien.

L’homme semble ravi de voir qu’elle est en fait une fille.

- Oh mais t'es une poulette détrempée. Et que vas-tu donc faire à la capitale?

Elle monte à côté de lui.

- Rendre visite à ma marraine.

 

L'homme, la quarantaine, est drôle et gentil.

Sur une aire d'autoroute où elle veut aller faire pipi, il lui offre un café et partage des sandwichs avec elle.

 

Elle finit par s'endormir, lorsqu’elle se réveille, il l’a allongée et là, lui baisse le pantalon.

- Non ! Mais ça ne va pas ! je ne veux pas !

Elle se défend, des coups de pieds, des coups de poings. Il la frappe aussi, un coup l'assomme un peu et elle pense au bébé, alors effrayée, elle se laisse faire. Ses mains lui donnent la nausée mais elle n’arrive même pas à lui vomir dessus. 

Quand il a fini son affaire, il ouvre la portière, et la jette pratiquement dehors. Pour ne pas tomber, elle se retient comme elle peut au vide poche. Il la frappe du pied. Elle tombe au sol brutalement et se roule en boule les mains contre son ventre. 

Elle reçoit son ciré dessus mais il a déjà refermé la porte et vide le sac de Catherine sur le siège passager, et au fur et à mesure, jette son contenu par la fenêtre. 

Elle se redresse et remonte mon pantalon en pleurant. Il démarre brusquement et roule sur le sac qui est tombé sous les roues. Elle ramasse ses affaires et les tasse dans le sac qu’elle ne peut plus fermer.

Elle est sur le bord d'une autoroute, elle passe derrière la barrière et la suit.

Elle ne pleure plus. 

Elle jette son sac sur son dos et avance une main plaquée sur son ventre. Elle a l'impression d'encore le sentir en elle. Arrivera-t-elle encore, après à me souvenir de comment c'était avec Robert.

J'ai la nausée et cette fois se vide plusieurs fois. Pourquoi n’a-t-elle pas réussi tout à l’heure sur lui ?

Elle marche de l'autre côté des glissières de sécurité, en s'arrêtant une fois ou deux pour vomir encore et encore, , les voitures ralentissent mais aucune ne s’arrête. Au péage elle commence par se diriger vers le poste de gendarmerie mais quand la porte s'ouvre sur l’un d’eux, elle continue sans s'arrêter vers le parking.

Si elle porte plainte, ils vont la ramener chez ses parents et ça, elle ne le veut pas.

Ici au moins, il ne pleut pas.

Elle plie le ciré dans le sac et casquette sur la tête, elle va tout droit. Elle se dit qu'il faut repérer la tour Eiffel et une fois à ses pieds, elle verra bien, elle avisera. Elle n’est jamais venue dans la capitale.

 

Elle voit une entrée de métro. Elle décide qu'avec le métro, elle ira plus vite, mais pour cela, elle doit traverser la route.

Un bras musclé la stoppe dans mon élan. Une jaguar la frôle en klaxonnant.

- Ho-la ! Interdiction de se suicider !

L'homme est immense et ses bras qui dépassent d'un Marcel moulant, sont bleus et noirs de tatouages. Mais le grand sourire et les beaux yeux bleus la font sourire malgré sa méfiance.

- Je ne veux pas me suicider mais traverser la route pour aller au métro.

- A ton accent mon petit gars je dirais que tu es alsacien, non ? L'homme la prend pour un garçon, ça la rassure un peu, elle essaie de rendre sa voix plus grave.

- Oui de Colmar et je viens en vacances chez ma marraine à Clichy.

Le sourire de l’homme s’agrandit et se transforme en rire. 

- Oh ! Oh ! En métro t'es pas rendu, si tu veux, je t'y emmène.

La réaction de Catherine est immédiate, elle agite les mains devant elle, effrayée, et recule sur la chaussée. 

- Heu non, c'est bon, non merci ! Je n'ai pas peur de marcher.

Il l’a saisit par le bras et la ramène sur le trottoir, cette fois, il ne rit plus et on le voit surpris et inquiet.

- Tu tiens vraiment à passer sous une voiture ? Mais là, tu as tout Paris à traverser, déjà en métro t'en as pour une heure, alors à pied et sans savoir où tu vas, t'es pas rendu mon gars. Allez n'ai pas peur, mes potes m'attendent au camion, j'étais juste venu acheter à manger. Effectivement, il tient dans son bras gauche du pain, du fromage et des saucisses. D'ailleurs si t'as faim, tu sais, on accepte de partager.

Oui mais non. Je viens de donner de ma personne.

Pourtant elle accepte, elle ne sait pas pourquoi. Elle se dit qu’elle doit être tarée.

Elle le suit, ils traversent et se dirigent vers l'entrée du métro, puis la contournent pour rejoindre une camionnette avec trois jeunes devant, deux filles debout en train de danser sur la musique qui sort du véhicule et un ado assis sur le marchepied du côté conducteur dont la porte est grande ouverte. Quand il les voit, il vient à notre rencontre.

- Eh Dan, c'est qui encore celui-là ? On est pas assez nombreux comme ça ? Aller donne la graille. Eh, les filles arrêtez de bouger du cul et venez manger.

Les filles se sont arrêtées et le suivent de l'autre côté du camion où il fait coulisser la porte.

Il y en a une blonde aux cheveux filasse jusqu'à mi-dos et une aux cheveux très noirs avec deux couettes tenues par des rubans rouges qui s'arrête et fixe Catherine.

- Eh Thib t'inquiète, tu ne risques rien, c'est une pouf ou alors c'est un mec avec des nénés et sans bite.

Le colosse à côté de moi se met à rire.

- A bin merde, tu m'as bien eu. Pas grave, fille ou gars, on s'en fout, mon offre tient toujours.

Elle rougit.

Catherine se laisse tenter car elle a faim et elle est fatiguée alors s'ils peuvent l'accompagner ça serait cool et puis ça ne se sera jamais pire que ce matin.

Pour quatre, il n'y a pas grand chose alors pour cinq encore moins, alors elle décide de leur donner ses propres provisions. le chocolat a été écrasé par le camion mais ça reste du chocolat. Pour s'excuser de son état, elle décide de leur raconter en partie ce qui lui est arrivé. Les quatre sont furax. Je les trouve gentils.

- Le camion, c'est votre maison ?

- C'est mieux que la rue, tu ne trouves pas ? C'est celui de Dan, et ce mec il n'a rien mais il trouve toujours un truc à partager avec toi. Moi c'est Thibault mais eux ils m'appellent Thib. La blonde c'est Michka, je crois pas que ce soit son vrai prénom comme ses seins d'ailleurs, mais elle dit oui alors on la croit et Typhanie bin c'est Tiph et toi, t'es qui ?

- Tach.

Il lui tend la main et elle la saisit.

- Bin, si tu veux rester avec nous, bin, bienvenue Tach. Avant on avait aussi Merlin et Morgane mais comme ils vont avoir un bébé, ils ont décidé de se la jouer perso. C'est cool je te dirais, il y a plus de place dans le camion pour dormir.

- Non, c'est bon, t'es gentil, j'ai où dormir chez ma marraine.

Il a alors un sourire jusqu’aux oreilles.

- Cool pour toi alors !

Le dénommé Dan s'installe derrière le volant.

- Allez viens devant, les autres derrière, on emmène Tach chez sa marraine.




La porte s’ouvre sur sa marraine, cette inconnue dont elle reçoit plusieurs cartes chaque année sans l’avoir jamais vue.

- Catherine mais que fais-tu là ?

Tiens ! Elle, pourtant l’a reconnue de suite. 

- Les parents ne t'ont pas encore téléphoné ? Ils ne se sont pas encore aperçu de ma disparition ?

Sa marraine fronce les sourcils et s’inquiète.

- Ta disp... Tu as fugué ? Viens ma chérie, pose tes affaires n'importe où, on s'en moque. Tu es venue comment ?

Catherine décide de s’en tenir à une version édulcorée de ses aventures.

- En train.

Elle a semble-t-il bien fait, la femme semble rassurée.

- Ah ouf, j'ai craint que tu n’aies fait du stop ce qui est trop dangereux pour une fille. Mais tes cheveux ? Bon pas grave, tu restes belle ma chérie, tu as quel âge maintenant ?

- 16 ans Tatie.

La par contre la femme s’énerve.

- Ah non pas tatie, ne me rappelle pas que je suis la sœur de ta mère, quelle horreur. Tu m'inventeras un nom. Sinon mon prénom c'est Marie. Et oui, nos parents avaient une imagination folle, Marie, Mariette puis Jean-Marie pour notre frère.

- J'ai un oncle ?

- Hélas le pauvre bouchon n'a vécu que six jours. Bon peut-être n'est-ce pas plus mal pour lui. Mais et toi alors ? Tu as peut-être faim, tu m'as l'air bien maigrichonne pour une fille de boulangers.

Sa marraine la tient à bout de bras et la détaille de la tête aux pieds.

- Non merci, j'ai mangé en venant.

Elle regarde cette marraine qu’elle ne connaissait pas. Elle lui plaît, aussi ronde que maman. A vrai dire, elle lui ressemble beaucoup. mais elle est plus petite et a les cheveux coupés assez courts et déjà bien blancs.

- Mais revenons à la raison de ta venue. Que me vaut cette visite inattendue ? Mais qui me remplit de bonheur sache-le.

Catherine hésite d’abord puis se jette à l’eau.

- Je suis enceinte et mes parents veulent me faire avorter et je ne veux pas.

Là, sa marraine semble très amusée.

- Ah bin au moins là c'est dit. Et le père, il le sait ?

- Il est mort.

Sur le visage de sa marraine se peint de la surprise puis de la tristesse.

- Alors ça, ça change tout. Tu l'aimes ou plutôt tu l’aimais ?

Et là, la réponse de Catherine est un vrai cri du cœur.

- Oh oui Ta... Matie !

- Oh c'est trop mignon ce surnom, j'adopte de suite ! Alors tu sais quoi, je t'aiderai. Mais d'abord, je vais appeler tes parents pour leur dire que tu es là et que que tu resteras ici jusqu'à la naissance du bébé et après, et bien… nous déciderons ou du moins, tu décideras.




15 janvier 2010

Caths Vendredi 8 Août 1975 pas d'anglais

             Caths Vendredi 8 Août 1975 pas d'anglais



- Catherine tu ne m'as pas donné tes vêtements sales. Cette dernière continue à beurrer sa tartine en ignorant sa mère qui vient se mettre à côté d’elle. Tu comptes garder ce bleu sale pendant encore combien de temps ?

Exaspérée, elle la secoue.

Alors, d'un geste brusque, Catherine se dégage et se lève.

- Madame, mais arrêtez ! Vous m'empêchez de déjeuner. C'est assommant à la fin.

Sa mère quitte la pièce en faisant signe qu'elle laisse tomber.

Par contre Théo qui déjeune de l’autre côté de la table, la désigne du doigt.

- En tout cas moi, je reprends le boulot le dix-huit, tu devras me rendre mon bleu.

Elle lui répond en faisant une grimace moqueuse.

- Oh pauvre petit chéri, ta petite maman se fera un devoir de t'en acheter un autre.

- Tu en as pas marre d'être chiante.

Elle le regarde, sa petite cuillère à la bouche qu’elle suce et lèche avec une moue la plus sensuelle possible puis la jette dans son bol projetant du chocolat partout.

- Non ! Et vous m'avez donné la nausée.

 

Dans les toilettes, c'est tout mon petit déjeuner qui ressort. Elle  s'assied à côté de la cuvette et compte sur mes doigts.

- Et merde, dix jours de retard. J'espère que personne ne s'en est aperçu.

Dans la salle de bain, elle récupère les deux paquets de serviettes hygiéniques et remonte dans sa chambre. Si elles ont disparu c'est qu’elle les a utilisées, n’est-ce pas ?

 

Après avoir fermé le verrou, elle met la chaise devant le lavabo. Debout dessus, elle laisse tomber le bleu de Théo à ses chevilles.

Dans le miroir, ses seins lui semblent plus gros et c'est vrai qu'ils sont plus sensibles. Elle rentre le ventre mais rien, toujours aussi plat.

De profil, de face, elle veut continuer à tourner mais le bleu s'emberlificote avec la chaise, elle finit alors de l'enlever pour admirer son corps nu.

Des poils ont recommencé à repousser, un duvet de cheveux aussi. Elle saute au sol pour récupérer le rasoir dans sa cachette.

 

Voilà, elle me sent plus nette maintenant.

Couchée sur son lit, elle me caresse pensive. Elle doit savoir si c'est vrai ou pas. Le docteur Péret, lui, pourra lui prescrire un test de grossesse. Mais pour ça, il faut qu’elle sorte de cette prison.

Rhabillée, elle met sur ma tête une casquette, ouvre les volets et regarde s'il n'y a personne dehors puis enjambe sa fenêtre et se met debout face au mur sur le petit rebord qui fait le tour de la maison, à portée de sa main gauche le treillis inextricable de la vigne vierge vieille de plus de cent ans qui recouvre la maison et le tuyau d'évacuation d'eau des toits. Elle  s‘y laisse glisser et pieds nus, s'éloigne rapidement.

 

C'est Madame Péret qui lui ouvre.

- Cathe... tu ne peux pas entrer, rentre chez toi.

Mais pourquoi ? Elle ne comprend pas cet accueil.

- S'il vous plaît, il faut absolument que je vois votre mari, je crois que je suis enceinte.

La surprise et le dégoût s'affiche sur le visage de la femme du médecin.

- Entre vite !

Elle la pousse jusqu'au bureau du docteur et l'y enferme à clef.

- Il te verra dès qu'il rentrera de ses visites mais pitié ne fais pas de bruit.

 

D'abord sagement assise, Catherine se lève, tourne en rond dans le petit cabinet.

Elle passe en revue d'un doigt les nombreux livres de médecine de la bibliothèque.

Elle relit plusieurs fois les trois diplômes de médecine de l'Université de Toulouse : médecine générale, médecine pédiatrique, médecine de néo-pédiatrie.

Elle se rassied puis se lève à nouveau.

Elle tourne autour du bureau. Ouvre les tiroirs. Dans celui du haut à droite, des stylos, des tampons, des crayons etc... Dans celui du dessous ses blocs d'ordonnances.

Puis dans les autres, des dossiers de malades.

Elle les sort, et trouve ce que je cherche : le dossier de Robert. Dedans il y a tout, toutes ses petites maladies d'enfant, il est groupe O positif, elle sourit en lisant certaines descriptions intimes.

Mais il y a aussi une grande enveloppe kraft, d‘où elle sort des photos qui lui donnent envie de pleurer. Elle ne peut pas tout regarder. Elle les range puis d'un coup, les récupère toutes et les glisse dans mon bleu. Puis elle relit toutes les pages et le sourire lui revient, car nul part, elle ne trouve de date de décès. Il est donc toujours vivant, alors elle le retrouvera quoi qu'il arrive et quel que soit son état physique. 

 

La porte s’ouvre sur le docteur Péret.

- Ah Catherine, ma femme m'a annoncé la nouvelle. J'ai un très bon collègue sur Strasbourg, ton souci sera vite réglé et tu seras vite soulagée.

Catherine reste stupéfaite trente secondes puis s’écrie.

- Mais quoi ? Mais non, si j'suis en cloque ce ne peut être que de Robert donc moi, je veux le garder.

Il lui sourit puis s’approche d’elle, fait mine de lui toucher le bras, elle s’écarte et évite son contact comme ça la dégoûtait.

- Voyons, voyons, il te faudra être raisonnable mon enfant.

C’est fois, elle serre les poings et exprime violemment son désaccord.

- Tout d'abord je ne suis pas votre enfant et secondo je suis seule à pouvoir décider pour mon corps.

Il continue à sourire mais cette fois, il est devenu dédaigneux.

- Hélas non, ma chérie, puisque tu es mineure, la décision finale ce sont tes parents qui la prendront..

Bref, encore un dont, il n'y aura rien à tirer. Elle hausse les épaules et sort du bureau dont elle claque la porte de toutes mes forces. Au premier, elle entend une porte s'ouvrir et la voix de Madame Péret dire à quelqu'un de rester dans sa chambre.



Sa mère, debout devant la porte de la boutique, l'attend les bras croisés et l'air pas contente du tout. Et flûte, l'autre vendu a dû l'appeler.

- Salut chère mère, il fait bon aujourd'hui, ni trop chaud ni trop froid, n'est-ce pas ? Le temps idéal pour sortir s'oxygéner un peu.

Sa nouvelle provocation ne fait qu’accentuer la colère de sa mère.

- Tu n'as pas honte ma fille ?

Et bien non, elle n’a pas honte.

- Honte de quoi Madame ? Je viens de me souvenir que je ne suis plus Cath mais Tach.

- De ton état et de sortir dans cette tenue dans la rue.

Une cliente sort de la boutique. Catherine l’interpelle.

- Vous vous rendez compte que Madame Lutz a honte de sa fille Catherine car elle est enceinte du garçon qu'elle aime. Je me demande franchement ce qui est le plus honteux.

La cliente les rende toutes les deux et Catherine se dit que celle-là, on ne la reverra plus.

- Tu as décidé de me rendre folle ? Vivement septembre !

- Bien d'accord avec toi que je n'ai plus à voir vos gueules.

La claque ne l'atteint pas.

Dans la boutique, en passant, elle rafle tout un plateau de gâteaux puis monte s'enfermer dans ma chambre.

Dans la soirée, elle sort discrètement pour fouiller dans leur grenier familial. Hélas le radar maternel a fonctionné.

- Catherine, que fais-tu là-haut ?

- Rien, Maman, je cherche d'autres fringues pour m'habiller, Je jette le gros sacs de l'époque scout de mon père plein de vieux rideaux et de vieux vêtements tous troués aux pieds de ma mère. Je le récupère et en passant dépose un baiser sur la joue de ma mère. Je t'aime Maman, pas besoin de te fatiguer à les nettoyer, plus ils sont grades plus c'est cool. Tu vois, je veux même t'éviter du travail.

Par contre une fois dans ma chambre, elle le vide, jette les vieilles fringues dans un coin sauf le vieux ciré jaune de Théo, de sa période : "je veux être marin pêcheur !"

Demain sera le grand jour. elle sort poser le plateau devant sa porte avec un papier dessus : " Réveil dix heures. Pour le petit déjeuner : deux religieuses, un bol de café, un jus d'orange et un steak frites. Merci Papa !"

Lorsque son père vient lui dire de descendre manger, il l'entend faire semblant de pleurer et n'insiste pas.

 

- Tu sais Mariette je trouve tout de même que tu es sans cœur avec cette petite !




14 janvier 2010

Robert vendredi 1er Aout 1975 l' AS

Robert Vendredi 1er Août 1975 l' AS

 

Quelqu'un ouvre les volets sans bruit.

- Bonjour mon garçon.

- Bonjour Madame.

Madame Péret vient me déposer un baiser sur le front. 

- Habille-toi vite et descends déjeuner, en bas il y a quelqu'un qui veut te parler.

Je vais pour lui obéir immédiatement mais me rappelle que je suis tout nu et attends qu'elle soit sortie pour me lever, pressé de découvrir qui vient me voir.

Je suis sûr que c'est Caths, cela ne peut être que Caths. mais pourquoi n'est-elle pas venue me réveiller elle-même ? Je compte bien lui en faire le reproche. Mais je suis tellement heureux. Enfin !

 

Hélas, ce n'est pas Caths qui est en pleine conversation avec le docteur Péret. Ce n'est autre que la vieille sorcière d'assistante sociale que j'ai déjà vu à l'hôpital. J’ai presque envie de pleurer tellement je suis déçu. J’en veux aussi à madame Péret de m’avoir fait cette fausse joie et de m’avoir laissé espérer.

Une tasse de café dans la main gauche, la vieille  décortique miette par miette le morceau de strudel qu'on lui a servi sur une petite assiette. On dirait un oiseau avec un mini bec crochu.

- Ah te voilà, au moins maintenant tu es habillé mais tu aurais pu faire l'effort de te coiffer.

Mon regard va du docteur Péret à la sorcière. J'hésite entre remonter dans la chambre ou aller donner un coup dans la tasse pour qu'elle s'ébouillante.

Le docteur me fait signe de venir m'asseoir à côté de lui. Ce que je fais tout en continuant à la fixer elle.

J’ai faim, je veux prendre une part de strudel mais l’autre folle m'attrape le poignet puis éloigne le plat de moi. Hé, ho ! Pourquoi ?

- Quelles sont ces manières mon petit ? Ton père t'aurait-il coupé la langue que tu ne demandes pas la permission avant de te servir ?

- Non, il m'a juste coupé la queue mais ça vous le … Je croise le regard horrifié de Madame Péret revenant de la cuisine avec un plateau. Je rougis, je n’aurais pas dû répondre comme ça mais elle m’a provoqué. Je fais un sourire timide à madame Péret. Désolé mais je...

- Non, non, chut ! Je ne t'ai jamais entendu parler comme ça avant. Tu me déçois. Cette fois, je baisse la tête, penaud. Tiens, mange au lieu de dire de vilaines choses.

Elle pose devant moi le plateau avec un gros bol de chocolat fumant, des biscuits encore chauds et du gâteau à la pomme.  Puis s'assied à côté de moi.

Les trois me regardent manger sans un mot. J’ai presque fini, quand elle se lève et se penche vers moi.

- Finis le strudel si tu veux.

Je ne me le fais pas dire deux fois. J'engloutis les deux dernières parts. Toujours ça que la sorcière n'aura pas même si les derniers morceaux sont durs à avaler.

- Tu as vraiment des manières détestables, l'école militaire te fera un bien fou.

Gnia gnia gnia et votre gueule alors ? Elle, surtout est détestable.

Madame Péret revient avec une brosse à cheveux et essaie de discipliner mes poils crâniens.

- Il faudra que je te les coupe un peu avant ton départ.

- Oh, laissez donc, là-bas, ils vont le tondre, ça lui rafraîchira les idées à ce petit voyou.

- Robert est loin d'être un voyou. Je le connais depuis sa naissance, c'est un garçon gentil, poli et travailleur. J'ai une envie folle de lui faire un doigt d'honneur à l'autre vieille harpie, je me contente d'adresser un grand sourire à mon avocat. Tu as encore faim ?

- Non Madame.

Je me lève, prends le plateau où je dépose aussi dessus le plat vide du strudel et les deux tasses du docteur et de la sorcière, puis le porte dans la cuisine.

Pour rien au monde, je ne veux faire de peine à celle qui a toujours été gentille avec moi. Quand mon père me battait, c'est dans ses bras que je venais me faire consoler ou soigner.

Quand j'arrive dans la salle à manger j'entends : soins, cicatrices. Cela m'énerve de les voir parler de moi dans mon dos comme si cela ne me concernait pas.

- J'expliquais jeune homme, que le 29 Août, je viendrai te chercher à dix heures pour t'emmener en train à Aix en Provence pour te confier à ton tuteur légal qui ne sera personne d'autre que le directeur de l'école. O non ! C’est elle qui va m’y emmener ? Je ne pourrais pas y aller tout seul ?  Je lui ai parlé au téléphone, il n'a pas l'air commode, il saura vite te mettre au pli.  Elle se lève et commence à se diriger vers la porte. Ah oui, le juge a décidé que tu ne devais plus, en aucun cas entrer en contact avec aucun membre de ta famille, ni avec cette petite traînée de Lutz. Madame Péret pose sa main droite sur mon bras puis m'entoure le torse de son bras gauche, m'attire à elle et me serre contre elle. De toute façon, cette petite traînée a été expédiée loin d'ici chez les sœurs. Là j’ai envie de lui sauter dessus. Caths n’est pas une traînée ! C’est ma femme ! Madame Péret me serre plus fort contre elle. A elle aussi, l'expérience de la discipline ne pourra être que bénéfique.

Elle serre la main au docteur mais n'a pas un regard pour moi ou Madame Péret.

Et c'est avec le cœur gros que je remonte dans ma chambre. Ma pauvre Caths punie à cause de moi.



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