Robert jeudi 30 juin 1977 remise de prix
Cette année, je n'ai pas de bol, je suis de corvée nettoyage extérieur. A moi, le balai et le râteau sous un cagnard d'enfer.
Il est prévu plus de quarante à l'ombre cet aprem et donc la distribution des prix se fera en intérieur dans l'auditorium et en soirée.
Après le repas de midi, ils nous font descendre dans la grande cour en short et tee shirt pour nous faire mettre en rang.
- Et les mecs, pourquoi il y a les pompiers ?
Nevière se met à rire.
- Ils viennent inspecter nos systèmes anti-feu.
LHiver nous montre les lances déroulées au sol.
- On a toujours eu ces tuyaux dans l'école ?
Je le corrige très docte.
- Ce ne sont pas des tuyaux mais des lances à incendie.
Andréani rigole.
- On en a tous une.
Xavier sourit en levant les yeux au ciel.
Quand Lorient passe en courant devant nous, je l'apostrophe.
- Mon caporal, il est où l'incendie ?
- C'est vous !
Il a, à peine terminé de parler que des quatre coins de la cour les lances tenues par deux pompiers se sont mises en route et nous arrosent.
De deux cent quatre vingt bouches sortent des cris, autant d'amusement que de surprise ou même de douleur.
En face de nous, vingt soldats du feu.
J'entends alors Gâche et Richard crier.
- Hardi les gars, vous n’allez pas vous laisser faire. A l'attaque !
Avec les autres, nous nous précipitons vers nos assaillants. Bientôt les plus petits volent sous le puissance des jets d'eau pourtant pas à leur maximum.
- On se dispatche, on se mélange, les plus grands avec les petits, donnez-vous la main !
Je rejoins les cinquième et en grappe humaine, nous faisons front.
A un moment donné, pour reprendre mon souffle, je tourne le dos au jet et lève les yeux. Sur le balcon, il y a des spectatrices rousses mais pas uniquement.
Il y a 10 lances, nous avons formé des groupes de trente. Avec un troisième, un seconde, deux terminales et deux premières plus grands que moi, et des petits, nous conquérons notre lance. Mais au lieu de l'éteindre comme ils nous en ont donné l'ordre, j'ai envie de m'amuser.
Qu'est-ce qu'on risque, demain c'est les vacances.
- Les mecs à trois on vise le balcon là-haut puis le staff.
Pour ça, on va devoir aider un autre groupe à conquérir une lance mieux placée. On s'y précipite et un autre groupe de vieux nous rejoint et nous éloignons les plus petits. En fait on conquiert deux lances intéressantes.
Je crie.
- Retour de feu !
Et en un seul mouvement, le balcon puis tout le staff : strasse et rats, se trouvent arrosés.
Mais nous ne nous attendions pas à leur réaction. Les miloufs se précipitent vers nous de suite suivis par les profs. Les pompiers reprennent alors possession de leurs lances et le groupe d'élèves rebelles que nous sommes, nous nous retrouvons regroupés et bientôt sous des jets puissants qui nous font demander grâce.
Les lances éteintes, nous disparaissons tous dans nos chambres pour nous habiller pour le soir.
Dix-huit heures, en rang les élèves regardent les familles traverser la cour pour se diriger vers le bâtiment de l'auditorium.
Avec ceux de ma classe, je suis de corvée pour les accueillir et leur distribuer la feuille d'accueil.
Le colon et Gâche sous le grand portail nous surveillent. Grande tenue et gants blancs, nous devons rester "dignes". C'est moi qui accueille les parents de Claude. Je vouvoie Anaïs et lui remet sa feuille, très protocolairement, refusant tout rapprochement corporel et son père la retient.
Peu de temps après, je vois arriver Gisou avec la troupe de filles qui était sur le balcon. Comme elles se dirigent vers moi, je propose à un couple dont l'homme est en tenue d'officier de la Légion de les accompagner jusqu'à l'auditorium. Au retour, je vais pour me retrouver face à elles quand Gâche m'intercepte pour aller aider Caprais. Je l'en bénis.
Bientôt, Monsieur Cohen nous renvoie car le flux se tarit et nous reformons les rangs et c'est Richard qui nous passe en revue et donne l'ordre de marche. Entre nous soit dit, je plains les plus jeunes qui sont restés en rang plus d'une heure sous le cagnard avec juste une distribution d'eau et d'une petite tablette de chocolat.
Bon, le chocolat, ça, par contre je n'aurais pas dit non.
Les classes, une par une, entrent par l'allée centrale.
Elles passent ainsi au milieu des familles assises.
Devant la scène, elles se scindent en deux et disparaissent en coulisse où ils les ont tous fait s'asseoir par terre sauf les sixièmes.
Mais pour nous pas de coulisses.
Arrivés au pied de la scène, je me retourne, m'immobilise et les autres se scindent en deux s'alignant de chaque côté de moi dos à la scène.
Synchrones, regardant devant nous, nous passons nos calots sous notre ceinture puis gueulons :" Chic à Aix !"
Nous sommes applaudis mais derrière, nous entendons les pas de Gâche et Richard.
- Bienvenue à vous tous.
Les sixièmes arrivent accompagnés de leurs professeurs et s’alignent au fond de la scène pour recevoir leurs diplômes et leurs récompenses.
Puis les cinquièmes, les quatrièmes, et cetera.
Purée qu’est-ce qu’il fait chaud. Pourtant la clim tourne à fond mais nous sommes juste sous les projos. Je sens la sueur couler sur mon visage et dans ma chemise sous ma veste.
J'ai soif, contrairement aux petits nous n’avons ni bu ni mangé. J'entends Nguyen chuchoter :
- Me sens pas bien.
Au troisième rang , Gisou me sourit, elle tient une bouteille d'eau à la main.
Tant pis, je me ferai punir, mais c'est un cas de force majeure. En trois pas, je suis sur elle, lui arrache presque des mains la bouteille et la donne à Jacques qui, surpris, hésite puis la vide.
- Bois !
Richard s'est retourné, invité par un professeur à regarder vers le public.
Il s'approche du bord, il me regarde sévère puis son visage passe par plusieurs expressions.
- Vas en cuisine avec Nevière chercher des bouteilles d'eau. Mais il n'a pas fini sa phrase que plusieurs parents se sont déjà levés et nous nous retrouvons tous avec une bouteille en main. Allez derrière, rejoindre les autres.
Nous disparaissons donc nous aussi en coulisse où nous sommes accueillis par Madame Lang qui nous fait enlever nos vestes et même, pour certains d'entre nous, coucher au sol.
Mais c'est très vite notre tour.
Le poil sec et l’œil vif, nous faisons une entrée acclamée.
Richard et Gâche tournent tous les deux le dos à la salle et on peut voir qu'ils sont à la limite de rire.
Peuvent se moquer, tiens !
- Et pour finir, les héros du jour qui, ce soir, nous quitteront définitivement pour s'envoler vers d'autres cieux à l'image de Despéro et Weissenbacher qui sont acceptés à l'école de l'air de Salon. Garrot, D'Aureillan, et Echevarria iront eux à Saint Cyr...
Je n'écoute pas la suite, le soleil et la chaleur n'ont pas eu raison de moi, par contre cette annonce oui. Tout le mois Richard m'a dit et répété : " Réfléchis bien où tu voudras aller l'année prochaine."
J'ai une sorte de sifflement dans les oreilles, devant moi, tout devient flou et j'ai l'impression que mes jambes ne me portent plus.
Je prends une claque puis deux, celle-là est efficace, je tends les mains pour me protéger de la suivante.Gâche et Richard me soulèvent par un bras pour me remettre sur pieds.
- Ça va où tu sors ?
Je lui fais un salut des plus raides.
- Bon pour le service mon colonel.
Il s'éloigne et continue. Moi, je suis rouge. Mais de honte car là-bas, les filles se foutent de moi. Bon, elles n'ont pas tort.
Je suis le dernier à recevoir mes livres et mon diplôme.
Enfin Richard m'appelle en tant que major exaequo avec Nevière.
- Encore ! Alors tu ne t'es pas amélioré en sport ?
- Si mon colonel mais je ne serai jamais aussi bon que lui sur beaucoup d'autres points.
Nous sortons, je laisse mes livres à Marion puis je retourne sur scène avec Nevière et les autres majors.
Cette fois c'est Nevière qui reçoit la fourragère dorée et comme l'an passé, Richard lui fait remettre par le major des sixièmes. Mais Xavier lui, met un genou au sol devant le gamin et Lorient rapporte en souriant son tabouret en coulisse.
Ce n'est que lorsque la scène est, cette fois envahie par tous les autres élèves que nous lançons tous notre calot en l'air en gueulant.
Puis les majors vont offrir à Richard et à Gâche une boîte de cigare de la Havane offertes par un parent d'élève. Je sais que cette boîte finira à Paris chez Papapa.
Moi, je récupère des mains de Gisou, un gros bouquet de fleurs que j'offre à Madame Lang qui s'est faite amenée des coulisses tirée et poussée par toute une troupe d'élèves.
- Pour vous remercier d'être toujours là avec votre infini patience devant nos états d'âmes et nos petits bobos.
Elle m'embrasse et me chuchote : "Toi, je te regretterai".
Nous devons maintenant tous retourner dans nos chambres, mais avant... Ceux qui ont leur famille et qui ont reçu des prix vont les leur confier. Je fais de même avec Gisou. Qui m’accueille inquiète.
- Et alors, qu'est-ce qui t'est arrivé ? Ça va mieux maintenant ?
Je danse d'un pied sur l'autre, pas très à l'aise.
- Pourquoi il ne me l'a pas dit plus tôt pour Salon ?
Gisou sourit amusée.
- Oh c'est pour ça ?
- Pas seulement, je pense.
Richard entre deux familles vient nous rejoindre et me serre contre lui et me dépose un baiser sur le front. Je sens le regard de tous les autres élèves. Il dépose un smack à Gisou et ébouriffe Véro qui râle, sans me lâcher. Il rend officiel ma version.
- File ranger et vider ta chambre. Ce soir, tu dors à la maison.
Je le regarde s'éloigner vers une autre famille puis abandonne Gisou pour rejoindre mes camarades.
- Hé c'était vrai ? C'est ton père ?
- Je ne suis pas un menteur.
- Pourquoi tu ne portes pas son nom ?
- Parce qu’il ne m’a pas reconnu.
Un mec me tire en arrière, je loupe une marche et atterris dans ses bras.
- Tu vas me manquer ma petite femme.
Je me débats pour qu'il me lâche.
- Pas moi !
Autour de nous, ils se marrent tous.
En fait nos chambres sont déjà finies, nous n'avons plus qu'à réussir à faire entrer dans le gros sac blanc, tout l'uniforme que nous portons sur le dos. Puis en civil, le descendre à Madame Calliop.
- Hé, pourquoi tu passes par cet escalier ?
Plusieurs mecs me regardent me diriger vers l'escalier central.
- Comme ça, j'aiderai des plus petits à porter leur sac qu'ils n'auront pas à traîner.
Nevière passe devant moi.
- Bravo mec, bonne idée.
Venant de lui, je me sens flatté.
En passant par les deux étages suivants, nous passons le mot, aux Sup et aux terminales.
Gâche et Caprais, d'abord surpris, nous regardent passer en nous tapant sur l'épaule. Eux aussi, ont l'air heureux et fiers.
Je balance mon sac sur la banque devant Madame Calliop qui me donne un papier à signer.
- Toi, tu nous auras donné du boulot.
- Désolé.
- Ne le sois pas, j'ai eu le plaisir d'assister à la métamorphose d'une chenille en papillon.
Je la regarde gêné.
- Alors ce sac ne peut pas être le tien. Et elle me montre un tout petit slip.
- Ah zut, je me suis trompé de sac, celui-là, c'est le sien.
Je soulève le sixième à côté de moi, et l'assieds sur la banque. Le sourire de Madame Calliop s'est agrandi. Je lui donne ensuite mon propre sac et pars avec mon papier. Dehors je vais le donner à Gisou.
- On te laisse la porte de la cave ouverte, nous rentrons.
Je fais oui de la tête puis ajoute.
- Tu sais que j'ai la clef ?
- Mais alors tu me faisais descendre pour rien ?
Je me mets à rire.
- Bah le sport c'est bon pour la santé.
Elle n’a pas l’air fâchée.
- Oh toi !
Mais je suis déjà en train de remonter.
A l'étage, on s'échange des adresses. Des promesses de se revoir. Il y a des larmes, certains se connaissent et se côtoient depuis dix ans.
La porte de la chambre se ferme derrière Garrot, je le regarde s'approcher de moi, suspicieux.
- Qu'est-ce que tu veux ?
Je recule jusqu'à être acculé contre son armoire.
- Juste te dire un au-revoir. Pas un adieu car je sais qu'on se reverra forcément un jour.
Je lui tends la main qu'il saisit mais trente secondes plus tard, il m'embrasse, mais pas comme on s'y attendrait d'un simple copain. Je suis tellement saisi que je ne réagis pas et le laisse faire.
Quand il arrête, il se recule et me regarde avec un sourire triste. Prend sa grosse valise et sort de la chambre sans un mot.
Moi, je ne bouge pas.
En face de moi Claude me regarde, il est devant notre porte, sa valise derrière lui.
- Viens me dire au-revoir l'abruti.
- Pas comme lui ?
- Quoi ?
- Je viens de me faire violer la bouche par Marion.
- Oh ! T'avais toujours pas compris ? Non, t'inquiète. Pour moi, t'es juste un petit con que j'aurais bien aimé avoir pour petit frère. On se serre la main puis une accolade. Passe nous voir à Bordeaux, les parents t'accueilleront volontiers et la frangine aussi. Il se met à rire. Surtout elle !
Cette fois nous rions ensemble. Je lui tape sur l’épaule.
- Tiens, d'ailleurs. Je t'accompagne.
Monsieur et Madame D'Aureilhan me reformulent la même invitation que Claude. Je suis maintenant plus grand qu'Anaïs que je serre contre moi et lui chuchote :
- La prochaine fois que l'on se verra, je t'offrirai un cadeau et on s'en servira.
Elle se met à rire et chantonne : "paroles, paroles... "
Clause se met à rire aussi et me tape sur l'épaule.
- A la revoyure !
Je suis seul à l'étage.
Je passe dans toutes les chambres pour vérifier que rien n'a été oublié. J'éteins des lumières. Dans les douches, une serviette de l'école finit dans mon sac, je la porterai à Madame Calliop un autre jour.
Enfin. En dernier. C'est la lumière de mon bureau que j'éteins. J'ai du mal à partir. Une nouvelle partie de ma vie se termine.
Je vais la regretter.
J'angoisse pour celle qui va commencer dans un mois.
Puis je repense à Marion et m'essuie la bouche.
C’est avec un bonheur indéfinissable que je pousse la porte de l’appartement.
- Hello ! Qui vient accueillir le meilleur, le plus beau et le plus fort ?
La porte des filles claque, apparemment pas elles, ni leurs copines.
Coco me tend les bras.
Gisou m'attend à l'entrée de la cuisine en souriant. Ça sent bon, j'ai faim, je pique un bout de pain que je partage avec Coco.
Mes fesses prennent un coup de cuillère en bois mais c'est plus une caresse qui m'amuse.
En passant devant la porte d'entrée, je prends mes sacs pour les porter dans la grande salle mais Coco qui est descendue de mes bras me tire en me tenant des deux mains quatre doigts de ma main gauche, jusqu'au bureau de Richard où ils ont ajouté un nouveau canapé en cuir qui ouvert m'offre la vision d'un lit.
- Pour toi !
Ému, je m’allonge dessus, elle vient m’y rejoindre. Le bureau interdit de Richard et je vais y dormir.
Lorsque je me redresse, il est devant moi. Il est en train d'ouvrir sa vareuse et sa cravate, il sourit. Il vient me poser sa casquette sur la tête et son poignard sur les cuisses, puis s'éloigne vers sa chambre.
Coco suit son père.
Je me rallonge en chien de fusil, sa casquette et son poignard serrés dans mes bras.
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