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grâce à vous deux Richard et Gisou (incomplet, en cours d'écriture )
9 octobre 2010

Robert Lundi 16 février 1977 glaçon !

Robert Lundi 16 février 1977 glaçon

 

J'ai eu un mal fou à m'endormir et à quatre heures, je suis réveillé.

 

Je regarde ma montre toutes les cinq minutes.

Je la secoue et lui dis d'aller plus vite tout en sachant que cela ne sert strictement à rien.

Pour finir, j'en ai tellement marre que je finis par la balancer de l'autre côté de la pièce. Résultat des courses, je me lève pour la récupérer. Tremblant de froid et de peur de l'avoir cassé. De plus, évidemment, ça me donne envie de pisser et j'ai la flemme de descendre. Du coup, et bien j'ouvre la fenêtre et volets  et arrose dehors. Par contre, le bruit ne me plaît guère et malgré l'obscurité je m'aperçois qu'en-dessous, il y a le break de Richard. Et maintenant, j'ai des envies de meurtre sur moi-même. Bref, envie de jeter une corde par la fenêtre et de me pendre.

Là, pas le choix. Habillage et descente façon ninja en faisant gaffe aux marches qui craquent. Prendre le liquide vaisselle, retrouver la grosse éponge qui sert à laver les voitures et go, dehors !

Purée, il fait si froid que l'eau gèle sur la voiture, mais bon au moins elle est propre. Par acquis de conscience, je fous quelques seaux sur la remorque de l'ASK.

Je range le seau et l’éponge et remonte.

Je bute sur Papapa dans les escaliers.

- Pstttt gamin, tu viens d'où ?

- Pipi.

Papapa me fait un signe de la main et continue de descendre et moi à monter.

Dans la chambre, je suis content d'enlever mes fringues rigides car trempées. Et ma couette, même si elle est glaciale, me semble plus chaude qu'eux. Ras le bol dans une heure c'est sept heures, je veux me lever tôt pour qu'on aille à l'aéro-club.

 

La porte s’ouvre sur Richard qui semble plutôt énervé.

- Qu’est-ce qui t’a pris ce matin ?

Heu, pourquoi qu’il m’engueule ?

- Hein ? Quoi ?

Il reprend sa respiration, puis, plus calme.

- On peut savoir pourquoi tu as mis de l'eau sur la voiture ?

- Je n'ai rien fait.

Richard me colle alors mes fringues trempées sous le nez.

- C'est Papy qui nous a dit t'avoir vu remonté trempé à six heures alors maintenant tu te lèves et tu vas rattraper tes bêtises car grâce à toi la voiture est scellée, y compris serrure et moteur.

Oups ! Ce n'était pas mon but. Et comment veut-il que je sache quoi faire ?

En bas, il me pousse vers la cuisine puis vas jeter mon pantalon trempé sur le banc à côté de son père.

- Papa, tu avais raison, mais dès fois je me demande ce qui lui passe par la tête. Toi, vas mettre tes pompes. 

Après avoir mis mes baskets encore trempées je reviens dans la cuisine et mets une casserole sur le feu.

- Tu fabriques quoi maintenant ?

Je m’écarte par prudence de lui.

- Je fais bouillir de l'eau et comme elle sera bouillante elle fera fondre la glace et débloquera la serrure.

Il soupire et éteint le gaz.

- Et par moins vingt tu crois qu'elle va rester chaude combien de temps ta flotte ? Trente secondes gros nigaud.

C'est là où je vois Mammema battre des œufs;

- Un flan ! C'est ça ! Mammema il est où votre chalumeau pour faire cramer vos flans ?

Elle me regarde horrifiée.

- Mais je ne fais pas brûler mes flans, malheureux !

Richard semble presque content.

- Bonne idée mon gars pour la serrure mais pour le moteur ?

Voyons, voyons voir. Avec quoi le réchauffer  sans flamme ? 

- Si on peut ouvrir le capot on peut mettre dessus une couverture chauffante.

Richard sourit.

- Me demande si Mamy et Papy vont être d'accord pour qu'on salisse leur couverture chauffante ?

- Suffit de mettre un drap entre la couverture et le moteur.

Mammema lui fait signe d’aller la chercher. Je le vois disparaître puis revenir.

- Enlèves moi ces pompes trempées et mets en d'autres.

Il en a de bonnes, lui. Lesquelles ? Je suis le seul à mettre du quarante-quatre et je n'ai que ces baskets. Je les enlève puis les pose devant la cheminée de la cuisine.





- Bon maintenant si tu veux aller voler tu me dis pourquoi tu as dû laver la voiture à cinq heures voir peut-être quatre heures du matin.

Autour de nous, tout s'est arrêté, j'ai même peine à croire que j'entends encore le tic-tac régulier du coucou suisse posé au-dessus de la cheminée.

Comme si j'allais leur avouer que c'est parce que je suis le mec le plus con et flemmard de la Terre. 

- Tant pis, je ne volerai pas aujourd'hui.

La voix de Richard me poursuit dans l’escalier…

- Robert ! Je m'arrête sur la quatrième marche et me retourne pour le regarder. Mets une croix dessus, temps que tu ne me l'auras pas dit.

Je monte quelques marches puis redescends mais là, je vois toutes les filles me regarder et renonce. Je remonte m'enfermer dans ma chambre.



A midi, c'est lui qui vient me chercher, je suis couché sur mon lit pieds nus et en tee shirt.

- Tu n'as pas froid, il caille dans ta chambre.

- Oui c'est pour ça que je réclame un chauffage. mais bon, j'suis blasé, je fais des pompes ou d'autres trucs pour me réchauffer.

- Sinon, tu vas me dire le pourquoi du comment ?

Je secoue la tête sans le regarder.

- Non, tu iras le répéter à tout le monde.

Je le vois aller à la fenêtre, l'ouvrir et regarder en bas. Puis éclater de rire.

- Tu sais, un jour Rémy a pissé comme ça sur la tête de Papy. Allez hop en bas, à table. Et soyons clairs, nous l'avions deviné depuis le début. Mais comme tu n'as pas eu le courage de l'avouer, je maintiens la punition.

Je le hais, je le hais, je le hais !

Assis en tailleur sur mon lit, je boue.

La porte claque devant moi, qu'ils aillent tous se faire foutre ! Le courant d'air que ça provoque me rappelle que je suis en train de me transformer en glaçon, je regarde mes orteils qui ont commencé à bleuir.

Je me mets donc à faire des flexions en étant sur les orteils mais j'aime pas la sensation que j'éprouve alors avec un soupir, je prends des chaussettes et je me dis que même si je suis punis, je peux tout de même descendre les réchauffer devant la cheminée avec mon livre.



En bas, ils sont à table.

Je vois les filles se faire des messes basses et rire entre elles.

Papapa tapote le banc à côté de lui.

Oh et puis flûte, j'ai faim. Je vais donc dans la cuisine me laver les mains. J'y croise Gisou.

- Pense à aller faire pipi avant de venir à table et de te laver les mains.

- Hein ?

Quoique, bonne idée mais celle qui l'est moins c'est d'y aller en chaussettes.

 

- Mammema je peux en reprendre ?

Elle me passe le plat.

- Oui mon petit.

 

- Mamy ne lui met pas trop de sauce, c'est du liquide tu sais.

Je regarde Rémy.

- Quoi ? Moi je veux du truc jaune…

Mammema me souffle.

- De la polenta.

Je la regarde.

- Ah ! OK ! De la polenta c'est sec alors oui je veux bien aussi plein de sauce.

Rémy a du mal à pas rire.

- Peut-être mais ça va te donner envie de faire pipi.

Je comprends alors, la pique de Gisou, je rentre la tête dans les épaules.

- Richard je te déteste ! Et je le fusille du regard.

- Ce n'est pas moi qui ai deviné c'est Mamie car elle a engueulé les autres hommes se trouvant autour de cette table car il y avaient des traces jaunes suspectes sur le rebord de la fenêtre et la fenêtre de ta chambre est juste au-dessus.

Je fixe alors Rémy avec un sourire moqueur.

- Bin moi au moins j'ai pas pissé sur la tête de quelqu'un pas vrai Rémy ?

Ce dernier fusille son frère du regard.

- Richard t'es un enfoiré.

Ses filles le questionnent.

- Papa, t'as fait ça ?

Lui me fusille du regard à son tour.

- Robert, je vais te faire la peau !

Je suis debout aussi vite que Rémy et vais me planquer derrière Gisou et Sylvie mais cette dernière, me passe un bras autour de la taille.

- Chéri, je te le tiens.

Je tente de me libérer.

- Noooon, ce n'est pas du jeu là !

Mais c'était sans compter la curiosité des filles qui décident de prendre mon parti et viennent me libérer de leur mère.

- Non, Maman lâche-le. Robert c'est sur la tête de qui qu’il a fait ça ?

Rémy me fixe.

- Suis sûr qu'il ne le sait pas de toute façon.

Je le nargue.

- Oh si Rémy, je le sais, mais je ne le dirai pas si tu me promets que tu ne me feras rien.

- Promis.

Dois-je lui faire confiance ?

- Je veux voir tes deux mains. Oh et puis, j'ai pas confiance. Dans cette famille vos promesses vous ne les tenez jamais.

Les filles  m'entourent surtout celles de Rémy.

- Si, si Robert, nous on te promet de faire tout ce que tu veux jusqu'à la fin des vacances si tu nous le dis.

Je regarde les jumelles qui sont devant moi, mains jointes.

Maïté se met à rire.

- Hé les frangines vous vendez votre âme au diable là.

L’une d’elle secoue la tête, sa longue natte suit le mouvement, venant taper la figure de Justine qui la saisit et tire dessus, la jumelle se retourne vers elle, l'œil mauvais. Moi ça m’amuse.

- Non, il est con parfois mais ce n'est pas le diable.

Ah ouais j'suis con, OK ! Je passe mes bras autour du cou des jumelles pour rapprocher leurs têtes de mon visage. Rémy de l'autre côté de la table me fait non d’un doigt menaçant. Je lui souris. Et tout bas.

- Sur votre tête quand vous étiez dans votre landau devant la maison.

Les deux se tournent vers leur père, horrifiées. Elles sont les seules à m'avoir entendu. Moi, en tout cas, je file dans ma chambre sans demander mon reste.



Un peu plus tard, je les vois arriver avec un plateau. La première ouvre la porte, l’autre vient le déposer sur le lit où je lis emballé dans ma couette.

- Comme promis.

Comment ça ?

- J'ai rien demandé !

Je me méfie car avec les filles maintenant je me méfie toujours !

- Non, mais comme t'avais pas fini ton repas, on te monte ton assiette et ton dessert. Faudra juste que tu redescendes le plateau. 

J’avoue que je suis agréablement surpris, ça leur arrive donc parfois de ne pas penser à me jouer des coups tordus ?

- Ah c'est gentil merci !

 

Je renifle tout, soulève les assiettes, essuie les couverts avec ma housse de couette, on ne sait jamais. A l'odeur et au goût, rien de suspect. C'est vrai qu'elles ont fait une promesse, mais bon.

Par contre, le jour où elles découvriront que je leur ai menti, j'aurais intérêt à numéroter mes abattis.



Je descends le plateau pour le repas du soir. Rémy semble calmé. Par contre dans la cuisine, Mammema me dit de laver ce que je viens d'apporter et que demain j'aurais à nettoyer la fenêtre. Penaud, je le lui promets.

Elle sourit amusé et de la main me caresse la joue.

- Oui toi, je sais que tu tiens tes promesses.

Hum ça veut dire quoi ça ? Est-ce la vérité ou un message caché ?

 

A table, je me glisse entre Gisou et Mammema. Cela amuse les pater.

- Tu me fuis mon garçon ?

- Non, Papapa mais je n'ai pas mon nom gravé sur le banc à côté de toi.

- Ou alors tu as peur que quelqu'un me fasse pipi sur la tête et tu as peur des dommages collatéraux dus à ton mensonge ?

Mon regard se porte sur les jumelles qui ont un sourire que je n’aime pas.

- Tu t'es régalé avec le contenu de ton plateau tout à l'heure.

Et les six chieuses d'éclater de rire... j'ai alors un frisson et comme un goût bizarre au fond de la gorge.






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1 juin 2010

Caths mercredi 19 septembre 1976 explications

Caths mercredi 19 septembre 1976 explications

 

 

A six heures je m’installe devant mon café crème et le vieux Joseph qui m’écoute lui raconter mon histoire et lui annoncer que j’arrête de bosser pour lui.

- Ici on détestait tous ces parvenus. Tu vois comme on dit : les chats ne font pas des chiens. Et puis ces mecs qui baisent avec leur cul il ne peuvent qu’être de la mauvaise graines car franchement c’est pas naturel, tu ne crois pas ? Enfin m’en fiche, tant qu’ils ne viennent pas me faire chier. En tout cas, moi Paris ne me vaut rien il m’a pris ma femme et te prend toi. Tu sais si tu veux donner un père à ta fille, je serais d’accord pour l’adopter. Et je ne suis pas un mauvais bougre. Enfin, je dis ça mais j’y crois pas, hein ? T’es trop mignonne pour moi.

 

 

 

- Vous ne me croirez pas si je vous dis qu’il m’a proposé de m’épouser.

- Beurk ! Encore un vieux cochon. Les hommes sont tous pareils.

Deux voix reprennent Typhanie.

- Tous, non. Il y en a des bien.

J’ai posé Roberta dans son cosy et j’entoure le cou de Dan et de Michka de mes bras.

- Toi t’es le meilleur des hommes, et toi la meilleure des femmes. Et je vous aime. Par contre il m’a payé plus pour me porter chance qu’il a dit. D’ailleurs en parlant d’argent, t’as fait quoi du fric de Thibaud ?

- Pour l’instant rien.

Michka sort la puce dans son siège auto et s’assied à côté d’elle.

- Je prends le premier quart.

- Tricheuse !

- Pourquoi tricheuse ?

- Sais pas ! Comme ça, parce que j’ai eu envie de le dire.

Dan ferme la porte de la maison et glisse la clef derrière la grosse pierre sous la fenêtre.

- Vous n’avez rien oublié ? Vous avez vidé le lave-linge ?

- Oui et j’ai même étendu le linge de Thib.

- Moi je l’aurais laissé pourrir dans la machine.

Dan et Michka se mettent à rire.

- Tach t’es foncièrement méchante.

- Et toi t’es trop gentille Typhounette.

Dan tourne la clef et lance le moteur, je me dépêche de monter dans le camion et de fermer la porte.

 

 

A Bastia nous inspectons le distributeur de billets. Il y a une caméra juste au-dessus mais je n’en vois pas à l’intérieur.

Nous décidons donc de garder l’argent.

La carte bleue bien nettoyée, frotté et même à moitié brûlée, enfin fondue, est jetée dans une poubelle juste à côté. Quant à l’argent, nous nous le répartissons et nous nous en servons pour acheter nos billets.

Mais il nous faudra attendre le vingt et un au soir pour embarquer. Nous décidons d’aller nous poser dans un petit camping en bord de mer.

3 novembre 2010

Robert lundi 28 Mars 1977 Pneumonie

Robert dimanche 28 Mars 1977 Pneumonie



J'ai mal dormi, et ce matin, j'ai super mal à la tête.

Il est sept heures.

Je décide de descendre.

La tête me tourne, j'ai les jambes en coton et je dois m'asseoir deux fois sur les marches avant d'arriver en bas.

Au rez-de-chaussée, il n'y a que les parents. Ils se taisent à mon arrivée. J'ai entendu les mots ski et poissons.

Je trouve que la pièce est aussi glaciale que ma chambre tout comme leur accueil.

 

Le pain a du mal à passer, il m'arrache la gorge et j'ai une quinte de toux en buvant mon café, ce qui me fait presque vomir tout ce que j'ai mangé auparavant.

 

J'en ai deux dans la seconde : la main de Gisou sur le front et celle de Mammema dans le cou.

- Appelle Jérôme, il est bouillant.

Richard est furieux, il jette sa serviette sur la table et saisit le téléphone.

- Il a intérêt à être sur pied vendredi ou il ira même avec quarante. Allô, puis-je parler au docteur Favre ? Jérôme ? J'ai notre énergumène qui est malade. A midi ? Oui, il ne sera sûrement pas encore mort, à moins que je ne l'ai occis avant, de mes propres mains. Il repose le combiné sur sa base et vient se mettre devant moi. Tu sais où on serait sans tes exploits d'hier ? Je secoue la tête. Ce faisant, j’ai l’impression que mon cerveau s’est transformé en une boule de billard qui va taper contre les parois de mon crâne, m’empêchant de garder ma tête droite et j’ai beaucoup de mal à lever les yeux pour le regarder.  A Aix, ou à Paris. En tout cas au chaud, enfin à Aix surtout. Avec un imbécile en pleine forme et non malade. Donc, es-tu fier de tes exploits d'hier ?

Je secoue la tête. Non, je regrette même.

Je me lève pour aller porter mon bol mais j'ai la tête qui tourne et je me rassieds. 

Le bol s'est posé sur la table tout seul car je n’ai pas souvenir de l'y avoir remis. 

J'ai envie de vomir, faut que j'arrive au moins à l'évier si ce n'est jusqu’aux toilettes. Tiens un seau ! Comment est-il arrivé là ?

Houla ! Si les objets deviennent autonome c’est que j’ai de gros soucis à ma faire.

 

Des mains sur les épaules me force à rester assis. 

Je pose la tête sur la table et ferme les yeux, le temps que tout arrête de bouger. Le temps que cette espèce d'entonnoir graphique arrête de grossir et rapetisser puis qu’il se remette à grossir pour ensuite rapetisser et ce, sans fin. Même les yeux ouverts, je le vois. Je dois m'allonger, ça urge. Par terre, ce sera très bien.



Comment suis-je arrivé dans ma chambre, je ne sais pas. J'ai froid. Je suis juste en slip. Je crois que j'ai loupé un épisode.

Des mains froides, glaciales même, contre ma poitrine m’empêchent de me redresser.

- Reste couché.

Mes draps aussi me semblent froids et mouillés.

- J'ai froid.

Je cherche d’une main ma couette et Gisou me la donne.

- Tu vas reprendre ta température.

Ma quoi ? Pourquoi ?

- Ah, parce que je l'ai déjà prise ?

Elle sourit.

- Non, je te l'ai prise.

Puisqu’elle le dit.

- Oh !

Je prends le thermomètre et le mets dans ma bouche.

- Non, correctement ?

Je la fixe sans comprendre. Quoi ? Qu’est-ce qu’elle raconte. Je souffle, elle me gonfle.

- Bon oui comme à l'hosto ?

Elle fronce les sourcils en me regardant.

- Avant l'hôpital, tu n'as jamais pris ta température ?

- Non, je n'ai pas souvenir d'avoir été malade. Je ne sais même pas si on avait un thermomètre.

Elle a  d’un coup, l'air tellement blasée que je lui souris amusé.

- Alors tu nous a réservé cette exclusivité ? Merveilleux.

Quand je remets le thermomètre dans ma bouche, je la vois ouvrir la sienne, sourire et ne rien dire. Qu'ai-je encore fait ?

La porte s'ouvre sur le docteur.

- Bonjour garçon, Gisou tu nous laisses ?

Je ne crois pas qu'elle apprécie d'être virée mais elle sort.

Il me prend le thermomètre, le regarde, le secoue et me le redonne. Je vais le remettre dans la bouche.

- Non, correctement.

Lui aussi ? Sont fatigants à la fin.

- Bin oui, comment ça, comme à l'hosto.

- Non rectale.

Je… J’ai mal compris le second mot ? Enfin plutôt j’aimerais avoir mal compris.

- Hein ?

Il a l’air étonné.

- Tu ne l'as jamais fait ?

- Non. Je lui fais une grimace explicite et suppliante. C'est obligatoire ?

- Oui.

La sensation est atroce mais je ne le montre pas.

- 39°9. Si Gisou dit vrai, elle a baissé. Essaie de ne pas trop te couvrir pour qu'elle ne remonte pas trop. Fait voir ta gorge. Après auscultation, prise de tension and co. Il se lève et m’empêche de me redresser. Reste couché, je vais te marquer un antibiotique, des antalgiques et dans trois à quatre jours, tu seras sur pied. Ce n'est qu'une grosse angine rouge. Tu en as souvent ?

Réfléchissons… Je secoue la tête. Je ne m’en souviens pas.

- Non, je n'ai aucun souvenir d'avoir été un jour malade étant petit, bon aussi, j'avais pas intérêt à me plaindre, peut-être pour ça.

A la tête qu’il fait, je le verrai bien me dire : “bravo ! Champion !” Mais non rien de tout ça.

- Par contre, tu reprends ta température aujourd'hui, demain et après-demain, et, espères qu'elle ne remonte pas, car là ce sera une autre histoire. Au revoir bonhomme, je reviendrai demain, tes parents nous ont de toute façon invités à manger à midi.

- Au revoir docteur.

 

Bon bin, Gisou, elle ne passe plus la porte de ma chambre !

 

- Richard est allé t'acheter tes médicaments, tu vas…

Je me suis assis d’un bond dans mon lit et lui montre la porte.

- Dehors ! Je ne vous veux plus dans ma chambre ou je hurle et je porte plainte pour viol. Dehors, je ne veux plus vous voir !

Elle sourit et essaie de me toucher, je me recule contre le mur. Non plus jamais !

- D'abord, tu te calmes.

Pas comme ça que tu vas réussir à me calmer.

- Non dehors ! Dehors ! Je hausse le ton de plus en plus. Dehors ! Mais une grosse quinte de toux me plie en deux sur le lit. Je me débats, l'empêche de me toucher pour me taper dans le dos. De... hors !

Je ne peux plus crier sans me mettre à tousser.

Mammema la prend par les bras et l’emmène hors de ma chambre

- Bon, je crois qu'il vaut mieux que tu sortes. Donne-moi ça. On t'avait prévenu qu'il le saurait.

- Mais c'est moi qui lui ai dit, j'ai été honnête. Je suis une infirmière tout de même.

Papapa leur prend le plateau des mains. 

J’arrive à hurler avant de me plier en deux en crachant ce qui me reste de poumons.

- Dehors toutes les deux ! Je ne prendrai aucun médoc, je préfère crever. Dehors !

Les deux mutter me regardent et sortent.

J'ai honnêtement, réellement envie de crever.

Papapa a mis le plateau sur le bureau. Pose la chaise à côté du lit puis va chercher le plateau et l'y pose, lui s’assied sur le lit. Je me recule. Je les déteste tous !

- Bon, tiens, avale moi ça.

- Non ! Je lui tourne le dos. Laissez-moi crever !

Je l'entends soupirer puis plus rien mais je sais qu'il est toujours là, assis sur le bord du lit, je sens la chaleur de sa main sur ma cuisse à travers la couette.



Il n’est plus là ?

J'ai froid malgré la couette, faudra un jour qu'ils se décident à foutre le feu à ma chambre pour me réchauffer. 

Je me tourne vers la porte.

Qu'est-ce qu'ils foutent tous dans ma chambre ? Il ne manque que les filles, tiens !

- Dehors ! Je crois qu'ils ne m'ont pas entendu. Dehors ! 

Je n’ai plus de voix et elle est bizarre. Tiens ! Par contre, j’ai encore des poumons à cracher.

- Ah ! tu es réveillé, alors tu vas me faire le plaisir d’avaler ça ! Richard d'une main dans mon cou, me tient  de force assis. J'essaie de me débattre, mais j’y arrive à peine. Il me met le verre entre les lèvres et me verse le contenu dans la bouche. Le liquide est infecte, je sens qu'une partie coule sur mon torse puis mon ventre. Il me laisse retomber en arrière, prends la serviette que lui tend Papapa, m'essuie puis me recouvre avec la couette que j’ai virée en me débattant. J'ai encore cette espèce de vis, triangulaire maintenant, qui monte et descend sous mes yeux. Vomir !

- Désolé…

Richard se met debout en jurant.

Papapa l’écarte.

- Richard vas te changer. Je l’essuie puis Rémy, tu le prends dans tes bras pendant que je change ses draps.




Au-dessus de moi, le visage de Rémy me sourit, je crois que je suis dans ses bras. Pourquoi ?

J’entends la porte s'ouvrir.

- Ah Jérôme. Oui, trois convulsions à la suite et a vomi. On l'amène à l'hosto ?

Je suis encore dans les bras de Rémy, ça devient une habitude. 

Derrière le doc debout qui leur parle, je vois Sylvie et Gisou refaire mon lit.

- Je vais lui donner du valium, il a pris ce que je lui ai prescrit ?

C’est Papapa, que je ne vois pas qui lui répond.

- Non, pas vraiment, il refuse.

Encore une fois, je me débats mollement pour que Rémy me repose au sol. Ça fait quoi si je lui vomis aussi dessus ? Mais d’abord, je veux qu’il me pose. 

- Rémy, vous pouvez arrêter ce truc.

- Quel truc gamin ?

- La vis triangle qui monte et qui descend… 

Je me laisse emporter par elle…









5 novembre 2010

Robert mercredi 30 Mars 1977 convalescence

Robert jeudi 31 Mars 1977convalescence

 

Se réveiller trempé et gelé en réalisant qu’à seize ans, je me suis pissé dessus en dormant. Alors que petit, cela ne m'est jamais arrivé. Pas cool, pas cool du tout.

En plus, je ne tiens pas debout, du moins très mal, car tout tourne.

Je vire mon slip, même nu, je pue la pisse. Mais comment vais-je faire pour descendre me laver ?

Presque à quatre pattes, je vais jusqu'à l'armoire.

Je finis par enfiler un pantalon de jogging, assis par terre.

Je tente de virer la housse de couette trempée et renonce car la couette est trempée aussi. Je la pousse dans un coin de la chambre avec les pieds. Enlever le drap housse et voir que le matelas est lui aussi mouillé. Alors, assis roulé en boule contre le lit, au bout de ma vie, je me mets à pleurer de honte. 





Elle s'agenouille  devant moi. 

D’abord j’ai envie de hurler, de lui dire de sortir mais le sentiment d’être un moins que rien, sale et incapable de contrôler mon propre corps, me submerge.                  Elle commence par m’interroger puis se tait, comprenant vite la situation dans laquelle je suis. Elle veut me faire relever le visage, tout en passant sa paume chaude et douce sur mes joues humides mais je l' empêche mettant ma tête entre mes bras.

- Non, non, là, pourquoi t'es pas dans ton lit ? Oh ! mais ce n'est pas grave, c'est sûrement à cause du valium. On va mettre ce matelas à sécher dans une autre chambre et le remplacer par un autre. Vu le nombre de lits dans cette maison, ce n'est vraiment pas bien grave.

Au fond de moi, j'ai envie de hurler contre Gisou, de l'envoyer paître mais elle sent bon contrairement à moi. Elle referme ses bras autour de moi et je me laisse aller, acceptant la tendresse dont elle m’entoure.



Assis sur ma chaise devant mon bureau, j'avale mes cachetons, que me donne Papapa qui prend son rôle d’infirmier très au sérieux. Par contre, j'évite de trop regarder Rémy lorsqu’il pose un autre matelas sur le lit après avoir branché un petit chauffage électrique d’appoint presque devant ma fenêtre. J’attends des propos moqueurs de sa part mais il repart sans mot m’ayant juste adressé un sourire. 

Par contre, pas de Richard.

Ni de filles, même pas Coco dont j’ai pourtant plusieurs fois entendu la douce voix de stentor.



À midi, c'est le docteur Favre qui pointe son nez.

- Ah bin tu es même levé, ça fait plaisir. Tu as pris ta température ?

- Non, pas encore, juste mes médocs.

- Ouvre la bouche, ça suffira. Et il me colle le thermomètre dans la bouche et se met à rire en voyant ma mine dégoûtée. Il est propre, doublement nettoyé à l'alcool et javellisé par les soins de ta mère !

 

Retour dans mon lit mais comme je n'ai plus sommeil, je n'arrive plus à dormir, et lire me donne mal à la tête.

J'en ai marre !

 

Mais le soir, le doc me fait descendre avec lui pour manger avec les autres mais je n’ai pas faim et repousse mes assiettes au bout de deux bouchées au grand désespoir de Mammema.

 

A cette occasion, il me présente Michel, son fils qui s’est assis entre Isabelle et Véro. Je m’abstiens de lui dire que je le connais déjà.

6 novembre 2010

Robert jeudi 31 Mars 1977 Bescherelle et élastiques

Robert jeudi 31 Mars 1977 Bescherelle et élastiques

 

Marre de rester au lit.

Marre de savoir que les filles, même Coco, sont allées skier tous les jours, !

Donc là, j'enfile un pull et un pantalon puis en bas !

Et voilà, il ne reste encore plus que Papapa et Mammema dans la maison.

- Sont où les autres ?

- Sur les pistes. Pourquoi ? Tu aurais voulu qu'ils restent enfermés pour te soutenir moralement.

- Suis plus malade, j'aurais pu aller avec eux.

- Hum, de toute façon, je crois que Richard se passe volontiers de ta présence, je ne sais pas ce que tu lui as fait mais, bon. Et il a prévu de l'occupation pour toi si tu descendais.

- Je remonte, je suis encore fatigué.

Pour accentuer mes dires, je tousse.

- Oh non, mon gars. En attendant que nous passions à table, prends ces feuilles, ce stylo et dictée.

- Une dictée ?

- Oui, il m'a dit de te dicter un passage du vieil homme et la mer. Alors hop, hop, au boulot.

- Non, je ne peux pas, j'ai encore mal à la tête.

Il s'est assis sur le banc en face de moi, il est évident qu'il ne me croit pas.

- Je commence. " Il partit, pieds nus sur les rebords de corail, jusqu'à la glacière où on gardait les appâts." Alors garçon, je vais faire comme avec les grandes Je lis la phrase deux voir trois fois puis je passe à la seconde, compris.

J'opine de la tête. Pourquoi pas plutôt trois pages d'exos de physique ou de maths ? Je déteste les dictées, cela fait cinq ans que je n'en ai plus fait, font ch... Qu'est-ce qu'il a dit ? Putain fait ch... il va trop vite. Je dois mémoriser et écrire en même temps. C'est quel prof qui m'a vendu en disant que j'étais nul en grammaire ? Putain, j'en suis où ?

- Heu, tu peux répéter ?

- Et si tu faisais attention ?

Il m'a donné six feuilles, elle va faire quelle longueur cette merde ? Et putain, j'ai pas sauté de ligne, c'est grave ? Bon bin, je vais commencer à partir de maintenant. Il a dit quoi ? J'suis perdu !

- Après hirondelles de mer il y a quoi ?

- Je l'ai dit trois fois et j'en suis déjà beaucoup plus loin.

- Tu dictes trop vite.

Mammema se penche au-dessus de mon épaule.

- Tu n'as pas oublié la ponctuation ?

- Je la mettrai après.

- Ah non, tu ne reliras pas.

- Hé non, c'est pas normal ça.

- Quand j'ai passé mon brevet, on n'avait pas le temps de relire. Pourquoi tu t'es mis à sauter une ligne ?

- Bin pour pouvoir corriger.

Il récupère les feuilles.

- Tu ne corrigeras rien, Richard veut juste voir combien de fautes, tu fais sous la dictée. Et bien, mon garçon, tu sais que tout le texte est au présent ou à l'imparfait, les temps les plus simples.

- Et ?

- Tu devrais reprendre ton Bescherelle.

- C'est quoi encore ce truc ?

Je le vois soupirer, se lever, fouiller dans les livres de cours alignés dans l'armoire puis jeter devant moi un petit livre orange.

- Bonne lecture !

 

 

 

 

 

- Ah c'est bien, tu te rends utile.

- Lui, utile ? S'il nettoie les vitres de la cheminée c'est parce qu'il les a salies.

- Cela a un quelconque rapport avec l'odeur de caoutchouc brûlé ?

- Et bien, imagine-toi que j'ai abandonné une heure cet animal seul ici avec pour consigne de potasser le Bescherelle et monsieur a joué avec notre balle d'élastiques. Résultat, monsieur nettoie les bouts d'élastiques fondus sur les vitres de la cheminée.

Richard s'est arrêté à l'entrée de la pièce en fixant Papapa en train de parler, puis vient comme les autres, poser ses moonboots et ses chaussures de ski devant la cheminée. Préventivement, je préfère m'écarter mais je n'ai même pas droit à un regard.

 

 

- Et bien, au moins, on est sûr que tu vas bien.

Je me lève, prends à Gisou ses paires de chaussures de ski - Demain, je pourrai venir avec vous ?

- Cela m'étonnerait que tu entres encore dans tes tenues de l'année dernière. Nous verrons comment tu seras demain.

- Je pourrais mettre une des salopettes de ski de Richard et un de tes blousons ou de Sylvie.

- Hou là, demander quelque chose à mon homme en ta faveur en ce moment, je ne m'y risquerais pas. Nous verrons.

 

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2 septembre 2010

Robert jeudi 9 Décembre 1976 portefeuille

Robert jeudi 9 Décembre 1976 portefeuille

 

A la piscine, pour se déshabiller il y a trois vestiaires, un petit réservé à la gente féminine qui nous attire beaucoup et deux grands immenses avec ces classiques bancs surmontés de crochets où nous suspendons nos vêtements.

Chaque garçon essaie d'en utiliser au moins deux, si ce n'est trois crochets pour avoir lors du rhabillage, un maximum de place pour poser ses fesses.

Cette fois-là, avec Claude, nous sortons de l'eau au dernier moment.

À notre arrivée dans le vestiaire, j'ai la mauvaise surprise de trouver tous mes vêtements au sol. Je ne peux m'en prendre à personne car tous les gars sont déjà partis et mon banc est vide.

 

- Non ! Qu'est-ce que mes fringues font par terre ?

- Tu as dû les oublier sur le banc.

- Moi ? Claude, tu me connais, franchement ?

- Oui, pas faux, mais là, tu n'as pas le choix, et dépêche-toi, on va arriver en retard au mess.

- Beurk, ils sont trempés, regarde j'ai une marque de godasse sur ma chemise.

- Hé, tu ne vas pas pleurer ?

- Ça va pas, non ? Bon j'suis prêt, on y va ! Non Claude, attends !

- Quoi encore ?

- Mon portefeuille, je ne l'ai plus.

Nous voilà tous les deux à quatre pattes, mais non, il a disparu. Je me laisse tomber sur un des bancs, les larmes aux yeux, je suis à bout.

- Tu sais quoi ? C'est celui qui te l'a piqué qui a jeté tes fringues par terre, j'en suis sûr. Mais en attendant, bouge !

Il me tire et tous les deux courons jusqu'au mess où nous arrivons au moment où Lorient ferme les portes.

- D'où vous sortez vous deux ?

Je le lui explique.

- Bon, j'en parlerai à Gâches, en attendant planquez votre serviette sous votre blouson et à table. 




Nous sommes accueillis à notre table par nos collègues qui se demandaient où nous étions.

- Hé, vous étiez où ?

J’explique.

- A la piscine, quelqu'un m'a piqué mon portefeuille et on le cherchait.

Bex se veut rassurant.

- T'es sûr que tu ne l'avais pas oublié dans ta piaule ?

- Non, je suis sûr que je l'avais sur moi, je ne le laisse jamais dans la chambre. J'ai trop peur de me le faire voler.

- Bin, là, t'aurais p't-être du !

Je fusille Garrot du regard. Toujours le mot pour rire celui-là !

Je n'ai tout de même qu'une envie, aller rapidement dans ma chambre et la retourner dans l'espoir de le trouver, et je suis le premier sorti lorsque Gâche nous donne l'autorisation d'y aller, laissant à Claude le soin de débarrasser mes affaires.

Hélas ! Je refais à fond toute la chambre, même le bureau et l'armoire de Marion. Je défais et refais nos deux lits, soulève même les matelas au cas où on m'aurait fait une mauvaise blague.

Mais rien, mon portefeuille est introuvable. De guerre lasse, je me mets devant un de mes livres d'astrophysique, laissant Marion lire à plat ventre sur mon lit, un de ses magazines sur les chevaux, son père possède un haras immense en Camargue ; lorsque le Capitaine fait irruption dans notre chambre et me jette sous le nez, sur mon bureau mon portefeuille.

- C'est le fils de monsieur Cohen qui l'a trouvé au pied du mur à l'extérieur de l'école. Décidément tu les accumules. Demain, je préviens le Colon que tu as fait le mur.

- Mais c'est faux mon capitaine.

Le capitaine Gâche a un sourire mauvais.

- Vous vous expliquerez devant le conseil de discipline.

Complètement halluciné, je le regarde sortir.

Garrot qui s’était mis debout à son entrée, s’énerve.

- Quel enflure ce mec, je suis sûr que c'est lui qui te l'a piqué et l'a balancé de l'autre côté du mur. Regarde ce qui manque dedans.Et puis, tu auras au moins vingt gars pour témoigner que tu étais à la piscine toute la soirée et même moi.

La tête vide, je fais l'inventaire de mes biens. Il manque deux choses: le fric, pas grand chose, deux billets de dix francs et la photo de Caths. Et là, je pose mon front sur mes mains à plat sur le bureau et me mets à pleurer. J'ai l'impression que le monde s'écroule autour de moi. Non seulement, je ne la reverrai plus mais on m'a enlevé la seule chose qui me restait d'elle.

Je sens la main de Marion se poser une seconde sur mon dos.

Bientôt la chambre est pleine de tous nos voisins. Ils ont tous de bonnes idées mais je ne les écoute pas. Comme un automate, je range mon bureau, à quoi cela sert que je continue à bosser, à la fin de la semaine je serai obligé de partir. Adieu tous mes rêves. Lorient gueule l'extinction des feux, chacun rejoint son lit.

- Bob, t'en fais pas, ils ne peuvent pas te mettre dehors comme ça.

Je ne réponds rien à Marion.

Je n'ai même plus envie de pleurer. Allongé sur mes couvertures en pantalon de pyjama, je fixe le plafond.

À côté de moi, sur son lit, je l'entends ronfler légèrement, il doit dormir.

Je me lève sans bruit puis pieds nus, je descends dans la cour.

Le ciel est d'un noir impénétrable juste déchiré de temps à autre par des éclairs.

Torse nu, je suis trempé et grelottant. Je m'assois contre la hampe porte-drapeau.

Je ferme les yeux et prie de toutes mes forces pour que la foudre tombe et me foudroie.

Je ne sais pas combien de temps, je reste ainsi assis.

Il pose sa main sur mon épaule et me fait sursauter.

- Allez viens, arrête de faire le con, ça ne sert à rien si ce n'est à aggraver ton cas. Je te jure que je trouverai le salaud qui te l'a pris et je lui ferai sa fête. Marion en pyjama, à genoux devant moi, crache au sol. Demain, tu iras voir le colon, il t'arrangera ça. Je secoue la tête. Bon et bien, on sera deux à être malades alors. On m'a dit que l'infirmière était plutôt sympa.

- Ouais mais elle a bien cinquante piges.

- Bah, c'est dans les vieux pots que l'on fait la bonne soupe, non ?

Il s'est assis à côté de moi, dos contre le mât, son épaule contre la mienne, sa main droite sur ma main gauche. Nous éclatons de rire tous les deux.

Dans le ciel, au-dessus de nos têtes, tonnerre et éclair pètent simultanément, comme un seul homme, nous nous jetons en avant à plat ventre le plus loin possible. Me tirant par la main, il me traîne derrière lui jusqu'à notre chambre.

1 janvier 2011

Robert jeudi 14 Juillet 1977 le chien bleu

Robert jeudi 14 Juillet 1977 le chien bleu



- Tu nous gardes Marine ?

Je lève le nez de mon bouquin pour fixer Gisou debout devant moi. Elle n’a plus son éternel tablier. A ses pieds, ses jolies ballerines dorées assorties à sa fine ceinture et son petit sac..

Rémy descend, portant justement l’intéressée qui cherche à mordre le nez de son père. Sa tenue comme celle de Richard et Papapa me font comprendre qu’il serait temps que je reprenne pied dans la réalité.

- Mais je viens avec vous.

- Certainement pas dans cette tenue.

J’adresse à Gisou un sourire moqueur.

- Pourquoi t’aimes pas mon pantalon ?

Sans m’en apercevoir, tout en lisant, j’ai agrandi la déchirure sur mon genoux gauche. Faut dire que la croûte qui le couronne me grattait et je l’ai aidée à disparaître avec mon ongle. Et tout en surveillant la mutti, je me penche sur mon genoux pour en sucer le sang qui a commencé à teindre le kaki du tissu en une tâche noire.

Elle soupire et faisant un demi-tour dans les règles de l’art, Richard est un bon professeur. Elle se dirige vers le placard où se range la pharmacie.

 

Devant moi, un grand père, habillé presque comme ses fils mais lui, porte un pantalon long… ah oui parce qu’il doit cacher les cicatrices sur ses genoux… et moi ? Là j’ai un genou couronné et je n’ai pas le droit de le cacher. Ah oui c’est vrai j’suis qu’un gosse !

- Ça suffit, debout et monte t’habiller. Ton attitude commence à bien faire.

- Je suis vraiment obligé de venir et de…

Derrière Papapa, les filles me font des grimaces. Quoi ?  Elles essaient de me dire quelque chose mais quand comprendront-elles que je ne sais pas lire sur les lèvres ? Déjà qu’avec des mots clairement dits, j’ai parfois du mal à percuter, alors là ! A mon tour de leur répondre de la même manière.

Papapa se tourne vers elles et bien sûr, elles jouent les innocentes.

Isabelle lève les yeux au ciel puis vient m’enlever des griffes de son grand-père en me poussant dans les escaliers.

Elle me chuchote à l’oreille.

- Faut que je vois Michel, seul à seul. Et tu es le seul à avoir la capacité d’attirer l’attention de tous les parents, alors pitié vas vite t’habiller. Puis plus fort. Arrêtes tes caprices et conduis-toi comme un homme et non comme un bébé capricieux, sinon c’est moi qui t’habille.

Je me mets à rire.

- Chiche.

- OK !

 

Mais Isabelle s’arrête au premier.

Dans ma chambre, sur la chaise, on a posé mon bermuda beige, ma chemisette blanche et le pull col V bleu marine. Le «On» je sais qu’il s’appelle Gisou.

Je soupire mais m’habille tout de même.

Elle a même prévu une ceinture en cuir marron.

La panoplie complète du petit garçon sage.

Pffff ! J’estime être un petit garçon sage quelque soit ma tenue.

 

Le petit garçon sage, les mains profondément enfoncées dans ses poches, la chemise pas rentrée, est accueilli par le sourire de tous les adultes et des filles qui ont du mal à ne pas rire devant la tête que je tire.

Sylvie semble quant à elle inquiète.

- Je me demande petite sœur si c’est vraiment une bonne idée de le forcer à venir vu le sourire qu’il affiche.

 

Et je me retrouve traîné jusqu’au sas par une poigne de fer qui me tient par le cou.

- Efface-moi ce sourire car je te préviens que tu as épuisé toute ma réserve de patience. Alors à la moindre incartade, tu auras affaire à moi, compris ?

- Oui mon colonel !

 

Mais je suis déjà loin et c’est assis sur la table en rondins que j’enfile mes baskets.

J’entends Mammema s’adresser à Gisou en soupirant.

- Tu aurais pu lui acheter d’autres chaussures.

- Mamy... je vous laisse le plaisir d’aller faire des courses avec lui pour lui acheter des vêtements.

Bien qu’elles soient presque à trois mètres derrière moi et que je sois entouré par huit pipelettes, je les ai bien entendues et me retourne vers les mutter.

- J’ai aussi des rangers.

Ma réplique me vaut six regards noirs. 

Décidément dans cette famille, les adultes n’ont pas d’humour.

 

Au village comme chaque année il y a une fête foraine arrivée deux jours plus tôt et qui ne repartira que le seize Août. Je réalise alors que j’ai oublié mon portefeuille et donc mes sous dans la poche du pantalon de combat.

- Et merde !

Les filles se taisent et se tournent d’un bloc vers moi.

- Qu’est-ce qui t’arrive ?

- J’ai oublié mon fric au chalet.

- Aïe, c’est pas malin ça.

 

Mais Fanfan nous fait oublier mon portefeuille.

- Isabelle, il y a Michel là-bas au stand de tir à la carabine.

Elle nous le montre du doigt. Une des jumelles et moi, lui faisons baisser le bras en lui faisant les gros yeux.

Mais derrière nous, Gisou appelle Isabelle.

- Isabelle, viens ici ma chérie.

Sylvie lui cède les poignées de la poussette lorsqu’elle arrive à leur hauteur.

- Tiens , ma grande, apprend à conduire une poussette.

Nous avons tous ralenti et avec les autres ainées nous nous regardons inquiets.

- Vous croyez qu’elles savent ?

- Maï on est pas dans le secret des dieux.

Nous fixons les trois petites. Si les deux plus jeunes continuent à se disputer au sujet d’un éventuel parfum de glace. Yvy, elle, nous interroge du regard. Je l’attrape par un poignet et me mets à courir pour m’éloigner vers le centre de la foire. Les autres nous suivent aussitôt. Tournant autour d’un manège pour les petits avec des chevaux qui montent et descendent, nous nous regroupons derrière.

- Yvy qu’as-tu raconté aux parents ?

Mettant ses poings sur ses hanches, elles me fait face.

- Et j’aurais dû leur dire quoi ?

- Pour Isabelle et Michel.

- Oh ça ! Maman le sait depuis plus d’un an.

- Et pour les conséquences ? Là, elle nous regarde nous faisant comprendre que justement elle ne comprend pas ce que l’on veut dire. Bin pour le bébé !

- Quel bé… non c’est vrai ? Oh putain, la vache, mais tu as fait comment ?

Là, j’ai un envie de fou rire que partagent les quatre autres grandes.

- Mais pas moi, Isabelle avec Michel espèce d’idiote !

Là, l'expression d’Yvy passe de la surprise pour finir par celui d’un profond dégoût. Sa tête est trop drôle, je n’arrive plus à me retenir.

Les autres aussi. J’aperçois les parents qui arrivent. Rapidement je soulève Coco pour l’asseoir sur un des chevaux et Fanfan sur celui d’à côté.

- Maï va leur acheter des tickets. Elle vient avec moi au guichet. Je te rembourserai plus tard. Bonjour madame, deux tickets s’il vous plaît. Merci ! Attendez-moi, je leur donne leur ticket.

Je traverse le manège qui commence à tourner pour arriver aux petites. La femme du guichet m’ordonne de descendre. Je saute en marche aux pieds des parents mais rejoint rapidement les autres et nous nous éloignons vers un autre manège qui ressemble à une pieuvre. D’ailleurs il y a un dessin de pieuvre bleue dessus. Je me trouve doué, héhé.

- Tu crois que les petites ont compris elles aussi ?

- J’en sais rien Véro.

Une des jumelles me montre Michel qui nous a vus et s’approche.

Maï me pousse vers lui.

- Vas le prévenir. Nous, on s’occupe des parents.

Je ne vois pas pourquoi ?

- Pourquoi moi ?

- Parce que t’es un mec comme lui.

Ah bin merci pour la corvée.

Et on fait ça comment, d’annoncer à un type qu’il va bientôt être papa et en même temps qu’il n’en a plus pour longtemps à vivre.

 

Je lui fonce dessus, lui arrache l’espèce de gros chien bleu qu’il a dans les bras.

- Oh c’est gentil, fallait vraiment pas. Mais d’abord viens avec moi. Surpris, il me regarde m’éloigner sans bouger. Je fais demi-tour et lui prenant le poinet, je l’entraîne derrière moi en courant. Viens, putain, bouges ou t’es mort !

Je ne m’arrête qu’une fois arrivés derrière la petite mairie.

Là, il s'énerve.

- Bon maintenant tu m’expliques ?

- Est-ce que tu as déjà fait ton testament ?

Vu sa tête, vraisemblablement non. D’ailleurs faudrait que je pense à faire le mien.

- Non ! Mais pourquoi aurais-je dû avoir fait mon testament ?

Je lève les yeux au ciel exaspéré. 

- Parce que Richard va te tuer en apprenant que t’as foutu Isabelle en cloque.

Et là… Sa réaction me sidère. Il se met à rire.

- Tu crois que c’est pourquoi que je vais offrir cette grosse chèvre Oh ! Je croyais que c’était un chien ! Ah oui, ce truc a des cornes. à Isabelle ? Parce qu’elle a dans le ventre un futur petit capricorne qui devrait naître mi-janvier. Je lui rends sa peluche encombrante. Et pour Richard... j’ai ça.

Il me montre une petite boîte noire qu’il ouvre pour me montrer qu’elle contient une bague. Je regarde le mec puis la bague plusieurs fois. 

- Heu, je ne crois pas qu’il soit très bijoux.

Cette fois, il ouvre de grands yeux, s’arrête de rire pour repartir de plus belle.

- Quand ta sœur dit que t’es spécial, elle n’a pas trop tort. Allez viens, rejoignons les.

 

- Je vous ramène quelqu’un qui s’était égaré. Monsieur Granier me permettez-vous d’offrir ceci à votre fille Isabelle ? Cette dernière n’a pas attendu pour délaisser la poussette, s’approcher de lui et saisir la grosse peluche bleue. Et là, nous voyons le mec s’agenouiller devant elle et lui montrer la petite boîte ouverte. Isabelle accepterais-tu de m’épouser ?

 

Autour de nous des inconnus se sont arrêtés et observent la scène.

Isabelle joue l’étonnée, elle se cache d’abord derrière la peluche puis la donne à son père surpris et prenant la bague…

- Oui.

On applaudit tous, même ceux qui ne nous connaissent ni d’Eve ni d’Adam. Franchement je ne vois pas pourquoi faut applaudir un gars qui se met la corde au cou ?

Isabelle montre sa bague à sa mère et deux autres femmes. Les filles les entourent, voulant elles aussi la voir.

 

Papapa me passe un bras autour du cou, amusé.

- Alors tu savais et tu ne nous as rien dit.

Je me dégage de son bras.

- Bin non Papapa je ne savais pas pour la demande en mariage. Je savais juste qu’Isabelle était enceinte, c’est tout.

Qu’est-ce que je n’ai pas dit … Faudra un jour que j’apprenne à me taire.



















29 janvier 2011

Robert vendredi 23 décembre 1977 vacances Noël 1

Robert vendredi 23 décembre 1977 vacances Noël 1

 

Suis à la bourre.

Je ferme la porte du dortoir. Ils doivent déjà m'attendre. J'ai oublié quelque chose, je ne sais pas quoi. Bordel, j'ai quoi là ?

Je cours dans les couloirs même si c'est interdit, comme à l'école : pas vu, pas pris. Bon c'est aussi une école même si je n'arrive pas à voir ce lieu comme ça.

 

- Viens devant. Richard m'ouvre la porte passager. Ça va garçon ?

- Oui, fatigué.

- M'étonne. Tu n'as que ce sac ?

- Oui pourquoi ?

- Oh non, pour rien.

 

Au premier arrêt sur l'autoroute pendant que Gisou distribue les sandwichs, je m'autorise un strip-tease pour échanger ma tenue bleue contre un survêt et des baskets.

- Regarde-moi un peu, tu as grandi ?

- Oui hélas.

- Pourquoi hélas ?

- J'ai du aller me chercher une autre veste au grand désespoir du garde-mites.

- Et ?

- Et quoi ?

- Et bien ta taille ?

- Oh ! un mètre soixante dix-huit pour toujours soixante cinq kilos.

- Pfff un chat maigre.

- Purée un chat comme ça, moi je le laisse à la rue.

- Heureusement que tes parents ne sont pas toi ma chère.

- Rhô ma chère, ton langage a évolué mon garçon. En attendant mange. Richard, bientôt il vous dépassera, toi et Rémy.

- Même pas en rêve.

- Rappelle-nous, ton père mesurait combien ?

Je soupire en regardant Gisou. Puis après avoir balancé mon sac à ma place, à petites foulées, je me dirige vers le bâtiment pour y rejoindre les sanitaires.

Merci Gisou, il y avait longtemps que je n'avais pas pensé à ce con.

 

Quand je reviens Richard a déjà sorti la voiture de sa place et Gisou s'est assise à l'avant.

- Yvy sort.

La gamine surprise, se détache et sort, je prends sa place sur la dernière banquette, puis elle s'installe à ma place habituelle.

Devant, les parents se regardent puis Richard démarre.

Je pose ma tête sur la siège avant en faisant semblant de fouiller dans mon sac.

Véro s'est positionnée comme moi.

- Je t'ai manqué ?

- Non.

Je me mets à rire.

- Pas grave, il y a une super nana là-bas.

- Salaud.

- Vous complotez quoi tous les deux ?

- La destruction du Monde en commençant par le chalet.

- Commencez par ne pas vous disputer.

Véro et moi, nous nous sommes redressés, elle fait mine de me pincer, je pare et fais claquer mes deux mains devant son visage, le bruit résonne et provoque chez elle deux réactions : elle éclate de rire et me bourre de coups de poings auxquels je réponds en essayant de la tenir, nous rions tellement tous les deux que l'on s'écroule enchevêtrés l'un sur l'autre sur la banquette.

- Ouais, tu m'as manqué. T'en chies pas trop là-bas ?

- Pas pire qu'à l'école sauf que là, on me fait bien sentir que je n'y ai pas ma place. Heureusement que je me suis fait deux bons copains. Et toi, elles t'emmerdent toujours autant ?

- J'en ai pris mon parti et maintenant vu qu'elles te connaissent, je ne suis plus la carotte qui ne sortira jamais de terre. Et je me suis mise au boulot, je veux avoir une mention au BAC et après je ne sais pas. Isabelle me manque et j'ai hâte qu'elle ai son bébé. Comme il y a son lit de libre, tu pourras maintenant dormir dans la chambre avec Yvy et moi.

- Ouais pourquoi pas mais j'aime bien le bureau de Richard.

- Tu m'as porté quoi comme cadeau.

- Oh putain de merde, c'est ça que j'ai oublié.

Je l'ai presque crié tellement cet oubli m'horrifie.

- Qu'est-ce qui t'arrive garçon ?

- J'ai oublié le sac avec les cadeaux mais j'étais tellement à la bourre et la tête tellement farcie de leur connerie de popotier. Oh, mais quel con je suis.

- Robert pas de ce langage avec nous.

- Oui désolé.

Richard rigole.

- Je m'en suis douté vu que tu n'avais qu'un sac. D'où ma réflexion.

- Et tu ne pouvais pas me le dire franchement ?

- Et non, you'r not a red father.

- Oh ! pffff ! Purée je ne mentirai pas à mes gosses.

- Tiens tu veux des enfants maintenant ?

- Non ! toujours pas, c'était façon de parler. En tout cas là je fais quoi ? Tu me lâches à Lyon, je vais les chercher et je remonte en train.

- Ça ne va pas ? Tu les distribueras lors d'un autre séjour au chalet.

- Je vous les passerai et vous les distribuerai vous, car en février et Pâques je n'aurai pas de congés et cet été j'en sais rien puisqu'on sera les secondes années et on accueillera les nouveaux poussins et ceux qui ne le feront pas iront défiler. Je croise les doigts pour y échapper.

- Échapper à quoi ?

- Au défilé à Paris pardi !

- Ce seraient pourtant Papy et Mamy qui seraient fiers.

- Ouais, bin, je m'en passerais volontiers.

 

 

 

 

 

 

 

 

- Oui Mammema j'ai grandi, j'ai pris huit centimètres en six mois et oui j'ai oublié mon sac avec les cadeaux, maintenant que vous savez tout, vous pouvez changer de disque ?

- Hou la, pas de bonne humeur le gamin.

- Pourtant dans la voiture, après s'être battu avec Véronique, s'être réconcilié et avoir comploté avec elle pour l’anéantissement de cette famille, ils ont bien dormi tous les deux.

- Oh ce doit être ça, dormir c'est fatiguant mon fils.

 

Le chalet sent trop bon, il sent le pain d'épice et le chocolat. La fenêtre du fond de la cuisine est décorée d'un Père Noël sur une vitre qui se penche vers la mère Noël qui a une casserole à la main et lui tend sa cuillère en bois.

- Wahoo trop beau, qui l'a dessiné ?

- Moi.

- Félicitation Mathilde c'est super beau.

- Moi c’est Marthe !

- C’est pareil.

Je vais jusqu’à Papapa qui enfume la maison en lisant un journal. Je lui claque deux bises en me bouchant le nez. Il fait mine de me taper.

- Tu as l’air en forme. Vas voir les autres fenêtres, elle a commencé à les décorer. Quant à nous garçon, demain tu devras m'aider à accrocher les guirlandes extérieures. En tout cas contrairement à d’autres, toi, tu as daigné venir m’embrasser.

Les filles alors se jette sur lui. Mammema lui arrache presque son cigare des mains.

- Donne moi, monsieur l’empoisonneur. Que tu vas finir par m’en brûler une.

 

 

 

Dans le salon, un grand sapin, autour duquel Sylvie et Rémy s'activent pour l'enrubanner de guirlandes rouges et dorées.

- C'est moi qui met le petit ange.

- Corinne, en attendant pose-le. Robert reprends lui, s'il te plaît !

Je veux bien obéir à Sylvie mais le truc avec cette gamine c'est qu'elle est têtue comme une bourrique et plus glissante qu'une anguille. Je finis sous la table avec elle.

- Aïe ! Fichtre la hauteur sous cette table a bien rétréci. Je renonce à me mettre sur la barre centrale comme je faisais il y a moins de deux ans encore. Tu me le montres ? je l'ai jamais vu. Tu me le présentes ton bébé ?

- C'est pas un bébé, c'est un ange.

- Oh ! et il s'appelle comment ton ange ?

- Jésus !

- Ah Jésus ce n'est pas un ange. Trouve-lui un autre nom.

Elle est venu s'asseoir sur mes jambes pliées en tailleur par terre.

Je la vois réfléchir.

- Rodolphe !

- Ce n'est pas un nom d'ange, ça ! Qu'est-ce que tu penses de Gabriel ? Ou tu en inventes un, en mettant "iel" au bout.

Son nez se plisse. Oups elle ne comprend pas. Comme Cocoiel, Robertiel, Gisielle, Richardiel,...

- Jésuiel !

Je me retiens de rire.

- Ok ça me va. Tu me le passe et on va le présenter à tout le monde ?

- Non ! Je veux le mettre moi !

- Je le garde mais tu le mettras toi !

- Non ! Je veux le mettre moi !

- Bon bin reste avec moi en attendant qu'ils aient fini.

En me poussant avec les mains, je nous extirpe de dessous la table et les regarde finir de décorer le sapin. Dans des petites caisses en bois, chaque boule est enveloppée d'un papier dans lequel avant, était enveloppé une mandarine ou une clémentine. Maman aussi les gardait les rares fois où on avait droit à ces fruits exotiques. Moi, le summum c'étaient les bananes, quand j'allais chez Caths je demandais toujours pour en avoir une. Ça surpassait tous les gâteaux.

 

 

- A toi Coco !

Je me lève en la portant. L'ange a un trou dans les fesses dans lequel Rémy fait entrer la pointe du sapin. Je trouve ça très glauque. Moi je préférerais largement mettre une étoile.

Rémy branche la prise et quelqu'un éteint la lumière.

Le sapin clignote de milles couleurs. Comme l'année dernière avec le petit sapin à Aix, je reste comme happé par ce spectacle. Coco me met les mains sur les joues et tourne mon visage vers elle.

- Est beau, hein ?

- Oui Coco, très beau !

Véro vient se coller à moi !

- O Tannenbaum O Tannebaum, Wie treu sind deine Blâtter...

Elle entame mon beau sapin en allemand suivie par les parents, puis les petites et les grand-parents en français.

- Nitt nurr im Summer bisch dü scheen, Im Winter au, wenn's schnejt, bisch grien !

Ils se taisent tous pour m'écouter le chanter en alsacien. Ça me fait bizarre. Il y a longtemps que je n'ai pas utilisé l'alsacien et de les voir ainsi m'écouter en silence encore plus. Mais je vais jusqu'au bout, je ne veux pas leur montrer mon trouble, ma gêne et ma honte. Et puis zut ! Non je n'ai pas honte d'être alsacien.

 

 

- Bon c'est pas tout mais j'ai faim !

Mammema sourit et me forçant à me pencher m'embrasse.

- C'était très beau. Rien que pour ça tu auras un steack hâché au lieu du poisson !

 

 

 

 

30 janvier 2011

Robert samedi 24 Décembre 1979 Noël 2

Robert samedi 24 Décembre 1979 Noël 2

 

Deux heures du matin, je fixe ma montre depuis dix minutes, les secondes et les minutes s'égrainent. Je me lève et ma couette sur le dos, montre au poignet, je descends.

Je rebranche le sapin, mets deux bûches dans l'âtre et me couche sur le canapé et fixe les lumières clignotantes. Ce soir, je ne mettrai rien sous le sapin pourtant j'avais prévu un petit cadeau pour chacun, faut que j'arrive à penser à autre chose. Plus facile à dire qu'à faire.

Je me lève. Des pompes. Cinq cents, j'arrête. Je me laisse tomber sur le dos. J'ai faim ! Un truc qui bourre, du pain. En fait, je n'ai pas faim j'ai juste un trou, là, au creux du ventre. A Salon, j'ai pas le temps, mon cerveau est occupé.

 

Sur une chaise, il y a la veste de Gisou, je la prends, vais débrancher le sapin, me recouche la tête sur la veste de Gisou, elle sent bon, j'ai l'impression qu'elle est là, avec moi.

 

- Chut tu vas le réveiller.

- Mais pourquoi il dort là ? Il n'a pas une chambre ?

- Si, j'ai une chambre mais j'avais froid.

Excuse bidon quand on me connaît, mais bon.

Retour dans ma chambre. Retour dans mon lit. Tiens j'ai embarqué la veste de Gisou. Elle sent toujours son odeur. Soupir. J'ai quoi là ?

Je me lève, m'habille et descends.

Au premier, je réalise que j'ai oublié la dite veste, je remonte la récupérer.

 

- Tiens, j'ai embarqué ça avec ma couette sans faire express.

- Oh ! tu vois Richard que je ne suis pas encore sénile. Mais s'il faut qu'on aille fouiller aussi dans ta chambre quand on ne trouve plus quelque chose, ça va me donner du travail en plus.
- Tu n'as pas besoin de ça pour venir fouiller dans ma chambre.

Maïté se met à rire.

- T'inquiète, avec Maman c'est pareil.

De la cuisine où je me sers du café, je me penche vers le salon pour regarder les deux muttis qui expriment leur mécontentement. Papapa me tape sur l'épaule en se dirigeant vers l'extérieur.

- Déjeune vite et viens me rejoindre dehors. Là, tu t'es mis Sylvie et Gisou à dos mon gars.

- Papapa pourra-t-on aller à Chamo ? J'ai besoin de m'acheter des fringues.

- Bon et bien dépêche-toi, il est même pas neuf heures, on va pousser jusqu'à Chambéry, il me manque des ampoules pour les guirlandes extérieures, on en profitera pour manger entre hommes.

 

 

- Alors vous avez passé une bonne journée ?

- Oui Gisou mais Papapa est épuisant.

- Moi ? Mais c'est lui, il n'arrête pas de parler, un moulin à paroles.

- Hé ! Je n'ai fait que répondre à tes questions.

- Et puis pour quatre chaussettes et deux slips, il m'a fait faire le tour de tous les magasins de la ville.

- Hé c'est toi qui à chaque fois voulais aller voir dans le suivant. Moi, je voulais juste aller dans un supermarché.

- Bon, mais ce n'est pas tout mon gars, va poser tes sacs dans ta chambre et viens m'aider avant qu'il ne fasse nuit. Les garçons, je vous embauche aussi, aller, aller, dépêchez-vous. Et vous auriez pu commencer tout de même. Rémy tu me dois des sous.

- Ah tu as trouvé ce que je t'ai demandé ?

Papapa qui va pour ressortir, s'arrête devant moi.

- Et il fait quoi l'espèce de grand pantin, planté devant moi ? Tu as monté tes courses ? Et non, Gisou, tu ne le suis pas ! Je suis déjà dans les escaliers quand j'entends la dernière phrase qui m'amuse beaucoup.

 

 

- Venez voir, on a fini !

Je suis allé chercher Coco et reviens avec elle dans les bras.

Elle ouvre des yeux ronds et garde la bouche ouverte sans émettre un son, c'est trop drôle.

Le long du balcon du premier, un grande guirlande court le long de sa balustrade, tout comme le long du bord du toit. Pour arriver à la suspendre celle-là, je me suis amusé à jouer l'araignée au bout de son fil assuré par Rémy. Les autres années, c'est Richard qui s'y collait mais Rémy m'a, avoué avoir apprécié la différence de poids, ce qui a fait bien sûr râler son frère. Bon il a moins apprécié quand j'ai fait le con en me mettant à l'envers dans le vide. Moi, je n'ai pas apprécié qu'il appelle Gisou qui s'est mise à hurler.

 

A midi, on a mangé dans un centre commercial où ils soldaient des décorations et on a eu l'idée folle d'acheter un traîneau avec ses rennes presque grandeur nature.

On a eu un mal fou à le faire rentrer dans le break de Richard et à en ficeler une partie sur le toit.

Cette année, il reste au sol à la limite de la terrasse et le fil électrique court sur le sol, l'année prochaine, il sera mis sur le toit du garage.

Et Coco n'a d'yeux que pour lui.

- Il est où le Papa Noël ?

- Ce n'est pas le vrai traîneau, regarde les rennes ne sont pas vivantes.

- Oh ! (Et d'un coup je suis sourd d'une oreille, voir des deux.) Je veux le vrai Papa Noël !

Je la refile à sa mère car là, je n'ai plus de solution.

- Dis Richard, elles étaient toutes comme ça ?

- Non, elle, c'est le clone de Véro.

 

J'aide les filles à mettre la table puis nous montons tous nous habiller.

Véro me retient par le pull en bas de mes escaliers.

- Lâche-moi, t'es chiante !

- Tu vas t'habiller comment pour ce soir ?

- Un pantalon, une chemise et un pull. Sûrement le nœud pap que je me suis acheté avec des Père Noël dessus pourquoi ?

- Pas en kilt ?

- Espèce d'obsédée ! Bin, non, déçue pas vrai ?

Elle hausse les épaules et fait claquer la porte de leur chambre.

- Et bien, mon gars, que lui as-tu encore fait ?

- Moi ? Rien justement, je ne veux pas me mettre en kilt.

Rémy éclate de rire.

- Ah ça, mon gars, les filles en ont parlé toute l'année. J'imagine leur déception.

 

 

 

- Tu vas où ?

- Je suis prêt, en bas.

Je ne comprends pas où est le soucis.

- Et bien, remonte dans ta chambre.

- Elle est où Gisou ?

- En bas et elle se passe de toi.

Rémy rejoint son père.

- Il te pose problème ce morveux ? Tu veux que je le dresse pour toi ce morveux ? (Je souris en le regardant jouer le matador devant moi. Finalement il entre dans la chambre de son frère qui se bat avec une Coco encore à moitié nue.) Richard, ce n'est plus drôle, il n'a plus peur de moi.

Yvy sort de leur chambre et me tirant par la manche me fait entrer.

- Wahoo vous êtes belles les filles. Pourquoi on ne peut pas descendre ?

- Parce qu'elles dressent la table.

- Cool, on va pouvoir manger !

- Tu rêves toi ! D'abord il y a la messe de minuit à la chapelle. Bref, comme elle n'est pas chauffée, on va se geler deux heures avant de pouvoir manger.

- Oh non ! J'ai faim, moi !

- Et dis-toi qu'on y monte à pieds.

 

 

Trois heures après nous sommes de retour, gelés, affamés et n'ayant pour ma part qu'une envie : aller me coucher.

J'envie Marine qui s'est faite trimbaler au chaud dans son landau.

 

Richard monte coucher Coco qui s'est endormie dès le début de la messe. Je le suis.

- Tu sais quoi, je ne viendrai plus en vacances chez vous pour Noël. Je suis trop vieux pour me taper deux heures de messe.

- Donne-moi une couche derrière toi.

- A trois ans, elle met encore des couches ?

- Si elle, elle porte des couches pour dormir, toi, t'en tiens une sacrée couche.

- Hé pourquoi ?

- Dans une famille, on ne trie pas. On prend les bonnes et les mauvaises choses. Des fois, tu nous rends la vie impossible, ce n'est pas pour cela qu'on te fout à la porte. Aller viens, on va rejoindre les autres.

 

 

En bas, la table ressemble à celle de chez Mamie Sophie et Daddy. D'un coup, bizarrement, je n'ai plus sommeil.

- Et pas que du sucré, compris ?

- Heu, je n'avais pas l'intention de prendre que du sucré.

- Alors pourquoi sur ton assiette y a-t-il déjà de la fougasse ?

- Bin c'est du pain,non ? Alors c'est pour manger avec la

viande.

Je la vois sourire.

- Tu n'en as pas mangé à Toulouse ?

- J'ai mangé tellement de trucs, je ne sais plus. Bon c'est pas grave. Moi, le sucré salé j'aime bien.

Oui, bon, j'avoue, je sais très bien ce que c'est. Tout comme j'avoue aussi que pas mal de bonnes choses ne passent pas par la case assiette mais directement par la case estomac, si bien que je n'ai bientôt plus faim mais mon assiette n'a pas diminué d'un iota. Je me force donc à tout avaler et vais m'écrouler sur le tapis devant la cheminée et là je sors un rôt qui résonne dans toute la pièce.

- Robert !

- Je vous prie de bien vouloir m'excuser mais je ne l'ai pas fait exprès.

- Dis-toi Gisou que ça prouve qu'il a fait honneur à votre cuisine.

- Voilà Papapa a tout compris lui !

 

- Yvette et Fanfan au lit ! Surtout que demain on mange à midi chez Isabelle et Michel.

 

Véro se laisse tomber sur moi.

- Aaaaah pas sur mon ventre, tu vas me faire vomir.

- Petite nature ! Et demain on recommence, j'adore Noël.

Sylvie vient se mettre au-dessus de nous.

- Alors les deux paresseux, vous croyez que la table va se débarrasser et se ranger toute seule ?

Véro se lève en râlant. Je la suis.

- Moi, j'attends les cadeaux.

- Bin, t'en auras pas de moi du coup. Tu devras attendre de m'avoir ramené sur Salon.

Alors que je m'approche de la table pour aider, Richard m'entraîne vers la cuisine.

- Toi, tu vas jouer le lutin.

Sous le préau, les deux remorques, celle de Rémy et la notre n'ont pas été vidées. Moins d'une demi-heure plus tard, leur contenu se retrouve sous et autour du sapin. Et encore une fois, j'envie l'enfance des filles.

 

 

 

 

7 octobre 2010

Robert Lundi 14 février 1977 en forme

  Robert Lundi 14 février 1977 en forme

 

Au dortoir il fait froid.

Le matin, aller se doucher c'est presque une torture, on a l'impression que toutes nos extrémités vont tomber sous forme de glaçons mais sinon pour la nuit, une couette ou une couverture suffit largement.

Ici, lorsque tu écartes un pied ou une main, de plus de dix centimètres de ton corps, tu as l'impression de glisser dans une nappe de mercure. Alors je fais comme dans ma chambre à Munster, je m'enroule dans ma couette.

 

Hier soir, comme tous les soirs quand elle vient me faire le bisou, Gisou Tiens ça rime bisou et Gisou. J'adore ! m'a enlevé ma montre car gna gna gna. Gna gna gni, elle est phosphorescente. Elle va me donner le cancer et patati et patata, en plus elle est sûre d'elle. J'ai bien essayé d'en discuter avec elle mais j'ai fini par renoncer. Je l'enlève quand je suis ici pour lui faire plaisir. Mais là, je regarde ma montre qui est posée sur ma table de chevet donc à des kilomètres de ma main qui si, je la sors, va se retrouver congelée et se briser.

En plus, je ne comprends pas pourquoi je suis réveillé.

Je suis en vacances et un garçon au creux de l'adolescence. Donc, qui a besoin de sommeil pour se remettre du dur labeur de l'école.

Je me tourne, si je ne la vois plus, je n’y penserai plus.

Putain de cerveau, arrête de me demander quelle heure il est !

Et voilà, c'était couru d'avance, maintenant j'ai envie de pisser.

Ras le bol !

Où sont mes fringues ? Oh non, Gisou je te déteste !!! Tout nu dans ce congélateur, fouiller dans mon sac : slip, tee shirt, pantalon , chaussettes, pull.

Je descends.

Dans la cuisine, je passe à côté de Gisou.

- Je te déteste !

Et lui pose un bisou sur la joue avant de sortir. Toujours pas de neige mais mon regard tombe sur la remorque. Un genou qui monte, un bras levé, le coude qui descend : Yes !

Je ne veux pas qu'il neige. Mais quelle heure est-il ? Oh non ma montre, je l'ai laissée là-haut ! Je retourne à l'intérieur… deux étages. Ma précieuse qui m'indique qu'il est huit heures trente est gelée lorsque je la pose sur mon bras.

Aaaah, pipi !

Je danse sur place puis dévale les escaliers.

Retour dehors puis retour dedans, vidé.

 

Ah que c'est agréable de se laver les mains avec de l'eau chaude.

Gisou me pose une main sur l’épaule me faisant sursauter… 

- Pourquoi me détestes-tu ?

- Parce que tu m'as pris mes vêtements. Parce que ma montre à cause de toi était sur ma table de chevet et que, lorsque j’ai sorti mon bras de ma couette pour la saisir, il a été surgelé et ensuite, encore à cause de toi, je l'ai oubliée et j'ai du remonter la chercher et donc encore à cause de toi, j'ai failli me pisser dessus tellement j'avais envie. Mais ce n'est pas grave. Je t'ai pardonnée.

Je lui fais un énorme sourire plein de dents, et un bisou sur l'autre joue puis je vais m'asseoir à côté de Véro à qui je pique sa cuillère et sa tartine entamée car j'ai trop faim et pas la patience d'attendre de m'en faire une. Je ferais bien la même chose aux autres filles mais maintenant elles les planquent.

Mammema semble plus amusée que les filles.

- Houla, tu es déchaîné ce matin.

C'est vrai que je me sens en forme.

- Richard on va voler à quelle heure ?

- Voler pas sûr, faudra d'abord le sortir de sa remorque et le monter puis après nous verrons et... ce n'est pas toi qui l'inaugureras, faut pas rêver tout de même.

Zut ! Oui, c’est évident, je rêvais hélas, mais bon je me contenterai de l'autre avec Papapa et c'est déjà super.



Rester dans la chambre est devenu carrément impossible ! Il y fait un froid polaire.

Je me fais donc une raison et redescends.

Mais en attendant qu’ils se décident à décoller du chalet, je ne sais pas quoi faire.

Je commence donc par m’installer confortablement sur le canapé en tissu. Mon préféré car il est bien face à la cheminée et n’a pas des accoudoirs en bois hyper durs. J’ai même descendu ma couette et emballé dedans, je me plonge dans mon roman, une histoire d’humanoïdes robots qui se révoltent.

Mais mon cerveau refuse de se laisser capturer par l’intrigue. Je laisse tomber le livre au sol et mettant ma couette par-dessus ma tête, bien coincée tout autour de moi qui suis sur le côté roulé en boule, je me laisse aller à rêver…

Ouais mais bon… sous la couette fait chaud, trop chaud.

Et tel un diable hors de sa boîte, je la rejette, me mets d’un bond debout, la plie au maximum puis la pose contre un accoudoir de l’autre canapé puis fonce dehors. Faut que je bouge sinon je vais exploser.

Dehors, il fait aussi froid que dedans… je fais le tour de la remorque, laisse mes doigts courir dessus.

Essaie de l’ouvrir mais il y a un gros cadenas et une chaîne en plus de la serrure.

Retour à l’intérieur.

- Qu’est-ce que tu fichais en pull et pieds nus dehors.

- Je respirais l’air frais. Stoppé net dans mon élan par Gisou qui me tient par le bras, je manque de me retrouver sur les fesses et pose la main sur la cuisinière pour me retenir. Putain mais c’est chaud !

Du coup, elle me lâche le bras pour me saisir l’autre main que je lui enlève en la secouant et j’en profite pour la fuir et rejoindre les deux pater assis devant un café.

- Richard, vu qu’on ira pas, je peux au moins l’ouvrir pour le voir ?

Il ne me regarde même pas.

- Et que veux-tu ouvrir ?

- La remorque.

Il a juste le coins des lèvres qui se soulèvent presque imperceptiblement.

- Laquelle ?

Je soupire.

- OK ! J’ai pigé !

Demi-tour toute, contourner le canapé pour éviter Gisou, saisir ma couette et direction ma chambre : autant dormir.



Dix minutes plus tard, suis de retour. 

Une, j’ai mal à la main et deux je n’arrive pas à dormir, à cause de ma main mais surtout parce que je suis super sur les nerfs.

Rapide tour d’horizon : les pater n’ont pas bougé, les trois petites jouent avec des aimants à fabriquer une sorte de mosaïque sur une plaque de métal carrée. Isa et Maï tricotent quant à Véro, elle lit. Hum hum. Je souris.

Je croise le regard de Papapa qui bouge légèrement la tête de droite à gauche et de gauche à droite.. Même pas drôle !

Richard se tourne vers moi.

Retour dehors après avoir évité Mammema et Gisou. J’enfile mes baskets assis sur la table de jardin. Et là… je ne sais toujours pas quoi faire. Je me laisse tomber sur le dos les bras en croix sur la table.

Le ciel de plomb me semble tellement bas que j’ai l’impression qu’en levant la main, je vais pouvoir le toucher.

V’la-t-y pas que je le fais de lever la main. Mais je suis vraiment frappé, moi, dans mon genre !

Mon regard  se pose alors sur le grand cèdre et oh ! Son sommet est dans les nuages.

Ni une, ni deux, me voilà en train de l’escalader.

Je regrette de n’avoir pas pris de gants car ma main me gêne, mais suis un homme, un futur soldat et Papa serait content : j’endure sans rien dire.

Bon, je m’arrête tout de même pour la regarder, j’ai des cloques sur la paume et certaines se sont ouvertes. Bah ce n’est pas grave, je montrerai à Gisou, ça lui fera plaisir de pouvoir me torturer.

- Où est-il encore ce gosse ?

Je baisse les yeux et je vois les parents devant le préau. Pourquoi me cherchent-ils ? J’ai envie de les appeler puis me retiens, d’abord grimper. Levant la tête, je ne vois plus le nuage qui couronnait l’arbre. Tant pis, je continue, je veux savoir ce que ça fait d’être dans les nuages.

J’ai l’impression d’avoir encore plus froid et je m’aperçois que je suis trempé. Je regarde à nouveau vers le haut et là… plus rien !

Vers le bas… plus rien !

En fait, je suis en plein dedans, dans une sorte de brouillard très épais. C’est à peine si je vois ma main quand je tends le bras. C’est le pied !

Mais j’ai du mal à garder les yeux ouverts car ils me brûlent et mes doigts comme mes pieds sont engourdis comme lorsque plus petit, je marchais pieds nus dans la neige et qu'Annie me faisait hurler en me frottant les pieds et les mains quand je retournais à l’intérieur. Donc maintenant faut redescendre, opération plus délicate.

Pourquoi les branches semblent-elles plus fragiles ?

Richard du sol me guide.

- Sous ton pied droit, à droite. Sous ton pied gauche plus bas à droite.

A peine ai-je posé les pieds au sol que je lève les bras pour me protéger de la menace de la main de Papapa qui s’est levée mais qui redescend en tenant le poignet de ma main brûlée.

- Gisou. Je l’ai retrouvé ! Nous passons devant Richard qui me regarde impassible. Que fera-t-on de lui ?

- Rien Papa car il sera mort avant d’être adulte.

- Bah vous avez... non ! Toi, t’as bien survécu. Donc il a peut-être une chance d’y arriver.

Ça fait bien rire celui qui a survécu.

 

Une fois ma main bandée, Gisou s’en va avec sa boîte à pharmacie. Elle n’a pas dit un mot et ne m’a même pas regardé, rien !

 

Les filles mettent la table. Je veux les aider. Mammema m’envoie me changer car je suis trempé. Je m’assois devant la cheminée presque dos contre les vitres. Je sécherai. Là-haut, il fait trop froid.

- Mais ce n’est pas possible, cette fois tu veux mettre le feu à tes cheveux ou à tes vêtements ?  Elle me fait lever. Enlèves ton pull et mets ce plaid sur tes épaules. Qu’est-ce que tu as ?

Je réponds la tête dans mon pull.

- Je m’ennuie.

Mammema me regarde les sourcils froncés, son visage près du mien. J’aimerais être télépathe mais je ne le suis pas…

- Tu vas manger puis tu feras la sieste.

Je secoue légèrement la tête.

- Pourrai pas dormir.

Elle semble préoccupée.

- Parce que ta main te fait mal ?

- Non, j’suis juste… Je ne sais pas comment dire, pas énervé, c’est pas ça. Je m’ennuie, mon cerveau s’ennuie et mon corps aussi. Là, j’ai envie d’aller courir et en même temps, je pense à trop de choses. Tu crois que je pourrai aller faire du vélo cet après-midi ou simplement courir ?

- D’abord ce sera devoirs et après vois avec Richard s’il ne veut pas en faire avec toi ?

- Je suis désolé d’être comme ça certains jours. C’est comme si j’avais bu cinq cent cafés, à l’école ces jours-là, c’est les jours où je me fais le plus cranter. Et ça me fout encore plus les nerfs et du coup j’ai envie de taper sur tout le monde.

Elle fait semblant d’être effrayée en souriant.

- Holà, ne me tape pas, d’accord ?

Sa demande me donne envie de rire.

- Oh toi, j’ai jamais envie de te taper, ni Gisou ou Sylvie. Par contre Richard oui, souvent. Mais je ne le ferai jamais. J’accentue bien sur le jamais. Véro aussi mais parce que c’est une fille, j’en ai pas le droit.

Je me tais. Je suis debout, devant Mammema qui me tient par la petite couverture toute douce en mohair qu’elle m’a mis sur les épaules. Elle me sourit. Elle a des yeux très clairs mais ni verts ni marrons. Elle est face au feu et dedans je vois danser les flammes et pourtant je n’y vois que douceur.

Derrière elle, les autres ne nous regardent pas. Véro se bat avec les petites pour qu’elles rangent. Isabelle et sa cousine sont déjà assises et discutent à voix basse, presque front contre front. Richard débouche une bouteille de vin et Papapa coupe du pain.

J’ai parlé très bas, d’ailleurs je ne sais pas pourquoi je lui ai dit tout ça, je suis gêné et j’ai honte maintenant. Ducoup je me tortille, sur place.

- Vas voir Gisou, elle s’en veut de t’avoir fait mettre la main sur la cuisinière.

- Oh c’est pour ça ? Mais ce n’est même pas vrai. Elle n’y est pour rien.

D’ailleurs elle arrive avec la soupière, je vais la lui prendre.

- Donne, c’est lourd, je te la porte.

Elle refuse.

- Non, pas avec ta main.

- Ma main n’a rien et si je n’étais pas un imbécile, je ne me serais pas brûlé.

Je pose la soupière au milieu de la table puis vais soulever Véro en la prenant sous les bras.

- Arrête de les emmerder. Si elles ne veulent pas ranger c’est parce qu’elles n’ont pas fini leur dessin. La journée n’est pas finie, elles pourront continuer après. Là, la seule chose que t’es arrivée à faire c’est faire pleurer Fanfan.

Mammema s’interpose entre nous.

- Vous deux ça suffit et toi jeune homme, ce soir tu devras t’occuper de les faire ranger, fini ou pas, compris ?

Véro s’éloigne vers sa chaise en râlant, qu’elle écarte tellement brusquement de la table qu’elle la renverse.

- Non mais de quoi je me mêle ? Monsieur je sais tout, Monsieur, je…

Richard lui dit de se calmer.

- Véronique ça suffit ! Et ramasse cette chaise. Franchement pas un pour rattraper l’autre. Vous avez quoi tous les deux aujourd’hui ?

- Mais Papa c’est toi qui m’a dit de les faire ranger et maintenant c’est moi qui me fais engueuler. J’en ai marre de ce mec. Non j’en ai marre de tous les mecs, je vous déteste tous !

Gisou réagit à son tour.

- Véronique, ton langage !

- Oh maman, toi aussi je te déteste.  Elle se met à imiter Gisou sur la tête de sa cousine qui repousse ses mains. Oh la la, mon petit garçon. Oh la la, mon pauvre petit chéri. T’es réellement pitoyable maman. J’ai vraiment qu’une hâte, c’est de pouvoir me casser de cette famille de merde.

- Véronique dans ta chambre !

- Mais Papa ! Quand lui, il est énervé, vous ne lui dîtes rien, par contre moi... suis punie.

Je dois absolument apprendre à me taire.

- Car moi, j’y monte tout seul dans ma chambre.

Papapa se retourne sur moi.

- Oh toi ! Tu te tais ou tu y vas aussi dans ta chambre.

Je recule puis m’élance pour aller vers l’escalier mais il me rattrape et me pousse vers ma place. Et toi, Véronique, dans trente secondes, tu es assise et muette comme une carpe ou je vais moi aussi péter un plomb.

Véro s’assied tellement vite qu’elle rate sa chaise et s’affale, tout le monde éclate de rire sauf Gisou et Mammema qui vont la relever inquiètes, mais elle va bien et se remet à râler. Preuve par mille qu’elle va bien.



Après le repas, le soleil se pointe deux petites heures et ils me demandent de les aider à sortir l’ASK de sa boîte.

Je le trouve trop beau.

Je crois que je suis amoureux d’un planeur…
















16 novembre 2010

Robert lundi 16 Mai à Vendredi 20 Mai 1977 tests BA 705

    Robert lundi 16 Mai à Vendredi 20 Mai 1977 tests BA 705



Réveil à trois heures et départ à quatre heures pour être à cinq heures à la gare. Nous rejoignons la base aérienne de Salon où se trouve aussi cette fameuse école où avec certains copains nous rêvons de finir. De là, en compagnie d'élèves pilotes que je jalouse et envie, nous décollons dans un Transall pour la base de Tours.

Je m'assieds le plus loin possible des jeunes pilotes et j'évite même de les regarder car Richard m'a répété à chaque fois que l'on se croisait la semaine dernière : " Je t'entends dire un mot sans qu'on te l'ai demandé, tu seras en simple visiteur sans passage de tests."

 

Purée, on ne nous laisse pas le temps de rêver. A peine le pied posé au sol. Nous sommes pris en main et nous abandonnons le colon. D'abord accueil puis présentation et visite de la base.

Comme nous sommes douze ce qui semblerait beaucoup on nous partage en quatre groupes, le dernier donc le mien, le bonheur d'avoir un nom qui commence par W, direction les tests médicaux. Ceux que je redoutais le plus mais il semblerait que tout soit OK. Sauf que je suis trop jeune et chacune des personnes qui m'adresse ne serait-ce qu'une fois la parole, me le dit, me le répète.

- Oui je sais mais ce n'est pas grave, ce sera fait pour la session 1978.

Et tous semblent soit être amusés, soit être agacés.

- Parce que t'es sûr d'être pris ?

- Non, mais je vais tout faire pour.

Lors de la mesure, la femme me rappelle que je vais sûrement encore grandir et que selon ma taille définitive, je risque de faire pilote de transport et non pilote de chasse. Si elle avait vu mes mains derrière mon dos, elle aurait vu que je croisais les doigts.

 

A midi, nous retrouvons le colon. Avec lui, un gars qu'il me semble connaître, un commandant.

Nous mangeons à la cantine1 mais il vient avec nous. Même là, Richard semble connaître plein de monde qui viennent lui serrer la main. C'est stupide de ma part mais à chaque fois que je vois quelqu'un le saluer, cela me remplit de fierté. Mais une fois assis, l'une des personnes qui lui a serré la main vient nous parler. Je ne sais pas pourquoi mais quand il nous dit bonjour, je me lève et les autres m'imitent.

- Salut les taupins2, il y a six ans, je remplissais de désespoir votre colonel, ne faîtes pas comme moi.

Je fixe Richard, il me fait un léger signe de tête.

- Vous étiez à Aix comme nous ?

- Non, pas comme vous, je me suis arrêté en troisième, et si toi et quelques uns, je ne vous connais pas, certains de tes camarades font semblant de ne pas me connaître alors que j'ai partagé leur dortoir. En tout cas les garçons, je vous dit tout de même merde pour la suite.

Lorsqu'il s'est éloigné, je regarde les autres mecs pour essayer de repérer ceux qui ne l'ont pas salué. Et je ne comprends pas pourquoi.

 

L'après-midi, j'ai droit à l'épreuve du simulateur. C'est ouf ce truc et je m'y éclate.

- Tu as déjà piloté un avion ?

- Oui, je suis breveté planeur et moteur.

Puis test du palonnier, où déjà Andréani, Bachelet et Morvan se voient recalés. J'angoisse puis finalement je trouve ça assez simple.

 

Pour Michel et Jussieu ce sont les tests médicaux qui ont raison d'eux.

 

Pour la nuit, nous nous retrouvons dans deux dortoirs pour dix normalement mais le colon nous partage en deux groupes de six et dort dans notre dortoir, la gueule des autres mecs, c'est très amusant.

 

Réveil à six heures par un Richard déjà habillé, j'hallucine, aucun d'entre nous l'a entendu se lever.

Nous participons au lever du drapeau, faut deux volontaires, je fais mine de vouloir avec un sourire très expressif, il me fusille du regard et choisit Nevière et Despéro. J'ai réussi mon coup, je déteste franchement tout ce qui est "cérémonie".

 

En tout cas, de suite après, on nous distribue un flottant et un tee shirt bleu AA. Oh purée, mais c'est de la torture, et je reste un moment à regarder mes mains avec dans l'une le short et l'autre le tee shirt. L'aviateur déjà en tenue de sport qui vient de nous les distribuer, revient vers moi.

- Tu as un souci le calisson ?

Je regarde Richard, puis-je m'exprimer ? Déjà il lève son pouce vers son cou mais n'achève pas son geste car l'autre a surpris mon regard et s'est tourné vers lui.

- Non,non mon... je ne sais même pas son grade. Je me disais que peut-être dans quelques mois, je porterai effectivement ces vêtements.

- Ah non, si tu es à Salon, ils seront différents.

 

Je m'efforce de rester dans le groupe de tête pendant l'heure de footing auquel nous participons avec une dizaine d'autres militaires.

 

Dès la douche et le petit déjeuner terminés, nous reprenons les tests, écrits et oraux cette fois.

A midi, j'ai peu d'appétit car je n'ai pas su répondre aux questions techniques sur le fonctionnement aussi bien de l'armée que des avions qu'ils m'ont posé.

 

L'après-midi les tests sont plus physiques et là aussi, j'ai l'impression de tout foirer.

 

Le soir, mon lit m'accueille dans un état de nerfs peu compatible avec le sommeil réparateur dont j'ai besoin.

Il me sort du lit où je ressemblais plus à une carpe en manque d’eau qu’à un humain en train de dormir.

- Debout bonhomme, viens avec moi en tenue de sport.

Je suis Richard et nous repartons courir. Quand nous revenons, je n'ai plus aucun mal à m'endormir.



Les autres sont tous déjà en train de descendre dans la cour pour le lever de drapeau mais Richard m'a dit d'attendre dans la chambre.

 

- Aujourd'hui garçon, tu vas avoir droit au psy and co. Tu ne dois jamais hésiter en répondant. Ne fais jamais allusion à tes cauchemars, ni au fait que tu vois déjà le professeur R. à Sainte Marguerite, compris ? Et surtout évite les romans, des phrases courtes toujours positives. Allez viens !

Alors là, il a gagné, j'ai l'impression que tout s'écroule autour de moi. Là, c'est sûr que je vais dire des conneries, c'est ma spécialité. Je le suis la tête baissée, contemplant mes souliers et me répétant en boucle : réfléchis avant de parler. Réfléchis avant de parler… Mais pourquoi n'ai-je pas bouquiné des livres de psycho ? Peut-être parce que ça ne m'intéresse pas et qu'il n'y en a pas dans la bibliothèque de l'école. Quoique ça, ce n'est pas sûr, faudra que je cherche.

 

- Weissenbacher vous attendez quoi ?

Quoi qu'est-ce qu'il y a ? Totalement dans mes pensées j'ai loupé qu'il me désignait comme volontaire pour porter le drapeau. Et flûte !



Encore des tests écrits mais cette fois c'est un QCM qui me pose problème car au trois quart des questions, j'aurais donné une autre réponse. Richard a raison, je dois rester dans les clous et je coche les cases qui pour moi semblent les plus pertinentes. Mais… Une fois finis, j’hésite, je me relis, j’ai envie de tout effacer et de tout recommencer. Je soupire. J’suis perdu. Je lève la tête, je croise le regard du sergent qui nous surveille, il me tend la main, je me lève difficilement de ma chaise. Il me prend mes feuilles, j’ai l’impression que le sol tangue sous mes pieds, ça y est mon compte est réglé. Il les parcourt puis sourit.

- Vas attendre dans le couloir, on t'appellera.

Le cœur au bord des lèvres, je reste à fixer le mur du bâtiment d'en face, le sourire du gars m'a glacé. Puis d'un coup, j'ouvre grand la fenêtre pour voir passer le T33 qui vient de décoller, pour cela je me penche au maximum. Une main vient me saisir par la ceinture.

- Holà mon gars, ne te suicide pas.

J'ai un immense sourire en faisant face au lieutenant-colonel bedonnant et aux cheveux gris à qui j'ai fait peur semble-t-il et que je salue respectueusement .

- Pourquoi voudrais-je me suicider ? Ce serait con, je touche presque au Graal. J'essayais juste d'apercevoir l'avion qui vient de décoller.

- Bon alors, viens avec moi, tu es bien Robert Weissenbacher ?

- Oui mon colonel.

Il a les yeux comme des soleils, marrons clairs et des milliers de petites rides, bon j’exagère… juste… un peu. 

- Je suis le lieutenant Colonel Jeanjean psychiatre de mon état et nous allons un peu parler toi et moi d'avions, tu veux bien ?

D’avions ? Alors là, tant qu’il veut ! Puis je pense au colon et… mon sourire disparaît. Je dois faire attention à ce que je dis.

- Oui mon colonel.

- Pas besoin de me donner mon grade à chaque fois. Alors je vois que tu n'as que seize ans, tu sais que tu es trop jeune ?

Je soupire.

- Oui mais j'ai l'habitude, j'ai toujours été trop jeune.

- Et ce n’est pas toujours facile, non ? Expliques-moi ?

Il me fait entrer dans son bureau en premier, une main sur mon épaule. Il me laisse devant son bureau. Il y a deux chaises, je reste debout.

- Maternelle à deux ans et demi, CP à quatre ans, sixième à huit ans, bac à quatorze.

Il a une petite moue appréciative accompagnée d’un petit geste de la tête. Je me suis tû. Il s’arrête, me regarde, mon dossier toujours ouvert dans ses mains. Je pense au colon… je ne dois que répondre à ses questions et oublier les romans.

- Et à Aix, cela se passe comment ? Car certains de tes camarades ont six ans de plus que toi.

- Bien, pour la première fois, on ne m'a pas fait sentir cette différence d'âge.

Il semble surpris.

- Et toi, tu la ressens cette différence ?

Je décide d'être franc, Richard est mignon mais si je mens je serai mal à l'aise et lieutenant-colonel le verra.

- Quand je suis arrivé je n'étais pas pubère, j'enviais leur taille et ... leurs poils. Et voilà, il se marre, il me prend pour un con. Je respire un bon coup. Maintenant, je ne la ressens plus surtout que musculairement j'en ai dépassé certains.

Il est maintenant, assis dans son fauteuil comme mon psy de Marseille, les jambes croisées, les mains croisées aussi, à plat sur son genou. 

- Donc tu es sportif.

Pour l’instant ses questions me vont.

- Oui, on peut dire ça.

- Et pourquoi veux-tu être pilote?

Ah celle-là, j’y ai déjà beaucoup réfléchi.

- A cause de mon grand-père qui s'est engagé dans la RAF pendant la guerre et de mon tuteur qui est pilote aussi et que j'ai pris comme modèle.

Là, il semble intéressé.

- Ton tuteur ? Tu es orphelin ?

Coco c’est écrit sur le dossier que tu as sous le nez.

- Non, mes parents ont perdu leurs droits parentaux pour maltraitance aggravée.

- Oh ! Pourrais-tu m'en parler ?

- Je pourrais mais pour moi c'est du passé et je préfère donc m'en abstenir.

- D'accord je note. Mais attends, cela s'est passé en soixante-quinze, non ? Voilà pourquoi ton visage me disait quelque chose Bien bien et qui est ton tuteur ?

- Le colonel Granier.

Il s’est redressé et se met face à son bureau et parcourt mon dossier.

- Ah oui je vois, le directeur de l'école, évidemment, bien sûr. Pourquoi veux-tu lui ressembler ? Tu le trouves beau ?

Quoi ? C’est quoi cette question à la con ?

- Ah bin ça, je n'y avais jamais pensé. J'en sais rien. C'est un homme. Il doit sûrement l'être. Je veux lui ressembler parce que c'est un pilote et qu'il est ce que j'espère devenir. Mais aussi parce que je lui suis reconnaissant pour tout ce qu'il a fait pour moi, qu'il a su m'apporter et me donner.

- Peux-tu m'expliquer.

Je reprends mon souffle et déglutis, c’est maintenant que je dois faire gaffe à ce que je vais raconter.

- Je vais essayer. D'abord lui et sa femme lorsque je suis avec eux me traitent comme leur fils. Si l'école militaire m'a appris la patience et l'obéissance. Eux m'ont montré ce qu’était une vraie famille. Pas comme celle où j'ai grandi, régie par la peur et le manque qu’il soit matériel, on était très pauvres et je n'ai mangé plus ou moins à ma faim qu’à partir de mon arrivée à l'école. Ou au niveau des sentiments car avant même avec ma copine, je ne savais pas ce qu'était la tendresse et penser aux autres.

Il a posé mon dossier et me fixe.

- Et aujourd'hui, tu penses avoir changé ?

- Oh oui monsieur, j'ai découvert, appris et je continue à apprendre.

Et là… le mec, il me sèche.

- Et donc tu ne veux pas devenir pilote car tu aimes les avions ?

- Oh si, ma chambre chez mon tuteur et à l'école ont les murs couverts de posters d'avions. Je lis tous les livres que je trouve dessus. Quand je serai plus vieux dans mon appart j'aurais une télé pour regarder les chevaliers du ciel et d'autre films

- Ton tuteur n'a pas la télé chez lui ?

- Si, si bien sûr.

- Et bien je vais te rendre ta liberté car je dois en voir d'autres. En tout cas je te souhaite d'arriver à être celui que tu veux devenir et tu sembles être sur le bon chemin.

Richard est dans le couloir avec Vermont et Despéro. Il serre la main du psy qui l'invite à entrer, nous laissant tous les trois seuls dans le couloir.

Les deux sont inquiets pour moi.

- Dis donc, il t'a gardé longtemps.

Je change de sujet.

- Vous avez réussi les tests vous ? Despéro semble sûr de lui, pas Vermont. J'aimerais bien aller dans la centrifugeuse.

Vermont devient vert rien que d’y penser.

- Non ! Ne me dis pas qu'on va y avoir droit, je suis sûr que je gerbe de suite moi.

Despéro se met à rire.

- Moi, j'ai trouvé l'infirmière super canon.

- Quelle infirmière ?

Vermont et moi nous nous regardons surpris. Pour nous qui sommes passés quasi ensemble, pas de nana, juste des vieux mecs tout rabougris.

Richard sort du bureau du psy. Il semble énervé.

- Vermont à vous. Vous deux vous attendez avec moi. Quoique toi, j'ai envie de te faire satelliser.

- Quoi ? Pourquoi ? Qu'est-ce que j'ai encore fait ?

Mais je repère à son petit sourire et les coins de ses yeux légèrement plissés qu'il est content, qu'il contient son sourire.

- Je t'avais dit de parler le moins possible.

Je hausse les épaules.

- C'est ce que j'ai fait. Je n'ai donné que des réponses succinctes. J'ai même refusé de parler de mon passé.

- Ah oui ça je sais. Du coup c'est moi qui ai dû raconter à ta place.

- Mais il a pas le droit, c'est mon histoire, c'est mon passé, si je ne veux plus en parler c'est mon droit, non ? Il se prend pourquoi ce bibendum.

- Robert !

Il peut m’engueuler m’en fous, je vide mon sac.

- Quoi ? Ras le bol, j'en ai marre d'être réduit à mon passé, comme si je ne pouvais exister qu’à travers ou grâce ou à cause de lui. Mon passé je l'ai enterré, je ne veux plus qu'on m'en parle, marre, marre marre.

J'ai les poings serrés, raide face à Richard, je dois donner l'impression que je vais lui rentrer dedans car Despéro semble limite effrayé.

Richard me serre contre lui et me chuchote à l'oreille.

- Calme, calme, il ne faut absolument pas qu'il te voit comme ça. Calme ! Il me lâche et je me mets face à la fenêtre mais d'un coup, je pars en courant vers la cage d'escalier où je boxe le mur. Je l'entends dire à Despéro de ne pas bouger et je le vois arriver en courant lui aussi. Tu veux tout louper ?

- De toute façon, je suis trop jeune, ils me l'ont tous dit, faudra que je refasse tout ça l'année prochaine, alors bon. Il me tient par les bras et me fixe.

- Qu'est-ce que je t'ai déjà dit ?

Je le regarde dans les yeux.

- Jamais renoncer car sauf si on est mort, il y a toujours de l'espoir.

- Bon retournons avec ton camarade.

 

C'est Thierry qui nous attend, Claude est entré à son tour et nous voyons arriver Hugo et Michel accompagnés d'un aviateur qui salue Richard puis s'en va.

 

L'après-midi encore des tests.

 

Le soir, débriefing avec des galonnés qui nous disent que nous recevrons nos réponses dans un mois.

Lorsque un autre lieutenant-colonel nous demande si nous avons des questions, je lève la main et Richard se raidit.

- Pardon mon colonel, la centrifugeuse ne fait pas partie des tests ?

Je vois tous les gradés y compris Richard avoir un immense sourire. Le lieutenant-colonel regarde sa montre, se tourne vers ses collègues et l'un d'eux s'éloigne.

- Tu aurais voulu tester ?

Cette fois, c'est moi qui ai le sourire.

- Oui, mon colonel.

- Approche. Ton nom ?

- Weissenbacher

- Ah c'est toi ? Il a posé une main sur mon épaule et me détaille de la tête au pied. L'autre gradé est revenu et fait un signe de tête au colonel. Mon commandant, pouvons-nous ?

- Oui.

- Bon alors suivez-moi.




Dans un couloir, il toque à une porte et me pousse dans une pièce où un homme en blouse blanche me dit de me mettre en tee shirt, il m'applique des fils sur la poitrine et les fait ressortir par le col et les joint à d'autres fixés sur ma tête.

Les tenant tous dans une main, il m’emmène dans une autre pièce et là me fait m'asseoir dans la machine infernale après avoir enlevé mes chaussures et ouvert ma ceinture et mon pantalon. Il me brêle au siège et fixe les fils sur la paroi derrière moi.

- Ça va ? Si tu veux qu'on arrête fait ce geste, d'accord ? De toute façon, on te surveille de là-haut sur un écran et tu es filmé.

Je lève les yeux et dans une salle en surplomb, je vois d'autres blouses blanches mais aussi les collègues et Richard. Je leur tire la langue. La cabine est bien fermée. Lorsqu'elle commence à tourner, j'ai un peu le trouillomètre à zéro puis je me dis que je ne risque rien.

Au-début c'est drôle mais bientôt j'ai envie de vomir et j'ai l'impression d'être totalement écrasé. J'ai l'impression que mes os vont tous être réduits en bouillie mais déjà la pression redescend. Et lorsqu'elle stoppe, je suis déçu, je ferai bien un autre tour.

 

- Félicitation jeune homme, tu as une sacrée résistance.



En nous dirigeant vers le mess, nous assistons au départ de deux mirages IIIC pour notre plus grand bonheur.



Il ne nous a pas demandé de nous dispatcher dans les deux dortoirs et comme un seul homme nous sommes tous entrés dans celui dont il a ouvert la porte en premier.

Il est debout dans le couloir et son regard passe sur chacun de nous. 

- Bon les garçons pour cette dernière soirée, je vous laisse seuls, je vais vous faire confiance, à dix heures, extinction des feux, compris ?

Je le regarde.

- Tu… vous allez où mon colonel ?

Il fait claquer son calot sur sa cuisse, amusé.

- Et en quoi cela vous regarde-t-il ? Il se met à sourire, je vais rejoindre d'anciens copains d'escadre. N'oubliez pas vingt-deux heures. Ah oui, j'ai ça pour vous puisque vous avez tout fini.

Et il jette sur le lit devant lui, quatre tablettes de chocolat et une boîte de bonbons.

 

Après son départ, on laisse Xavier faire le partage car avec lui on sait que ce sera vraiment équitable.



Despéro me fait signe de venir avec lui, on va dans l'autre chambre. Pourquoi veut-il qu'on s'isole ?

- Si t'a besoin de parler de ce qui s'est passé cet après-midi. Il est quoi pour toi le colon ? Il y a plein de rumeurs qui tournent sur vous deux.

Je hausse les épaules et retourne dans l'autre chambre.

 

Des groupes se forment pour s’asseoir sur les lits par quatres autour des propriétaires des jeux de cartes. Bex se tourne vers nous.

- Et bé vous êtes des rapides tous les deux, c'était bon au moins.

- Olivier, t'es qu'un gros con !

- Et toi un sale pd.

Despéro se met devant moi, comme moi il serre les poings.

- Répète ça ?

Xav à son tour vient se mettre entre nous deux ainsi que Vermont. Mais Bex se lève et enfonce le clou.

- Si l’autre l'est pas un pd, il fricote quoi avec le colon, y a des parents qui veulent plus d'un pd pour dirlo.

Je n’en peux plus de ces allusions, 

- Mais vous êtes tous franchement trop cons, c'est mon père, il m'ont adopté car mon géniteur a abusé de moi et m'a tellement fracassé avec l'accord de ma mère qu'il m'a laissé pour mort.

Je ressors et vais me rouler en boule dans un coin de l'autre chambre dont j’ai fermé la porte, restant dans le noir.



J'entends la porte s'ouvrir doucement et des pieds se mettre en cercle autour de moi. Je rentre la tête attendant je ne sais pas quoi mais pas quelque chose d'agréable.

Ils poussent les lits et s'asseyent en tailleurs autour de moi.

- Désolé d'être un gros con.

Olivier s’est assis juste à côté de moi.

- C'est ça toutes tes cicatrices ? me demande Xavier.

Maxime aussi s’excuse.

- Pardon d'avoir pensé des conneries, le prochain que j'entends dire des trucs sur toi, je le bute.

Par contre Xavier ne comprend pas.

- Mais pourquoi t'as rien dit depuis le début ?

- Et Garrot ? me demande alors Michel

- Quoi, Garrot ?

Je ne sais pas si dans cette obscurité ils voient ma tronche mais là franchement elle affiche une incompréhension totale.

- Bin oui, Garrot et toi ?

- Garrot franchement, je donnerais ma vie pour ne plus partager ma chambre avec lui. J'ai hâte que ce soit les vacances pour être débarrassé de lui.

Yann me pose une main sur l’épaule. J’ai un frisson. Je me retiens de réagir violemment, trop violemment.

- Maintenant gros, tu veux bien nous raconter ?

Je soupire, puis je lève la tête et les regarde, je ne vois pas leurs visages mais je sais que tous me fixent. Je l'ai raconté à Claude et à Marion, pourquoi pas à eux ?



Lorsqu'il revient à onze heures, nous ne sommes pas couchés, il va nous engueuler en nous surprenant, mais pendant un moment, il reste à nous écouter parler, puis allume la lumière. En passant devant lui chacun de nous s'excuse. Deux minutes plus tard nous sommes tous couchés.



Le réveil pique un peu mais à neuf heures nous sommes dans le train direction Le Mans. C'est un TER où nous n'avons pas de place donc où nous restons debout dans le compartiment vélo. Juste que, dans le compartiment d'à côté, il y a quatre filles très mignonnes mais Richard est intraitable et même Xav se voit menacé d'être puni. Moi je sais que si les punitions ne pleuvent pas c'est d'abord parce qu'il est content de nous mais aussi, je le connais bien, qu'elles tomberont plus tard.

 

Dans le train suivant nous avons des places dans trois compartiments de huit ce qui énerve Richard. Finalement en faisant des échanges ils réussit à nous garder un compartiment entier de huit où nous nous entassons tous les douze. Lui s'exile dans le compartiment contigu mais débarque tout le temps. Je finis par me sacrifier et Xav vient avec moi pour aller lui tenir compagnie et finalement Michel nous rejoint aussi. Une heure plus tard, il nous laisse pour aller s'installer dans l'autre compartiment et Despéro vient nous rejoindre.

Assis devant la fenêtre, je laisse mon esprit vagabonder. D’un coup Xavier tape sur ses cuisses.

- Claude sort les cartes, on se tape une belote, Bob t'es avec Michel.

Peuvent pas m’oublier ?

- Pff je suis obligé de jouer ?

Trois voix me répondent.

- Oui !

- Dîtes moi les jeunes, vous êtes dans quelle école ?

Nous nous retournons sur un des quatre autres hommes qui sont assis avec nous.

- Lycée militaire d’Aix en Provence.

- Vous êtes loin de chez vous.

- Non pas moi, ma famille est de Niort.

- Pourquoi tu n'as pas choisi Autun, c'est plus près de chez toi ?

- Mon père qui a choisi, déjà j'ai évité la navale. Mais là, j'avais prévenu mon père, je me casse d'une manière ou d'une autre.

Là, Xavier m'en bouche un coin, jamais je n'aurais pensé qu'il puisse être capable de se rebeller contre une autorité quelle qu'elle soit.

Claude distribue les cartes, mon jeu est noir comme mon âme…

- Bon Bob, tu prends ou pas ?

- Non j'ai pas de cœur.

Xavier lève les yeux au ciel.

- Non, tu recommences.

Michel souffle exaspéré.

- Il ne recommence pas, il le fait exprès.

Claude soupire.

- Robert t'es chiant.

Je leur montre mes cartes.

- J'ai dit que je ne voulais pas jouer et puis je ne mens pas, regardez j’ai que du pique ou du trèfle et aucun habillé.

Despéro m’arrache les cartes des mains

- Fous le camp, vas rejoindre ton pater, t'es aussi chiant que lui et envoies-nous un autre gars.

Dans l'autre compartiment ça pue.

Richard fronce les sourcils en me voyant débarquer.

- Qu'est-ce que tu fais là ?

- Il leur faut un quatrième pour la belote et moi je déteste jouer aux jeux de cartes.

Il a d’un coup un grand sourire et se lève.

- Oh tiens, c'est une bonne idée ça, je vais faire le quatrième.

Quand je le vois sortir, je le suis pour me délecter de la tête des trois autres qui est, il faut l'avouer, absolument impayable.

Quant à moi, je me glisse à sa place et je me laisse aller à dormir.

A midi, Richard me réveille en me donnant deux sandwichs et une bouteille d'eau comme aux autres.

 

A Marseille, nous entrons en force dans le TER pour Aix qui commence à démarrer.

 

Le soir quand Garrot me demande comme Claude :

- Alors ça c'est bien passé ?

Je lui réponds:

- Tu sais que t'es trop jeune !

 

Et ce soir-là, en me couchant, j'aimerais pouvoir me réveiller un an plus tard.



1 Mess des hommes du rang.

2  Élèves de classe de prépa

13 novembre 2010

Robert samedi 16 avril 1977 kdo d'anniversaire 1

 Robert samedi 16 avril 1977 kdo d'anniversaire 1

 

Hier, Lorient en faisant le contrôle des chambres et donc des armoires a vu la bouteille de calva et sa bougie au fond de mon placard et m'a gentiment fait comprendre qu'elle devrait avoir disparu vendredi prochain mais l'anniv de Richard c'est le trente Mai, je vais faire comment, d'ici là ?





Jérôme à huit heures avant l’arrivée du prof, déjà assis, se tourne vers moi.

- Tu sors avec nous cet après-midi ?

- Vous comptez faire quoi ? Et vous comptez aller où ?

- Un coca, peut-être un ciné. Les filles.

Là, tous font : Cuisssssss !

Je leur montre mes poches vides.



Dix heures, pendant la récré, je prends mon courage à deux mains et ne le remets pas à demain. Là, je suis au pied du mur.

Mademoiselle Dionis n'est pas là, je toque donc direct.

- Entrez ! Ah, tiens, le Putois. 

Je fais la grimace sans vraiment oser le regarder en face. Pourtant je le vois sourire.  

- Tu sais qu'ici, tu n'es pas en odeur de sainteté. Ajoute-t-il

Je torture tellement mon calot que s’il avait été mouillé, maintenant il serait expurgé de toute humidité. 

- Je me suis excusé.

Il ferme son gros stylo encre noir avant de le poser devant lui.

- Et tu crois que cela suffira ?

Je regarde mes chaussures que je trouve mal cirées.

- Je ne le pensais pas.

Il se laisse aller brusquement en arrière. Surpris, je le regarde, je l’ai énervé cela se voit sur son visage et dans ses gestes saccadés.

- Oui tu l'as dit. J’ai cru qu’il allait ajouter quelque chose, mais non il se contente de secouer la tête, sa main se lève pour retomber sur sa cuisse. On dirait qu’il cherche ses mots. Mais elle est rancunière.

Je le fixe. Pitié monsieur ! Pitié mon colonel… Richard ? Mon estomac se tord comme mon calot dans mes mains.

- Je devrais faire quoi ?

- Rien ! T'es foutu. Il n'y a plus rien à faire… Et comme je suis son mari, je suis obligé de l'être aussi. Il se tait. Il me fixe maintenant, silencieux. Puis se redresse et appuie ses bras sur son bureau. Bon sinon que me voulais-tu ? Ce que je veux ? Est-ce que cela a encore de l'importance ? J'ai tout gâché, j'ai tout détruit. Il élève la voix. Alors ? Je sursaute. Aurais-tu perdu ta langue, ne saurais-tu plus que siffler comme les vipères ?

- Non,... Ai-je encore le droit de l’appeler Richard ? De toute façon, nous sommes dans le cadre de l’école, alors… Mon Colonel. On est samedi, je venais simplement vous demander s'il me serait possible d'avoir un peu d'argent de poche ?

Il ne dit rien. 

De nouveau, adossé en arrière dans son fauteuil, le bras droit posé debout sur son accoudoir, il a repris son gros stylo encre noir et le fait tourner entre ses doigts comme un magicien.

Debout, droit, j’ai relevé la tête et j'attends les yeux fixant le vide au-delà de sa fenêtre, qu'il veuille bien rompre le silence en me donnant une réponse qu'elle soit positive ou négative.

Il pose son stylo puis croise ses mains devant lui, à nouveau appuyé sur son bureau.

Il le fait reculer puis à nouveau s'y laisse aller en arrière, continuant à me fixer.

Enfin, il se lève et une fois de plus vient s'asseoir sur son bureau. Je remarque alors, qu'ainsi, il est plus petit que moi et je ne ressens plus ce sentiment d'écrasement que je ressentais avant, lorsqu'il se mettait comme cela devant moi.

- Tu veux combien ? Que veux-tu t'acheter avec ? Vous comptez aller au cinéma avec tes copains ? D'ailleurs en parlant du cinéma, la direction s'est plainte à moi de votre incorrection, donc essayez d'être plus… discrets. Je fais semblant de ne pas comprendre mais d’un regard il me fait comprendre qu’il n’est pas dupe.  Bon, alors combien ? Tiens voilà vingt francs cela devrait te suffire, je pense. C'est ce que je donne aux filles chaque mois. C'est vrai que je n'ai jamais pensé à le faire avec toi.

Il se tait. Il ne m’a pas laissé le temps de répondre à ses questions. Mais espérait-il vraiment des réponses ?

Il sort le billet de son portefeuille qu’il pose derrière lui sur son bureau. 

Il tient le billet entre le majeur et l'index mais ne me le tend pas. Il pose sa main droite qui le tient sur sa main gauche posée sur sa cuisse.

Puis il soupire et me le tend.

- Merci !

Je le prends lentement sans précipitation. Je sors mon propre portefeuille et le glisse dans l'emplacement adéquat.

Il se saisit du vieux portefeuille que j’ai récupéré au chalet  dans un carton au grenier. Il sourit, le tourne en tous sens, puis en sort ma carte d'identité et la fixe. Compte les quelques centimes qui me restent dans la partie porte-monnaie. Il secoue la tête, soupire et me le rend.

- Amuse-toi gamin. Puis la main posée sur ma nuque, légère et ferme tout de même, il me raccompagne dans le couloir. Je vais pour le saluer. Laisse tomber, file.

Il sourit, je le lui rend puis m'éloigne.

Au moment de passer la porte extérieure, je ne peux m'empêcher de le regarder. Il n'a pas bouger, debout les pieds un peu écartés, les deux mains enfoncées dans ses poches, il semble soucieux. Je lui fais un signe de la main qu'il ne me rend pas mais je vois son visage se dérider imperceptiblement.





Je sors avec les collègues du lycée mais dans la rue avant le ciné, je me sépare d’eux.

- Oh et zut ! Allez donc voir votre film, moi j'ai du papier cadeau à acheter.

Garrot pose sa main sur mon épaule, je la vire.

- Tu veux m'offrir quoi ? Tu sais que mon anniv c'est le deux Juin.

Lui ? Comme si j'avais envie de lui offrir un cadeau à con ?



Lorsque je pousse la porte de la grande papeterie, je suis assailli par mille odeurs, certaines agréables et connues et d'autres qui m'intriguent. Je cale mon calot dans ma ceinture puis me mets à faire le tour du magasin.

Je repère vite les papiers cadeaux, il y en a deux sortes : certains vendus sous forme de rouleaux et d'autres en feuilles présentées posées à cheval sur des barres sur une sorte d'échelle. Les rouleaux sont plus économiques mais qu'en ferais-je ? Je me décide pour une feuille qui me semble encore très grande et chère car elle coûte six francs. Mais le papier doré, imitant l'écrit de vieux livres manuscrits médiévaux, me séduit.

Je me dirige vers la caisse sous la haute surveillance d'une vendeuse qui me suit depuis mon entrée. Je repère qu'au premier, c'est aussi une librairie.

En trois enjambées, je gravis les escaliers et j'ai le souffle coupé par ce qui s'offre à mes yeux. Je passe le long des bibliothèques les yeux avides de titres.

Sur une table, les dernières parutions en poche, je repère un Blade, je pense à Claude et le prends.

En bas, près de la caisse, il y a des stylos encre. Le mien bave atrocement. J'hésite. Ils ne sont pas très chers, mais pas pour moi, hélas, je renonce puis… j'en vois un avec la languette d'accroche en forme de cheval au galop. Il coûte sept francs. Pour moi, c'est une sacré somme mais bon.

 

Je retourne directement à l'école.

Je prélève une bande de papier à la feuille pour emballer le stylo qui finalement se retrouve être plus une momie enrubannée de collant qu'un paquet cadeau.

Puis je galère comme un malade à emballer ma bouteille et sa bougie mais finalement pose le dernier bout de ruban adhésif quand Marion fait irruption dans la chambre.

- C'est pour moi ? Ah, non, c'est ta putain bouteille ? Sa déception m’amuse… s’il savait. Et tu crois qu'emballée, Lorient l'acceptera plus ?

Je soupire. Pourquoi pose-t-il la question puisqu’il connaît comme moi la réponse ?

- Mais non, je vais demander à Mademoiselle Dionis de me la garder et de lui offrir pour son anniv.

Il s'assied à califourchon sur ma chaise.

- Et tu crois qu'il va l'aimer ta bouteille ?

Je souris

- Double Joke entre nous. Il me détestera mais je suis sûr qu'il la gardera précieusement tout en la détestant du fond du cœur..

- T’es franchement un malade !

Il a sûrement raison. Après sa femme c’est lui que je vais mettre en rogne. Tant pis. La bouteille va rejoindre son coin de placard. Je ferme la porte à clef et me tourne vers Marion.

- Bouge !

Il se lève lentement, me faisant bouillir en silence car  j’attends pour remettre soigneusement ma chaise à sa place, bien alignée avec la sienne et bien au milieu du plateau de mon bureau.

- Bon, ça sonne, tu viens manger.

Mais vas-y donc ! Avec ta vitesse d’escargot, j’y serai avant toi !

- J'arrive Marion, j'arrive. Claude est-il rentré ?

- Ouais, du moins il est allé dans sa chambre.

Non, Claude est presque déjà dans les escaliers, ce n’est pas un “pieds plats” lui !.

- Claude attend. Tiens, tu l'as celui-là ?

Il prend le livre ravi.

- Ah non. Tu le sors d'où ?

De la main, je lui fais comprendre de ne pas poser de question.

- Cadeau !

Garrot nous a rejoint.

- Hé ! C'est pas juste pourquoi tu lui fais un cadeau et pas à moi ?

Je me tourne vers lui tout en prenant une distance de sécurité même si Marion contrairement aux vingt-huit autres mecs, ne frappe pas.

- Parce que toi, Marion, tu devrais déjà être simplement honoré de respirer le même air que moi.



11 janvier 2011

Robert lundi 29 août 1977 Salon

  Robert lundi 29 août 1977 et plus si affinité





C’est le soleil qui me réveille et sa présence en uniforme debout à côté de mon lit.

- Qu’est-ce qu’il se passe.

- Tu sais quel jour on est ?

- Oui je crois.

- Et quelle heure ? A mon poignet pas de montre. Il la tient entre son pouce et son index. Elle a dû me l’enlever et arrêter le réveil prévu. Je m’assieds. Debout et habillé, lavé prêt dans cinq minutes dans la cuisine et peut-être que je te la rendrai. On mange un morceau et on part.



Lorsque je débarque dans la cuisine, il y a non seulement les parents mais aussi Mammema et Papapa. Ce dernier se penche vers moi pour me confier tout bas.

- Ta grand-mère a tenu à venir pour soutenir sa bru mais moi je sais que c’est pour pouvoir pleurer comme quand on a accompagné son fils quelques années en arrière.

Tout en le tapant gentiment, Mammema le pousse pour venir m’embrasser.

- Raoul, franchement, pourquoi tu me fais passer . Tu racontes n’importe quoi. C’est seulement que oui, cela va nous ramener à une époque où nous étions encore jeune et beau.

- Mais vous êtes toujours jeunes et beaux.

- Richard, qu’est-ce que ton garçon veut nous soutirer pour ainsi nous flatter.

- Mais rien. Je…

- N’écoute pas ce vieux ronchon. Continue mon petit à me dire de si jolies choses. Papy c’est un homme. Nous les femmes par contre, nous savons apprécier quand un beau jeune-homme nous dit qu’on est belle. Pas vrai Gisèle ?

- Oh oui et puis avec lui, c’est naturel, pas besoin de le prier. Il fera une hécatombe lorsqu’il commencera à s’intéresser au sexe opposé.

- Parce que tu crois qu’il a attendu ton autorisation ? J’en ai déjà entendu de belles sur son compte.

- Ah tiens donc, raconte-nous donc mon amour.



A quatorze heures, lorsque Richard se met derrière le volant du break au côté de son père. Les deux femmes m’encadrent à l’arrière. Ils ne m’ont pas laissé une seule fois la possibilité de penser à l’issue de cette journée.



C’est seulement une fois sortis du parking de leur immeuble que je réalise et que mon cerveau se met tout seul sur off pour le monde extérieur.



En deux fois, mon repas va nourrir les plantes du bas côté et je finis le trajet appuyé à la portière, fenêtre grande ouverte.





Dans le parking bien plein de l’école, des familles font déjà leur adieu à des garçons tous beaucoup plus vieux que moi.

Despéro m’attend juste à côté du portail tenant comme moi, d’une main sa convocation et de l’autre son sac. Au sourire qu’il me fait, je sens qu’il n’en mène pas plus large que moi.

Si les autres sont restés à la voiture, Richard, lui nous accompagne serrant maintes mains et se présentant uniquement comme le directeur d’Aix.



Les familles sont parties et nous ne sommes plus qu’une centaine de jeunes mecs qui se demandent à quelle sauce nous allons être assaisonnés.

Il y a plusieurs bus.

Chacun d’un se remplit, je me présente devant le troisième juste après Despéro.

- Ton nom ?

- Robert Weisembacher.

Je vois l’aspirant aller à la dernière feuille de son dossier et biffer mon nom dessus, à côté il y a un petit dessin cabalistique qui ne me dit rien qui vaille et de la tête, il me désigne aux autres militaires présents.

- Tu peux monter le fiston.



Ils nous font asseoir avec nos sacs sur nos genoux, un à droit et un à gauche, avec Claude nous voilà séparés. Le dernier à s’asseoir est suivi par deux mecs en kaki.

- Tirez les rideaux et mettez vos mains sur votre tête et le visage entre vos coudes sur votre sac.

Le bus enfin démarre puis roule, roule, roule… je ne pensais pas que cette base était si grande.

Le silence est angoissant…





- Descendez, descendez, fissa, fissa !

Un pax devant moi, loupe une marche en descendant du bus, on entend les militaires le traiter de tous les noms.



Nous sommes répartis en compagnies, elles même séparées en deux brigades.



Nous devons courir jusqu’à une tente, dessous, trente lits.

- Posez vos sacs sur un lit et dehors ! Fissa, fissa !



Ils nous font mettre en ligne, et là commence une inspection où chacun de nous se fait mettre plus bas que terre, quelque soit notre tenue, elle devient pour eux, l’objet de moquerie. Je ne sais pas combien de temps ça dure mais assez longtemps pour que la nuit soit tombée.

En guise de repas, on nous distribue un sandwich au thon, un sachet de chips et une petite bouteille d’eau que nous devons expédier debout en cinq minutes. Je comprends pourquoi je me suis tapé du poisson matin, midi et soir pendant dix jours. Mais c’est toujours aussi mauvais.

Pour nous faire digérer, une petite balade s’imposait, il va sans dire, main sur l’épaule du gars devant nous, moi sur l’épaule d’une fille, nous partons en file indienne dans la garrigue. Merci Richard encore une fois qui m’a fait mettre en jean et basket même si ça me vaut des moqueries : «encore un sportif de salon».

Devant moi, elle galère avec sa jupe et ses talons. Derrière-moi, le pax me percute dedans à chaque fois que je stoppe pour rattraper la fille.

- Hé les mecs j’ai aussi un couple ici… le vampire il aimerait se farcir le fiston.

Et encore marcher ça va, mais courir dans le noir, combien se sont retrouvés par terre ? Tous je pense, au moins une fois.

Enfin retour sous la tente.

Explication bâclée en deux minutes de comment refaire le lit le lendemain et nous voilà tout habillés dans nos sacs de couchage. Dehors un orage pète et je crois que nous avons tous croisé les doigts pour que la tente soit bien arrimée.

Mais nous n’étions qu’à peine endormis que des bras musclés et sans douceur nous jettent au sol.

- Debout, garde à vous.

Putain que c’est dur, putain que ça fait mal. Certains râlent, ils pompent. Puis nous pompons tous, c’est ça la cohésion nous expliquent-ils, nous allons vite intégrer à la dure cette notion.



Lorsque enfin le clairon sonne nous avons dû dormir deux heures en tout et de façon hachée. Nous allons tous vite apprendre durant les deux prochains mois, à dormir peut-être peu mais n’importe où, dans n’importe quelle position et dans n’importe quelle condition.



Après un petit déjeuner rapide, commence alors notre circuit d’accueil avec entre autres, la signature de nos formulaires d’engagement. Moment fort pour moi de devoir apposer ce petit gribouillage longuement répété sur des dizaines de feuilles de mes cahiers... Sous les yeux et de ce souriant capitaine dont je fixe le macaron qui orne sa poitrine.

- Tu veux devenir pilote ?

- Oui mon capitaine.

- Alors je te le souhaite mais seul toi et ton travail pourront te l’offrir. Bonne continuation.

- Merci mon capitaine !



Puis c’est réception du paquetage auprès du service. Nous entrons en civil et nous ressortons habillés de pieds en cap de kaki avec au bout des bras un gros sac kaki, un sac paquetage beige et un gros sacs poubelles dont nous devons faire rentrer le contenu dans la toute petite armoire puis que nous passerons une nuit complète à marquer en cousant sur absolument chaque pièce un morceau du long ruban bien roulé, avec notre matricule.



Mais pour moi et mes collègues de chambrée c’est d’abord coiffeur. Si pour moi cela ne me change guère, pour Willemin et Zugger qui sont arrivés avec pour l’un une coupe à la Claude François et pour l’autre une coupe d’enfant sage avec la raie sur le côté. L’expression sur leur visage nous permirent nos premiers fous rire communs.

Puis de suite après le coupe-tif nous sommes pris en photo et franchement ce ne sont pas celles où je me trouve le mieux.



La fin du parcours administratif signe aussi la fin du séjour sous tente et notre assignation à une chambre à six. La mienne est bien sûr au dernier étage. Les filles ont un étage qui leur est réservé où elles ont rejoint les secondes années.



Nous ne sommes à peine dans la chambre, à faire entrer difficilement le contenu de nos sacs dans nos armoires qu’un pax en kaki, visage de la même couleur et casquette vissée sur le crâne passe dans les couloirs en hurlant :

- En tenue de sport, short et tee-shirt dans la cours dans deux minutes.

Les choses sérieuses commencent.

Nous voilà répartis en compagnies, elles même séparées en deux brigades.

Et jusqu’à l’heure du repas, le commandant D qui va encadrer notre promotion tente de nous expliquer qui fait quoi et simplement qui est qui dans notre encadrement plus restreint. Et j’y revois mon pilote de chasse qui sera notre brigadier. Un jour, je serai à sa place !

Mais aussi et je pense que pour lui c’est le plus important, actuellement, nous les bleu-bite nous ne sommes que des crasses de meules qu’il va tenter de transformer en hommes.

Et comme un con en entendant son discours, je me mets à sourire car pour moi la jolie blonde à ma droite aura du mal à devenir un homme.

- Vous là-bas, qu’est-ce qui vous fait rire ? Présentez-vous !

Je me raidis.

- Élève Weisembacher Robert promotion 77 seconde compagnie, deuxième brigade.

- Sortez du rang et venez nous montrer comment on fait cent pompes.



Ma punition faite, je me redresse et au garde à vous attends l’autorisation de retourner à ma place. Ils sont quatre à me tourner autour.

- Tu sais ce qu’on fait au fistons ici, on les résorbe, on les réduit à rien, tu entends ? Dans une semaine, tu pleureras en nous suppliant de te rendre à ta maman.



Lorsque je rejoins ma place, mes deux voisins ont l’air plus secoués que je ne le suis moi-même et j’ai beaucoup de mal à réfréner le sourire amusé qui monte. Ce sourire qui m’offrira ici comme à Aix ou ailleurs plus tard, de nombreuses occasions d’être puni...

- Putain j’en aurais même pas fait trente !

Elle… Elle va devoir apprendre à se taire.

Un des bleus se dresse devant elle et lui hurle dessus.

- Qui t’a permis de parler ? Puis la prenant par le bras, il la fait sortir du rang. Là, il est rejoint par deux autres mais des kakis. Puisque tu veux parler répète : Oui mon lieutenant, élèves officier du personnel navigant.

Elle répète mais se trompe car les deux verdâtres la bousculent, la repoussant vers l’autre comme si elle était une balle qu’ils se renvoyaient. Le bleu alors continue à lui hurler dessus.

- Répète ! Répète !

Quand elle revient se mettre à sa place, j’ai envie de lui dire un truc sympa mais je me tais et ça me donne une de ces rage qui ne se calme que lorsque nous revenons nous remettre en rang après avoir fait trois fois le tour de la PO.



Et nos repas, on en parle ?

Manger des petits pois ou de la purée sans couvert et ce en moins de dix minutes.

Manger assis sous la table et l’assiette bien à sa place sur la table.

Manger assis sur nos chaises, l’assiette posée au sol.

Manger debout sans couvert, dos à la table, et tout en mangeant aidé de la voix notre voisin qui est à l’inverse de nous et dont nous voyons l’assiette.

Manger ou plutôt faire manger notre voisine et dans mon cas ma voisine les yeux bandés.

Je me répète que tout ça a une raison d’être, enfin je l’espère…

En tout cas, nos estomacs apprennent à ne jamais être pleins. Et pas question comme à l’école de remplir nos poches de morceaux de pain. Cela me vaudra comme à d’autres de pomper, de pomper et encore pomper car si un pompe, les autres aussi… c’est ça leur vision de la cohésion.



Mais le pire, c’est le manque de sommeil, dormir une heure puis se faire réveiller et obéir à leur moindre folie, comme celle de devoir nous habiller en uniforme de fantaisie .

- Tenue BUC, papillon, chaussures de combat.

Et on apprend vite ce que veut dire mettre une ou l’autre paire de chaussures. Baskets : on va sur le terrain de sport et là, encore ça va. Les noires, ça va aussi, on va en cours. Mais les rangers cela veut dire : marche, dix, vingt, trente kilomètres avec sur le dos un sac de trente kilos.

Ah ces marches journalières, un bonheur pour «les pauvres petits bébés à leur môman», pour toutes «ces fillettes pleurnicheuses» qui se plaignent d’une ou deux petites ampoules. Je finis souvent avec un sac en plus. Certains donnent la main à celui de derrière ou pousse celui de devant. De toute façon, comme ils nous ont dit : «Vous terminez tous ou vous ne terminez pas !»

La fille, je la vois serrer les dents, le blond derrière moi, je le tire puis je lui prends son sac. Pourtant il est un ancien pipin, il devrait savoir marcher. Enfin, je m’en fous.

Il s’appelle André et elle Monique mais on l’appelle tous Momo ça fait moins fille car franchement avec ses cheveux courts et sa hargne, on a du mal à voir en elle une fille. Et puis elle sait se défendre, certains d’entre nous en ferons les frais mais ça, c’est une autre histoire…



Ces marches on s’y fait mais ce sont nos retours dans des chambrées où le Mistral à souffler. Parfois c’est juste tout le contenu de nos armoires jeté par les fenêtres et réuni en un tas immense au milieu de la PO qu’il nous faut résorber. Ou parfois c’est le mobilier qui a disparu laissant une chambre nue constellée de nos affaires mélangées. Et à nous de parcourir toute la superficie de l’école pour retrouver puis ramener lit ou armoire et ensuite tout ranger avant l’heure fatidique de huit heures ou nous devons être en rang avant d’aller en cours. Et tant pis pour ceux n’auront pas pu dormir. Quant au petit déjeuner, nous l’oublions souvent pur et simplement.

Ma ceinture déjà trop grande au début va bientôt pouvoir faire deux fois mon tour de taille.


































8 novembre 2010

Robert samedi 2 Avril 1977 Retour de marée

Robert samedi 3 Avril 1977 Retour de marée

 

Se réveiller  à deux heures, ça pique mais c'est pour la bonne cause.

 

Hier soir, déjà, j'ai "par erreur", remplacé le sucre dans la sucrette par du sel. Il n'a pas apprécié son yaourt et m'a juste dit en me tendant la sucrette, vas remettre du sucre dedans.



Bref ! bref !

Trouver les boîtes de sardines, en ouvrir une, bien rincer puis même faire tremper deux sardines dans du lessif vaisselle, les rincer et les sécher. Tout ranger, nettoyer l'évier, mettre le torchon au lavage et retourner au premier. Ouvrir sans bruit la porte des parents.

Aller jusqu'à leur lit à quatre pattes, glisser une sardine dans chaque pantoufle de Monsieur, bien, bien au fond.

Ressortir et remonter me coucher.



Redescendre vers onze heures, étonné de ne pas avoir été réveillé.

S'apercevoir qu'il a “ses” pantoufles sur les pieds et qu'il a l'air normal.

 

- Dépêche-toi de déjeuner, tu vas venir nous aider.

- Vous n'allez pas skier ?

- As-tu vu les femmes et Rémy ?

Pas faux. Je n'ai vu que Mamie, Papapa et lui.



Lorsque j'enfile mes baskets, je prends soin de vérifier qu'il n'y a rien dedans.

Mammema me tend une des combinaisons de ski de Papapa et un de blousons de Rémy.

- Je n'ai pas envie de te revoir malade et mets ce bonnet.

- Ah c'est sûr qu'avec tout ça sur le dos je n'aurais pas froid, juste aux pieds.

- Si tu n'avais pas de si grandes pattes...

- Pas ma faute.



Richard et Papapa ont adossé une échelle contre le plus grand chêne à la limite de notre terrain.

- Grimpe avec cette corde. Elle te permettra de hisser la tronçonneuse pour éliminer la branche qui va nous tomber dessus.

La corde dans la main je grimpe donc, m'installe à califourchon sur le gros nœud de branches et commence à remonter la corde que je trouve très légère. Au bout : un simple sac en papier.

Je me suis fait piéger.

Contre l'arbre plus d'échelle, enfin si, mais repliée à son minimum et inaccessible pour moi.

Dans le sac, du pain, je le sors. Dedans, deux sardines écrabouillées. Oh, l'enflure !

- Bon appétit ! Tu ne descendras de ton perchoir que quand tu les auras mangées. Je fais mine de jeter le sachet. Non, oublies ! Si tu le jettes, tu resteras là-haut jusqu'à ce que tu les ais mangées quoiqu'il arrive, je te les remonterai moi-même.

- Gisou ne sera pas d'accord.

- C'est elle qui a fait le sandwich. Elle n'a pas apprécié d'avoir à laver mes pantoufles après avoir bien raclé pour récupérer le contenu de ton pain.

 

Je m'installe du mieux que je peux, une guerre d'usure va avoir lieu même si je sais pertinemment que j’en serai le perdant quoi qu'il arrive. Mais je veux tenir au moins jusqu'à l'arrivée de Gisou car je ne le crois pas.

Par contre, je sais pourquoi Mammema m'a fait me couvrir comme un esquimau. Je l'aime pour ça mais aussi je la déteste car elle savait et ne m'a rien dit.



Si j'avais su, je me serais pris un livre.

Je fouille les poches du blouson. J'y trouve un mouchoir sale que je laisse tomber en bas de l'arbre. Un ticket d'autoroute. De la monnaie, bon à savoir ! Et des clous, quatre gros clous. Pourquoi des clous ?

Je m'emmerde grave.

Je me mets debout.

Je décide de monter encore un peu jusqu'à ce que je sente les branches trop fragiles pour supporter mon poids.

Ils sont rentrés mais de mon perchoir je peux voir l'intérieur de la grande pièce. Ils sont à table. Richard lève vers moi son verre de vin et son pilon de poulet.

J'avoue que j'ai faim et les voir manger ne m'aide pas.

Je redescends sur mon premier perchoir mais je m'assieds en leur tournant le dos. Je sors le sachet le plus discrètement possible avec les quatre clous. Tout d'abord je commence par creuser un trou dans l'écorce entre mes jambes. Mon idée ? Faire un trou assez gros en gardant la sciure et y enterrer les sardines et manger le pain. Manger le pain ? Bonne idée ! J'en déchire des tout petits bouts que je porte à ma bouche en faisant semblant d'avoir froid aux mains et en soufflant dessus collées à ma bouche, puis je les coince sous mes aisselles.

J'abandonne ce stratagème car le pain a un goût de sardine.

Je saisis un clou et me mets à graver le tronc devant moi :

" Ici fut torturé par des êtres sans cœur un innocent adolescent de seize ans "

Ensuite je grave une forme de poisson.

Je fais tomber le clou et en essayant de le rattraper, je manque tomber moi-même. J'avoue que je me suis fait peur.

Je prends un autre clou.

"En ce jour maudit du 3 Avril 1977 où le seul tort de cet enfant fut de vouloir se venger de l'infâme fourberie de son..."

Là, j'hésite. Tuteur ou père ? Ni l'un ni l'autre !

Je suce mon clou, au bout d'un moment je lui trouve le même goût que celui qu'on a lorsqu’on lèche une plaie. Je le regarde étonné, je sais qu'il y a du fer dans le sang et que c'est pour ça qu'on a ce goût ferreux.

Bon c'est pas tout ça, j'écris quoi ? Je gratte "son".

"de celui qui tient prisonnier son âme et son cœur."

J'ai toujours le goût ferreux dans la bouche. Aïe ! Je me suis ouvert la langue avec le clou. Quel con, je suis !

Je ne sens plus mes pieds, je les remonte et m'assieds dessus, mais je ne suis pas très stable comme position.

Le sachet en papier glisse, je le rattrape in-extremis.

J'ai encore plus faim et maintenant en prime j'ai soif .

Tant pis, je reprends mon stratagème, capuche du blouson sur la tête, je souffle sur mes mains, je mange le pain. Reste les sardines. Enfin, ce que j'ai fait tomber du pain. Et j'ai remarqué quelque chose : elles sont huileuses. Dans la bouche, maintenant, j'ai un goût d'huile d'olive, de sardine et de sang. Bref, si elles sont huileuses c'est que ce ne sont pas celles que j'ai mis dans ses pantoufles qui elles étaient bien bien sèches.

Donc il m'a menti. Quand je dis que ce mec est fourbe.

J'ai envie de pisser. Je me mets à genoux et du haut de mon perchoir j'essaie d'écrire dans la neige : Help ! Mais je n'en ai pas assez pour écrire le "p". Là, la prochaine fois, j'écrirai "sos", c'est plus court.



A l'horizon, le char de mon égal, l'éblouissant Hélios descend se coucher. Debout, je le salue.

- Adieu, oh ami, que je ne sais si je te reverrai.

Alors que lui s'en va, je vois revenir celle qui j'espère me sauvera.

 

- Richard fait-le descendre de là-haut.

Il a un regard moqueur.

- Vas-tu taper du pied comme ta fille ?

Elle s’éloigne déjà.

- Non, je vais appeler les pompiers.

Les trois hommes se mettent à rire.

Richard m’interpelle.

- Robert as-tu mangé le sandwich ?

Je réponds à côté.

- Je te le dirai quand je serai descendu.

Rémy, le nez levé, interroge son frère.

- Richard, pourquoi a-t-il mon blouson ?

- C'est Maman, pour qu'il n'ait pas froid.

Cette fois c’est moi qui interpelle les paters.

- Richard ta femme est au téléphone avec les pompiers. J'ai envie de rire en voyant ce derrière partir en courant. Effectivement Gisou a le combiné entre les mains, elle me sourit mais ses lèvres ne bougent pas. Bien maintenant Rémy, tu m'ouvres de suite cette échelle .

- Toi aussi tu vas taper des pieds ? D'abord, je n'ai pas envie de me mettre mon frère à dos et ensuite tu n'as pas d'ordre à me donner.

Oui, bon j’aurais pu le demander plus gentiment… mais moi et la diplomatie.

- Bien alors c'est ta femme que tu vas te mettre à dos. Veux-tu que je lui donne ce que j'ai trouvé dans ton blouson ou veux-tu que je le garde pour moi ?

Il me regarde, étonné, la tête levée vers moi.

- Et qu'as-tu trouvé ?

Bizarrement, il n’a pas du tout l’air inquiet.

- Quelque chose que tu veux lui cacher.

Il secoue la tête et me fait signe de la main qu'il s'en fout et s’éloigne..

Flûte, ça ne marche pas. C’est pas tout ça mais je me les gèle au cas où ça intéresserait quelqu’un.

Dans la maison, je vois Gisou et Richard se disputer.

Papapa qui était entré avec Richard ressort.

- Rémy, aide-moi ! Ils ouvrent l'échelle et je descends. Toi vas t'excuser et vite !

- Mais, je…

Son ton ne me laisse pas d’autre alternative.

- Vas t'excuser ! Mais m'excuser de quoi ? Je ne suis pas d'accord. Poussé par Papapa, je rentre dans la maison. Tu te rends compte que là, ils se disputent à cause de toi. Ce n'était jamais arrivé jusqu'à présent. Jamais, ils ne s'étaient réellement disputés.

Dans le sas, j'abandonne le blouson puis dans la cuisine j'enlève la combinaison.

Ah zut, j'ai oublié un truc dans la poche du blouson.

Retour dans le sas où je bouscule Rémy. Je récupère le sachet vide que je vais déposer dans les mains de Richard.

- C'était dégueux mais je l'ai mangé. Mais je ne m'excuserai pas d'être celui que tu tortures à loisir avec un plaisir sadique.

Richard et Gisou me regardent m'éloigner sans un mot.

 

Dans ma chambre, je me couche direct, J'ai un peu la nausée. Je me dis qu'en fait ce serait cool de retomber malade.




12 avril 2010

Richard Jeudi 8 Mai 1976 réunion de famille 2

1976 Gisou Jeudi 8 Mai réunion de famille 2

 

- Quelle bonne idée il a eu de changer de voiture, enfin un peu de calme. Et il t'a fait quoi pour que tu sois si tendre avec lui ?

- Il passe son temps à se moquer de moi.

- Ignore-le.

- Maman sans vouloir jouer l'avocat du diable, Véro l'enquiquine et le cherche aussi H24.

- Et toi non ?

- Moi ? Mais je suis la sagesse incarnée. (Les deux parents se lancent un regard et sourient…) Eh c'est quoi ces regards ?

Son père la regarde dans le rétroviseur central.

- Disons que, Isabelle, si quelqu'un devait monter une mafia dans la famille ce ne pourrait être que toi .

 

 

- Bon on s'arrête dès qu'on peut, il faut faire manger au moins les deux petites puis je prends le volant pour que tu te reposes car je pense que ce soir, je ne te reverrai pas avant une heure extrêmement tardive ?

- On pourra aller dans la voiture de Mamie ?

- Oui et je leur souhaite de bien s'amuser avec vous trois à l'arrière.

 

Mais finalement, on voit l'autre asticot revenir avec nous, il semblerait que rester avec nos deux démons femelles ne fasse pas parti de ses plans. Faut dire aussi que l'espace dans le cabriolet est des plus restreint pourtant ils se battent tous pour y aller.

 

 

 

 

 

- Bonjour ma sœur. Je t'envierai toujours de vivre si près de le l'Océan.

- Et bien profite ! Et c'est vous qui ne voulez pas venir l'été passer quelques jours chez nous. Tes filles pourraient faire de la voile avec les nôtres.

- Oui mais dans les Alpes il y a Papy et le planeur donc... j'ai toujours trouvé amusant ce fossé qui parfois sépare les deux frères.

- Comme toi et Olivier.

- D'abord on est pas du même sexe avec Olivier et puis je crois qu'on partage beaucoup plus que tu ne crois.

- Oui tu as sûrement raison, c'est vrai que petite j'étais assez jalouse de vous et de votre complicité qui rendait folle Maman. Tu as des nouvelles de Papa ?

- Oui par Olivier justement.

Les deux femmes restent debout entre la break et le cabriolet, face à face se tenant par les mains toute au plaisir de se revoir.

- Oh les femmes, hop hop !

- Papy, tu sais ce qu'elles te disent les femmes ?

- Bonjour d'abord ?

- Ou au-revoir, espèce de vieux macho.

- Moi ? Sylvie tu me rends bien triste là.

- Elle n'a pas tort tu sais ? Monte donc avec tes fils et l'autre mini mâle, nos bagages dans nos chambres, avec les filles on va chercher Clotilde et les autres.

- Et après, c'est nous les machos.

Gisou dépose un baiser sur la joue de son beau-père.

- Raoul, les femmes c'est la tête et les hommes les muscles, donc vous portez les bagages. Isabelle ramène tes sœurs Sylvie va nous faire visiter.

 

 

 

 

Doucement elle passe la tête dans l’entrebâillement de la porte. Ils n'ont pas encore dîner et déjà certains semblent bien rouge, le plafond bien bas et l'odeur pestilentielle.

Dans la cuisine juste à côté l'ambiance est différente. Elle soupire, elle aime bien retrouver sa sœur et les autres femmes mais cette ségrégation lui pèse. Elle va jusqu'à la fenêtre, dehors les filles de zéro à 20 ans ont pris possession de la pelouse, avec elles les plus jeunes garçons et les bébés, déjà confinées à leur futur rôle de mère.

- Astrid puisque tu ne fais rien, avec moi d'autres femmes, allons aller virer les hommes de la salle à manger pour préparer les tables et aérer.

 

Elles sont dix, l'opération est menée tambours battants. Ces messieurs ne sont pas coopératifs au début puis les maris se laissent convaincre d'utiliser leurs muscles pour placer les tables.

Gisou est comme toujours hallucinée par cette capacité des femmes à obtenir ce qu'elles veulent par quelques flatteries.

- Viens ici toi ! (L'ado sent déjà l'alcool à plein nez. Normalement tu n'as rien à faire ici. Elle l'entraîne le gamin dans son sillage jusqu'à son époux et les tenant tous les deux par un poignet les fait sortir dans le jardin.) C'est normal qu'il soit là lui ?

- Oui c'est juste pour ce soir, il faut bien que je le présente. Arrête donc de jouer la mère poule, ce n'est plus un bébé.

Le dit bébé affiche un sourire béat qui la fait soupirer.

- En tout cas si ce soir tu le ramènes dans le même état que toi tous les ans, je te promets que l'an prochain tu reviens seul. Car j'en ai ma claque de ces réunions d'alcoolos.

Richard fronce les sourcils et ne sourit plus en la regardant s'éloigner. Le gamin lui tourne le dos, l'attention attiré par le groupe de filles. Il n'a même pas idée ce gosse de l'importance qu'il a pris à nos yeux.

Au loin, le groupe des garçons délogé lui aussi par les femmes a rejoint celui des filles. Véro et deux autres filles repoussent deux ados blonds.

- Viens, tu les rejoindras demain.

 

- François, dis-moi tes fils, ils ont quel âge maintenant ?

- Les jumeaux ? bientôt seize. Bientôt des hommes mais aussi ma grande déception, imagines-toi qu' ils veulent être agriculteurs, quelle idée, encore leur mère je pense. Mais cette été je leur ai trouvé un camp de vacances au US, leur mère n'est pas très pour, mais ça leur fera du bien. Tu ne veux pas y inscrire ton gamin ?

- Non pas besoin il veut devenir pilote comme moi et cet été avec Papa nous l'initierons au vol à voile et au pilotage puisqu'il veut rejoindre le Piège.

- Oh il a encore quelques années devant lui, non ?

- Et non, il va sur ses seize ans aussi et comme il a quelques années d'avance, il passera l'examen d'entrée l'année prochaine. Hélas pour lui il n'aura que seize ans justement, donc trop jeune mais nous demanderons une dérogation donc s'il a son BIA et des brevets de pilote en poche ce ne sera qu'un plus.

- Bah la famille peut pas l'aider ?

- A voir, peut-être.

Les deux hommes se taisent en observant l'ado en train d'interroger un ancien sur le débarquement auquel il a pris part.

- En tout cas je te souhaite bonne chance dans cette aventure, mais je crois que vous avez fait le bon choix.

 

 

 

 

 

 

 

- Gisou, les voilà !

 

Un fou rire étouffé, des échanges à voix basse, des odeurs de tabac, d'alcool et de sueur. La fête est fini, c'est le retour des héros.

- Hé ça c'est mon lit. Je veux bien lui offrir un fils pas un amant.

- Elle est peut-être partageuse.

La chute d'un corps, puis de deux.

La lumière s'allume.

Les deux frères se protègent les yeux , ils sont debout devant le lit du gamin, qu'ils ont laissé tomber en travers du lit.

La première claque est pour Rémy et la seconde pour Richard. Les deux éclatent de rire et vont s'asseoir sur leur lit respectif.

- Il est où votre père ?

- Il arrive, laisse le vivre !

- Justement oui, espèces de crétins, je veux le garder en vie.

Mamie sort de la chambre énervée.

- Isabelle vient nous aider. Il pèse le poids d'un âne mort ce petit con. (A trois, elles redressent le gamin et le couche sur son lit sur le coté. Gisou et sa fille lui ôtent ses baskets.) Sylvie tu ne crois pas qu'il faudrait le réveiller ? (Elle le met sur le dos et le redresse pour l'asseoir. Puis le secoue, sans aucune réaction. Il transpire et sa respiration est devenue irrégulière.) Sylvie, je commence a être franchement inquiète.

- Colle lui une claque ou deux histoire de le réveiller, si tu veux je le fais moi, no soucis.

- Véro arrêtes tes bêtises.

- Elle n'a pas tort ma foi.

Ses joues ont rougi et il grogne de façon incompréhensible.

- Là, voilà gamin regarde moi . Oh oui, tu peux sourire, tu sais comment tu t'appelles. Non, non, tu ne te rendors pas, dis moi ton prénom ?

- Robert.

Mais son regard est vitreux et son élocution à peine audible.

- Oh bon dieu, demain, je vais les tuer tous les trois.

- Pousse-toi Gisou, on va s'en occuper avec Mamie. Robert tu ne te rendors pas, j'suis qui, moi ? Et tu peux me dire ce qui te fait rire ? Oh non ! Merci mon garçon, merci du cadeau. Demain, je vais moi aussi les tuer.

- Oh seigneur ce que ça pue. En tout cas, il ne t'a pas loupé Sylvie.

La femme essuie ses mains pleines de vomi sur la couverture et soupire.

- Réveille ton père Isabelle ou ton oncle. Il faut qu'on le douche et moi aussi après.

- Non Gisèle d'abord, elle vient m'aider à coucher son grand-père, il est comment le gamin ? Non, ma puce, on lui enlève juste les chaussures et sous la couverture. Voilà maintenant allons aider ta mère.

A elle deux, elles arrivent à faire lever Richard qui de mauvaise grâce prend le garçon dans les bras et en titubant lui-même dirigé par les femmes, il le porte jusque dans un box de douche.

- Mais il pue, il a vomi, il est malade ? Vous ne pouvez pas vous débrouiller seules ? Je dormais, moi. Qu'est ce que tu lui as fait manger pour qu'il soit malade ce gamin. OK ! OK ! je vous le porte jusqu'à l'infirmerie. Mais alors qu'est-ce qu'il pue ce gosse. Non, attends ! (Gisou ouvre l'eau sur les deux.) Mais non, arrêtes, tu me trempes là. C'est pas l'infirmerie ici, c'est quoi ces conneries ? (Il lâche le gamin dont Sylvie et Isabelle atténuent la chute.) Vous me faîtes chier les filles. Non, non, ça ce sont mes fringues, non mais Gisou, non ! Lâche-moi, je vais me recoucher. Mais arrête, je sais marcher seul, regarde ! Et elles ? Elles n'ont pas le droit d'être là. Elles devraient être à l'appart. Mais on est où là ? Oh, j'en ai marre, je vous laisse entre filles. Je veux dormir, je bosse moi demain !

Isabelle et Véro s'amusent de voir leur père délirer. Lui tient encore debout mais il faut diriger ses pas, pas l'ado. Quand leur mère ramène leur père, elles restent aider leur grand-mère et leur tante. Il a encore vomi, ça le fait marrer, assis sur le sol de la douche à essayer de boire l'eau qui lui coule sur la figure.

- Mais il est grave !

Deux autres femmes arrivent.

- On peut aider ?

- Martine, oui, ils l'ont saoulé à mort le gamin.

- Les filles, vous au lit, on prend le relais. Ah bien sûr, il fallait bien ça pour faire de lui un membre de la Famille ! Moi suis à deux doigts de divorcer pour en sortir Benoît et Bertrand. J'en peux plus de leur mentalité.

- C'est pour ça que Gisou et Richard ne sont plus revenus depuis dix ans. Et là, elle n’a accepté de revenir que pour présenter le gamin mais là, vu l'état du môme, je pense qu'elle va de nouveau mettre un peu de distance.

Quand leur mère revient, à quatre elles ont vite fait de le dénuder, le laver et de lui enfiler un caleçon propre. La porte est restée ouverte, elles filent quand les femmes en le portant presque, le ramène dans son lit.

- Vous croyez qu'il va bien ?

- Oui tu verras, les deux miens, m'ont déjà fait le coup, couvrez le bien qu'il ai bien chaud et surtout qu'il reste bien sur le côté. C'est ça le plus important. Si tu as peur réveille-le toutes les heures.

- Bon alors je pense que je vais dormir avec lui, mais demain il y en a trois qui vont m'entendre.

 

Sylvie s'assied sur le lit où Rémy ronfle, couché sur le dos. Elle le pousse et le fait rouler sur le côté puis s'appuie sur lui.

- Rémy ?

- Oui mon amour

- Je te déteste franchement.

- Oui mon amour, moi aussi je t'aime.

- Rémy, tu me fais un bébé ?

- Non d'abord il faut que je parle aux hommes.

Les femmes se mettent à rire.

- Pas un pour rattraper l'autre, il faut vraiment qu'on les aime ces abrutis pour arriver à les supporter.

- Mais comment vous faîtes ?

- Ah Véro quand tu grandiras et que tu trouveras celui pour qui tu donnerais ta vie, alors tu comprendras.

- Non Mamie, je sais déjà que je penserai d'abord à moi et ensuite à lui.

- Oh la la ma fille, tu auras bien raison, ne fais pas comme moi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

13 avril 2010

Robert vendredi 9 Mai 1976réunion de famille 3

Robert vendredi 9 Mai 1976 réunion de famille 3

 

- Tiens tu te réveilles. Françoise va dire à Maman que l'ivrogne se réveille.

- Quel ivrogne ? Moi?

- Oh oui, tu te serais vu, en tout cas nous on a tout vu.

Isa et Véro se regardent et se remettent à chanter la chanson de Pierre Perret.

- Vous ne voulez pas aller chanter ailleurs, j'ai un putain de mal au crâne.

Gisou s'assied à côté de moi sur le lit et me remonte le sac de couchage sur les épaules.

- Ah ça mon petit gars, c'est la conséquence habituelle d'abuser de l'alcool. Alors de quoi tu te souviens d'hier soir ?

- Je ne sais plus exactement, d'être avec Richard et Rémy. Ah oui Richard m'a fait goûter plein d'alcools différents et Rémy m'a donné un truc au miel à boire, franchement trop, trop bon. Putain si c'est ça, je jure de ne plus jamais boire une goutte d'alcool.

- Et après, de cette nuit, tu te souviens de quoi ?

Je regarde Gisou et les deux filles et là j'ai, un frisson dans le dos. Qu'ai-je bien pu faire ? Déjà ouf, j'suis pas à poil c'est déjà ça.

- Où sont mes fringues ?

- Dans un sac poubelle, je les laverai à la maison, tu t'es vomi dessus, tu t'en souviens ?  Je secoue la tête. Bon alors dors jusqu'au repas, je viendrai te chercher et vous deux dehors et si j'entends la moindre chose, je vous livre à votre père ou à vos cousins !

Les deux filles sortent en chantant leur maudite chanson, elles en deviennent ridicules.

 

A midi, c'est Sylvie qui vient me réveiller.

- Tiens, avale ça .

- Il est dégueux.

- Oui, un café très fort et salé, souverain contre les gueules de bois. Et interdiction de t'approcher à moins de dix mètres des trois abrutis. Les trois… Oh ! Richard, Rémy et Papapa. Tu nous as fait trop peur cette nuit. Habille-toi très vite et descends nous rejoindre.

Elle a posé des vêtements sur mon lit, comme si je n'aurais pas pu les prendre moi-même dans mon sac ?

Bon le tee shirt et le sweat je n'aurais pas pu car je ne les connais pas, sur le tee shirt blanc il y a marqué : Granier en force 1976 et sur le sweat ; Étretat 1976.

 

En bas, je rejoins les parents à leur table quand Isabelle et Véro  m'emmènent avec elle en me tenant par les poignets jusqu'à une autre table où il n'y a que des filles.

De l'autre côté des deux tables des parents, il y a une table avec que des garçons. Je serais bien tenté d'aller les rejoindre mais certaines filles sont mignonnes et m'accueillent gentiment.

En tout cas, on a tous le même sweat et je trouve ça cool ! Par contre Véro commence à me zonzonner avec sa chanson. Une de ses cousines lui dit d'arrêter.

- Merci !

- De rien.

Par contre mon état patraque me permet de refuser leurs sardines et leur sandwich au thon. Et quand Mammema me fait signe de venir la rejoindre, j'ai plaisir d'en récupérer un au jambon.

- Ça va fiston, pas trop mal au crâne ?

- Non, tu ne réponds pas à cet abruti !

Papapa rigole. Rémy se penche vers moi.

- Bienvenue dans le monde des hommes mon gars !

Je vois Sylvie le tirer par l'oreille. Cela me fait rire et je ne regrette pas ma soirée malgré les tambours dans ma tête.





J'ai envie d'aller voir la salle avec les billards car j'y ai jamais joué mais Véro et Isa me kidnappent. Dehors le ciel est bleu et l'air a une odeur que je ne connais pas et qui m'intrigue. Alors, prétextant une envie de pisser, je réussis à me libérer de mes groupies.

 

Je suis l'odeur qui devient de plus en plus forte, elle est accompagnée d’un bruit qui ressemble un peu à celui d’un moteur mâtiné du ronronnement d’un chat. Et je découvre la mer ou plutôt l' Océan.

Je suis fasciné.

La première fois que je le vois comme ça.

Je suis en haut d'une immense falaise, je veux regarder en bas mais j'ai le vertige, j'ai l'impression de tomber alors je me couche sur le ventre en écartant bien les jambes, je sais pas pourquoi mais cela me sécurise et en me tenant à des brins d'herbe je regarde en bas, c'est effrayant mais j'adore. C'est grisant, enivrant, un peu comme l’alcool cette nuit.

Lorsque je me couche sur le dos, j'ai encore la tête qui tourne. Le ciel me donne aussi le vertige, c'est étrange. Et cette odeur, elle sent bon, elle est enivrante et en même temps, elle me déplaît.

Je suis comme ivre, les bras en croix, je tourne sur moi-même, en évitant d'approcher trop du bord.

Je suis un grand planeur de la dernière guerre, je fais du rase-motte. Je suis seul au monde, le vent me porte, je suis bien.

 

On m'appelle ?

Je vois Richard courir vers moi.

- Mais tu as décidé de nous rendre dingue ? Il y a trois heures que t'es parti ? Ta mère te voyait déjà en bas de la falaise.

- Ma mère ?

- Enfin oui, Gisou. Quel âge as-tu franchement ? Je n'ai pas l'air con moi maintenant ?

Je me laisse ramener, il a sa main sur mon épaule qu'il serre. 

Ta mère, ces deux mots tournent dans ma tête.

D'ailleurs quand je la vois, je ne peux m'empêcher de sourire bêtement. Mutti ! Je veux bien moi.

Elle me fait tourner sur moi-même devant elle. Je ne comprends  pas pourquoi elle semble si inquiète.



Bizarrement, je n'ai plus d'interdiction sauf celle de boire autre chose que de l'eau ou du lait. Et moi honnêtement, ça me va et quand Rémy en riant me propose sa bouteille blanche, je suis tenté... mais je la refuse poliment.

 

Après le repas par contre Mammema m'expédie rejoindre les garçons de mon âge, les filles étant toutes rentrées et moi, refusé dans les cercle des hommes. Cela m'attriste un peu, mais bon.

Par contre, l'accueil par leur groupe n'est pas très chaleureux.

Ils se mettent tous à se moquer de moi.

- Tiens le bébé qui se prend pour un homme.

- Alors parait que cette nuit t'étais saoul et que ce sont tes sœurs qui ont dû te doucher ?

- Attendez les mecs, vous allez délirer, cet après-midi son papounet a dû aller le chercher car il s'était perdu et sa maman avait peur de l'avoir perdu.

- Bou hou hou fallait rester avec les filles le PD.

Ceux que j'entends le plus, ce sont deux jumeaux. Des blonds un peu plus grands que moi.

Un garçon d’à peu près ma taille, les cheveux brun coupés à la Claude François et de grosses lunettes très épaisses, me force à lui faire face.

- D’ailleurs pourquoi est-ce la première fois qu'on te voit ?

Un autre, de ma taille à peu près, avec un appareil dentaire, me postillonne dessus en me poussant des deux mains, comme s’il voulait me faire comprendre que je n’ai rien à faire parmi eux.

- C'est même pas un Granier, c'est un "adopté".

Un garçon plus grand qu'eux aux cheveux rasés comme moi et resté silencieux jusque là, essaie de prendre ma défense. Il se fait rembarrer avec violence.

Je décide de les ignorer. Pour moi, ils n'ont pas totalement tort après tout.

Dehors, le ciel est toujours aussi dégagé et plein d'étoiles. Les laissant, je m'éloigne de la grande bâtisse et me couche sur le sol pour les regarder.

Quelqu’un s’assied puis s’allonge à côté de moi.

- C’est vrai ce que dit Véronique que tu connais le nom de toutes les étoiles ?

- De certaines, oui.

Elle, c'est Claire, je crois. Bientôt une partie des filles m'a rejoint, je leur montre les constellations que je connais.

 

- Vous avez vu, la fillette a retrouvé ses copines.

J'essaie de ne pas faire attention, mais ces cons nous entourent en restant debout. Certaines des filles commencent à s’asseoir, je me redresse aussi.

Un des deux blonds émet la bonne idée de vouloir nous pisser dessus. Là, je vois rouge et lui saute à la gorge. Et bien sûr, c'est moi la fillette mais c'est eux qui se mettent à deux contre moi. Les trois cours de boxe que j'ai pris, me servent... surtout à parer les coups.

Deux des plus petites sont allées chercher leurs pères qui nous séparent et qui nous remettent entre les mains de nos mères. Nous nous retrouvons donc tous les trois assis sur un banc la tête en l'air, du coton dans le nez à se faire engueuler. Je suis entre les deux, je nous trouve l'air très cons, et cela me fait rire. Je crois qu’ils ont le même ressenti que moi car ils se mettent aussi à rire et de voir l'air dépité des bonnes femmes, nous réconcilie..

Un peu plus tard, quand Gisou et leur mère nous séparent pour nous emmener nous coucher, nous nous sommes découverts plein de points communs et nous nous donnons rendez-vous pour le lendemain matin.









26 avril 2010

Robert samedi 3 juillet 1976 un homme

Robert samedi 3 juillet 1976 un homme



A six heures, Véro vient, comme à son habitude, m'enlever toutes les couvertures, après avoir allumé les lumières. Je me couche sur le ventre en cachant ma tête sous un oreiller.

- Debout, fainéant !

- Non, je dors !

Richard me soulève tel un bébé dans ses bras.

- Allez, les filles. Allumez l’eau froide sous la douche.

Je hurle en riant et en me débattant. Il me laisse retomber sur le canapé.

- Allez, hop! petit déjeuner dans la cuisine, je veux qu’à sept heures nous soyons partis!

Le départ se fait à huit heures.

Ils ont acheté deux nouveaux vélos pour Véro et Isa, neufs ceux-là. Pour les transporter, il faut enlever le dernier siège du break et même là, on a dû démonter leur roue avant. Et comme, on va dans les Alpes pour deux mois, il y a aussi une remorque derrière le break. Alors Isabelle, Véro, Yvy et moi, nous devons nous entasser dans la 4L avec Richard.

- C'est moi qui vais devant car je suis l'aînée.

- Non Isabelle, tu sais ce qui va se passer si je mets Robert et Véro ensemble derrière ?

- Mais c'est pas juste !

Déjà assis, je souris très fier d'être à l'avant.

- Tu réalises pourquoi t'es à l'avant j'espère ? C'est parce que toi et Véro vous êtes tellement immatures à vous disputer sans arrêt, qu'on ne peut pas vous laisser ensemble.

Je nie très content de moi.

- Non, non, Isa, c'est pas pour ça.

- Oh que si, espèce de bébé.

Et je finis de lui asséner la difficile réalité.

- Non c'est parce que devant c'est la place des hommes, voilà !

Du coin de l’œil, je vois Richard sourire en secouant la tête. Puis il ose…

- Tu crois vraiment être un homme, toi ?

- Hé ! Et la solidarité entre hommes ?

- Dans cette voiture en tout cas, moi, je ne vois qu'un d'homme pour l'instant. Et un ado prétentieux.

Isabelle ricane et m’enfonce.

- Lui ? Mais Papa regarde-le c'est même pas encore un ado.Il n'a ni un poil, ni un bouton.

Là, je ne suis pas d’accord et l’exprime.

- Mais qu'est-ce que t'en sais toi, si j'ai des poils ou pas ? En tout cas moi, j'suis pas une pisseuse.

Qu'est-ce que je n'ai pas dit ? Richard ne me loupe pas malheureusement.

- Alors t'es peut-être pas une pisseuse mon petit gars. Mais les petits coqs comme toi, je ne les supporte pas. Alors monsieur le petit pisseur, tu vas aller à la place que tu mérites, à l'arrière à côté de Coco.

Joignant le geste à la parole, il sort à la première aire d'autoroute. Gisou gare sa voiture à côté de la sienne et là, je le vois sortir le siège de Fanfan et venir l'installer derrière son siège.

- Toi, tu sors !

- Non pitié !

J'ai autant envie de pleurer que de tout casser. Il me prend par le bras et, en me traînant, m’assoit de force sur le siège arrière. Je veux sortir mais il y a la sécurité enfant, je commence à ouvrir la fenêtre, il est devant la porte. Je croise les bras sur ma poitrine. Je les déteste tous !

- Maman, je peux venir avec vous ?

- Mais bien sûr ma chérie. Et en plus, il faut que Véro vienne s’asseoir devant à côté de sa mère. Robert ferme ta vitre s'il te plaît . Je lui obéis puis me colle à la portière et ma tête raisonne contre la vitre. Involontairement la première fois. Puis volontairement les autres fois. Robert, stop !

Je ferme les yeux. J'ai envie de tout casser, de me faire mal.





Je n'ouvre pas la bouche jusqu'à ce qu'on soit arrivé et refuse de manger.

Mais bon... tout le monde m'ignore de toute façon.



Au chalet, je veux filer dans ma chambre mais Mammema m'intercepte pour m'embrasser, ce que je fais de mauvaise grâce et Papapa m'oblige à l’aider à décharger la remorque et interroge son fils.

- Richard, pourquoi fait-il la tête ?

- Oh, parce que je lui ai juste rappelé qu'il n'avait pas à se prendre pour l’homme qu’il n’était pas encore.

Le fait de voir Papapa sourire, ravive ma haine à leur égard. Dès que je peux, je file dans ma chambre et refuse d'en descendre pour manger.



Richard débarque dans ma chambre en ouvrant la porte comme un fou furieux. Assis à mon bureau, je ne tourne même pas la tête.

- Bon, je vais devoir encore une fois te forcer à descendre ou tu le fais tout seul

- J'ai pas faim.

- Et bien, tu ne mangeras pas mais tu viens à table avec nous.

- Mammema et Papapa vont me forcer à manger.

- Tu t'assieras à côté de moi et personne ne te forcera. Maintenant debout !

Je me lève de ma chaise de bureau mais c'est  en prenant franchement mon temps que je le fais. Puis je dois mettre facilement dix minutes pour faire les trois mètres entre ma chaise et la porte. Pour pouvoir la fermer, il me donne un léger coup entre les omoplates, je ne m'y attendais pas, déséquilibré, ma main loupe la corde, je me ramasse comme une merde.

Il aurait pu s'excuser, même pas. Il me soulève en soupirant. Il m'inspecte et m'accompagne jusqu'en bas presque soulevé par un bras.

- Fanfan va t'asseoir à côté de Papy.

Je m'assieds à côté de lui, il enlève assiette et couverts devant moi.

- Hé !

- C'est bien ce que tu as dit là-haut ?

- Mais...

- Pas de mais ! Il emporte assiette et couverts dans la cuisine, je veux en profiter pour remonter. Attention Robert, si tu montes, je te redescendrai mais moins gentiment.

- Richard, si tu enlèves son assiette, on le sert dans quoi ?

- Gisèle, il m’a dit qu'il n'avait pas faim et ne voulait pas manger donc pas besoin d'assiette. Revenu, il tend la sienne à Gisou qui lui sert son steak et ses frites. Par contre, moi, ma chérie, j'ai faim, donne-moi donc aussi son steak.

Oh non des frites! Ce salaud, il le savait et moi j'ai l'air d'un con pensai-je avec colère. Tant pis, je vais me chercher une assiette. Mais comme je m’apprête à me lever, il pose sa main sur ma cuisse, et me force à me rasseoir.

- Tu comptes aller où comme ça ?

- Me chercher une assiette et des couverts.

- Ah non mon gaillard. Ce serait trop facile. répond-il avec un sourire triomphant.

Je soupire.

- Je suis désolé...  Évidement, il n'y a plus un bruit, ils attendent tous de savoir ce que je vais faire ou dire. Je regarde autour de moi. Mammema s'éloigne avec le gros plat de frites vide. Gisou n'a pas donné mon steak à Richard, il m'attend, du moins, il attend que je me sois excuse, comme tout le monde autour de la table. J'ai mal au ventre. C'est une vraie torture. Véro et Isa me sourient et me disent quelque chose sans parler. Je ne comprends pas, que je tente en vain de déchiffrer. Faudrait que j'apprenne. Alors dans un souffle, très bas je murmure : Je m'excuse de m'être conduit comme un imbécile.

Richard se penche vers moi, la main en cornet sur son oreille.

- Pardon ? 

J’éructe dans un souffle.

- Je m'excuse de m'être conduit comme un imbécile, mon colonel !

Après une légère grimace de mécontentement qui me ravit, à cause du “mon colonel” il sourit content de lui et fait signe à Gisou.

- Gisèle, tu peux servir cet imbécile.

Je crois qu'elle n'attendait que ça.

Moi, j'ai honte, je fais tomber ma serviette pour pouvoir essuyer mes yeux discrètement.  Mais je n'ai plus faim, je n'arrive réellement pas à manger. L’odeur alléchante du steak et des frites me donne la nausée.

Je me lève précipitamment et cours aux toilettes puis remonte dans ma chambre. Je m'écroule sur mon lit, ma vie est une grosse merde !










28 avril 2010

Robert lundi 5 juillet 1976 Sam

Robert lundi 5 juillet 1976 Sam



La porte s'ouvre sur Papapa et Gisou suivis des deux autres mutter.

- Debout garçon, tu viens avec moi !

Mammema veut se mettre en lui et moi.

- Raoul, nous ne sommes pas d’accord. Attends au moins que Richard soit là !

Il la fait reculer avec un geste d’agacement.

- Mais c'est lui qui me l'a demandé et vous étiez là quand il l'a fait.

- Mais il a le temps, non ?

Qui a le temps ? Le colon ou moi ? Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que ce casse-pieds a encore inventé pour m’enquiquiner sans être là ?

- Toi lève-toi ! Réveillé en sursaut, j'essaie de comprendre ce qui se passe, appuyé sur un coude. Il me prend par le bras pour me faire lever mais je serre le drap contre moi et me retrouve debout comme un con à tenter de me cacher d'une main. Ils me regardent sans un mot, il me lâche surpris et je vois s'épanouir un grand sourire narquois sur chacun de leur visage. Bon, on va le laisser s'habiller mais dépêche-toi si tu veux venir commencer à apprendre à piloter avec moi.

Mammema sort comme les autres mais ne semble pas vouloir lâcher le morceau.

- Raoul c'est le travail de son père, pas le tien, et tu es sûr que c'est prudent ? N'est-il pas encore trop petit, tu crois que ses pieds toucheront les pédales ?

J'entends leurs voix s'éteindre dans les escaliers mais ils ne sont pas encore en bas que je suis sur leurs talons.

- Papapa on va où ? Sur quel avion ? Avec qui ?

Gisou se retourne vers moi.

- Nul part ! Tu restes ici. Nous verrons quand Richard sera là, c'est lui qui est responsable de toi, pas Papy.

Papapa me tire par le tee shirt et me fait passer devant lui.

- Gisou laisse-le passer, et arrête de jouer la mère poule. Ce gamin ne sera un poussin que dans deux ans.  J’ai droit à un clin d'œil et un sourire. Ton homme était plus jeune que lui la première fois qu'il en a caressé un. Et puis je vais finir par me vexer à la fin, dis-moi que je suis un faisan et un mauvais instructeur, ce fut accessoirement mon boulot pendant quarante ans. Ton gamin ne risque rien avec moi.

Quoi ? J’suis perdu là !

- Caressé quoi ?

Sans prendre la peine de me répondre, un sourire amusé aux lèvres, les deux mains sur mes épaules, il me pousse jusqu'au sas où il referme la porte donnant sur la cuisine devant les mutter que du coup, on entend plus.

- Houla, elles m'ont épuisé ! Tu veux manger quelque chose ou tu veux qu'on y aille de suite.

- De suite !

Il croit quoi le vieux ? Vu ce qu'il a dit dans la chambre. J'irai n'importe où, même à pieds.

 

A peine, hors de portée de vue du chalet. Encore une fois, il décapote la voiture et me colle sur la tête une casquette en cuir marron identique à la sienne. Il a l'air heureux.

Moi, j'ai envie de crier tellement je suis super excité.

 

- Alors je vais te présenter quelqu'un, un collègue à ton père. Aujourd'hui, tu ne voleras pas avec moi, seulement à partir de demain, d'accord ? Et on ne va pas à Cham mais à Grenoble.

Je ne veux pas le vexer mais pour moi le principal est de monter dans un avion, avec qui. Je m'en fous.

En chemin, il s’arrête devant une boulangerie. Il en revient avec un sac de viennoiseries.

- Première leçon, on ne vole jamais le ventre vide.

Si toutes ses leçons ressemblent à celle-là, j’apprendrai vite.




A la capitainerie de l’aéroclub, l'homme nous accueille en nous serrant la main.

- Alors c'est toi qu'il faut que je baratte ?

Papapa a un sourire que je connais bien maintenant, et je commence à être inquiet, qu'est-ce qu'ils me préparent ?

 

- Laisse lui ta casquette et suis-moi et ne garde rien dans tes poches. Je donne donc aussi mon portefeuille à Papapa qui rigole.

 

L'avion jaune est un biplan avec une grande hélice.

- Pardon monsieur, c’est un Pitts ?

- Oui un Pitts Spécial. Tu connais ?

- Que dans les livres, je n’en avais jamais vu en vrai.

J’avance vers l’avion comme si j’allais à la rencontre d’un animal sauvage. Lorsque ma main rentre en contact avec l’une des trois pales de l’hélice j’ai l’impression qu’elle s’est mise à vibrer mais c’est moi qui ai eu un frisson.

Plus rien n’existe en dehors de moi et de l’avion autour duquel je tourne laissant mes doigts ou ma paume glisser le long de l’aile supérieure puis des câbles la reliant à l’aile inférieure légèrement  en recul. La caisse est plate et j’en suis étonné, tous ceux que j’ai pu voir dessiné avait une caisse logeant le double habitacle, ronde, toute en douceur. Pourtant c’est bien un Pitts avec ses roues fixes protégées par un carénage arrondi pour l’aérodynamisme, car ce sont des avions de voltige. Oh ! C'est pour ça qu’il a parlé de me baratter. 

Lorsque je reviens vers l'homme, il m'attend, déjà harnaché de son propre parachute, il m'aide à enfiler le mien. Puis je le suis, on tourne à nouveau autour de l'avion pour enlever des longs rubans jaunes qu'il met dans une poche en tissus qu’il jette à sa place.

 

Tremblant non de peur mais d’excitation, je prends place à l'avant et me met un casque sur les oreilles qu’il branche sur la paroi à côté de moi puis monte lui même à l'arrière après avoir vérifié mon harnais avec lequel je me suis brêlé.

- Tu m'entends gamin ?

- Oui monsieur.

- Ce sera Sam plutôt, d'accord ? Sinon à portée de ta main droite, tu trouveras des sacs à vomito. Et attention, tu as intérêt à t’en servir au cas où, sinon c'est toi qui nettoieras, compris ?

- Oui Sam.

- Pas trop peur ?

- Pourquoi devrais-je avoir peur ?

Il se met à rire mais ne répond pas à ma question.

- On y va ?

- OK !

 

Quand l'avion se met à rouler, j'ai l'impression que je vais jouir mais je n'en ai pas le temps car on doit même pas être à cent mètre du sol que je me retrouve la tête en bas. Je comprends vite que je ne m'étais pas trompé. Je ne sais plus où est le bas du haut, je n'ai pas le temps d'être écrasé sur mon siège que déjà je suis en apesanteur. Je me tiens aux barres devant moi et ne peux m'empêcher de crier mon plaisir, tournant la tête en tous sens pour tout voir. Je l'entends rire dans mon casque, je ris avec lui.

 

Enfin, nous volons plus calmement. Lentement, je reprends conscience du haut et du bas.

- Tu veux tenir le manche ?

- Je peux ?

- C'est un avion d'instruction, on ne risque rien. A toi le manche.

L'avion pique du nez, je m'accroche des deux mains au manche. Wahoo ! Je suis au paradis ! Le ciel est à moi.

Mais putain que c'est dur de garder l'horizon bien aligné.



Je me détache tout seul et saute d'en haut tellement je suis pressé de rejoindre Papapa qui m'attend un peu plus loin mais mes premiers pas ne sont pas très sûrs et cela les fait rire.

 

- Raoul, tu diras à Richard que son fils est bien comme lui. Bon sang ne saurait mentir. Et au plaisir de recommencer mais avec lui cette fois.

Pourquoi me semble-t-il relever un soupçon de regret dans sa voix ? Je le regarde s’éloigner la tête basse.



A midi nous mangeons au même petit routier où Richard s’est déjà arrêté en octobre.

La serveuse me sourit mais moi, je fuis son regard.

 

- Hum, bonhomme, tu connais Maria.

- Non Papapa.

- Tu en es sûr ?

- Oui !

- Redis-moi le en me regardant. Je lève la tête juste au moment où elle vient déposer devant nous notre commande, enfin celle de Papapa, qui a pris deux plats du jours sans me demander mon avis. J’avais oublié que mon avis n’intéresse personne. Franchement qui suis-je pour avoir un avis ou des envies ? Et maintenant, c’est quoi ce regard ? Merci mademoiselle, et excusez l’impolitesse de mon petit-fils.

- Merci madame.

Je la regarde s’éloigner en me demandant si je raconte ou pas pour Richard ? Mais je décide de me taire. En espérant m’être fait des films. Richard semble trop aimer Gisou pour la tromper.

- Alors est-ce aussi bon que lorsque tu es venu avec mon fils ? Ma fourchette reste en suspens entre l’assiette et ma bouche. Tu sembles oublier que mes fils me racontent tout. Enfin presque. C’est Richard qui m’a conseillé ce petit routier et il était curieux de savoir si tes jolis yeux te feront encore gagner une seconde assiette de profiteroles. Et puis c’est vrai que Maria est agréable à regarder, non ?

Je n’ai eu ni rab de profiteroles, ni réponse à ma question : y a-t-il quelque chose entre Richard et la serveuse ?














11 avril 2010

Robert Mercredi 7 Mai 1976 réunion de famille 1

Robert Mercredi 7 Mai 1976 réunion de famille 1

 

- Weisembacher bureau du colon !

- Hé j'ai rien fait moi ! (Bref au lieu de me diriger vers la piscine, je rebrousse chemin vers son bureau.) Claude, je te rejoins là-bas !

- Vite, vite, le colon a besoin de sa petite séance de pipe.

Je fais un doigt d'honneur au troisième. Geste vu par le capitaine Gâche, je pique alors un sprint. Je sais qu'il m'attendra à la sortie des bureaux, mais bon, je préviendrai Richard et s'il est de bon poil, il m'accompagnera et j'éviterai le manège...

- Bonsoir Madame Dionis, on m'a dit qu'il voulait me voir.

- Qu’as-tu encore fait ?

- Eh mais rien !

- Vas-y !

Je pousse la porte avec circonspection et la referme derrière moi en essayant de ne pas faire de bruit. Puis au garde à vous, j'attends. Je sais qu'il m'observe. Je me suis mis collé à son bureau comme ça, je peux voir le balcon et derrière les fenêtres. J'ai du mal à rester sérieux car là-haut les filles me font des grimaces. Il saisit le combiné du téléphone et fait le numéro de l'appart et hop mes rouquines préférées disparaissent.

- Dis-moi, je fais comment pour être crédible avec vous qui le faîtes rire... non, je ne vous le passe pas, il est puni je te le rappelle.

- Eh pourquoi, je serais puni moi, j'ai rien fait.

- Ah bin là, tu viens de parler sans mon autorisation, par exemple.

- Gisou au-secours défends-moi.

Il raccroche et enlève ses lunettes.

- Viens me dire bonsoir et ensuite va dans ta chambre te préparer un sac avec du rechange pour cinq jours.

Je vais l'embrasser et lui pique au passage ses lunettes et sors avec elles sur le nez. Mais je re-rentre vite dans son bureau.

- Hum, tu m'accompagnes s'il te plaît.

Il est debout à moins d'un mètre de moi, il me tend la main, j'y pose ses lunettes puis me protège car il a levé la main.

- Franchement, tu la mériterais. Tu as fais quoi encore ? C'est Gâche ? je fais oui de la tête. Ça dépendra ce que tu as fait.

- J'ai fait un doigt d'honneur à un mec et il l'a vu et m'a fait signe de venir et au lieu de ça, j'suis venu ici en courant.

Je le vois soupirer et remettre ses binocles et m'attrapant par le bras, m'accompagne jusqu'au capitaine.

- Ah Gâche, content de vous voir. Dix tours pour ce loustic puis à dix-huit heures trente, je le veux dans mon bureau avec son barda complet et en survêtement.

Si Gâche a un sourire jusqu'aux oreilles, lui en esquisse un aussi. Quel enflure !

Une heure plus tard, mon sac sur le dos, je suis devant son bureau où Gâche m'abandonne en position du puni.

Même Madame Dionis sourit en me regardant.

- Fallait pas lui piquer ses lunettes.

- Je les lui ferai bouffer un jours.

- Tu quoi ?

- Rien mon colonel.

- Tu es franchement le pire imbécile que je connaisse. Entre ! Pose ton sac. Viens ici ! Il me fait venir de l'autre côté du bureau devant son fauteuil. Regarde là-haut ! Mais avant que j'ai réalisé, il m'a fait tomber en travers de son genoux gauche,le torse sur le bras de son fauteuil mes poignets dans le haut de mon dos et mes jambes entre les siennes.

- Hé non ! Je commence par me débattre puis me laisse aller en poupée de chiffon.

Je sens sa main s'abaisser plusieurs fois mais sans vraiment me toucher.

- Les filles m'ont dit que tu méritais une fessée, j'ai obéis même si leur version était plutôt déculottée...

- Ah ! ah ! très drôle. Je me redresse. Maintenant que vous avez fini de faire mumuse mon colonel, ( pas de Richard, na ! je me venge. ) je peux aller rejoindre Claude à la piscine.

- Non tu vas à l'appart, je t'y rejoins dans cinq minutes., le temps de finir ce courrier.

- J'y suis obligé ?

- De m'obéir ? Oh oui !

Je traverse lentement la cours mon sac sur le dos, La tête baissée, je regarde mes pieds que je mets l'un devant l'autre, le talon touchant la pointe de l'autre. En passant il me saisit par le col de ma chemise et me fait accélérer le mouvement.

A l'appartement nous sommes accueillis par Gisou.

- Vas mettre ton sac dans le salon, te laver les mains et à table.

 

Les filles sont dans la cuisine, Véro fait semblant de frotter ses fesses. Je lui fais un doigt d'honneur et la claque que je prends sur la tête est vraie celle-là.

Dans la salle de bain, je m'assieds sur la baignoire et reste dans le noir sans rien faire. Je suis vexé, j'ai pas envie de voir les filles et lui encore moins.

- Aller dépêche-toi mon poussin. Gisou allume la lumière et viens jusqu'à moi, me prends le visage entre ses mains et m'embrasse sur le front. Mauvais caractère !

- Non, mais j'ai pas apprécié qu'il se moque comme ça de moi. Les filles ont pas fini maintenant de m'enquiquiner.

- Laves-toi les mains ou je le fais moi. Et ce soir, faudra que tu te baignes car tu empestes.

- S'il n'y a pas de verrou à la porte, non !

Gisou en train de sortir, se retourne et me regarde en soupirant. Ouais bin chat échaudé, craint l'eau froide.

 

Richard m'a gardé une place à côté de lui. Je fais le tour de la table, prends Fanfan dans les bras et viens l'asseoir à cette place puis vais m'asseoir à sa place entre Yvette et Coco. Coco se met debout et descends sur mes genoux.

- Papa est méchant, moi j'aime pas quand est méchant.

- Oui, moi aussi.

Je partage mon assiette avec elle et Yvy, du coup Gisou essaie sans succès de me resservir trois fois et je refuse du dessert même s’il me fait envie car ce sont de fraises avec une sorte de crème pâtissière mais je n'ai pas envie de faire plaisir à Gisou et je fais tout manger aux petites sans y toucher moi-même.

- Tu n'aimes pas les fraises.

- Si, mais on m’a coupé l’appétit.
Je croise le regard de Richard.

- Très bien, alors tu vas m'aider à charger la voiture mais d'abord sors de ton sac ce qu'il faut pour te changer quatre jours et viens les donner à Gisou
- Je n'ai rien de civil.

Je les vois se lancer un regard désespéré.

- Prends des sous vêtement et des pantalons, le reste, on se débrouillera. Dépêche-toi en tout cas. Isabelle vos sacs sont où ? Non, j'ai dit un sac pour deux. Regarde ma fille, ta mère et moi, on ne prend qu'un sac pour nous deux. Robert tiens, mets tes vêtement dans le sac de Coco.

La petite semble ravie. Elle me grimpe sur le dos et c'est avec une arapéde que je finis notre sac. Gisou m'en donne un autre rempli de boîtes plastique à descendre. Ainsi, je monte et descends deux fois jusqu'à ce que Richard me l'arrache pour la ficeler dans son fauteuil où elle hurle jusqu'à ce que m'assois à côté d'elle. Quand Gisou me fait sortir pour mettre Fanfan sur son rehausseur à ma place, elle se remet à hurler alors Richard sans douceur ouvre la porte et trente secondes plus tard la gamine est sous son bras et se prend deux claques sur les cuisses qui y laissent la trace des cinq doigts de son père.

- Richard, non mais ça ne va pas !

- Si tu n'en veux pas autant, tu fais comme ta fille, tu t'assieds et tu te tais, et c'est valable pour tous, compris ?

Putain, là, je le hais.

J'ai la main sur la poignée de la porte, on se fixe deux secondes et je renonce à ressortir, mais là, je sais que je le hais car il vient d’agir comme mon père.

 

Nous roulons depuis bien depuis une heure dans un silence de cathédrale quand il arrête la voiture.

- Gisou prends le volant. On les voit échanger leur place mais avant, il ouvre la porte de Coco et va l'embrasser.

- Pardon mon bébé, je ne recommencerai plus. (Puis se laisse tomber sur le siège passager.) Mon amour, tu me réveilles, quand tu veux que je te remplace mais là, j'ai vraiment besoin de dormir.

Il abaisse le siège presque à toucher mes genoux. Personne dans la voiture n'ose faire de bruit, Gisou éteint la radio où une femme raconte la vie de Marie Curie.

Je commence moi aussi à m'endormir lorsqu'elle se met à chanter. Les filles chantent avec elle, je ne connais pas ces chansons mais elles sont toutes douces. Richard lui dort profondément.

- Robert chante avec nous, ça m'aide à rester éveillée et j'aimerais conduire jusqu'à Paris pour qu'il se repose. Tu ne connais vraiment aucune chanson ?

- Je sais pas chanter !

- Bon Maman ignore le !

Gisou a l'air très déçue.

- Tout tout tout Vous saurez tout sur le zizi Le vrai, le faux Le laid, le beau Le dur, le mou Qui a un grand cou Le gros touffu Le p'tit joufflu Le grand ridé Le mont pelé Tout tout tout tout Je vous dirai tout sur le zizi...

Isabelle a commencé et toutes l'ont suivi même Gisou, moi je regarde par la fenêtre même si je n'y vois rien. Le pire c'est qu'elles la connaissent en entier. Et elles enchaînent sur une autre chanson de Carlos ou de Pierre Péret.

Elles veulent que je chante ? OK !

Lorsqu'elles se taisent j'enchaîne avec le Gloria in Excelsis Deo que je chantais seul chaque année à Noël... mais j'ai oublié un truc, ma voix refuse de m'obéir en ce moment et je finis incapable d'aligner trois notes justes, je me tasse encore plus dans mon coin, furieux contre moi-même.

- On a Pavarotti dans la voiture ? (Richard me regarde amusé.) Recommence mais n'essaie pas d'aller dans les aigus mon gars. Aller ! Tu étais pourtant bien parti. Gisou je t'avais dit de me réveiller bien plus tôt.

- On est presque arrivés, tu conduiras demain, et puisque tu es réveillé, tu dois chanter avec nous.

- Vous êtes sûres ?

- Oui ! Et si tu chantes tes airs militaires Robert pourra chanter aussi.

Je secoue la tête, j'ai trop honte de mon précédent fiasco.

Finalement Richard reprendra le volant vers une heure du matin et on arrivera à cinq heures au pied de l'immeuble des grand-parents à Clichy. Une demi-heure plus tard, nous dormons tous.

 

 

 

 

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10 février 2010

Robert Samedi 11 Octobre 1975 baiser

Robert Samedi 11 Octobre 1975 baiser



Qu'est ce que je peux savourer de ne plus être en dortoir.

C'est quasiment magique pour moi.

J'ai mon propre bureau avec même deux étagères au-dessus pour des bouquins. Bon, à part mes livres de cours, je n'en ai pas d'autres sauf deux vieux manuels de cours que je n'ai jamais rendus aux profs après avoir fait leurs punitions. Et pour le plaisir, je remplis mes cahiers des exercices qu'ils contiennent. Claude me considère comme un malade mental mais je préfère ça à jouer bêtement aux cartes. Mais je dois aussi reconnaître que je suis mauvais perdant. Je n'accepte pas de perdre car perdre c'est être moins fort que quelqu'un d'autre et ça, je ne supporte pas. Déjà que je suis plus petit que les autres alors moins fort, non !



Aujourd'hui c'est samedi. Avant d'aller en cours on doit défaire nos draps pour les porter à la blanchisserie avec nos vêtements de la semaine.

C'est très dur pour moi d'enlever ces draps, bien que je dorme dedans depuis mercredi, j'arrive toujours à trouver des endroits où ils sentent encore trop bon. 

Je suis tombé amoureux de cette odeur. 

Et puis, j'ai un oreiller plus un traversin, suprême luxe. Et tous mes draps, oreiller, taie d'oreiller et de traversin ainsi que la couverture sont brodés comme ma serviette de piscine. D'ailleurs, j'ai une seconde serviette pour la piscine, brodée elle aussi. Du paria, je suis passé au statut de prince.





Oh la déception lorsque nous arrivons au bord des bassins, pas de filles.

Claude me charrie.

- C'est si grave que ça ?

Je hausse les épaules, je joue l’indifférence.

- Non, mais je suis déçu.

Il m’adresse un sourire moqueur. Je pose comme lui ma serviette sur un des bancs des gradins puis m’assieds. Il avait commencé à s’éloigner il revient et se met devant moi. Il ne sourit plus.

- De plus, tu sais que si elles viennent se baigner ici, c'est qu'elles doivent être les filles d'un prof.

Je secoue la tête.

- Non, ce sont celles de l'infirmière.

Là, il semble surpris.

- De Madame Lang ?

Je me mets à rire.

- Non, pas cette vieille main baladeuse, l'autre infirmière qui est rousse, elle aussi .

- Oh ! Je n'ai jamais vu d'infirmière rousse moi. Et bien, tu pourras leur demander car ton rêve se réalise, les voilà. Maintenant mon gars, tu as une chance sur deux cent soixante que ta rouquine s'intéresse à toi.

- Pffff La chance ça n'existe pas ou en tout cas, on peut mathématiquement la forcer. Une petite compet ? Viens on vire les petits de notre couloir.

Moi je sais qu’elle s’intéresse déjà à moi. Il n’y a qu’à voir hier où elle a passé son temps à me regarder quand je plongeais. D’un côté ça me plaisait, presque excitant d’un autre, un peu gênant. Et puis hier aussi, son bonnet il ne s’est pas barré tout seul…



Argh ! Claude sort à la force des bras, moi non ! Ou alors du bord de la piscine à fleur d'eau pas du bord où il y a les bornes. Je décide que dès ce soir, je me mets à la muscu. En attendant, je traverse le couloir qui leur est réservé et monte l'échelle. Chance ou pas, je sors juste quand elles passent. Cette fois, elles ne sont que deux et toujours ces bonnets qui me donnent envie de rire. Miss papillons et Miss petites fleurs. Je lui souris.

- Eh oh !

Mais, mais, que lui ai-je fait ? Miss papillons en passant devant moi m'a repoussé à la baille. Purée, elle a de la chance d'être une fille .

Claude m'accueille narquois.

Je plonge et disant : "go !" Il me suit et me dépasse, alors... bin je triche, je fais demi-tour avant la fin. J'arrive avant lui mais vu la tête qu'il fait, je préfère sortir. Je vais traverser le couloir des filles quand Joliot me siffle. Elles sont à l'autre bout de la piscine, ça me gonfle. Claude en profite pour m'attraper et me noyer puis me plaque contre le bord.

- Tu triches encore une fois et tu rentres à poil au vestiaire

- Tu te feras virer de la piscine.

- Possible mais ce sera rigolo et ça ne lui déplairait pas trop à ta miss papillons qui te déshabille du regard..
- Salaud !

D’ailleurs elles reviennent et sortent de l’eau. Moi avec ce que m’a dit l’autre andouille, j’ai mon copain qui malgré l’eau fraîche a décidé de vivre sa vie.

- Dîtes les garçons, alors on se la fait cette course ?

Nous levons tous les deux, les yeux vers la plus jeune à genoux entre les deux plots. Oh putain elle ne devrait pas. 

Claude sort puis m'aide à sortir. Je garde mes mains sur mon bas ventre, Claude se marre.

Miss fleurs me fait signe de venir me mettre à côté de sa sœur et va se mettre au-dessus de notre couloir à côté de Claude. Je regarde Monsieur Joliot qui nous observe. Je lui fais signe en ouvrant grand les mains, paumes tournées vers lui, qu'on y est pour rien.

-Tu es d'accord pour qu'on laisse un peu d'avance aux petits ?

Je fusille la miss fleurs pour qui elle se prend celle-là ?

- Avance ou pas, on va vous mettre la pâtée !

 

Nous apprenons que la grande s'appelle Isabelle et la petite Véronique. 

Par contre, elles éludent quand nous leur demandons qui sont leurs parents. Mais bon on s'en fout.

A la fin de l'heure lorsque nous devons partir pour laisser la place à d'autres, elles nous disent de les attendre au niveau de l'immeuble d'habitation. 

Nous ne nous sommes sûrement jamais aussi vite préparés tous les deux et nous les attendons à côté de la première porte, mains dans les poches, appuyés au mur. Nous croisons les doigts qu’aucun rat ne vienne à passer.

Après des bonnets de piscine trop rigolos, les bonnets qu'elles portent dehors sont tout ce qu'il y a de plus stricts. Et elles sont quasi habillées pareil : une jupe plissée écossaise vert foncé qui leur arrive au genoux et en haut un chemisier blanc et une grosse veste en laine, écrue pour miss fleurs et vert foncé pour miss papillons. Soyons honnêtes, elles sont plus sexy en maillot.

Miss fleurs met un doigt sur sa bouche.

- Chut ! Ne faîtes pas de bruit et on allume pas la lumière compris ?

Elles ouvrent une porte qui donne sur des escaliers. 

- Dîtes, le colon, il n’habite pas ici ?

Elles me regardent puis échangent un regard et haussent les épaules.

- Pourquoi t'as peur de lui.

- De lui non. Il n'a pas l'air méchant mais d'être puni ou voir renvoyé, oui. Cela m'emmerderait.

Claude et la grande s’éloignent à côté de l'escalier vers une autre porte qui je pense donne sur le petit parking où le colon s'est garé le jour de mon arrivée. Dire que je ne suis pas rassuré est un euphémisme mais j'essaie de ne pas le montrer.

Son sourire est moqueur. Je sais qu’elle a les yeux vert assez foncés mais là ils semblent noir. 

- Et de moi, tu n'as pas peur ?

Elle m’amuse, pourquoi devrais-je avoir peur d’elle ?

- De toi non. T'es qu'une fille.

Je suis sur la première marche et elle en bas et je suis à peine plus grand qu'elle. C’est vexant à force.

- Tu devrais.

Elle me pousse. Surpris je me retiens à la rampe.

Pourriture !

Je la pousse à mon tour. Nous jouons à ça deux fois. Mais la seconde fois, je l'entraîne avec moi et si je me suis assis sur les marches, elle se retrouve collée à moi, les mains posées sur la marche à la hauteur de mon visage. Je pose alors ma main sur son cou et l'embrasse. 

Elle a d'abord un mouvement de recul.

Ça m'amuse qu’elle soit surprise. Elle pensait qu’on avait accepté leur invitation pour boire le thé ?

 Elle garde la bouche fermée. 

Serais-je le premier ?

J’arrête puis recommence et cette fois, elle me le rend.

Sa bouche a un goût de chlore.

Quand on s'arrête, nous nous redressons et dans la pénombre, je la regarde puis je recommence.

Derrière nous, nous entendons sans comprendre les deux autres chuchoter. On se met à rire.

- Tu crois qu'eux aussi ?

Je me colle à elle. 

- Je m'en fous strictement. Ça t'as plu ?

Je la vois faire la moue.

- Mouais mais j'ai connu mieux.

Je veux bien m’améliorer…

- Ah zut, si tu veux on peut recommencer et je m'efforcerai de faire mieux.

C’est mon premier vrai rencard car Caths c’est pas pareil. Bon il y a aussi eu Michelle mais là encore, j’étais celui qui subissait. Cette fois j’ai décidé de me conduire en homme. On se bat un peu mais c’est amusant. Sa poitrine est ronde et ferme et ses cuisses sont froides mais elle ne me laisse pas aller plus haut et me mord la lèvre.

- Arrête ou je crie au viol !

- Pfff  n’importe quoi. 

C'est la sonnerie du repas qui nous rappelle à l'ordre et nous les laissons avec regret.



Allongé sur le dos dans mon lit, je me passe et me repasse la soirée.

- Claude tu dors ?

Je l’entends se tourner dans son lit.

- Non.

- Alors tu l'as embrassée?

Il est tourné vers moi.

- Oui, pas toi ?

Je me tourne vers lui.

- Si. Et t'as fait que ça ?

Je l’entends soupirer.

- J'ai essayé mais elle m'a rembarré.

Là je me sens bêtement assez fier de moi.

- Hé hé moi oui et tu sais quoi ? Elle a treize ans, et toi tu sais quel âge elle a ?

- Presque dix-sept ans.

- Elle n’est pas trop jeune pour toi ?

Il se retourne dans son lit. Sa voix semble fâchée.

- N’importe quoi !

Oh et puis on s’en fout. J’suis content. Et j'ai hâte d'être à lundi pour retourner à la piscine.










9 février 2010

Robert mardi 7 Octobre 1975 les filles de la piscine

Robert jeudi 9 Octobre 1975 les filles de la piscine 1

 

Le jeudi d'habitude, je vais à l'athlétisme mais il pleut des hallebardes et le prof n'est pas là, donc je propose à Claude d'aller à la piscine.

Lui, c'est un vrai poisson contrairement à moi qui bien que très appliqué, galère avec la brasse papillon. Le crawl ça commence à aller.

- Tu vois la seconde marque orange, on plonge et on n'a le droit de sortir que après, et le dernier de retour ici fait les corvées de chambre de l'autre.

Pourquoi j'accepte ? Serais-je masochiste, il gagne toujours.

Nous montons chacun sur notre borne et là comme tous les cinquante garçons présents à la piscine ce soir là, nous nous statufions pour regarder les quatre filles qui sortent du bureau du maître nageur.

Un mec les siffle. Monsieur Jolliot, lui fait signe de sortir. Avec Claude on se regarde et on se comprend sans avoir besoin de parler. Ce soir si compet il y a, ce ne sera pas pour savoir qui passera le balai.

Quand nous revenons tous les deux à nos bornes, elles sont autour. Monsieur Jolliot me fait signe de sortir de leur couloir. Je trouve injuste que, parce que ce sont des filles, elles aient droit à un couloir rien que pour elles. Mais je passe dans celui de Claude qui sort à côté de sa borne à la force de ses bras puis me tend la main pour me hisser à mon tour. Un couloir pour deux c'est étroit mais on devrait y arriver.

- Prêt pour te taper une semaine de ménage ?

- Dans tes rêves oui !

Claude chope un petit sixième qui est assis sur le bord du couloir suivant.

- Tu nous donnes le top OK ?

Je suis du côté des filles, les jambes fléchies, les pieds bien à plat, j'arc-boute mes orteils au bord carrelé, Les mains posée à côté prêt à me détendre au top. Je m'imagine que c'est ma vie que je joue dans cette compet, je ne peux pas perdre, je pousse au maximum sur mes jambes, Je rentre dans l'eau plus loin que lui, et ressors après la seconde marque orange avant lui. Lorsque je tourne à l'autre bout du bassin, j'ai une bonne avance et enfin j'arrive avant lui et lorsqu'il pose sa main sur le bord, j'exulte.

- J'ai gagné, à toi le balai !

Il m'appuie alors sur la tête mais je me débats.

- OK mon salaud mais on fait la revanche ?

- Ah non alors, pas envie de perdre. Je sors, je veux juste aller m'amuser à plonger.

Pour aller à une échelle, j'ai deux solutions mais la plus courte passe par le couloir des filles.

- Weisembacher une fois, pas deux !

Je fais un grand sourire à monsieur Jolliot. Il est avec groupe de garçons sur le bord de la piscine ronde et leur apprend à plonger . Ce prof est impossible, il voit toujours tout !

Avec Claude, on les rejoint. Monsieur Jolliot passe derrière chacun de nous à tour de rôle et nous indique ce qu'il attend de nous avant que nous exécutions ce qu'il nous demande.

- Tourne-toi, voilà, tu vas t'exercer à plonger de dos puisque de face, tu maîtrises très bien.

Je me tourne donc et fais face au grand bassin du côté opposé aux bornes. Là, où la profondeur est de un mètre cinquante et où je bois la tasse lorsque je pose les pieds à plat au fond. Les filles sont toutes les quatre là, appuyées sur leurs bras croisées, elles nous regardent. Monsieur Jolliot veut me faire reculer pour que j'ai la moitié des pieds dans le vide mais je perds l'équilibre et m'écroule dans l'eau comme un pantin désarticulé en agitant les bras. Tous les mecs se marrent. Maître Joliot me tend la main et me ressort de l'eau.

- Et cette fois pousse sur tes jambes et pense que tu dois les faire passer au-dessus de ton centre de gravité qui est là (Il pose son doigt au niveau de mon nombril). Sinon gare au plat.

Debout, bras tendus au-dessus de ma tête mon regard croise celui de deux yeux verts qui me sourit. Cette fois encore c'est ma vie, pire : mon honneur que je joue. Et je saute. C'est pas génial mais cette fois, pas de plat.

 

La cloche sonne, l'heure est finie, le mess et le repas nous attendent, demain je reviens c'est sûr. Et j'espère qu'elle reviendra aussi.

 

 

22 février 2010

Robert Mercredi 29 Octobre 1975 les Alpes 5

Robert Mercredi 29 Octobre 1975 les Alpes

 

- Debout jeune homme !

La couette vole, je la reprends, me recouvre.

- Noooon ! j'ai froid moi !

Cette fois la couette disparaît et je me retrouve debout tenu par un bras par le colon à tenter de cacher mon entre-jambe.

- Disons que Gisou c'est LA colonelle, elle te dit debout, tu te lèves !

- Oui MON COLONEL !

Celui-là, il a dû l'entendre. C'est pas lui qui disait : on est en vacances, gna gni gna gna gna. Il a son pantalon à la main et sort en claquant la porte. La colonelle me regarde en secouant la tête.

- Et bien, une bonne journée qui commence. Elle ramasse les chaussettes de son mari et ses pantoufles, son pull puis prenant sa fille dans les bras va pour sortir quand elle se tourne vers moi toujours immobile tremblant de froid. Tu as intérêt d'être en bas dans cinq minutes où c'est Papy qui viendra te chercher.

Je regarde la porte se fermer.

Comme si j'avais peur du grand-père. 

Et puis pourquoi aujourd’hui, là, il faut que je me lève en même temps qu’eux ?

J'enfile les fringues qu'elle a mis sur "ma" chaise. Le pantalon est trop petit, je remets celui d'hier. Pourquoi faut-il changer de fringues tous les jours ? Je ne sors même pas, je suis propre. Je fais mon lit et je vois qu'ils n'ont pas fait le leur. Je vais lui faire plaisir à MA colonelle. J'enlève leur couette, je tire bien les draps, je secoue les oreillers comme je l'ai vu faire.

La porte s'ouvre.

- Alors qu'est-ce que tu fous ? Tiens, le Papapa est devenu blond roux ? Isabelle m'aide à terminer sans un mot puis me pousse dehors. Tu sais que t'es mignon quand tu veux ?

- Non ! Je suis toujours mignon.

Je descends ensuite en courant le reste des marches mais elle m'attrape par le pull et je finis sur les fesses avec elle sur moi.

- Aïe !

Mammema se précipite comme Rémy vers nous en rouspétant.

- Tu sais, Gisou , tu aurais peut-être dû le laisser dormir.

Richard qui se bat avec le putois pour lui mettre une bavette n'a pas bronché, les autres adultes se sont précipités.

Les mutter s'occupent d'Isabelle et Rémy me remet sur mes pieds. Je lève les bras pour me protéger.

- J'ai rien fait !

Il lève le bras aussi, je rentre la tête tant que je peux, j'attends en fermant les yeux que ça tombe.

Quand je les ouvre, ils sont retournés à table et piteux, je les rejoins.

Mammema me montre la cuisine. Je me lave les mains. Sylvie sort des sortes de brioches du four.

- Puis-je en prendre une ?

Elle me sourit surprise mais m’en donne la permission. Je vais donc jusqu'à la table en jonglant avec car elle me brûle les mains. Je la pose à côté de mon bol puis je vais commencer à manger quand je réalise que tous me regardent... ah oui, le putain de bisou du matin. Je récupère mon trésor et fait le tour de la table en continuant à jongler avec.

Enfin, je m'assois.

Mais quoi ? Pourquoi me regardent-ils encore? Je vérifie ma tenue, pas de braguette ouverte, j'suis habillé correctement. Bah, tant pis je ne comprends pas, je mords dans ma brioche et là : c'est du poison, bref du poisson ! Je me force à finir ma bouchée mais repose le reste et bois du chocolat histoire de faire passer le goût et ils sont tous pliés. Ah oui, très rigolo.

Papapa se penche sur mon épaule.

- Non, non, mon gars, tu le finis. Tu aurais attendu midi, Sylvie en a fait à la viande rien que pour toi, que cela te serve de leçon, espèce de petit voleur.

Je bois tout mon chocolat après avoir tenté d'avaler l'autre bout sans mâcher et à moitié m'étouffer. Papapa me donne de grandes claques dans le dos et Mammema semble désespérée… et moi j’suis écarlate… d’avoir manqué de m'étouffer.



Vers quatorze heures, je dois aller avec les trois mutter faire des courses. Mammema veut prendre sa voiture mais au dernier moment Isabelle et Maïté réussissent à s'incruster. Je ne sais pas ce que les mutter ont prévu mais d'avoir les deux filles avec moi, ça m'arrange même si je n'ai pas le droit d'aller avec elles tout à fait à l'arrière et j'exprime mon mécontentement en faisant la gueule.

Mais je sors de ma bouderie, en entendant Gisou dire qu'elles doivent d'abord se débarrasser de moi. Hein ? Quoi ?

- Tu as raison Gisèle, une fois que nous aurons vite fini les courses pour lui, nous pourrons ainsi lui faire un peu visiter la ville.

Ouf ! 

Rassuré, je m’autorise à me remettre à comater.

 

Nous nous garons dans une petite rue près d'une fontaine avec des éléphants. Je veux aller avec les deux filles mais Gisou me prend la main.  Je la secoue, elle serre. Elle veut jouer à ce jeu, OK ? Je serre aussi. Elle s'arrête, nos regards se croisent, je capitule. Mais ça m’agace que je doive lui donner la main alors qu’aucune des filles n’est obligée de le faire sauf Coco et Fanfan.

 

La vendeuse me tend une des deux pantoufles alors que j’ai encore les baskets sur les pieds, les admirant dans le miroir. Heu, oui et ? Elle veut que j’en fasse quoi ?

Gisou me fait signe de venir me rasseoir.

- Essaie-les s’il te plaît.

Je regarde la pantoufle, grise, moche, atroce et surtout inutile puis la regarde elle.

- Vous savez que je ne les mettrai pas ?

- Tu te rappelles ce que t'a dit Richard ce matin ?

Je lève les yeux au ciel et soupire.

- Vivement Aix !

Et je ne bouge pas, sauf mes pieds que je continue à admirer, en pensant à ce que vont dire les collègues au lycée.

 

La vendeuse est je crois la seule à avoir compris que je ne l’essaierai pas.

- Votre fils garde les chaussures sur ses pieds et je jette celles-ci ?

- Non, il remet les vieilles.

Nous ne rentrerons qu’à la tombée de la nuit et je reviens avec une paire de chaussures en cuir ressemblant beaucoup à celles de l'uniforme, une paire de baskets et… des pantoufles comme celles des autres mecs.



Je suis le premier à passer la porte du chalet et je monte directement dans la chambre non sans avoir récupéré mon roman en cours.

C'est Isabelle qui une fois de plus vient me chercher.

Mais avant de me laisser sortir, elle me tend la main.

- Attends, donne-moi la main.

Quoi ? Bon, si ça l'amuse.

En bas, elle ne me lâche pas et m'accompagne ainsi jusqu'à l'évier. Lorsque j'ai fini, elle veut me redonner la main mais Gisou l'expédie en me tendant les pantoufles.

Je secoue la tête, buté, elle me gonfle avec ses pantoufles.

- Non, pourquoi ? Je vous ai dit que je ne les mettrai pas.

- On en porte tous, fais pas ta sale tête, et ça économisera tes chaussettes.

Je lui fais un immense sourire puis enlève les dîtes chaussettes que je mets dans ma poche puis je passe fièrement à côté d'elle pour aller m'asseoir à ma place. Papapa pose sa main à ma place.

- Je crois que Gisou t'a demandé de faire quelque chose.

Cette dernière vient poser les pantoufles sur le banc à ma place. Mammema pose dans mon assiette quatre petites brioches. Je croise le regard de Gisou qui s'est assise à sa place. Fait chier ! J'enfile ces stupides trucs et m'assieds mais à peine assis, je les vire. J’aime être pieds nus, si je pouvais je vivrai pieds nus.

- Tu n'as pas perdu quelque chose ?

Purée, il me gonfle le vieux.

 

Si je vous dit que pour aider à débarrasser, je marche en traînant les pieds en les faisant glisser, ce qui donne un bruit atroce.

Véro et les jumelles sont installées sur une peau devant la cheminée pour jouer au nain jaune. J'ai oublié mon livre dans la chambre et quand je fais mine de monter, Richard m’appelle en faisant non, du doigt.

Je soupire. Souffle. Il me fixe, du coup ce sont tous les adultes qui me fixent.

Purée, dorénavant, mon livre me suivra partout où j' irai ! 

Devant la cheminée, les filles jouent encore une fois à un jeu de société.

- Vous jouez à quoi ? Je peux jouer avec vous ?

Je n’attends pas leur réponse et m'assois sur les talons entre les jumelles. Au bout de la troisième partie, je m'ennuie et je vais m'asseoir derrière mes cahiers surtout qu'elles m'en ont acheté des neufs.

 

A l’heure du coucher, Isabelle se plante à côté de la table 

- Aller ferme tes livres et viens !

- Et pourquoi je viendrais avec toi ?

- Parce qu'il est vingt-deux heures.

Je me lève donc.

Elle me prend la main, je souris, me demandant à quoi rime cette nouvelle manie. 

Elle me met le dentifrice sur ma brosse à dent, me remplit mon verre en vérifiant la température de l'eau, et se lave les dents en même temps que moi. Elle refuse de me donner la serviette et m'essuie elle-même la figure après m'y avoir passé un gant. 

Elle joue à quoi ? Serais-je devenu sa nouvelle poupée ? 

Par contre quand elle m'entraîne aux toilettes et m'y enferme en me disant : "tu fais ton petit pipi du soir", ça commence à me gonfler surtout qu'après elle veut me laver les mains.

Je me rebelle et l’envoie bouler.

- Mais tu joues à quoi là ?

- Moi ? A rien.

Elle sourit en me tendant la serviette pour que je m’essuie les mains puis va la remettre sur son crochet.

Puis à nouveau… je dois embrasser tout le monde en lui donnant la main. 

Par contre, en bas des escaliers, il y a du nouveau, Maïté me prend l'autre main. Arrivés en haut, je veux qu'elles me lâchent mais elles entrent avec moi dans la chambre des parents en refermant la porte derrière elles. Maïté ouvre les draps de mon lit et Isabelle commence à vouloir m'enlever mon pull.

- Eh ça va pas ?

Elle pose son index sur mes lèvres. Je tente de le mordre en riant.

- Ah non, le bébé à sa maman, il obéit sagement.

- Quoi ?

Maïté est à côté d’Isabelle. Hum, là ça pue ! Je fuis devant les deux filles hilares. Maïté prend une des couches de Coco et l'agite.

- Aller bébé soit sage, laisse-nous te mettre ta coucouche.

Je monte debout sur le lit des parents.

- Mais bien sûr, bin voyons, Je te souhaite beaucoup de chance pour y arriver Maïté.

Elles se jettent alors vers moi mais je les évite et sautant au bas du lit, je fonce à la porte, hélas, fermée.

Isabelle me montre la clef.

Même si ce n'est qu'une fille, elle fait vingt centimètres de plus que moi et elles sont deux, lui foncer dessus ne servirait à rien. Je déplace mon lit pour passer derrière puis celui de Coco. Je plonge sous le lit des parents, elles m'y suivent. Collé au mur du fond, je distribue des coups de pieds, Maïté m'en tient un puis les deux car je n'ose pas taper trop fort. Isabelle vise mes mains, par contre avec elle, je suis moins tendre. On n'entend pas les adultes ouvrirent la porte.

Rémy extirpe Isabelle et Papapa Maïté de dessous le lit. Par contre, moi, je refuse de sortir pour ne pas montrer que je pleure.

- Non, foutez-moi la paix, je veux retourner à Aix !

 

Je les vois tous sortir sauf Papapa.

- C'est bon, maintenant, sors !

Je le vois s'asseoir sur mon lit sans un mot.

Quand je sors enfin, il me tend un des deux pyjamas que Gisou m'a achetés le matin même, avec un sourire qui sent le fou rire réprimé.

- Voilà, c'est pour ça que je veux partir, j'en ai marre que tout le monde se foute de ma gueule ici.

Je vois son sourire disparaître.

- Je ne me moque pas de toi mais de Gisou. Elle essaie de te transformer en un mini Richard et je lui souhaite beaucoup de courage pour y arriver. Sinon, qu'as-tu donc fait aux deux grandes.

Et voilà, c’est ma faute, c’est moi bien sûr le fautif. Ils sont bien tous comme mon père !

- Moi rien, depuis notre retour, Isabelle ne me laisse pas faire un pas sans me donner la main et là, Maïté voulait me mettre une des couches de Coco. Si Mammema dit vrai, quand je serai plus grand c'est moi qui la lui mettrai cette putain de couche.

- Une couche ? Je retourne sous le lit pour la récupérer et lui tends. Il fronce les sourcils. Je crois que je vais avoir une petite conversation avec ses parents. En attendant, couche-toi mon grand, et non, personne ne se moque de toi, sauf peut-être ces deux pestes.

- Tu parles, Gisou me traite comme un gamin de quatre ans, elle m'a forcé à lui donner la main toute la... et là, j’ai une illumination. Oh mais c'est pour ça... putain si je faisais un mètre vingt dix, elle ne me traiterait plus comme un petit garçon, merde j'ai l'âge de Véro pas de Yvette. J'ai plus besoin qu'on me donne la main !

Il hoche la tête et se lève me laissant me coucher. Il reste un moment debout au-dessus de moi. Il a un regard sévère qui me fait peur. Je lui esquisse un sourire réfléchissant à ce que j'ai encore pu dire ou faire de mal. D'un coup, il se déride.

- Bonne nuit mon grand. Et si ce pyjama te fait chier comme ces pantoufles, ne le mets pas. Je le vois se baisser et prendre la paire de charentaises, éteindre la lumière derrière lui en sortant.

Quand Richard et Gisou viennent se coucher, je ne dors toujours pas, tournant et me retournant dans le lit, mais je fais semblant. Comme tous les soirs, Gisou vient m'embrasser et je sens sa main glisser sur mon bras nu que j'ai hors de la couette.







15 février 2010

Robert Jeudi 23 Octobre 1975 Colmar 2

Robert Jeudi 23 Octobre 1975 Colmar 2

 

Le matin, je ne suis plus dans mon lit mais dans celui du colon.

Mon cerveau se met sur off et une crise de panique totale me submerge, me jetant à genoux, tremblant, devant les toilettes.

Il pose sa main sur mon épaule.

Je me retourne . Et en essayant de me faire le plus petit possible, je tente de m'incruster dans le mur entre le réservoir d'eau des toilettes et l'autre mur, tant pis si les tuyauteries me rentrent dans les reins.

Je tremble.

J'ai envie de hurler mais je me contente de serrer mes jambes entre mes bras et d’incruster mes ongles dans ma peau.

Il est torse nu, en pantalon de pyjama, le visage couvert de mousse à raser.

Il s'agenouille devant moi.

J’aimerais pouvoir repousser le mur derrière moi.

- Là, mon gars, c'est moi. Oui, oui, je sais que c'est vous justement. La peur me tord le ventre. Tu es toujours dans ton cauchemar ? Quel cauchemar ? C'est vous, là, mon cauchemar. Dire que je vous ai fait confiance. Il s'assoit en face de moi en tailleur. Là, mon gars, je ne vais pas te faire de mal. Je ne suis pas ton père, tu ne risques rien avec moi, d’accord ? Je ne me permettrai jamais de te faire du mal. Il a l'air sincère. Mais un homme qui se fait du bien au dépend d'un autre, ne réalise pas toujours qu'il fait du mal à l'autre. Bon, déjà on a tous les deux nos pantalons et je me sens propre, pas comme avec mon père lorsqu'il... Je dois me vider à nouveau puis de m’incruster à nouveau dans le mur. Il regarde sa main droite qui tient toujours son rasoir de barbier et il le ferme puis le jette par la porte, loin, au fond de la chambre. Là, tu vois ? Je ne veux absolument pas te blesser, quelle qu'en soit la manière, OK ? Bon, attends, je vais te laisser seul mais ne ferme pas cette porte à clef sinon je l'enfonce compris ? Et franchement, ça me ferait chier de devoir leur payer une porte neuve.

Il se lève, se rince le visage puis sort sa serviette à la main, refermant la porte derrière lui.

Bientôt, j'entends le bruit d'un rasoir électrique.

Je mets longtemps à me décider à bouger, j'ai du mal à me calmer.

 

Lorsque je sors.

Lentement.

Il est allongé sur son lit.

Habillé, il lit un livre.

Il a refait nos lits.

Il n’a même pas un regard pour moi.

Sur le mien, mon uniforme m'attend. Je l'enfile en lui tournant le dos. Une fois mes lacets noués, je me lève et lui fais face. Il se lève alors, va jusqu'à la table où il prend son rasoir électrique puis me le tend.

- Tiens rase-moi ce duvet, ça fait sale. Et puis.. Plus tu rases, plus ça pousse.

Je ne peux m'empêcher de sourire en réponse au sien.

- Ce n'est pas sympa de vous moquer de moi.

- Prends-le et vas te voir dans la glace.

Dans le miroir, au-dessus du lavabo, même sur la pointe des pieds, je ne vois rien... sauf lui, derrière moi, qui me fait signe de me raser. J'allume l'engin et l'approche de ma joue, j'ai un frisson à son contact. J'obéis à ses gestes, et me le passe consciencieusement entre la lèvre et les narines. Je l'éteins. Bah, franchement dans le miroir, je ne vois pas de différence.

Et, si, je me rase l’entre-jambe, est-ce que je serai plus vite comme les autres ? Cette idée m'amuse. Derrière moi, le colon sourit aussi. S'il savait le pauvre à quoi je pense...




Lorsque nous sortons, il est presque onze heures, il me force à entrer dans une boulangerie et me demande de choisir une viennoiserie. Finalement, devant mon mutisme. Il demande deux gros pains au chocolat. Il en mange un et me donne le sachet avec le second.

Je ne peux rien avaler.

Au coin d'une rue, je vois un clochard.

- Puis-je aller lui donner le pain au chocolat. Moi, je ne le mangerai pas.

- Si tu veux.

- A moins que vous ne le vouliez. Mais moi, je ne pourrai rien avaler.

Il me fixe mais son visage reste de marbre.

- Non, vas lui donner. Après tu veux que l'on rentre à la chambre ?

Je réponds sûrement trop vite.

- Non, pas la chambre. On est bien dehors. Hier, il m'avait dit vouloir acheter des souvenirs pour ses filles et sa femme. Si vous voulez, on peut faire les boutiques de souvenirs.

Il vient avec moi jusqu'à l'homme qui me remercie et qui, tout en restant assis par terre, porte sa main à tempe en une sorte de salut militaire. Le colon lui sourit et le salue en retour, faisant claquer ses talons. Je l'imite. Ça me choque un peu, mais je ne suis plus à ça près avec lui. Si Claude nous voyait, il n'en croirait pas ses yeux.

Dans une boutique, il achète cinq cigognes en peluche. Au moment de payer, il se tourne vers moi.

- Oups, je n'ai pas pensé à toi. Tu en veux une aussi ?

J'ai dû faire une grimace sans le vouloir car lui et la vendeuse se mettent à rire.

- Je crois que vous avez choqué votre fils.

J'ai envie de dire à la femme que je ne suis pas son fils mais je me tais. En sortant, il me met les peluches dans les bras.

- Tiens, porte… mon fils. J'évite sa main qu'il veut poser sur mon épaule et je bouscule une passante. Mon garçon, voyons ? Je vous prie de bien vouloir l'excuser. Mais qu'est-ce qui te prend depuis ce matin ?

Cette fois son visage n’est pas de marbre, il affiche de l’incompréhension.

- Qu'est-ce que je faisais dans votre lit ?

- Oh ! c'est ça ! Cette nuit, tu t'es tellement battu avec tes draps que tu es tombé de ton lit et comme tu braillais, je t'ai pris avec moi jusqu'à ce que tu te calmes. Et donc tu as fini ta nuit avec moi, c'est tout. Si cela peut te rassurer, je n'aime pas les petits garçons. Ni les hommes d’ailleurs. Moi, j'ai besoin d'en avoir plein les mains. Il me montre ses mains en riant. J’ai besoin de choses que tu n'as pas, et de pouvoir m'enfoncer bien profond dans un con bien humide. J’aime pas la merde.

Là, je reste immobile, la bouche ouverte. Une femme qui passe juste à ce moment là, le fusille du regard.

- Espèce de gros porc !

Il lui fait un grand sourire et je me mets à rire.

A midi, nous mangeons encore des sandwichs puis il me fait entrer dans un salon de thé. Il m'enlève mon calot en même temps qu'il enlève le sien.

Une serveuse nous indique une table devant la vitrine.

- Bonjour monsieur, ce sera ?

- Pour moi un café et…

Je ne le laisse pas continuer.

- Pour moi aussi.

Il sourit amusé.

- D' accord mais seulement si tu vas jusqu'au comptoir te choisir au moins deux gâteaux ou te choisir une glace.



Par contre pour la suite, je suis moins coopératif.

Nous avons rendez-vous avec la juge et ça, il ne me l'avoue qu'une fois devant le tribunal.

Je connais déjà le chemin pourtant cette fois c’est une main de fer broyant mon épaule qui m’y guide.

C'est elle qui nous ouvre la porte de son bureau.

Elle me tend la main. Elle sourit. Moi, non. Elle commence à baisser sa main lorsque je me décide et la lui serre. Elle est douce et ferme.

- Bonjour Robert, tu as grandi, non ? Sinon as-tu changé d'avis ?

- Non, j'ai rien à dire.

J’affiche un visage fermé et buté.

Le colon me pousse jusqu’aux deux chaises et reste derrière moi, je le sens collé à mon dos, je m’avance un peu.

- Veux-tu que nous restions que toi et moi ?

J’hausse les épaules et fourre mes mains dans mes poches.

- Non, cela ne servirait à rien, je n'ai rien à vous dire. Je veux juste oublier et qu'on m'oublie, c’est tout !

Elle s’est remise derrière son bureau.

- Il faut que tu comprennes que quoi qu'il arrive, tu n'oublieras jamais. Surtout toi, si ton dossier dit vrai. 

Là, elle m’intéresse.

- Et il dit quoi mon dossier ?  Je peux le lire ?

Elle semble amusée.

- Alors c'est ton dernier mot ?

J’y vais au culot.

- Si je peux lire mon dossier, je parlerai peut-être.

- Cela ne se passe pas comme ça mon garçon. Quelqu'un toque à la porte. Ah ! Tu te souviens de ton avocate, Maître Patelin.

La jeune femme habillée de la classique robe noire au col d'hermine entre. Sa robe d’avocate n’est pas fermée et en-dessous, elle porte une petite robe noire très moulante qui s'arrête à mi-cuisse. Les paroles du colon me reviennent en mémoire et je pars loin, très loin de ce petit bureau.

On me prend le menton. J’ai un mouvement de recul qui me colle au colon, je me sens acculé, je serre les poings et m’écarte sur le côté.

- Bonjour jeune homme. Il faut tout de même que nous parlions tous les deux. Elle est debout en face de moi.

Mon regard évite son visage pour aller se perdre plus bas, trop bas. Je secoue la tête. Ce n'était ni le lieu ni le moment. Par contre...

- Oui, revenons à nos moutons. Béêêê ! Bêêê !

- Oh ça, ce n'est pas malin et tu n'es pas le premier mais ce n'est guère respectueux.

Mais hélas pour elle, elle se retrouve la récipiendaire de mon trop plein d’émotions.

- Ah oui, bien sûr, c'est à moi d'être respectueux, c'est à moi d'obéir, d'être d'accord. Bêêê le mouton n'a plus de laine sur le dos, ni de sang d'ailleurs, il a trop donné. On lui a déjà tout pris. Est-ce que vous tous ici, vous me respectez, moi ? Est-ce qu'on me demande mon avis ? Non et bien bêêê ! Bêêê !

Je me mets dos au mur, les bras croisés, poings serrés. Je plante mon regard dans celui de la juge. Elle a des yeux noisettes comme le colon, de grosses lunettes en écaille à la mode. Quel âge a-t-elle ? Je ne saurais le dire. Elle a des cheveux déjà bien blanc mais la peau à côté de ses yeux est lisse. Je trouve triste ce manque de petites rides.

C'est elle qui détourne le regard et fait un geste d'impatience aux deux autres adultes.

- Demain, pour le procès, tu n'auras pas le choix.

Je leur crie mon refus.

- Je ne viendrai pas !

- Ne vous inquiétez pas, nous serons là !

Le colon qui est resté debout à côté de la porte, leur dit au-revoir mais renonçant à me voir faire pareil me fait signe de sortir. Ce que je fais avec un peu trop d’empressement à mon goût et sa main se referme sur mon bras.

Il se bat presque avec moi pour m’empêcher de m’enfuir et doit presque me traîner jusqu'à l'hôtel. 

Sur le chemin, les gens nous regardent.

Là, je me mets en boule sur mon lit et m'endors rapidement.



- Réveille-toi ! Il me secoue. Ah enfin ! Tu as faim ? Il me tend un paquet de chips, je refuse. Alors mets-toi en pyjama. Je fais non de la tête. Écoute, je suis gentil, mais il y a des limites. Il s'est assis sur son lit face au mien. Alors, ou tu mets ton pyjama seul ou je te le mets moi-même et après tu pourras me traiter de ce que tu voudras.



Durant la nuit, je me réveille en sursaut.

Il dort dans mon dos.

Ma première réaction est de vouloir le frapper et de le repousser, mais je me souviens de ce qu’il m’a dit la veille.

Doucement, je me redresse et l'observe. Son lit est défait. Il est en pyjama et il dort sur ma couverture et non sous les draps comme moi.

Je m'allonge à nouveau doucement entre ses bras.

Je décide de lui faire confiance.

Et puis d’un certain côté, je dois m’avouer que son contact bizarrement me rassure.

Un père comme lui, ça doit être chouette.





















10 septembre 2010

Robert jeudi 23 Décembre 1976 fouga

Robert jeudi 23 Décembre 1976 vacances 6



- Debout la marmotte, habille-toi vite, nous allons aller visiter le musée.

Je me redresse sur un coude pour regarder la jumelle qui vient de me réveiller.

- Quel musée ?

- Bin celui de Toulouse.

- Wahoo ! me voilà bien avancé, merci Marthe !

- Moi c’est Mathilde.

Par contre, il est trop tôt pour moi, pourquoi ne pourrait-on pas y aller l'après-midi ?





Gisou debout à côté de moi, essaie de me faire bouger sans me faire renverser mon bol.

- Vas t'asseoir pour manger.

- J'ai pas faim. Je suis debout devant la fenêtre de la cuisine et je souffle sur mon bol de café. J'ai sommeil. Hier, je me suis relevé et j'ai fini le bouquin sous la couverture. Mais d'un coup, j'ouvre la dite fenêtre pour pouvoir suivre le fouga qui vient de passer sous mes yeux. je pose mon bol sur le rebord de la fenêtre et file rejoindre Richard dans le salon en grande discussion stérile comme d’habitude, avec Rémy. Tu l'as vu toi aussi ?

Les deux se taisent et me fixent. Richard me sourit en posant sa main sur ma nuque et soupire.

- Non, vu quoi ?

- J'suis sûr que c'était un fouga.

Il semble étonné.

- Ah ! tiens non. Amusé, me fait le suivre sur le petit balcon. Si tu regardes vers là, tu as la base de Francazal et là, l'aéroport, donc c’est bien possible.

- Oh ! Pourquoi tu ne me l'as pas dit avant ?

Devant mon air un peu fâché, il se met à rire ce qui m’agace encore plus.

- Parce que je ne veux pas te voir collé le nez aux vitres H24.

Mais Gisou l’écarte et me prend par le poignet pour m’entraîner derrière elle.

- Il est là le sale gosse ? Toi, tu viens. tu as un rebord de fenêtre à nettoyer et manger quelque chose.

Je soupire.

- Mais je n'ai pas faim !

Elle stoppe et me colle sa main sur le front.

- Tu n'as pas l'air malade. Tu n'es pas chaud.

je hausse les épaules. Elle ne pourrait pas me croire de temps en temps ? 

- J’suis pas malade, j’ai juste pas faim. Ça m'arrive parfois.






- Stop ! Stop ! Mais que fais-tu ?

- Bin, je nettoie le rebord de la fenêtre.

Gisou m’enlève des mains, d’un geste énervé, le broc avec lequel j'inonde le rebord extérieur de la fenêtre histoire de diluer et donc de faire disparaître les traces du café que j’ai fait couler en posant précipitamment mon bol tout à l’heure.

- Mais tu te rends compte qu’en faisant cela, tu fais couler de l’eau sale sur la fenêtre et les vitres des Magliosi ?

- Les magliosi ? C’est quoi ?

Elle lève les yeux au ciel.

- Pas quoi mais qui ! Les voisins du dessous pardi. Robert tu es sûr que tu n’es pas malade ? Mais tu as quoi franchement ce matin? Je ne l’écoute déjà plus, mes yeux fixent des petits points très haut dans le ciel. Oh ! je te parle.

Oups ! Je lui souris en m’excusant.

- Oui désolé, je rêvais.

- Et on peut savoir à quoi ? A quoi ? Mais elle se fout de moi là ?  Mes yeux ont capté un mouvement là-haut. Qu’est-ce qui t’arrive encore ? Elle me fait reculer et faire la fenêtre. Oh et puis zut ! Disparais dans ta chambre.



Chouette mon lit n’est pas encore fait. Alors tout habillé je me glisse sous les draps et je m’envole dans le cockpit du fouga…

 

Hélas trêve de courte durée… cette fois c’est Richard qui me sort du lit et direction ce putain de musée où il n’y a même pas un seul avion.



11 septembre 2010

Robert vendredi 24 Décembre 1976 Olivier

Robert vendredi 24 Décembre 1976 Olivier



Hier les parents nous ont dit : " pas de réveil avant dix heures !"

Les filles ont toutes chouiné, moi franchement je ne les comprends pas, faut dire qu'elles ne sont pas tout le temps en manque d'heures de sommeil, en dehors des jours de vacances, alors faut bien que je rattrape.



- A table, la marmotte !



Lorsque j'ouvre la porte de la chambre, un ignoble fumet m'agresse. Nop, moi, je retourne me coucher !

Mais c’était encore une fois, sans compter sur Richard. Lui il est du genre têtu.

- Debout ! Tu as exactement trente secondes pour être à table après être passé par la salle de bain.

- Non, vous me réveillez ce soir !

- A trois, tu es dans la salle de bain. 1, 2,...

Je pose l'oreiller sur ma tête, non ! je ne veux pas venir, Gisou va encore me forcer à en manger. A l'école au moins, je peux me gaver de pain sans qu'on ne vienne rien me dire.

La couette et l'oreiller volent. Et il veut me faire tomber du lit mais c'est raté, je suis debout. De l'autre côté du lit, il commence par sembler être énervé puis se met à sourire. Aïe, c'est mauvais signe.

- Rémy, viens m'aider !

- Non, non, je viens, je viens.

Rémy s’encadre dans la porte avec son habituel air d’ahuri .

- Oui mon cher frangin ?

Richard sourit en me regardant.

- Rien, c'est bon.

Ah ah il est content de lui le colon car je sors de la chambre en me glissant loin des deux. Mais Rémy lui ne semble pas content.

- Dis-moi, faudra tout de même que tu m'expliques pourquoi ce gamin a si peur de moi.

- Bah je le comprends. Aïe, la preuve ! Derrière moi, ces deux crétins qui sont contents d'eux à faire semble de se boxer. Chouette, il y a un verrou à la salle de bain. J’entends de l’autre côté de la porte Richard jurer en secouant la poignée.Oh, non, purée, je vais me le farcir cet animal. Robert ouvre cette porte !

Il peut toujours courir pour que je l’ouvre, d’ailleurs il doit l’avoir compris car je l’entends s’éloigner.

- Non, je ne veux pas aller à table. Je n’ai pas faim, je ne veux pas manger de poisson.

Je me lave tout de même les mains et la figure. Dans la trousse de toilette de Richard, je vois son rasoir. Je souris en pensant au matin à l'hôtel où il m'a dit de m'en servir. Et en même temps, je désespère d'avoir moi-même quelque chose à raser. J'envie Marion, Claude et tous les autres. Même si, Marion lui, ça le gonfle de devoir le faire tous les matins. Il m'a dit que pendant les vacances, il ne le faisait pas.

Je sursaute lorsque la porte s'ouvre sur Richard qui brandit un tournevis.

- Et oui mon gars ! Maintenant à table !

Derrière lui, Daddy, nous regarde en fronçant les sourcils. Je lui souris et le colon se tourne vers lui.

- Richard, cet enfant ne veut pas manger de poisson, et bien je le comprends. Moi non plus, je n'aime pas le poisson. Viens avec moi, mon petit. Daddy pousse Richard et me prenant par le bras me fait sortir de la salle bain puis se tourne vers Richard. Mais dîtes moi, mon cher gendre, ce soir mangerez-vous du haggis ? Je vois Richard blêmir. Très bien, alors pourquoi le forcer à manger du poisson. Viens mon enfant, nous allons nous faire cuire des côtelettes de mouton, tu aimes ça, j'espère.

- Oui Daddy.

Dans le dos Daddy je fais un immense sourire à Richard. A côté de lui, son frère ne dit rien mais semble amusé.

Daddy lui, s’appuie sur mon bras pour marcher.

- Et bien voilà. Et ce soir, tu goûteras à mon haggis et n'écoute-pas ces frenchis, c'est très bon tu verras, je l'ai préparé moi-même.





- Robert va voir Daddy dans sa chambre, vous allez vous habiller.

Je pose le livre que je lis, assis dans un coin du canapé. Mon regard va d’une adulte à l’autre qui ont toutes un grand sourire et s’échangent des petits regards.

- Pourquoi vous rigolez toutes ?

Gisou m’enlève le livre des mains et me force à me lever.

- Rho la la, vas-y et ne vois donc pas le mal partout.



Sur leur grand lit, Daddy a étalé de grands morceaux de tissus écossais.

- Je suis content que tu ais accepté, d'habitude c'est mon fils qui porte avec moi, les couleurs de mon clan.

Et ? Tiens c’est vrai ça c’est qui ce fils fantôme ?

- Pourquoi il n'est pas là ?

- Il habite à Toulon. Regarde et apprends.

Je regarde et je ne pige rien. Mais quand il vire froc et slip, heu je suis un peu gêné. Mais je comprends que... je vais moi aussi devoir porter un kilt. Pourquoi ai-je dit oui ?

- Voilà à toi ! Allez, allez, déshabille-toi et enfile ta chemise. Pendant que je boutonne cette dernière, il plie un bout de tissu identique au sien.

Bon, pourquoi il ne bouge pas et me regarde comme ça ?

- Are-you a man, my grandson ?

Ah donc suis son petit-fils… OK !

- Heu yes.

- Do you have balls ?

Quelle question ?

- Heu yes, not very big yet but yes

.- Oh ça, quand tu auras mon âge et que la gravité aura fait son œuvre, tu regretteras tes noisettes d'aujourd'hui. Alors porte-les fièrement.

Pfiou, je ne le sens pas ce truc mais alors pas du tout, du tout.



Lorsque nous sortons de la chambre tous les deux, Richard et Rémy nous sifflent et les filles sont pliées de rire. Heureusement que Daddy est derrière moi sinon, je filerais dans la chambre remettre un pantalon.

Une chose est sûre, Daddy ne me lâche plus d'un millimètre. Je suis même exempté de mettre la table, cool !



Par contre, sortir dans la rue pour aller à la messe de Noël dans cet accoutrement, je l'envisage plus que moyen.



A vingt heures, nous allons passer à table quand quelqu'un sonne à la porte.

Je suis le plus proche, je me précipite. Par le judas, je ne vois qu'un bonnet blanc d'où dépassent des boucles rousses. Je tique. Je ne savais qu'une des femelles de la maison était sortie.

Oups ! Je ne m'attendais pas à ça. Ce n'est pas une fille, c'est un homme. Oh ! Ce doit être le gars dont j'occupe la chambre.

- Bonjour ! Joli le kilt ! Tu dois être la pièce rapportée dont Gisou me rabat les oreilles. On s'embrasse ?

Pourquoi je refuserais ? Je suis sidéré par la ressemblance avec Gisou. C'est Daddy en plus jeune.

- Oh hé my darling son !

- Hey Daddy !

Il me met son manteau, un duffle coat marron, sur les bras et son bonnet. Ses cheveux roux sont tout bouclés et lui forme une sorte d'auréole qui bouge à chacun de ses mouvements. Je trouve ça drôle. Hé ! Mais... Il est en uniforme.

Brusquement Richard m'arrache tout ce que j'ai dans les bras et les jette sur une chaise et je me retrouve propulsé sans ménagement contre Rémy qui me fait passer derrière lui. Qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce que j'ai encore fait de mal ?

- Viens, on va récupérer tes affaires.

Et en moins de temps qu'il ne m'en faut pour l'écrire, la chambre est libérée de tout ce qui m'appartient, je suis prié de ranger tous les livres.

- Mais je ne les ai pas fini.

Rémy me surprend.

- Je t'achèterai les mêmes !

Ah bon ? Mais qu'est-ce qui se passe ? Ils deviennent dingues ou quoi ?

- Hi, Richard, tu sais que je ne vais pas te le manger ton gamin.

- Écoutes, tu t'approches de lui, je te massacre, compris ?

Gisou nous écarte pour embrasser son frère.

- Richard ! Ce n'est pas la faute à Olivier si un jour, tu as été con. 

Oh ! Gisou qui emploie ce langage, ce mec me plaît de plus en plus, il a l'air d'avoir le chic de tous les rendre dingues, mais pourquoi ?

- Tu rentres là et tu y restes jusqu'au repas !

Dans la chambre avec les filles ? En kilt en plus. Heu, il est gentil, le colon, mais là, c'est non ! Je ressors aussi sec après avoir largué mes affaires sur le lit des parents. D'ailleurs de parents, dans le couloir, il n'y en a plus.

Je toque à la porte de la chambre du frère de Gisou.

- Je peux entrer ?

- Oui, si tu n'as pas peur de voir les fesses d'un homme ?

- J'en vois des dizaines chaque jour au bahut. Vous êtes qui ? Le frère de Gisou ? Pourquoi les mecs ont peur de vous ?

Il est en train de mettre lui aussi un kilt. Qu'il soit en uniforme ou en jupe, ce mec est trop beau. C'est ça qui leur fait peur ?

- Ils ont peur que je te viole car je n'aime pas les filles, je leur préfère les garçons et tu es un garçon. Il me fixe en enfilant une sorte de veste courte par-dessus sa chemise. Ton père et son frangin sont des homophobes de première et donc de gros gros cons. Bref voilà toute l’histoire.

Ah OK ! Donc, bon alors là, je vais sortir, hein ?

Je reste debout contre sa porte refermée. Un pédé. Au bahut, je traite Garrot de pédé et quand je le fais, il me dit :"oui et alors ?" puis m’emmerde pour rigoler, mais là…

Les filles sortent de leur chambre et je pars en courant. Je crois que j'ai encore plus peur d'elles que de lui. Lui, j'ai une petite idée de ce qu'il pourrait me faire, pas elles.

Richard me cueille à l’entrée du salon.

- Hé là, on se calme ! Où étais-tu ?

- Là, où tu m'as traîtreusement enfermé.



A table, Daddy et Mamie Sophie sont assis chacun à un bout de table, Gisou et Sylvie encadrent Daddy. Richard m'a assis entre lui et Gisou. Le dit Olivier est assis du côté de Rémy, à côté de sa mère et de Sylvie . Je ne peux m'empêcher de le regarder. Il passe son temps à blaguer et à mettre en boîte ses deux sœurs. Les deux hommes, eux, pendant tout le repas restent silencieux. Quand il voit que je le regarde, il me fait un clin d’œil.

Richard se penche vers moi.

- Tu t'arrêtes de suite !

- Mais j'ai rien fait.

- De t'agiter.

Je rougis. J'ai la chaise en cuir qui me colle aux fesses, c'est désagréable.

Sylvie me sourit puis parle à Gisou qui a l’air plutôt amusée.

Sylvie se rassied mais Gisou récupère un des plats du centre de la table et me demande de l’aider à débarrasser.

- Tiens, porte ça dans la cuisine avec moi.

Je la suis avec le plat de crudité qu'elle me fait poser sur l’évier.

- Alors pour que la chaise ne te colle pas aux fesses , assieds toi sur le tissu. Fais ça avec ta main avant de t'asseoir. Je suis rouge jusqu'aux oreilles. Comment a-t-elle deviné ? Ah oui et sers les jambes ou fais en sorte que ton sporran soit bien entre tes jambes car si une des filles se penche sous la table, elle n'aura plus aucun doute sur ta virilité. J'avoue que j'ai mis mes mains sur mon sporran. Elle me sourit et me tend le plat de viande. Quand on était petites avec Sylvie, même si on voyait souvent Olivier tout nu, on s'amusait à se pencher sous la table et il criait :"Maman, les filles" et on se faisait gronder alors que Monsieur parfois venait à la porte de nos chambres et soulevait très haut son kilt puis partait en courant. Bon, il a arrêté de le faire en grandissant et heureusement d'ailleurs.

Je souris en les imaginant enfants. Ça me fait bizarre de penser qu'elle a été une petite fille avec des nattes rousses. Je me demande laquelle de ses filles lui ressemble le plus.

Je l'aide à ramener les plats suivants qu’elle pose au milieu de la table en nous houspillant.

- Aller, on se dépêche sinon nous arriverons en retard à l’église.



Maintenant je sais pourquoi, elle m'a acheté ces fichues chaussures. Entre les pompons sur les chaussettes et les glands sur mes mocassins, j'ai l'air d'un clown, mais bon Daddy et Olivier sont habillés comme moi.

Daddy marche avec une canne et il s'appuie aussi sur mon épaule. Il est plus grand que Richard pourtant Olivier, lui est plus petit que son père. Il s'est mis de l'autre côté de Daddy. Gisou m'a fait mettre un gros pull blanc à torsade et comme Daddy, je me sers du haut du kilt pour me couvrir du coup j'ai moins de tissus en bas et je sens le vent qui souffle très fort, me soulever la jupe que je n'arrête pas de vouloir retenir. Heureusement, Gisou et Sylvie font marcher les filles devant nous. Elles, leurs jupes ne se soulèvent pas.

C'est pas juste !

Dès fois je sens que Richard se colle à moi et je me retourne pour le regarder. Avec Rémy, je les déteste car je vois qu'ils ont du mal à se retenir de rire. Juré, je ne me ferai plus avoir.

Olivier et Daddy eux, ont l'air de s'en ficher, ils doivent être habitués.

Un diacre nous accueille et nous distribue des feuillets avec les chansons et nous propose, aux filles et à moi d'aller nous asseoir sur les premiers bancs, je refuse mais Isabelle et Maïté, avec la bénédiction des vieux m'entraînent avec elles.

Le regard narquois des autres ados me donne des frissons dans le dos. Là, je n'ai qu'une envie : partir ou devenir invisible.

D'habitude aller communier ça ne me dérange pas, j'adore laisser l'hostie se coller à mon palais puis je déguste sa lente fonte. Mais là, non !

- Reste entre nous.

Maïté m'a mis derrière elle et ses deux sœurs devant elle. Quant à Isabelle, elle me suit, une main sur mon épaule.

- T'inquiète si un de ces imbéciles approche, ils découvriront ce que ça veut dire affronter de vraies filles.

Derrière elle, il y a Véro.

C'est sans encombre que nous rejoignons notre banc. Mais quand les ados passent derrière nous, Véro qui surveille, chope la main de l'un d'entre eux qui s'en sort avec de belles estafilades. Le pire c'est qu'elle se ronge les ongles, comment elle arrive encore à griffer comme ça ?



Quand nous rejoignons les adultes, je donne encore la main à Isa et Maï et les trois autres nous collent et franchement, de les sentir autour de moi, ne me dérange pas .

- Ça va les enfants ?

Les mutter ont droit à une réponse unanime.

- Oui, ça va.

Enfin, l'entente dure tant qu'on a un ennemi commun car à peine cinquante mètres plus loin, elles se mettent à courir sur le trottoir en me tirant dans tous les sens, jusqu'au pied de l'immeuble. Et là, je trouve ça moins drôle.

- Isabelle, tu crois que le Père Noël est passé ?

Etonné je me retourne sur Françoise que je trouve trop grande pour croire encore en ces contes.

- Fanfan, tu y crois encore ?.

Qu'est-ce que je n'avais pas dit ? Les foudres de l'Enfer s’abattent sur moi sous formes de claques qui me font me protéger en levant les bras au-dessus de ma tête, pendant que Véro et les jumelles tentent de rattraper ma bévue.

- Fanfan, s'il est plus de minuit, oui, sinon il faudra que tu ailles au dodo et quand tu te réveilleras alors il sera enfin passé comme au chalet..

Richard nous sépare, en râlant. Qu’est-ce qu’il croyait ? Toutes les trêves ont une fin.

- Hé la, hé là, qu'est-ce qui se passe ici ? Qu'est-ce qu'il a encore fait ? Et ne faîtes pas de bruit , les voisins doivent dormir.

Sylvie nous montre la cage d’escaliers qui tourne autour du petit ascenseur métallique.

- Puisque vous n'êtes pas fatigués, montez donc par les escaliers, nous on prend l'ascenseur.

Moi, je décide de suivre les parents.

- Moi aussi, je prends l'ascenseur !

Gisou m’expédie.

- Oh, non, toi, tu es infatigable, tu montes à pied.

Oh l'angoisse ! Moi qui adore regarder les filles en jupe monter des escaliers, je glisse le long du mur en restant bien le dernier et pas une fois, je ne lève la tête.



L'appart est dans le noir et je ne comprends pas pourquoi. Les filles me font signe de me taire. Véro vient me donner la main et Fanfan aussi. Qu'est-ce qui se passe ? 

Dans le salon, le grand sapin est allumé avec plein de petites bougies et dessous il y a une montagne de cadeaux emballés dans des papiers colorés. Wahou que c'est joli.

Les parents s'assoient sur le canapé, les fauteuils et les chaises, et les filles s’installent directement sur le tapis. Je reste debout à côté de la porte.

- Coco, c'est toi qui distribue les cadeaux ?

C'est Mamie Sophie qui lui donne les paquets un après l'autre et lui dit à qui les donner. Le premier est pour Daddy.

Je pense que j'aurais des sous comme l'année dernière, et je suis très surpris quand Coco vient me donner mon premier paquet. Il est tout mou et me semble énorme.

Bientôt, j'en ai cinq, je n'en reviens pas et moi, je leur ai rien offert. Je suis toujours debout, mal à l’aise, ne sachant pas quoi faire.

J'ai chaud, je pose les paquets sur le rebord du buffet et profite d'enlever mon pull pour m'essuyer les yeux. Ils ont éteint les bougies et allumé la lumière.

Véro, assise à mes pieds, me montre mes paquets puis me tend des livres.

- Tu ne les ouvres pas ? Regarde j'ai la collection des Suzan Barton que j'avais demandé à Maman.

Je reprends mes paquets dans les bras.

- C'est quoi ?

- Des livres sur une fille infirmière. Mais pourquoi tu n'ouvres pas tes cadeaux ?

J’hausse les épaules.

- Je sais pas, j'ai pas l'habitude.

- Je vais les ouvrir pour toi alors. Elle attrape le premier. Ça, c'est un pull de Mamie.

Je tombe à genoux à côté d’elle et veux lui reprendre.

- Laisse ça, c'est pas à toi !

On se bat un peu, gentiment. Elle me le rend et m'embrasse sur la joue. Je vois que tous nous regardent. 

- Ça c'est mon cadeau à moi !

Je suis triste, le papier est déchiré, j'aimerais presque ne pas les ouvrir pour les garder comme ça.

Mais je finis de l’ouvrir, c'est bien un pull gris tricoté par Mamie Sophie. Devant il y a un avion comme ceux de la chambre d’Olivier. Je l'enfile, il gratte et il m’est trop grand, mais je m'en fous, je le trouve magnifique. Je me lève et vais la voir.

- Merci Mamie Sophie, il est trop beau.

- Alors s'il te plaît, je suis contente. En tout cas, tu es très beau avec. Viens, fais-moi un bisou.

Je lui en fait même deux.

- Et moi je n'ai pas droit à un bisou ? Surpris et ne sachant pas quelle attitude prendre, je me tourne vers  Olivier, assis à côté d’elle. Quoi tu n'as pas ouvert le mien ? Il a un petit rire. Tu aurais du mal, je t'en ai pas fait mais si un jour tu veux venir dans mon avion, je te ferais voyager avec moi dans la cabine de pilotage.

- Vous êtes pilote ?

Rémy qui passe à côté de moi, répond pour lui en me raccompagnant à mes cadeaux.

- Oui, il est pilote de ligne, va ouvrir tes autres cadeaux que l'on puisse manger les desserts et aller se coucher.

- Richard, je dors où ce soir ?

- Sur un matelas à côté de notre lit dans la chambre avec un sac de couchage.

- Je peux aller y porter mes cadeaux ?

- Oui mais tu ne les ouvres pas ?

- Plus tard si vous m'y autorisez ? Il a l'air surpris et embêté. Bon ce n'est pas grave, je vais vite les ouvrir.

Je retourne m’agenouiller devant mes paquets. je suis le dernier et ils m'attendent. Je ne veux pas abîmer les papiers, je veux les garder. Tout comme les rubans, mais j'ai du mal à défaire les nœuds. Je commence à paniquer. Je dois faire vite et je n'y arrive pas. Tous me regardent et c'est le silence dans la pièce. Je suis debout dans la seconde quand je m'en aperçois et me précipite dans les toilettes. J'aimerais taper contre le mur, mais il est presque une heure du matin alors je me retiens. Je suis un nul, un pauvre con. J'ai honte.

- Robert ouvre et viens.

- Non , laissez-moi !

Mais Richard n’est pas d’accord.

- Ouvre ou je vais chercher un tournevis.

Pffff ! Je sors en regardant mes pieds.

Richard me met mes paquets dans les bras et m'accompagne jusqu'à la chambre, jusqu'à l'endroit où il m'ont fait un lit. Il y a mon sac kaki dessus.

Il essaie de me dérider en blaguant.

- Demain matin en me levant, j'essaierai de ne pas te marcher dessus et si je n'y arrive pas, ne me mords pas d'accord. Il rigole puis me serre contre lui. Aller dépêche que j'ai faim et que je ne suis pas le seul. 

Derrière nous, les filles arrivent pour poser leur cadeaux à côté ou sur leur lit. Des matelas au sol, comme le mien.

Dans la salle à manger, la table est presque entièrement recouverte de sucreries de toutes sortes. Gisou me tend une assiette avec deux grosses parts de bûches, une glacée et une au beurre.

- Je t'en redonnerai si tu en veux encore mais comme tu dois manger au moins une chose de chaque, cela m'étonnerait.

Isabelle a déjà mis autour de ses parts de bûches plusieurs choses qui m'intriguent car j'en ai jamais mangé et qui m'attirent beaucoup.

- Moi, chaque année, j'essaie mais je n'y arrive pas.

Gisou semble amusée.

- Oui mais tu n’es pas lui.

Heu, qu’est-ce qu’elle sous-entend par là ?

Coco, endormie, est exfiltrée par Sylvie et Gisou pendant que Olivier aide Daddy à rejoindre sa chambre. Je pose mon assiette et les rejoint pour l'aider. Daddy s'arrête à la porte de la salle à manger, me regarde puis pose sa main sur ma tête.

- Richard, je l'aime bien ton petit gars. 

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