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grâce à vous deux Richard et Gisou (incomplet, en cours d'écriture )
17 mars 2010

Robert lundi 3 février 1976 vacances 2

Robert lundi 3 février 1976 vacances 2



A midi, lorsque les jumelles voyant qu’ils allaient passer à table, décidèrent sans demander à personne de venir me réveiller.

Je suis à nouveau dans le lit des parents.

Ils ont une très grande couette. Elles me l’enlèvent.

Je me réveille complètement dans le pâté, assommé par les cachets contre la douleur, je veux me défendre mais j’ai oublié mon plâtre. Une des jumelles le prend en pleine figure et moi, je tombe du lit.

Lorsque les trois hommes arrivent, je suis sur le dos tenant comme je peux le plâtre entièrement fendu sur toute sa longueur. Quant à la jumelle, elle pleure aussi de l’autre côté du lit, ses mains devant son visage. Richard et Papy doivent retenir Rémy qui menace de me frapper. 

Du coup nous voilà de retour aux urgences, juste Sylvie pour Mathilde et Gisou pour moi .

Nous revenons vers dix-sept heures.  

J’ai un nouveau plâtre, et Mathilde, un beau pansement sur le nez. Cette fois, nous n’avons pas droit à du gâteau. Rémy semble calmé mais j'évite tout de même de passer trop près de lui.

Mammema prend sa petite fille dans ses bras le regard fixé sur moi qui me suis arrêté juste après la porte de la cuisine.

- Vous savez quoi, les gamins ? Nous aimerions passer des vacances sans disputes, sans bleus ni bosses et encore moins de passages aux urgences. Vous croyez que vous y arriverez ?

L’autre jumelle me montre de la main.

- C’est depuis qu’il est là, lui !

Ah ça, avant, elles n’avaient personne à emmerder.

- Hé, je dormais, vous êtes venues pour me violer.

Les adultes ne me croient pas et se moquent de moi.

- Fiston, tu n’en fais pas un peu trop, là ?

- Non Rémy, vos filles étaient en train de me tirer mon pantalon de pyjama.

- Même pas vrai, papa ! Marthe disparaît dans les escaliers et Mathilde, devant son père, n’en mène pas large. C’est vrai papa, je te jure, on voulait juste le réveiller pour qu’il vienne manger avec nous. On lui a juste enlevé la couette et... et... Voilà, c’est tout !

Ah quand même ! Maintenant les vieux ils ne rient plus.

- File là-haut jusqu’au repas avec ta sœur, nous en reparlerons. Au fait Richard, pourquoi est-il encore dans votre lit, lui ?

Le fait de continuer à dormir dans leur chambre me dérange aussi, il me faut l'avouer, alors j'ai une idée.

- Je peux dire ce que "lui", il voudrait ?

Rémy se tourne vers moi. Je fais prudemment un pas en arrière, je ne peux de toute façon pas reculer plus, je suis littéralement dos au mur, non dos au placard. Je me rappelle qu'il parlait de me tuer quelques heures auparavant..

- Dis toujours.

Je le fixe, j’hésite un peu. Mon regard passe des uns aux autres. 

- Justement, j’aimerais… Si je dois continuer à venir ici en vacances… J’hésite encore. J’espère ne pas me tromper. Avoir une chambre à moi où je dormirais seul.

Papapa n’est pas le seul à trouver l’idée excellente et il me propose de suite de nettoyer une des chambres inoccupées du second.

- Comme ça, il y en aura un qui sera occupé à quelque chose d’autre que de se taper dessus avec les jumelles ou Véro. Allez, viens avec moi fiston, tu vas d’abord choisir ta chambre.

Le deuxième étage est encore le royaume des araignées et autres joyeuses bestioles.

La répartition des pièces est grosso modo la même qu’au premier, sauf que là, il y a deux grands dortoirs et quatre minuscules chambres.

Sans hésiter, je choisis la première juste à côté de l’escalier. De toute façon, elles se ressemblent toutes.

- Et bien voilà ! On s'y mettra demain !





- Sur la table comme les autres ! Papapa m’enlève le livre des mains et me force à venir m’asseoir sur la chaise à côté de Marthe, puis pose mon sac devant moi. Tu liras quand tu auras fait une heure de travail comme les autres, c’est le minimum syndical, tu le sais.

À peine s’est-il éloigné que, traînant mon sac, je vais m’asseoir sur la chaise en bout de table, à l’opposé des filles à quatre mètres d’elles.

D’abord je me méfie d’elles. 

JEt ensuite j’ai besoin d’espace car j’ai toujours et encore ce putain de dessin à faire pour le cours de science appliquée. J’ouvre ma feuille et sors mon matos. Dans ma tête c’est simple, puis vient le moment de le mettre à plat et là…

Plus un bruit, je lève la tête. Elles me regardent toutes.

- Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? En face de moi, Véro fait des grimaces en tirant la langue, fermant un œil, se tortille. Trop facile facile de se moquer d’un handicapé…

Elle se met à rire.

- Ouais handicapé du cerveau !

- Bouffonne !

- Débilos !

- Amoindrie du cervelet !

- Espèce de gnome

- Grognasses !

- Ça suffit ! Papapa lève de son fauteuil. Robert et Véronique, vous n’êtes pas là pour vous faire des compliments mais pour travailler. Si je vous entends encore, je vous dicterai Hernani jusqu’à l’heure du repas.

Marthe, le stylo dans la bouche, le fixe pensive.

- Pourquoi Hernani, Papy ?

- Parce-que, tu préfères autre chose ?

Maï prend le relais

- Non, mais t’as pas répondu à ma question.

- Maïté, veux-tu commencer avant les autres ?

- Non, c’est bon mais t’es pas cool !

- Je n’ai pas à être cool, je suis ton grand-père.

- Bin tu pourrais être un grand-père cool.

- Maïté ?

Pour une fois que ce n’est pas moi qui l’énerve, chacun son tour. 

- Mais Papy !

- Bon alors allons-y, prends ton cahier de brouillon. Il sort un vieux petit livre souple et marron de sa poche. Je commence avec toi.

Maï souffle mais se penche à nouveau sur son cahier.

- Non, c’est bon, c’est bon… Papy rejoint son fauteuil. Mais c’est vrai que t’es pas cool !

Oups ! Le mot de trop, il est de nouveau debout, l’œil méchant. Moi, comme les autres, on explose de rire.

- Cahier de brouillon pour tous !

Ah non ! Moi, j’ai mon dessin à faire et j’en chie assez comme ça. Mais je le surveille tout de même. Là, il tourne autour des filles, j’ai la paix pour un moment.

Malheureusement, il les abandonne pour me rejoindre. 

Il pousse mon sac et s’assied à côté de moi, les bras croisés sur la table, à observer ce que je fais. Je m’arrête et le fixe. Ai-je le droit de lui dire qu’il me déconcentre. En face Véro et les jumelles, me copient ou imitent Papapa. Que c’est bête une fille !

Brusquement il tape sur la table en les regardant et… me fait sursauter. Ma règle glisse.

- Hé c’est pas cool !

En face de moi, sept éclats de rire. Oups ! Je baisse la tête mais j’ai envie de rire aussi. Je n'ai pas fait exprès en plus mais il ne me croira jamais.

Il fouille mon sac. Hé non ! Ouvre chaque livre, chaque cahier… mon journal… il le referme sans plus. Mon carnet de correspondance. Ouverture au hasard, mes notes de décembre, de janvier. Revient en arrière, puis se met à rire.

- Oh bin ça, Richard, il l’a vu ?

Je secoue la tête sans le regarder. Il lit mes annotations sur le règlement de l’école et ça a l’air de le mettre en joie.

Moi, non. Même si… j’estime... qu’elles sont justes.

Justement, l'intéressé arrive. Oh non ! Richard vient poser ses mains sur ses épaules.

- Alors Papa, ça travaille ? Si tu veux aller faire la sieste à ton tour et rejoindre maman, moi j’ai fini la mienne je prends le relais.

Papapa se lève avec toujours dans ses mains mon carnet.

- Tu as pu dormir un peu ?

Je ne comprends pas leur clin d’œil et leur amusement.

- Nous dormir ? Tu rêves ?

Papapa lui tend mon carnet. J’aimerais disparaître.

- Tu as vu l’œuvre littéraire de ton animal ?

- Oui, hélas ! Quoi ? Je le regarde stupéfait, il a lu mon carnet ? Mais je ne lui ai jamais passé. Écoutes, il veut qu’on soit plus sévère ou plus cool selon, j’en ai pris bonne note, et d’ailleurs ça lui a déjà valu des points en moins sur sa moyenne pour le premier trimestre. Il me fixe. Et oui garçon, sans cette bêtise tu serais passé devant Nevière. C’est ballot n’est-ce pas ?




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21 mars 2010

Robert vendredi 6 février 1976 du poison

Robert vendredi 6 février 1976 du poison

 

C’est vendredi, et il y a du poisson à midi. Beurk ! Je mange les entrées, puis je déclare n’avoir plus faim et veux quitter la table. 

Mais Mammema n’est bien sûr pas d’accord du tout.

- Non, tu en manges un peu, c’est bon pour la mémoire !

Je souris.

- Ah oui ? Alors moi qui n’en ai jamais mangé, enfin si malheureusement. J’ai un frisson en pensant aux tendres méthodes de mon père pour que je mange le contenu de mon assiette. Pourtant, je suis celui qui a le plus de mémoire dans cette pièce, non ? Alors, on en reparlera !

- Pas d’excuses, je ne t’en sers pas beaucoup, tu goûtes pour me faire plaisir.

Je regarde Mammema en ayant un air aussi suppliant qu’elle.

- Pitié, je suis trop jeune pour mourir !

- Ah ! Parce que le poisson, cela t’est mortel, maintenant ? s’étonne Richard qui me regarde amusé.

- Oui, j’y suis allergique grave, je gonfle, je fais des boutons partout, je vomis, et pleins d’autres trucs affreux et après je meurs dans des souffrances monstrueusement atroces.

Tout en le disant, je le mime. Richard ne semble pas convaincu mais les filles me trouvent très drôle.

Mammema, qui s’est levée, se penche à mon oreille.

- Tu as vu le dessert ?

- Non.

- Alors, si j’étais toi, je mangerais au moins deux bouchées de poisson.

- Et c’est quoi, le dessert ?

- De la mousse au chocolat et de la chantilly.

Je mange un fourchetée de poisson piquée dans l’assiette de Papapa à côté de moi en faisant la grimace et multiples haut le cœur. Je me rattrape sur les haricots verts. Mais je me considère encore une fois martyrisé et incompris.



- Les gamins, si vous faîtes une heure de travail, on vous réserve une surprise.

Les filles ronchonnent comme d'hab et s'installent sur la table. Je ne bouge pas de par terre. Je suis adossé au mur qui borde la cheminée. Il y fait chaud, j'y suis bien. J'ouvre mon livre sur mes genoux et mon cahier dessus, 

j'écris mais ce n'est pas de la physique, ni rien d'académique. Dans le bouquin que je lis, le gars est commandé par des esprits alors ils les laissent le diriger et il se met à devenir prophète. Alors j'écris tout ce qui me passe par la tête.Je ferme les yeux, secoue la tête, ouvre les yeux, écrit alors ce qui  me passe par la tête. La page pleine, je relis et là me vient toute une histoire.

 

Pendant ce temps les parents tirent le canapé jusqu’à la table qui est elle-même reculée contre le mur. Pourquoi déplacent-ils tous les meubles ?

Rémy et Richard descendent ensuite deux grosses caisses en bois. Dessus il y a encore le nom de munitions pour des armes automatiques allemandes de la guerre de quatorze puis enfin une autre caisse, non pas longue mais rectangulaire et en hauteur.

 

- Les filles, vos parents vont tous nous tuer.

Elles se tournent vers moi.

- Tu dis n'importe quoi.

- Si Mathilde, les grosses caisses là-bas contiennent des balles de fusils militaires et celle-là, une mitrailleuse sur pieds.

Papapa, d’abord surpris, s’énerve.

- Purée Robert avec toi, tout devient compliqué. Pourquoi faut-il que tu saches lire l'allemand gothique ?

- Peut-être parce que mon géniteur était allemand.

Il soupire.

Richard et Rémy se mettent à rire et me font signe de m’approcher pour les regarder ouvrir la caisse toute en hauteur.

- Alors Robert, attention à trois, voici ta mitrailleuse. Un, deux, trois.

Oh ! c'est une sorte de vieux tourne-disque. Papapa y fixe un énorme pavillon qui ressemble à celui d'une grosse trompette tordue.

- Aller rangez vos livres et venez danser avec nous.

Il n'a pas besoin de le dire plusieurs fois.

Dans les caisses des vieux disques.

Danser, je n'en ai pas envie, alors je me propose d'être DJ mais ils refusent.

J'effectue alors un repli stratégique tout au fond de la pièce derrière la table pour qu'ils m' oublient mais c'est peine perdue.

A tour de rôle, Sylvie, Gisou et Mammema viennent me tirer de mon coin mais dès qu'elles me lâchent, j'y retourne. Elles envoient même les filles me chercher mais là ça tourne au vinaigre alors c'est Richard qui vient me chercher et me sort dans la cour.

- Bon alors, tu ne sais pas danser, ça tout le monde l’a bien compris. Mais tu veux toujours devenir un officier, un pilote n’est-ce pas ?

- Oui, mais ça n'a aucun rapport, y a pas la place pour danser  dans un mystère ou un mirage.

Je l’amuse et l’épuise en même temps.

- Oh si, mon petit. Tu ne seras pas toujours dans ton piège.1 Comment vas-tu faire danser la femme du grand pacha ? Comment vas-tu faire danser la femme du gouverneur si tu te retrouves en représentation de la France dans un pays étranger ? Crois-tu que ton boulot va s'arrêter à branler un manche ? Et bien, non ! Et puis le jour de ton mariage, qui va ouvrir le bal, ton père ?

- Je ne me marierai jamais. Et mon père s’il vient à mon mariage, je le bute.

- Ouais, ça, c'est encore à voir. En tout cas, là, si avant la fin de cet heure tu n'es pas allé demander à Mamie de t'apprendre à danser, tu es consigné dans ta chambre jusqu'à la fin des vacances et tu passeras les suivantes chez les Cohen à bosser avec Francis. C'est bien compris ? Je ne réponds rien. Danser, j'en ai pas envie. Danser c'est ridicule. Il n'a pas le droit de me forcer. Oh, oh ? As-tu bien compris ?

Buté, je fixe le sol. 

- Oui. Mais, je ne me marierai jamais.

- Tu feras ce que tu voudras. En attendant, sache que les hommes qui plaisent le plus aux filles, ce sont ceux qui dansent le mieux.

Gna gna gna, Et les filles sont franchement chiantes.



Si, je suis retourné dans mon coin ce n'est plus pour bouder, enfin si, un peu. C'est pour observer.

Depuis que l'on est revenu Richard passe les disques en revu, puis finalement en sort un, qu'il va montrer à Rémy.

La musique s'arrête, Papapa prépare le disque sur l'appareil. 

Rémy et Richard sont allés prendre les mains de leur femme respective et se sont positionnés chacun à un bout de la salle. Mammema, elle, a réuni les filles et les a entassées autour de moi.

La musique commence, c'est un tango.

Les deux couples s'élancent. Wahoo, qu'ils dansent bien. Ils se rejoignent au centre et les deux sœurs changent de partenaires puis s'éloignent jusqu'en bout de salle pour revenir au centre où elles retrouvent leur mari respectif. La danse finit non pas sur un classique renversé mais sur un long baiser langoureux qui fait hurler les filles.

- Pouah ! Beurk ! Dégoûtant ! Stop réservez ça à votre chambre !

Moi, je suis jaloux.

- Voilà, c'est comme ça que l'on a ouvert le bal à notre mariage.

Richard me fait un clin d'œil, Rémy fait la grimace.

- On était encore beaux et jeunes.

- Vous êtes toujours beaux.

Pourquoi j'ai dit ça moi ? Maintenant j'ai envie de disparaître dans un trou de souris car tout le monde rit autour de moi. Oh et puis zut, ce n’est que la vérité. En même temps, je suis triste, j'ai jamais connu de couples comme eux, avant. Je ne leur ressemblerai jamais.

Je passe sous la table pour m'enfuir à l'étage. Je m'enferme dans ma chambre et me réfugie sous ma couette, mort de honte.

Les filles ont trop de chance d'avoir des parents comme eux.



- Robert, ouvre-moi. Gisou essaie d'ouvrir la porte mais je me suis assis derrière en l’entendant monter et l'en empêche. Allez, laisse-moi entrer. Ne fais pas ton caractère de cochon.

J'essuie mon visage avec mon tee-shirt. Je ne veux pas qu'elle voit que j'ai pleuré.

Elle ne me laisse pas le temps de m'éloigner et me serre contre elle.

- Poussin qu'est-ce qui t'arrive ? Un jour, toi aussi, tu danseras avec une jolie fille. En tout cas, tu nous as fait très plaisir à Sylvie et moi. Du coup Papy et Mamie sont jaloux et veulent te montrer qu'eux aussi savent bien danser. Maintenant, viens, descends, je veux danser avec toi.

Je la repousse sans douceur.

- Non, je ne sais pas danser.

- Oh ça, ce n’est pas bien grave, je vais t'apprendre. Elle ferme la porte puis me prend par la taille. Mets tes mains là, voilà. Maintenant, comptes, tu verras ce n'est pas sorcier du tout. Non, c'est toi le garçon, c'est toi qui doit mener.

Je la repousse encore.

- Non, je n'y arriverai jamais !

- Tu arrives à marcher au pas ? Oui ? Alors, tu apprendras à danser. Aller, recommençons.



Quand nous redescendons, Véro danse avec son père et Isabelle avec son grand-père. Rémy lui, fait tourner Maïté alors que les jumelles se partagent Mammema et Sylvie. Elles sont presque aussi douées que leurs mères. J'ai honte, je veux faire marche arrière mais Gisou m'en empêche et me force à danser avec elle. Je m’emmêle les pinceaux, je lui marche sur les pieds. Je suis rouge de honte surtout qu’une jumelle se met à rire. J'entends juste le bruit d'une claque. 

Mammema remplace Gisou devant moi. Il faut que j'y arrive ! Je ferme les yeux et reste immobile, je dois arriver à me calmer et penser à tout ce que m'a dit Gisou. Je dessine dans ma tête le trajet que mes pieds doivent suivre. Je mène donc c'est à elle de me suivre et non à moi de faire attention à elle.

J'ouvre les yeux. Je suis presque aussi grand que Mamie. Je lui souris. Richard change de disque, j'attends. Je le regarde commencer avec Gisou. Rémy lui danse avec une des jumelles. Et Papy avec Sylvie. Bon, et bien puisqu'il le faut... Je ne regarde pas mes pieds, sinon je vais encore m'embrouiller.

- Bravo, voilà, tu vois tu commences à y arriver. Je suis sûre qu’avec un peu d’entraînement, tu y arriveras aussi bien que nous.

Je rougis, j'y suis plus ou moins arrivé mais jamais , non jamais je ne les égalerai et je suis content d'être en chaussettes sinon les pieds de Mammema seraient de la marmelade.

Coco veut danser avec moi. Avec elle, c'est plus simple, je la porte.




A  vingt-deux heures, j'embrasse Gisou pour lui dire bonsoir avant de monter dans la chambre.

- Merci et désolé pour mon mauvais caractère.

Elle ne dit rien mais son sourire est moqueur et je me sens rougir. J'ai honte, j'ai encore pas mal de boulot devant moi pour qu'elle ne puisse plus se moquer de moi.




1 avion

7 mai 2010

Robert dimanche 1 Août 1976 Rémy

  Robert dimanche 1 Août 1976 Rémy

- Hé c'est pas la route de l'aéro-club ? Pourquoi on a pas pris le cabriolet ? Pourquoi est-on parti si tôt ? C’est la route de Grenoble, on va revoir Sam ? Il est qui Sam pour toi ? Il a un chouette avion en tout cas. Tu sais le piloter toi aussi ? Hé mais ce n’est plus la route de Grenoble. Richard alors, on va où ?

- Richard, monsieur questions est sur on.

- Pourquoi à moi ? Papa, tu es là aussi, sauf erreur.

- Oui, mais ce n'est pas mon gamin.

- Bon ça va, j'ai compris je la ferme. Je vous fous la paix, je vais dormir !

Joignant le geste à la parole, je passe sur la dernière banquette où je me couche en leur tournant le dos. Trente secondes plus tard, je tombe dans la travée, suite à un coup de frein.

- Assieds-toi correctement.

Il me gonfle, il ne pouvait pas rester à Aix ? On était bien sans lui. Je reste couché par terre, silencieux.

Peu de temps après, il arrête la voiture.

- Robert, tu vas bien ?

- Mais oui, il va bien.

- Toi et tes certitudes. Tu te souviens de Rémy dans le puits ?

- Il en est sorti.

- En attendant Maman, t’en as voulu pendant longtemps.

- Oh ta mère… Parfois, elle est comme Gisèle.

- Et alors ? Vas-y explique ? Elle à quoi ma femme ?

- Non rien !

- Ouais comme d’hab. Tu lâches une vacherie mais rien derrière. Dès fois t’as pas de couilles Papa.

- Vous couvez trop vos gosses.

- Ah ça, c’est sûr que ce n’était pas ton cas. Dés fois je me demande comme on a survécu avec Rémy.

 

 

Une portière s'ouvre au bout d'une seconde. Ensuite c’est celle arrière gauche, le siège au-dessus de moi s'abaisse.

- Toi, tu sors de là.

Je le laisse m'extirper de mon trou. Debout à côté de la voiture, face à lui qui me tient toujours par le bras, je regarde mes pieds.

- Tu vois bien qu'il va bien.

Il remet le siège, me force à m'y asseoir et boucle lui-même ma ceinture.

- Et si tu bouges, je te... et flûte !

 

J'ai décidé de ne plus ouvrir la bouche puisqu'il ne veut plus m'entendre.

 

A Lyon, on récupère Rémy à la gare.

Je trouve qu'il a grossi mais je me tais puisque j'ai décidé de faire vœu de silence.

 

- Eh mais, il a sacrément grandi l'énergumène. Alors, tu n'as tué encore aucune des filles ?

- Étonnamment, on a pas eu de bagarre depuis notre arrivée. Il faut dire qu'il passe son temps à dormir, une vraie marmotte.

 

 

Rémy ouvre son sac qu’il a posé sur le siège entre nous.

- Tiens gamin, j'ai de la lecture pour toi.

- Non, je t'interdis de lire ça !

Richard tente tout en conduisant d'intercepter les différents prospectus et BD que Rémy me passe.

Papapa saisit le volant, le colon le repousse.

- Richard on est dans une voiture, pas un avion. Je n'ai pas envie de décoller. Ton gamin ne se sera d'aucun corps, si on quitte la route.

- Tu fais chier ! Je gère, je gère ! Mais toi, tu vas me le payer.

- Hé, je ne fais que lui montrer qu'il existe d'autres moyens d'avoir des ailes. Et d'après ce que je sais, les pilotes embarqués sont de bien meilleurs pilotes que vos petits zizis qui pissent pas très loin..

- Tu ne veux pas retourner dans ta bête noire ?

J'avais oublié combien je m'amusais à les entendre se disputer comme des gamins. Rémy m'a fourni une merveilleuse façon de me venger.

- Rémy, faut passer par Salon pour être pilote embarqué ou la marine a sa propre école ?

- Bien sûr, mais comme pour Salon c'est à partir de 17 ans, avant tu peux être mousse. Et ce d'ailleurs dès septembre. Ah ! le bon air de la mer. Tu ferais du bateau et le week-end, tu viendrais à la maison. Et d'ailleurs comme j'ai un voilier, le week-end, tu viendras en faire avec moi et les filles.
- Ça c'est tentant.

Ouais, ouais, je sais et mon vœu de silence ? Envolé lorsque j'ai vu que Richard me regardait dans son rétroviseur. Par contre, je n'arrive pas à rester sérieux comme lui, ça me gonfle. Surtout avec un Papapa qui a visiblement, lui aussi, du mal à garder son sérieux.

Rémy se frotte les mains tout heureux en fixant son frère.

- Ah, bin, ce sont les filles qui vont être contentes quand je leur annoncerai la nouvelle. Hé, pourquoi tu t'arrêtes ?

- Je réfléchis, j'ai une grave décision à prendre. Richard  gare sa voiture sur le bas-côté de la route puis se tourne vers nous. Qui je tue le premier ?

- Pas moi. Tu ne peux pas !

Avec Rémy on se regarde et suivi de Papapa, nous nous mettons à rire, on l'a dit en même temps.

Richard a redémarré mais sa manière de conduire commence à me faire peur. Je me tiens au  dossier de son fauteuil. 

Et s'il me prenait au mot et me refilait à Rémy ? Je veux pas aller dans la marine, moi ! Rémy, il commence à être sympa avec moi mais ce n'est pas lui et je ne verrais plus ni Gisou, ni Véro.

Papapa se tourne vers moi.

- Bonhomme, ça ne va pas ?

Cette fois, j'en veux à Rémy. J'ouvre la fenêtre, j’ai envie de jeter tout ce qu’il m'a donné, mais je me ravise, il y a de belles photos d'avions, j'en décorerai ma chambre.



 

- Qu'est-ce qu'on vient fiche ici ?

Nous sommes garés sur le parking de l’aéroclub et déjà Richard s’éloigne, je lui emboîte le pas, suivis par Rémy puis Papapa.

- La leçon du gamin.

- Papa, pendant ce temps, tu me ramènes et tu viendras les rechercher ?

Richard s’arrête pour fixer son frère.

- Ah non, mon cher frangin, il y a quatre places dans l'avion, tu viens avec nous.

- Tu peux toujours courir.

- Quoi, tu veux pas voir comment le gamin pilote bien. Qu'est-ce qu'il raconte ? Dans le 800, il y a que deux places ? Mais alors, c'est pour ça que Papy disait : pour l'autre c'est "ton père" qui sera ton instructeur ? Aujourd'hui... mais je n'ai jamais piloté moi ? Alors Rémy, tu vas prouver au gamin ce que j'ai raison quand je dis que tu n'as que de la flotte dans le corps ?

- On a tous à peu près quarante cinq litres...

Je me tais. Je viens de buter contre Richard qui s'est à nouveau arrêté net. Je rentre la tête et le contourne lentement, préférant ne pas être entre les deux frères.

- Rémy, viens, je te ramène.

- Non Papa, j'ai hâte de voir ce que ce gamin a dans le ventre. Sûrement plus que ce branleur de sucre d'orge.

Papa soupire et opte pour une autre stratégie.

- Robert viens avec moi. On va laisser ces deux abrutis et nous allons sortir le C800.

- Papa, j'ai réservé un Jodel !

- Possible mais tu as vu la tête du môme ? Tu crois vraiment que tu as à le mettre au milieu de vos dissensions d'adultes ?

Heu, moi ? Certes. Là, j'ai envie d'être ailleurs ou dans un trou de souris. J'aimerais qu'ils m'oublient franchement. Rémy me prend par les épaules l'air amusé.

- Richard, alors, il est où ton tagazou. Ce jeune homme piaffe d'impatience de nous envoyer en l'air. Ou de nous vacher.

 

Finalement l'ambiance se détend, Rémy blague beaucoup. Plusieurs fois, je tourne la tête pour lui répondre. Il affiche un visage souriant mais ses mains crispées sur le siège de Richard devant lui et la poignée suspendue me montrent combien il n'est pas à l'aise.

 

A midi, nous mangeons à l’espèce de petit resto sur l’aéroclub, un steak frites et une glace.

Les deux frères semblent aussi y connaître tout le monde, Rémy finit par me raconter qu’il a la licence de vol à voile car son père ne lui en a pas laissé le choix. Qu’il a aussi fait du parachutisme, passage obligé même pour un officier de la marine. Mais qu’il préfère être à mille pieds sous l’eau qu’à mille pieds au-dessus du vide.

Moi, je n’en sais rien car je ne suis jamais monté sur un bateau et jamais baigné dans de l’eau salée.

 

 

La première chose que je fais arrivé au chalet, c'est de m'enfermer dans ma chambre avec ses cadeaux.

Et ne redescends que peu avant le repas du soir.

- Rémy quand vous pourrez, j'ai quelque chose à vous montrer dans ma chambre.

- Et bien de suite, allons-y !

 

 

- Est-ce que vous pourriez m'avoir un autre exemplaire de ce journal ? Ces cons ont mis deux posters dos à dos et j'aimerais bien avoir les deux.

- Richard va avoir une jaunisse en voyant ton mur, tu le sais ?

- Pourquoi ? Ce sont des avions, non ?

- Oui mais pas de l'armée de l'air.

Je hausse les épaules.

- M’en fous, pour l’instant, c'est ma chambre pour l'instant, quand je partirai j'enlèverai tout.

- Quand tu partiras où ?

- A ma majorité.

- Oh !

Je ne comprends pas sa surprise. A ma majorité, Richard ne sera plus mon tuteur, donc d'après moi, ils me prieront de m'en aller pour le suivant.

- Bin oui, les autres avant moi, à leur majorité Richard n'a plus été leur tuteur, son boulot était terminé. La preuve, ils ne sont plus parmi vous. Est-ce qu'ils étaient comme moi ?

Je vois bien qu'il essaie de se retenir de rire et je ne comprends pas. Qu'ai-je donc dit de si drôle ?

- Alors d'abord tu es le premier et j'espère bien le dernier car tu as mis une certaine révolution dans notre petite famille bien tranquille. Et oui, j'aime bien ma tranquillité. Mais avec mon frangin et sa femme, ce n'est pas possible. Et ensuite réfléchis, tu crois qu'il t'aurait présenté à la Famille pour te jeter dans trois ans ? Je sais qu'il est égocentrique et vantard mais pas comme ça. De plus, tu sais combien coûte une heure de location d'avion ?

- Non. Sûrement très cher, c'est pour ça que vous avez pris sur vous ce matin ?

- Décidément toi, il te manque certaines capacités sociales mais on te les apprendra mon petit gars. Non, je m'en fiche que mon frère perde du fric. C'est pour toi que j'ai pris sur moi. Et ces journaux, ces maquettes, tu crois que ce n'est que pour faire enrager mon frangin que je te les offre ? Réfléchis un peu. Sinon, oui, je t'en fournirai d'autres et si tu veux me faire plaisir, dans un coin, affiches quelques voiliers ou goélettes du dix-huitième siècle.

Je lui cours après dans les escaliers.

- Rémy, où puis-je les trouver ces photos de voiliers ?

- T'inquiète, je t'en donnerai. Et une ou deux maquettes qui t'occuperont bien tout un été. Ah oui et encore un truc : Arrêtes de me vouvoyer. De vouvoyer tous les adultes de notre famille, ça finit par être insupportable. On ne tutoie pas ses parents.

Je le fixe, bouché bée. Ses parents ?

 

Assis en tailleur sur mon lit, mon oreiller sur mes cuisses, les coudes dessus, la tête posée sur mes mains croisées, je réfléchis à tout ce qu'il m'a dit.

 

Je suis le premier, je serai le dernier.

Pourquoi moi ?

Je répète dans le vide : 

- Richard, tu veux bien ? Gisou, tu veux bien ? Papapa, tu… tu… tu… Ça me fait drôle. Je souris tout seul comme un con. Mes parents ? Mutti ? Pàpa ? Non ! Pas le colon ! Unkel ? Je souris, j’ai jamais prononcé ce mot, je n’ai jamais eu de tonton. Ni de Tànta. Tànta Sylvie… Alors Véro serait… ma soeur ? Je me laisse tomber en arrière. J’ai mal calculé mon coup, suis trop près du bord de ma tête de lit. Je roule boule sur le sol. Aïe ma tête. Quelle horreur, Véro ma soeur, ça c’est franchement pas cool ! Je me déteste. Je la déteste. Non, ça ne peut pas être ma famille.

Et ensuite ces photos d’avions, pour moi ce sont d'abord des supports pour mes rêves.

Petit, le seul que j'avais, était en plastique et on voyait que c'était un avion seulement à cause de sa forme. Je l'avais trouvé à la fin de l'été dans le jardin de l'hôtel. Mais pour moi, il avait été aussi bien une fusée pour Andromède, qu'un ouragan bombardant une ville ennemie ou le petit taxi dans lequel j'emmenais Caths faire un tour du Monde sans escale.

Mais aussi, je n'arrive pas à comprendre pourquoi ils se disputent ainsi ?

Enfin comme il dit : je sais que j'ai toujours eu du mal avec les interactions sociales. Je prends donc la résolution de travailler dessus mais existe-t-il des livres qui les expliquent ?  



Il reste moins d’une part dans le plat. Je tends mon assiette à Gisou accompagné d’un grand sourire.

- Gisou, tu veux bien me resservir ?

Elle reste le bras tendu, mon assiette à la main. Puis je la vois sourire poser mon assiette, se saisir du plat et venir le poser devant moi.

- Tiens, tu peux le finir. 

Sa main m’effleure la joue. En face de moi, Rémy me sourit. 

 




30 décembre 1999

Véro 15 Août 1975

Caths Mardi 15 juillet 1975

 

Toute la nuit Catherine a fait le même cauchemar.

 

Karl, un sourire mauvais aux lèvres, remet sa ceinture.

Papa le bras autour de mes épaules la serre contre lui.

- Partons.

L'air est chaud pourtant elle frissonne.

Repoussant papa, elle part en courant vers la maison.



Dans mon cauchemar, le bruit du cuir qui frappe la peau douce et tendre de l’enfant, résonne encore dans sa tête. Gravés dans sa mémoire ses grands yeux qui lui adressent une supplique muette avant de se fermer lorsque sa tête se rejette en arrière à chaque morsure de la lanière de cuir. Elle aurait hurlé, lui, non !

Son père la fait se tourner pour l’empêcher de regarder Karl frapper Robert mais le bruit frappe mon cœur.

A cause d’elle ! Il s'est fait battre une fois de plus, une fois de trop par sa faute. Elle sanglote incapable de m'arrêter. Lui pardonnera-t-il un jour ? Demain elle ira le voir. Demain elle ira voir ses parents et elle osera les affronter. Elle portera plainte contre eux pour maltraitance. Et cette fois, elle le fera pour de bon, elle aura le courage qui lui a tant de fois manqué.

Elle ferme ma porte à clef. Elle ne veut pas, elle ne veut plus voir personne. Elle les déteste tous.

Elle ne pleure plus. Elle n'a pas dormi. Elle n'a pas pu, dès qu’elle ferme les yeux, elle voit Karl lever et baisser le bras. Et l’impression d’entendre le schlac de chaque coup qu’il lui a donné.

Elle a l'impression de sentir encore sur elle son odeur d’enfant qui se mélange à celle cuivrée de son sang. Elle a envie de se faire mal, de se blesser pour souffrir comme lui.

Elle me décide à quitter son lit. 

Il fait jour depuis un certain temps déjà.

Il est huit heures.

Sa mère n'a pas ouvert la boutique, qu'est-ce qui se passe ? Tiens il y a une voiture de gendarmerie devant la maison. Non ! Ils n'ont pas osé, ils n'ont pas osé porter plainte contre lui. Elle le leur interdit !

Elle descend les escaliers en courant. Elle bute contre William.

- Non petite soeur, tu remontes, vaut mieux que tu restes dans ta chambre, tu en as assez fait comme ça.

Elle se débat.

- Papa ! Maman ! Qu'est-ce qui se passe ? William lâche-moi !

Elle le mord. Il crie et elle prend une gifle mais c'est à peine si elle la sent. Elle veut savoir, elle veut qu'il me lâche. Un gendarme et Papa la libèrent. Elle hoquette. Elle a presque du mal à respirer. Son père la serre contre lui.

- C'est rien, là ma puce calmes-toi. Viens dans le salon nous allons en parler au calme, le brigadier voudrait te poser quelques questions. Là,  Papa s'assied avec moi sur le canapé et le militaire en face de moi sur une chaise. Mon bébé, hier après notre départ, Karl a commis un acte méprisable sur Robert. Pourrais-tu raconter à ce monsieur tout ce qui s'est passé hier ?

- Qu'est-ce qu'il lui a fait ? Papa dis-le moi !

Il refuse.

- Plus tard, commence par tout raconter, il est pressé, après je te dirai tout à mon tour.

Alors elle se tourne vers l’homme en uniforme qui se tient debout devant elle, les pouces passés dans sa ceinture blanche .

- Que voulez-vous savoir ?

 

Il a une grosse voix grave.

- Qu'y a-t-il entre toi et le fils des Weissenbacher ?

Elle regarde son père. Elle a un peu peur de sa réaction et puis d'un coup elle s'en fout. Hier, Robert et moi, nous nous sommes donnés l'un à l'autre, nous nous sommes jurés que plus rien ne pourrait nous séparer.

- C'est mon fiancé !

Elle voit agacée les deux hommes sourire.

- Bien, mais qu'entends-tu par là ? Vous avez eu des rapports tous les deux ? Il n’y va pas par quatre chemins au moins. Je m'installe mieux, je ramène ma longue jupe que je n'ai pas enlevée autour de mes jambes que je serre dans mes bras et pose mon menton sur mes genoux. Je fixe le bout de mes orteils qui dépassent. Je suis mal à l'aise. Dois-je, ai-je le droit vis à vis de Robert de tout leur dire. J'observe le gendarme par en dessous comme si en fait je grattais le vernis écaillé de mon gros pouce de pied. Celui qu'hier il a embrassé en riant en me disant que j'avais de jolis pieds. Je fixe mon père. Non pas devant lui… je n’oserai pas. Le gendarme se tourne vers lui. Monsieur Lutz pourriez-vous sortir s'il vous plaît ? Allez donc m'attendre avec votre femme. Il accompagne mon père jusqu'à la porte qu'il referme après avoir regardé mon père s’éloigner. Il fonctionne à ce poste de radio ? Je réponds oui de la tête. Il me sourit et le met en marche puis vient s'asseoir sur le canapé à côté de moi. Voilà tu peux parler, personne en dehors de moi ne t'entendra. Je ne dirai rien à tes parents.

- Il a quoi Robert ?

- Il est à l'hôpital dans un coma profond. Nous espérons qu'il s'en sortira.

Au moins, il n'est pas mort.

- Merci pour votre réponse. Puisqu’il m’a dit la vérité, je lui dois de la lui dire aussi. Catherine alors se redresse et reprend sa respiration pour rassembler son courage. Oui nous avons couché ensemble mais il est trop jeune, vous voyez ce que je veux dire ? L’homme devant elle reste impassible. Mais nous nous aimons. Dès que nous pourrons, nous nous marierons et comme ça plus personne ne pourra plus rien nous dire. Il est où à Colmar ou à Strasbourg ?

- Je ne sais pas. Qu'est-ce que tu peux me raconter sur son père ?

Alors sur ce sujet La jeune fille devient intarissable. 

Il part une bonne heure plus tard. 

Elle le raccompagne jusqu’à la porte de la boulangerie.

Il lui fait promettre qu’elle viendra déposer lorsqu’elle recevra sa convocation.

Maman en silence lui sert un chocolat avec des viennoiseries puis va ouvrir le magasin. 

Elle entend de suite dans la boutique le flot des commères qui accablent sa mère de questions. 

Catherine  n'a pas faim. Elle va écouter cachée derrière dans l’arrière boutique. Il va sans dire qu'elles parlent de l'autre salopard. Théo la fait sursauter en la tirant derrière lui dans le salon.

Là, il la tient par les bras et la fixe accusateur.

- Tu es contente de toi ? Il s'est fait tuer parce que tu es une belle garce.

Non c’est pas vrai, il n’est pas mort, elle sait qu’il n’est pas mort, il ne peut pas être mort !

- Il n'est pas mort, le gend…

Il la pousse violemment contre le canapé où elle s’affale.

- Pauvre pomme ! il voulait t'épargner.

Non ! Non ! Ce ne peut pas être vrai, elle déboule dans la boutique et saisit sa mère par les épaules, la secouant comme un prunier en lui hurlant dessus.

- Il est mort ? C'est vrai ? Je veux la vérité Maman !

Le sac avec des croissants est tombé au sol, elle shoote dedans. Sa mère roule des yeux aussi effarés que ceux des petites vieilles et de la jeune femme avec un bébé aux bras qui sort en courant du magasin. 

Catherine a compris. Elle ne lui dira jamais la vérité.

Elle disparaît et se renferme dans ma chambre. On frappe sur ma porte puis elle entend le bruit du tournevis pour l'ouvrir de force.Elle pousse alors son lourd bureau devant puis bloque ce dernier avec mon lit qui fait exactement la bonne taille, il va jusqu'au pied de la fenêtre qu’elle ouvre en grand. Je suis debout sur le lit et regarde en-bas Elle a envie de sauter mais elle réalise que c'est stupide. Au pire, elle me cassera une jambe, cela ne l'avancera pas à grand-chose. Elle voit alors William arriver avec la grande échelle en bois et la poser sur le mur. 

Oh les enflures ! 

Vite, elle ferme les volets puis la fenêtre. Voilà, ils sont bien embêtés maintenant. Elle ne peut s'empêcher de rire malgré mes larmes en voyant la tête de mon frère à travers les traits d'ouvertures du volet. 

Et elle reste dans le noir. 

Avec la fenêtre fermée, il fait vite chaud dans sa chambre. Elle se déshabille. Cela lui fait penser à hier soir. Elle se met toute nue et prenant son plus gros nounours dans les bras elle se met à danser comme s'il était Robert. Elle pleure et elle rit. Deviendrait-elle folle ? Malgré l'obscurité, elle se regarde dans les miroirs de mon armoire. Elle regarde son reflet et lui  jure que plus aucun autre garçon que lui ne la touchera puis s'endort épuisée. 

12 mars 2010

Caths jeudi 25 décembre 1975 salut les parents

Caths jeudi 25 décembre 1975 salut les parents



Madame Koenig, raide dans son manteau en loden vert bien taillé assorti à son petit chapeau avec une plume et son sac à main en croco assorti à ses chaussures,  tient la porte devant Catherine et Dan en affichant une moue réprobatrice.

- Bonjour madame ! Lui disent-ils d'une seule voix.

Dan suit son amie derrière le comptoir en marchant en crabe par peur de faire tomber les plateaux qui s’égrainent sur le rebord de la longue vitrine réfrigérée.

- Ma petite maman, je te présente mon ami : Dan.

Madame Lutz marque un temps de surprise devant le colosse que sa fille lui présente. Mais au moins ce n'est pas un ado, c'est un homme fait et bien fait, même s'il semble avoir au moins dix ans de plus qu'elle. Mais au moins, Catherine semble avoir oublié l'autre morveux.  Sinon qu'est-ce qu'elle entend par : "son ami" ?

- Et jeune homme vous êtes ?

- Comme elle vient de vous le dire son ami.

Catherine se colle à lui, passant son bras autour de sa taille, taille dont il lui faut les deux bras pour l'entourer totalement.

- Mon ami, mon âme frère, ben oui, ce serait mon âme sœur si c'était une fille et je puis t'assurer Maman qu'il est bien un garçon, pas vrai Dan ?

En disant cela, elle lève la tête vers lui, qui sourit amusé.

- Ah ça t'es bien placée pour l'infirmer ou le confirmer. Et accessoirement, je serai, et je l'espère de tout mon cœur, être celui qui élèvera le petit bout de femme que porte votre fille.

Madame Lutz sourit, elle est contente, cet homme-là lui plaît.

- Tu m'aides à fermer la boutique ma chérie ?

- Mais bien sûr Maman, avec plaisir. Annie et Gérard, ne sont pas là ?

- Si, si, mais Annie est montée se reposer, sa grossesse se passe assez mal.

- Oh chouette, Dan, notre puce va avoir un cousin ou une cousine, c'est cool, non ?

Catherine est ravie de revoir ses frères : Gérard, Gilbert et Théodule.

Gérard l’ainé, son préféré qui entoure de milles soins Annie qui ressemble à un bonhomme Michelin. 

Gilbert avec sa nana du moment, joue les "Monsieur" car il bosse dans une banque sur Mulhouse, pfff ! quel frimeur ! et elle... Catherine lui sourit mais elle aimerait bien lui arracher son pot de peinture avec ses ongles. Pour qui elle se prend celle-là ? Elle n'est même pas alsacienne et se permet de donner des conseils à maman pour son baeckeoffe. Bon, ce n'est pas maman qui le prépare, c'est le chef du resto de la mère de Michelle. D'ailleurs qu'est-ce qu'elle devient cette voleuse de mec ?

Catherine sourit, ses coudes encadrant son assiette vide où elle croisé ses couverts, elle fixe l’amie de Gilbert. Celle-ci se tait enfin et lui sourit à son tour.

- Pardon excuse-moi, c'est Sylvaine ton prénom c'est ça ?

- Oui

- Alors d'abord Ghislaine...

- Sylvaine.

- Oui Mylène… le grand sourire en coin de Catherine fait disparaître celui de la blonde oxygénée. Bref Sylvaine, tu n'es pas alsacienne, ni chef cuistot, me trompe-je ?

- Heu, non, mais...

- Alors tu vas m’écouter deux minutes. Et toi le grand benêt, t'aurais pu mettre ta nana au jus, ça lui aurait évité de se ridiculiser. Son frère la fixe à son tour les yeux plissés.Croit-il vraiment qu’elle va avoir peur de lui comme quand ils étaient petits ? Le regard de Catherine fixe à nouveau la fausse mannequin. Ce baeckeoffe, vois-tu, ce n'est pas maman qui l'a préparé, c'est un grand chef. Cette fois c’est à sa mère qui s’est redressée sur sa chaise qu’elle adresse un sourire narquois. Bref ce matin, comme chaque année, le four au sous-sol était plein de moules à Baeckeoffe. Elle se penche au-dessus des bras de Dan pour poser sa main sur la main de son père. Vous n’avez pas dormi ici cette nuit , tout comme moi d’ailleurs et je m’en veux car j’aurais aimé aider mon père et mon frère car cette nuit, ils ne se sont pas couché, pas plus que le pâtissier et le boulanger car il leur a fallu préparer toutes les commandes des clients et pour cela se débrouiller pour les cuissons avec seulement un tiers de four. Excuse-moi Maman, ton propre baeckeoffe, je l'adore mais là, celui-là, il coûte la peau du cul sur le menu du resto de Madame Rozer qui d'ailleurs, est fermé aujourd'hui. Ce qui n’empêche pas qu’Eric, leur cuisinier, lui bosse. Car il a des centaines de commandes de baeckeoffes qui vont venir se faire cuire ici puisqu'ils doivent cuire dans un four de boulanger et d'ailleurs c'est Papa qui les scelle avec sa propre pâte à pain que tu as laissée sur le coin de ton assiette comme si c'était un déchet et donc en faisant ça, tu insultes mon père. En face d’elle, la jeune femme ramasse les morceaux de crôûtes de pain qu’elle a posé sur la nappe pour les mettre dans son assiette. Catherine enlève ses couverts de l’assiette puis tend cette dernière à sa mère. Maman ressert-moi s’il te plaît, de ce baeckeoffe. Après avoir reposé son assiette devant elle puis avoir servi elle-même une nouvelle assiette de baeckeoffe à Dan, elle se tourne vers Annie.  Ça me rappelle quand Gérard vous en amenait un après la messe de minuit ? Je l'accompagnais toujours car j'en profitais pour donner à Robert son cadeau. D'ailleurs, as-tu des nouvelles de ton petit frère ?

Déjà l'ambiance autour de la table s'était rafraîchie mais là, Catherine lève les yeux vers le plafond pour vérifier s'il n'allait pas  neiger dans la pièce. Elle et Dan sont les seuls à sourire, mais lui aurait même envie de rire. Une garce, voilà ce qu'elle était, mais c'était  sa garce.

Sa nouvelle assiette finie, lentement, elle se lève. 

Elle fouille dans son vieux sac à dos qui ne ferme toujours pas et son père a reconnu de-suite.

Elle en sort deux paquets emballés dans du papier journal, un gros pour Théo, c'est un jeans et un tee shirt pour remplacer celui qu'elle lui a piqué en partant. Et un pour son père, ce sont des petites cuillères à café avec des blasons de villes ou de régions pour sa collection. Elle les embrasse tous les deux. Théo approuve son choix par des “wahoo !” qui l’amusent. Quant son père, il se lève pour la serrer contre lui et lui dit au creux de l’oreille : “Ma merveilleuse petite fille.” 

Les autres, ils peuvent se carrer, elle ne les aiment pas.

Elle se dégage des bras de son père et lui fait comprendre que pour eux deux, elle a décidé qu’il était temps de partir. Elle n’en peut plus de toutes ces mises en scène, de ces mensonges et de ces non-dits.

- Papa, tu nous donnes ce que je t'ai commandé, je ramènerai le plat à notre prochain passage.

Madame Lutz se lève précipitamment pour rattraper son mari qui s’éloigne déjà en emmenant Dan avec lui.

- Christophe, tu savais qu'elle dev…

Catherine jette son sac sur son dos et tout sourire, se met devant sa mère pour l’empêcher de les suivre.

- Et oui Maman, il savait. Et il sait beaucoup plus de choses que toi.



Dan suit monsieur Lutz dans le laboratoire où ce dernier lui confie un panier en osier avec un gros plat marron en céramique alsacienne. Dessus il pose deux gros pains tressés.

Lorsqu'ils remontent Christophe tend à Catherine une énorme boîte à gâteaux.

- Tiens, pour toi et tes amis. Et ne reste plus si longtemps sans me donner de tes nouvelles. Tu sais que je serai toujours là pour toi ma petite fille.

Catherine pose la boîte pour serrer son père dans ses bras.

- Oui Papa promis.

Dan glisse sa main gauche sous la boîte de gâteaux pour la soulever, elle le rejoint et lui reprend.

Madame Lutz leur ouvre la porte pour les laisser sortir.

- Et moi, tu ne m'embrasses pas ?

- Toi ? Non ! Papa lui, m'a défendu devant les AS, toi, tu m'as enfoncée. Alors crève !

A travers la vitre, elle regarde sa fille s’éloigner. Elle se demande ce qu’elle a pu louper dans son éducation puis elle pousse un long soupir.

- C’est la faute de ce petit pervers, moi j’ai fait tout ce que je pouvais…



La porte tinte en se refermant. Monsieur Lutz, saisit puis tourne la longue manivelle qui abaisse le rideau de fer devant la vitrine.

Il sourit en sortant de sa poche les petites cuillères, puis écarte un peu sa femme pour pouvoir passer.

Dans le salon, il ouvre la petite vitrine vitrée où sur des supports en feutre bleu canard reposent déjà plusieurs dizaines de petites cuillères. Ces six là, viennent d’une région qu'il ne connaît pas encore, la Bretagne, Brest. Des noms qui le font rêver, un jour, il décidera sa femme à voyager, lorsque Gérard l'aura remplacé et qu'il aura pris sa retraite.

Il se retourne sur sa femme qui pénètre dans la pièce.

- Mariette, lundi, si on allait visiter des camping-car ?





Dan ouvre d’un coup la porte latérale du van.

- Debout les marmottes ! Joyeux Noël, les marmottes !

Trois têtes émergent des couvertures en clignant des yeux. Dur de se réveiller dans le froid mais l'odeur qui sort du plat que Catherine vient d'ouvrir, a vite raison de leur apathie et chacun se saisit de sa fourchette.

Catherine, par contre, va s'allonger dans un coin, le long d'une paroi et amonceler les couvertures jusqu'au-dessus de sa tête. Et elle se laisse aller. 

Elle a le cœur gros, elle s’est sentie tellement étrangère à cette famille. Si elle est revenue,  c’est uniquement pour faire plaisir à son père. Et puis parce qu’elle savait qu’elle pourrait offrir à ceux qui étaient devenus sa vraie famille, un semblant de vrai Noël, chose qu’ils lui ont raconté n’avoir plus connu depuis longtemps.

Michka a lâché sa fourchette et vient se coucher contre elle sous les couvertures.

- Un jour, tu le retrouveras, je te le promets.

Catherine se blottit dans ses bras.

- Pourquoi continuent-ils à me mentir alors qu’ils savent que j’ai éventé leurs vérités ? 

Michka l’embrasse doucement sur le front et doucement lui caresse le dos.

- Je ne sais pas ma chérie, peut-être parce qu’ils n’en savent pas plus eux-même.



Le gros moule s’est déjà bien vidé lorsque Michka réussit à ramener Catherine au milieu d’eux.

Elle se saisit alors du gros carton pour l’ouvrir.

Dedans un énorme gâteau carré sur lequel, son frère Gérard a écrit, Catherine reconnaît son écriture.

“Joyeux Noël” !

Il n’en reste plus beaucoup lorsque Dan met le moteur en route.

Tous en ont marre du froid alors chacun y est allé de sa destination. Thibault a fait rire ses compagnons en proposant Tahiti.

Puis Typh a reçu l’adhésion de tous… Le Sud de L’Espagne.




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13 février 2010

Robert mardi 13 Octobre 1975 non je n'irai pas !

Robert mardi 13 Octobre 1975 non je n'irai pas !

 

Une fois de plus, Lorient vient me chercher durant le cours de Monsieur Logent.

- Qu'as-tu donc encore fait ?

- Mais rien monsieur, je vous le jure !

- Il a raison, c'est pour un problème purement administratif.



Lorsque je toque à son bureau, je trouve que Mademoiselle Dionis me regarde bizarrement .

- Entrez !

- Mon colonel !

Lorsque je rentre, il me regarde et me sourit.

- Ah, mon petit ! Je dois vous annoncer qu'à la fin du mois, nous allons partir en voyage tous les deux.

Puis il se remet à écrire, comme à son habitude, sans lever la tête. Surpris, je ne dis rien, attendant la suite.

C’est lui qui relève la tête, semblant surpris lui aussi.

- Vous ne voulez pas savoir où et pourquoi ?

Si bien sûr mais à force de me faire punir j’ai appris à ne parler que si on m’y autorise.

- Si, mon colonel.

Il se lève et à son habitude aussi, vient s'asseoir sur le bureau en face de moi. Il m'observe trente secondes. Je torture mon pauvre calot.

- Je dois vous accompagner en Alsace, à Colmar, au tribunal où vous devez être confronté à votre père.

Je n'assume pas le choc de ce qu'il vient de m'annoncer. Je palis. J’ai l’impression que les murs de la pièce se resserrent sur moi jusqu’à m’étouffer.

Il m'attrape et me force à m'asseoir sur la chaise puis penché vers moi, continue.

- En gros, je sais certaines choses sur toi, mais pas tout. Veux-tu bien me raconter ? Je te promets de le garder pour moi. Mais respire garçon, respire !

Il me laisse pour aller ouvrir en grand la fenêtre. C'est vrai qu'il me semble que tout tourne autour de moi et manquer d’air.

Je secoue la tête.

- Non, je ne veux pas y aller, je ne veux plus le voir.

- Tu sais là-haut tu ne seras pas tout seul, je resterai toujours avec toi. Il ne s'approchera jamais de toi, j'y veillerai.

Il s'est accroupi devant moi. J'ai envie de fuir. Il doit le sentir. Il prend mes mains dans les siennes. J'ai envie de les lui retirer, mais je n'en fais rien. Je le regarde… sur son visage toute sévérité a disparu, à la place, une expression de grande tristesse.

Je ferme les yeux.

Secoue la tête et répète à voix basse.

- M'en fiche, je veux pas, je n’irai pas.

- Tu sais, je pense que cela te ferait du bien de te confier pour te vider. Je continue à secouer la tête et à répéter  très très bas : “je n’irai pas, je n’irai pas. On ne peut pas me forcer à y aller…” Bon, comme tu voudras, mais tu sais, devant le juge, il vaudrait mieux que tu parles. Ils ont déjà la déposition de ton père, celle de tes sœurs et de ta mère. L'assistante sociale nous a en gros raconté ce qu'elle savait. Comme par exemple que ton père t'a violé. Il faut que tu parles, toi seul peux faire le récit de ce qui s'est passé exactement, pour qu'il soit condamné pour le crime qu'il a commis.

Je maudis l'assistante sociale : elle ne pouvait pas se la fermer ! Je me sens rougir. J’ai tellement honte. Je me donne la nausée. 

- Je ne peux pas, je ne me souviens de rien.

Je l'ai dit encore plus bas.

Mais c’est faux, totalement faux, la nuit, le film de l'intégralité me revient et me fait hurler, réveillant Claude et me laissant en sueur, les mains crispées sur mon sexe. Mais je veux qu'il le croit. Je ne veux pas y aller !

Il me prend le menton et me force à le regarder. Il a repris son air sévère.

- Jeune homme, je ne vous crois pas. Nous irons et vous ferez ce que vous devrez faire. Vous devrez faire face. L’adversité, un homme l’affronte, il ne la fuit pas ! Et je serai avec vous. Si vous acceptez de me faire confiance, vous me ferez un grand honneur. Et se tait. Je serre les poings, fixant le sol. Vous allez mieux ? Si vous ne vous sentez pas de retourner en cours, allez dans votre chambre, je vous y autorise, mais nous irons à Colmar tous les deux et vous témoignerez contre ce salopard. Maintenant filez !

La main sur mon cou qui me semble pris dans un étau de fer en fusion. Il me raccompagne devant le bureau de sa secrétaire, puis retourne dans le sien.

Tel un zombi, je vais en cours, je veux essayer de ne plus y penser. Mais y arriverais-je ?



A dix-neuf heures, Claude arrive en retard au mess.

Il arrive de la piscine. Il me glisse discrètement mon maillot.

- Elle dit l'avoir trouvé après notre départ mais elles sont punies à cause de nous jusqu'à la semaine prochaine.

- Mais alors t'as fait comment pour la voir.

- Isabelle m'attendait à la porte de son immeuble quand j'y allais.

Il affiche un tel sourire que malgré ses cheveux mouillés, je suis à la limite de croire qu'il n'a pas mis un orteil à la piscine.



2 janvier 2010

Caths Mardi 15 juillet 1975 Ce n’est pas possible !

Caths Mardi 15 juillet 1975 Ce n’est pas possible !

 

Toute la nuit Catherine a fait le même cauchemar.

 

Karl, un sourire mauvais aux lèvres, remet sa ceinture.

Son père, le bras autour de ses épaules, la serre contre lui.

- Partons.

L'air est chaud pourtant elle frissonne.

Repoussant son père, Catherine part en courant vers la maison.

 

Le bruit du cuir qui frappe la peau douce et tendre de l'enfant dans son cauchemar, résonne encore dans sa tête. Elle garde gravés dans sa mémoire ses grands yeux qui lui adressent une supplique muette avant de se fermer lorsque sa tête se rejette en arrière à chaque morsure de la lanière de cuir. Elle aurait hurlé, lui, non !

Son père la fait se tourner pour l’empêcher de regarder Karl frapper Robert mais le bruit frappe son cœur.

A cause d’elle ! Il s'est fait battre une fois de plus. Une fois de trop… par sa faute. Elle sanglote incapable de s'arrêter. Lui pardonnera-t-il un jour ? Demain elle ira le voir. Demain elle ira voir ses parents et elle osera les affronter. Elle portera plainte contre eux pour maltraitance. Cette fois, elle le fera pour de bon. 

Elle aura le courage qui lui a tant de fois manqué.

Elle ferme sa porte à clef. Elle ne veut pas, elle ne veut plus voir personne. Elle les déteste tous.

Elle ne pleure plus. 

Elle n'a pas dormi. Elle n'a pas pu. Dès qu’elle ferme les yeux, elle voit Karl lever et baisser le bras. Elle a  l’impression d’entendre le schlac de chaque coup.

Elle a l'impression de sentir encore sur elle son odeur d’enfant qui se mélange à celle cuivrée de son sang. Elle a envie de se faire mal, de se blesser pour souffrir comme lui.

Elle se décide à quitter son lit. 

Il fait jour depuis un certain temps déjà.

Il est huit heures.

Sa mère n'a pas ouvert la boutique ? Qu'est-ce qui se passe ? Tiens il y a une voiture de gendarmerie devant la maison. Non ! Ils n'ont pas osé, ils n'ont pas osé porter plainte contre lui. Elle le leur interdit !

Elle descend les escaliers en courant. Elle bute contre William.

- Non petite soeur, tu remontes, vaut mieux que tu restes dans ta chambre, tu en as assez fait comme ça.

Elle se débat.

- Papa ! Maman ! Qu'est-ce qui se passe ? William lâche-moi !

Elle le mord. Il crie et elle prend une gifle mais c'est à peine si elle la sent. Elle veut savoir, elle veut qu'il la lâche. Un gendarme et Papa la libèrent. Elle hoquette. Elle a presque du mal à respirer. Son père la serre contre lui.

- C'est rien, là ma puce calmes-toi. Viens dans le salon nous allons en parler au calme, le brigadier voudrait te poser quelques questions. Là, son père s'assied avec elle sur le canapé et le militaire en face d’elle sur une chaise. Mon bébé, hier après notre départ, Karl a commis un acte méprisable sur Robert. Pourrais-tu raconter au brigadier tout ce qui s'est passé hier ?

- Qu'est-ce qu'il lui a fait ? Papa dis-le moi !

Il refuse.

- Plus tard. Commence par tout raconter. Il est pressé. Après je te dirai tout à mon tour.

Alors elle se tourne vers l’homme en uniforme qui se tient debout devant elle, les pouces passés dans sa ceinture blanche .

- Que voulez-vous savoir ?

 

Il a une grosse voix grave.

- Qu'y a-t-il entre toi et le fils des Weissenbacher ?

Elle regarde son père. Elle a un peu peur de sa réaction et puis d'un coup elle s'en fout. Hier, Robert et moi, nous nous sommes donnés l'un à l'autre, nous nous sommes jurés que plus rien ne pourrait nous séparer.

- C'est mon fiancé !

Elle voit, agacée, les deux hommes sourire.

- Bien, mais qu'entends-tu par là ? Vous avez eu des rapports tous les deux ? Il n’y va pas par quatre chemins, lui au moins. Elle s'installe mieux, ramène sa longue jupe qu’elle n'a pas enlevée autour de ses jambes qu’elle serre dans ses bras et pose son menton sur ses genoux. Elle fixe le bout de ses orteils qui dépassent. Elle est mal à l'aise. Doit-elle, a-t-elle le droit vis à vis de Robert de tout leur dire. Elle observe le gendarme par en dessous comme si en fait, elle grattait le vernis écaillé de son gros pouce de pied. Celui qu'hier il a embrassé en riant en lui disant qu’elle avait de jolis pieds. Elle fixe son père. Non pas devant lui… Elle n’y arrivera pas. Le gendarme se tourne vers lui. Monsieur Lutz pourriez-vous sortir s'il vous plaît ? Allez donc m'attendre avec votre femme. Il accompagne son père jusqu'à la porte qu'il referme après avoir regardé l’homme s’éloigner. Il fonctionne à ce poste de télévision ? Elle répond oui de la tête. Il lui sourit et le met en marche puis vient s'asseoir sur le canapé à côté d’elle. Voilà tu peux parler, personne en dehors de moi ne t'entendra. Je ne dirai rien à tes parents.

- Il a quoi Robert ?

- Il est à l'hôpital dans un coma profond. Nous espérons qu'il s'en sortira.

Au moins, il n'est pas mort.

- Merci pour votre réponse. Puisqu’il m’a dit la vérité, je lui dois de la lui dire aussi. Catherine alors se redresse et reprend sa respiration pour rassembler son courage. Oui nous avons couché ensemble mais il est trop jeune, vous voyez ce que je veux dire ? L’homme devant elle reste impassible. Mais nous nous aimons. Dès que nous pourrons, nous nous marierons et comme ça plus personne ne pourra plus rien nous dire. Il est où à Colmar ou à Strasbourg ?

- Je ne sais pas. Qu'est-ce que tu peux me raconter sur son père ?

Alors sur ce sujet La jeune fille devient intarissable. 

Il part une bonne heure plus tard. 

Elle le raccompagne jusqu’à la porte de la boulangerie.

Le gendarme lui fait promettre qu’elle viendra déposer lorsqu’elle recevra sa convocation.

Sa mère en silence lui sert un chocolat avec des viennoiseries puis va ouvrir le magasin. 

Elle entend de suite dans la boutique le flot des commères qui accablent sa mère de questions. 

Catherine  n'a pas faim. Elle va écouter cachée derrière la porte de l’arrière boutique. Il va sans dire qu'elles parlent de l'autre salopard. Théo la fait sursauter puis la tire derrière lui dans le salon.

Là, il la tient par les bras et la fixe accusateur.

- Tu es contente de toi ? Il s'est fait tuer parce que tu es une belle garce.

Non c’est pas vrai, il n’est pas mort, elle sait qu’il n’est pas mort, il ne peut pas être mort !

- Il n'est pas mort, le gend…

Théo la pousse violemment contre le canapé où elle s’affale.

- Pauvre pomme ! il voulait t'épargner.

Non ! Non ! Ce ne peut pas être vrai, elle déboule dans la boutique et saisit sa mère par les épaules, la secouant comme un prunier en lui hurlant dessus.

- Il est mort ? C'est vrai ? Je veux la vérité Maman !

Le sac avec des croissants est tombé au sol, elle shoote dedans. Sa mère roule des yeux aussi effarés que ceux des petites vieilles et de la jeune femme avec un bébé aux bras qui sort en courant du magasin. 

Catherine a compris. Elle ne lui dira jamais la vérité.

Elle disparaît et se renferme dans ma chambre. On frappe sur sa porte puis elle entend le bruit du tournevis pour l'ouvrir de force.Elle pousse alors son lourd bureau devant puis bloque ce dernier avec mon lit qui fait exactement la bonne taille, il va jusqu'au pied de la fenêtre qu’elle ouvre en grand. Elle est debout sur le lit et regarde en-bas Elle a envie de sauter mais elle réalise que c'est stupide. Au pire, elle se cassera une jambe, cela ne l'avancera pas à grand-chose. Elle voit alors William arriver avec la grande échelle en bois et la poser sur le mur. 

Oh les enflures ! 

Vite, elle ferme les volets puis la fenêtre. Voilà, ils sont bien embêtés maintenant. Elle ne peut s'empêcher de rire malgré ses larmes en voyant la tête de son frère à travers les persiennes du volet. 

Elle reste dans le noir. 

Avec la fenêtre fermée, il fait vite chaud dans sa chambre. Elle se déshabille. Cela lui fait penser à hier soir. Elle se met toute nue et prenant son plus gros nounours dans les bras elle se met à danser comme s'il était Robert. Elle pleure et elle rit. Deviendrait-elle folle ? Malgré l'obscurité, elle se regarde dans les miroirs de son armoire. Elle regarde son reflet et lui  jure que plus aucun autre garçon que lui ne la touchera puis s'endort épuisée. 


13 février 2010

Véro Dimanche 18 octobre 1975 le colis

Véro Dimanche 18 octobre 1975 le colis

Le lendemain dimanche à quinze heures avec Yvette dans les pattes, elles se dirigent vers la piscine.

Elles n'y restent pas plus d'une heure. Car, si il y a bien sûr beaucoup de garçons, il n’y a pas ceux qu’elles  aimeraient y voir. Quelle galère !

Comment entrer en contact avec eux sans attirer l'attention de tout le monde ?

C'est de ça dont elles discutent lorsque Yvette  leur  demande de venir avec elle à la bibliothèque municipale mercredi car leur mère ne pourra pas l'y emmener.

Là, Véronique a une idée, mais oui, c’est ça ! Elles doivent obtenir l’autorisation de leur père d'utiliser celle du bahut. Cela les étonnerait qu'il accepte, mais bon, qui ne tente rien...

Elles entrent dans l'immeuble lorsqu’elles y sont carrément poussées dedans. C'est eux, mais Yvette qui ouvre de grands yeux et reste bouche bée en les dévisageant, est un petit peu encombrante.

Nous les lui présentons. Elle promet de ne rien dire puis monte à l'appartement.

Nous lui disons d'inventer une excuse, marre de se baigner par exemple.

Il ne sent plus le chlore mais l'eau de Cologne. On sent qu'il s'en ait mit beaucoup pour être sûr de sentir bon, ça amuse Véronique.

Elle lui demande pourquoi ils ne sont pas venus à la piscine, il lui explique alors qu'ils étaient de corvée. Elle compatit avec empressement.

Finalement, elle aime bien son accent.

Mais rapidement elle doit me battre avec lui car il essaye plusieurs fois de lui toucher les seins.

- Arrête !

- Allez sois gentille ! Donne ta main, sens ce que tu me fais.

Il se met doucement à rire. 

Elle ne comprend pas pourquoi il veut sa main. Mais quand il la plaque sur son bas ventre, elle la retire vite. D'une certaine façon, elle est choquée, d'une autre... d'une autre, elle la remettrait bien mais elle n’ose pas.

- Hé ! Mais ! Qu'est-ce qui t'arrive ?

C'est un garçon après tout. Isabelle l'avait prévenue. Mais maintenant elle lui tient les mains.

Elles entendent du bruit dans les escaliers, vite chaque couple se terre au fond de son couloir de cave. Ils essaient de se tasser le plus possible contre le mur du fond.

Et son amoureux ne perd pas le nord. Il se colle à elle, son visage contre sa poitrine, et ses mains qu’elle a  lâchées, sont sur mes fesses. Elle ne peut rien dire, elle distingue son sourire dans l'ombre. Elle a envie de le gifler.

- Isa, Véro, je n'ose pas. Vous êtes où ?

Véronique entend Isabelle râler puis répond à sa petite sœur.

- Là, Yvette, mais tu es épuisante !

Mais pourquoi ont-elles une petite soeur ? Isabelle s'est dévouée, elle reste planquée avec lui.

- Tu sens bon. Laisse-moi au moins les voir?

- Ça va pas ? Tu me prends pourquoi ?

- Pour ma chérie.

Elle l'embrasse pour le faire taire en essayant de lui tenir les mains.

- Véro, je monte avec Yvette, dépêche-toi car je ne sais pas ce que je vais dire aux parents.

Elle le repousse d’un coup.

- J'arrive ! Je dois y aller moi aussi, je t'aime mais tu es un obsédé, tu es ignoble. Calme-toi ou je veux plus te voir, compris ?

Il prend un air tout penaud ce qui le rend encore plus chou.

- Pas obsédé, juste amoureux.

Elle le fait reculer vers la porte où Claude attend déjà. 

- Mais tu as quel âge ?

Il s’arrête de sourire et fronce les sourcils.

- Quatorze, bientôt quinze, pourquoi ?

Elle hausse les épaules. Réellement, elle s’en fout de son âge mais il l’intrigue.

- Tu ne les fais pas.

Cette fois, il semble à nouveau vexé.

- Oui je sais, demande à Claude si tu ne me crois pas.

C'est alors que Véronique pense à quelque chose.

- C'est quoi les marques que tu as partout sur le corps ?

Là, il la repousse carrément.

- Bon allez à plus. Claude tu viens ?

L’autre la regarde en secouant la tête avec un regard plein de reproches.

- Ouais je t'attendais. On y va ?

Ah, non ! Il ne partira pas comme ça, comme un voleur.

- Claude c'est vrai qu'il a bientôt quinze ans ?

Il l’a déjà poussé dehors mais se retourne vers elle.

- Oui pourquoi, tu sais cette taille là ce n'est pas la plus importante.

Véronique hausse les épaules.

- Oui, je m'en moque. Puis d’un coup elle comprend le sens de ses paroles et elle est outrée. Hein ? Quoi ? Oh ! T’es un cochon toi aussi ! Ils se mettent à rire tous les deux. Mais vous ne pensez donc qu’à ça ? Elle les regarde avec l’air le plus dégoûtée possible puis une pensée traverse son esprit.  Mais alors t’es pas mal en avance en classe, non ?

Claude, encore une fois, réagit avant lui.

- Oui, pourquoi ? Cela te pose aussi un problème ?

Elle secoue la tête en riant, les pousse dehors puis rejoint les deux autres en haut.

- Attendez les filles, vous savez quoi ? Robert c'est le colis de papa !

Ses deux sœurs se regardent sans comprendre.

- Quoi ? Quel colis ?

- Tu sais Yvette, le zizi coupé ! Et bien, si c'est le cas elle devait être super super longue car ce que j'ai senti sous ma main tout à l'heure ce n'était pas petit, petit.

Les deux autres la regardent horrifiée pour Isabelle, d’une totale incompréhension pour Yvette. Et c'est une nouvelle fois en riant qu’elle pénètre dans l'appartement.

28 février 2010

Véro 11 novembre 1975 anniversaire

Véro jeudi 11 novembre 1975 anniversaire



Dans une semaine, c'est son anniversaire et Véronique montera à Lyon chez Sophie avec Isabelle.

Sophie, c'est sa marraine et elle l'adore. En fait, d'abord c'est la cousine de Maman et petites, elles étaient très proches et même si Maman a refusé de nous faire baptiser pour s'opposer à Granny, elle se considère  comme notre marraine à toutes mais comme les autres sont encore trop jeunes, seules Isabelle et moi avons eu le privilège d'y aller chaque année depuis la mort de son mari il y a trois ans, où elle est revenue vivre en France avec ses deux filles.





Lorsque Papa m'a demandé ce que je voulais pour mon anniversaire, je lui ai répondu du tac au tac : Robert, enfin qu'il vienne manger un bout de gâteau. Il a eut l'air surpris puis :

-  Ce n'est pas un cadeau mais oui pourquoi pas. Sinon à part ça ?

- Et bien ce sera : une mobylette, une paire de roller, un walkman, une chaîne hifi, une petite télé pour notre chambre, une paire de Nike, des disques, un jeans, un flacon de n° 5 de Chanel, un survol des châteaux de la Loire en hélicoptère, une semaine au club Med avec mon petit copain et puis je crois que ce sera tout. Tu n'oublieras rien j'espère mon petit Papounet chéri. Accompagnant sa prose d'un superbe sourire.

Oui mais... La veille du jour J, Isabelle a commencé à être malade et a passé la nuit à faire des aller-retour aux toilettes. Au matin, c'était encore pire et elle pleurait se plaignant du ventre.

-  Tu n'as pas le droit de me faire ça Isabelle ! 

Et maman qui la défend, pfff !

- Comme si ta sœur le faisait exprès? Tu exagères un peu Véronique?

- Mais Maman, laissez moi au moins y aller seule.

Oui mais à cause d’elle et de son cinéma, le séjour chez marraine est annulé.

- Non, ton père et moi estimons que tu es trop jeune, tu n'as même pas encore quatorze ans.

- Mais Maman,, je les aurai dans deux jours et on me donne tout le temps seize ans.

- C'est non, ne discute plus. Tu n'iras pas toute seule.

- Ah ! Et si j'emmène Yvette avec moi, je ne serai plus toute seule ?

Là, sa mère la regarde sidérée.

- Tu es inconsciente, elle n'a pas dix ans ta sœur. Ce n'est pas grave ma chérie tu iras une autre fois.

Mais Véronique n’est pas du tout d’accord.

- Non maman, non ! Elle a d'un coup une inspiration subite. Et si c'était Robert qui venait avec moi ?

Encore une fois, sa mère la regarde stupéfaite.

- Robert ? Mais nous le connaissons à peine et ta tante encore moins, ton père va refuser c'est certain.  Et puis, il a l’air d’avoir dix ans.

- Demande lui. Oh ! Maman oui, téléphone lui, allez maman sois gentille ? Ou je le fais moi si tu veux ?

Sa mère réfléchit pendant un temps qui lui paraît abominablement long puis enfin, décroche le téléphone.

- Allo Richard ! Ta fille a suggéré qu'elle pourrait aller à Lyon avec ton gamin, qu'en penses-tu ? En fond sonore Papa doit m'entendre chanter à tue-tête sur l'air de la Carmagnole : Oui, ça ira, ça ira, ça ira, avec Robert j'irai à Lyon ! Véronique tais-toi s'il te plaît, ton père a du monde dans son bureau. Bon, je téléphone à Sophie pour voir si cela ne la dérange pas.  Là, Véronique comprend que son père n'a pas dit non. Elle reprend donc sa chanson de plus belle puis la met en sourdine sous le regard noir de sa mère qui essaie d’entendre ce que dit sa cousine. Elle vient juste de raccrocher lorsque la porte d'entrée s'ouvre sur Robert avec son visage des mauvais jours, poussé par Papa.

- Les filles, je vous le laisse. Gisou, je reviens les chercher dans une demi-heure au maximum. Imagine-toi qu’il a laissé tout ce que tu lui avais donné, au chalet.

Maman se lève pour souhaiter la bienvenue à Robert et l'inviter au salon une fois déchaussé. Véronique quant à elle saute au cou de son père avant de le laisser repartir puis veut aussi embrasser Robert mais il la tient à distance de sa main gauche, tenant dans sa droite son calot. Elle trouve qu'il sent bizarre : la sueur et autre chose. Isabelle se lève brusquement du canapé et les bouscule en passant à côté d’eux.

alors Véronique entreprend d’expliquer la situation au garçon qui la regarde méchamment.

- Elle est malade, c’est pour la remplacer que tu es là. Tu viens avec moi à Lyon chez ma marraine. Papa ne veut pas que j’y aille toute seule alors j’ai pensé à toi. A qui tu dis merci pour ces vacances ? Il la fusille du regard et cela donne à Véronique encore plus envie de rire. Elle est trop contente pour qu'il arrive à lui démolir le moral. Tu verras Sophie est super gentille et ses filles aussi.

Isabelle en revenant lui dépose un bisou sur la joue. Véronique alors, profite de sa demie seconde d'inattention à son égard pour lui en faire un aussi. Il s'essuie la joue en s'écartant, Maman sourit et lui fait signe d'arrêter. Alors elle aide Isabelle allongée sur le canapé à bien remettre la couverture sur elle.

Lui s’est tourné vers leur mère.

- Combien ?

Gisou amusée lui répond par une autre question.

- Combien quoi ?

- Bin de filles ? Nous nous mettons à rire et il devient tout rouge et prend un air boudeur et buté. Et puis je n’ai pas dit que j’étais d’accord.

Papa, entré sans bruit, lui pose les deux mains sur les épaules. Il semble immense par rapport à lui, en plus Robert rentre la tête dans les épaules lorsqu'il s'adresse à lui.

- Zut ! C’est bête, mais nous nous passerons de ton accord. Allons-y, je préfère être en avance plutôt qu’en retard.

Pourtant Papa lui a dit sans agressivité plutôt sur un ton moqueur. Donc lorsqu'il est en uniforme, Papa lui fait vraiment peur, mais pourquoi ?



Lorsqu’ils arrivent à la gare, le train n'est pas encore là mais il est annoncé et ils doivent se dépêcher. Papa a pris ma valise et son sac dans sa main gauche et tient Robert par le cou comme s'il avait peur qu'il ne s'enfuit. Dans le compartiment où ils ont leurs places réservées, son père hisse la valise et met dessus le sac de Robert puis less embrasse tous les deux avant de descendre rapidement.

Véronique se réserve d'office la place contre la fenêtre, puis ouvre cette dernière et envoie des baisers volants à son père qui, affichant un air sévère, lui fait ses dernières recommandations.

- Sois sage chez Sophie et n'enquiquine pas trop ton pauvre compagnon.

Véronique agite la main.

- Toujours papa toujours ! 

Elle referme la fenêtre lorsqu’elle ne voit plus la grande silhouette de son père. Le garçon a enlevé son blouson et s’est assis, tenant ce dernier dans les bras. Il la regarde avec un de ces airs furieux qui la fait sourire.

- Fais pas la gueule, tu es déjà allé à Lyon?

- Non ! Mais je comptais profiter de ce long week-end pour aller m'entraîner à la piscine, c'est raté !

Véronique se dit que ça tombe bien.

- Il y en a une deux fois plus grande à côté de chez Tatie.

- Ce ne sera pas pareil !

- Oh mais arrête de faire la gueule ! 

Mais comme il boude, elle le chatouille mais il se dégage sans douceur.

- Laisse-moi tranquille !

Elle pose sa tête sur son épaule avec un air exagérément triste.

- Tu n'es pas drôle.

Il la repousse.

- Non mais attends, je ne suis pas le bouffon de la princesse. Tu me gonfles.

Ah tiens, puisqu’elle le gonfle, elle va le gonfler pour de bon. Elle lui attrape la tête et lui souffle dans l'oreille.

- Non, ça ne marche pas ! 

Cette fois, il en a marre, il lui donne un grand coup de coude puis se lève et disparaît dans le couloir.

Véronique récupère son blouson tombé au sol dans sa fuite et le pose sur son fauteuil. Debout dans le couloir, il doit plusieurs rentrer pour laisser passer des gens, à chaque fois, il manque marcher sur les pieds de la dame ou du monsieur assis à côté de la porte.

Il se tourne vers elle.

- On arrive à quelle heure ?

- Attends, je te dis ça ! 

Elle fouille dans le sac à dos que sa mère a rempli de biscuits, bonbons et sandwichs et enfin dans une poche de côté, elle trouve ces maudits billets. Elle les trie. Remet ceux pour le retour au fond du sac puis garde ceux de l'aller en main et les lui montre.

- Nous arriverons à treize heures vingt-cinq. Cela t'avance à quoi de le savoir ? Tu n'as même pas de montre.  Quand tu as faim tu demandes, OK ?

Il lui tend alors la main.

- Donne !

Surprise, elle le regarde sans comprendre ce que veut dire ce “donne !” Puis elle fait le lien avec les sandwichs.

- Quoi ? Déjà ?

Il lève les yeux au ciel exaspéré.

- Oui déjà ! Donne, j'ai faim.

Elle lui tend alors un sandwich mais quand il va le saisir…

- On dit quoi ?

D’abord surpris, il s’énerve de suite après.

- Fais pas chier, donne !

Là, la dame qui embête depuis tout à l’heure lorsqu’il entre et sort se permet de lui faire la leçon. Véronique tout sourire approuve de la tête. 

- Votre sœur a raison, la politesse ne vous écorche pas les lèvres jeune-homme. On ne vous l'apprend donc pas dans votre école militaire ?

Cette fois c’est presque avec un rictus de haine qu’il rabroue la femme.

- Oui, on nous apprend en encaissant les coups !  Et c’est pas ma sœur. C’est juste une petite conne.

Et il disparaît une fois de plus. 

En face de Véronique, le vieux monsieur lui sourit avec un air de pitié. Elle range le sac sous son siège puis met un des billets dans la poche intérieure du blouson de “son frère” et pose dessus le sandwich qu’elle n'a pas rangé puis se plonge dans la contemplation du paysage. Après la gare d'Orange, elle commence à s'inquiéter en ne le voyant pas revenir, elle se lève et en s'excusant poliment, sort arpenter le couloir pour voir où il peut bien être. C’est deux wagons plus loin qu’elle le retrouve installé entre deux petites vieilles. Il semble dormir. Elle retourne à sa place pour récupérer son blouson et aller le lui poser dessus. Il ne bronche pas. Un des petites vieilles entre lesquelles il est assis me demande si je le connais.

- Mademoiselle, vous connaissez cet enfant ?

- Oui c'est mon petit frère. 

Elle l'abandonne mais lui en veut de ne pas être resté avec elle. 

Comme elle n'a rien d'autre à faire, elle se plonge dans le livre qu’elle doit lire pour le collège : L’étranger  de Camus. Super barbant mais bon pas le choix aussi...

- Véro ! Mon billet ! 

Perdue dans ses pensées, elle ne l’a pas vu arriver et elle sursaute.

- Vous connaissez ce jeune garçon mademoiselle ? Il prétend que c'est vous qui avez son billet. 

Elle tient sa vengeance.

- Moi ! Non, désolée, je ne le connais pas. 

A la gare précédente, le vieux et la vieille sont descendus et ceux qui les ont remplacés ne l'ont jamais vu avec moi.

Elle le voit sur son visage s’afficher de la surprise puis une sorte de peur et il se fait presque suppliant.

- Arrête, c'est pas drôle, donne-moi mon billet.

Le contrôleur le saisit par le bras pour le forcer à le suivre. Mais il se dégage et s'accroupit devant elle en prenant un air suppliant. Mais l'homme le force à se redresser, perdant patience.

- Bon,ça suffit ! Vous avez des papiers d'identité au moins ?

Mais ce serait-ce des larmes qui font briller ses yeux ?

- Véro mon billet, ce n'est pas drôle. 

Le contrôleur cette fois perd patience.

- Bon, ta carte d'identité dépêche-toi maintenant ! Tu viens de quelle école ? D'Aix ? Tu es un fugueur ?

Le contrôleur le fait s'asseoir brutalement à côté d’elle, il lui a pris son portefeuille des mains. Elle a pitié de lui.

- Attendez monsieur, je blaguais, c'est mon petit frère. Robert, ton billet il est dans la poche de ton blouson. Vas le chercher, cours. 

Le contrôleur le laisse passer mais garde son portefeuille. Il en profite pour nous demander nos billets. Robert revient presque immédiatement avec son blouson, dont il sort le billet qu'il présente au contrôleur.

- Tu as quel âge mon garçon ?

- Quatorze ans monsieur.

- Montre-moi donc ta carte d'identité tout de même et tu dois avoir une carte ou quelque chose de ton lycée militaire, non ?

- Oui monsieur. 

Récupérant son portefeuille, il lui passe sa carte d'identité puis le papier signé par le père de Véronique et portant le tampon de l’école, l'autorisant à s'absenter du lycée jusqu'à dimanche soir. Le contrôleur les lui rend en souriant, lui tapant gentiment sur l'épaule en sortant du compartiment.

- Tiens ton sandwich et j'en ai d'autres si tu veux. 

Sans le prendre, il s'en va. Et bien tant pis pour lui, elle le manger elle, son sandwich. Mais par acquis de conscience elle vérifie où il est. Toujours entre ses deux petites vieilles. 

Lorsque le train arrive en vue de Lyon, elle va le chercher.

- Robert viens prendre ton sac. Nous arrivons. 

Il la suit, elle l'entend dire poliment au-revoir aux petites vieilles qui lui souhaitent de passer de bonnes vacances et monsieur a le culot de répondre que cela l'étonnerait fort ! Oh l’enflure ! Elle va te l'étonner, tu vas voir !

Il grimpe sur son siège, attrape son sac en manquant d'assommer le monsieur assis juste à côté et file sans m'attendre.

- Robert !

Et flûte !

Véronique essaie de descendre elle-même sa valise mais heureusement la même personne  se lève gentiment et me lui descend. Peut-être a-t-il peur de se la prendre sur la tête. 

Dans le couloir, il commence à y avoir des gens qui attendent pour descendre. Elle se fraie difficilement un chemin jusqu’à lui.

- Pardon ! excusez-moi je voudrais  rejoindre le jeune garçon là-bas, c’est mon petit frère.

Finalement, elle arrive à sa hauteur et, lâchant sa valise sur le sol, elle l'attrape par les bras et le met face à elle en le secouant comme un prunier.

- Tu ne me fais plus jamais ce coup là, tu as compris ? J'en ai marre de te courir après. Tu es strictement impossible. Tu devais rester avec moi, pas te casser comme ça. Oh, oh ! tu as compris ?

D'abord il essaie de se dégager puis se met à sourire avant de lui prendre le visage entre ses mains et de l'embrasser longuement, un vrai baiser d'amoureux. Lorsqu'il la lâche, le jeune devant eux se met à rire. Rouge, elle est contente de voir les portes s'ouvrir. A peine sur le quai, Robert me montre quelqu’un au loin.

- Ce ne serait pas ta tante par hasard ?

Il aurait eu du mal à ne pas la reconnaître comme étant sa tante avec sa crinière aussi rousse que la sienne. A côté d'elle, elle embrasse Souraya et Leila qui elles ont hérité des cheveux bruns de leur père.

- Bonjour les enfants. Je suis Sophie la tante de Véro et voici Souraya et Leila, mes filles. Toi, tu es Robert, c'est ça ? Je t'imaginais plus grand. Vous avez fait bon voyage?

Si d’abord il sourit, là son visage s’est fermé.

- Non, madame !

Véronique soupire.

- Ne l'écoute pas, il râle tout le temps, pour un oui et pour un non. 

Ses deux cousines et lui se regardent de loin. Pour elles fallait s'en douter mais lui, là, il l'étonne. 

sa tante laisse passer un moment de silence et d’observation mutuelle sur le quai de la gare puis se met en marche vers la sortie en donnant la main à sa plus jeune fille. Elle a fait passer le garçon devant elle pour le regarder en pensant à tout ce que lui a raconté sa cousine. 

- Vous avez faim ?

C’est Véronique qui lui répond. 

- Merci Tatie. Maman nous a donné tout un sac de victuailles alors ça ira.

Mais sa réponse à lui qu’elle espérait.

- Et toi Robert ?

Il répond sur un ton neutre et sans se retourner.

- Un peu, mais ça ira, je tiendrai jusqu'à ce soir et puis il doit rester des sandwichs. 

La tante Sophie ouvre le coffre de sa petite Fiat et Robert après avoir posé son sac dans le coffre va s'asseoir devant sans demander la permission à personne. Quel culot ! Mais bon, elle s'en moque, elle peut ainsi papoter avec Leila.

La tante de Véronique fait visiter leur petit appartement à Robert pendant qu’elle s'installe avec les deux filles sur leur canapé. Lorsqu’elle l'abandonne, il vient se poster devant la grande baie vitrée, nous tournant le dos, les mains enfoncées au fond de ses poches de pantalon, ce qui en tend le tissu. Véronique se surprend à penser qu'il a un tout petit derrière tout rond. Et elle a brusquement honte des pensées qui gravitent autour.

La tante de Véronique le fait sursauter en lui posant les mains sur ses épaules, il tressaille légèrement mais ne se retourne pas.

- Tu t’intéresses à ces gros engins ?

- Non je serais plutôt avions. Ou hélicoptères à la rigueur.

Véronique s’autorise un commentaire qui déplaît à sa marraine.

- Et oui, monsieur ne rêve que de s'envoyer en l'air !

Sa tante lui lance un regard plein de reproches.

- Véronique voyons ! Il reste quatre sandwichs, ta mère vous en avait donné combien ?

- J'en ai mangé deux mais monsieur a fait sa mauvaise tête et n'en a pas voulu, tant pis pour lui !

Étonnée, elle se penche vers lui

- Tu n'avais pas faim ?

- Si mais Véro m'énervait trop.

Là, sa marraine lance encore à Véronique un regard plein de reproches.

- Gisou m'a prévenu que tu passais ton temps à l'asticoter, alors Véronique, ici, tu fais une trêve, compris ?

Mais cette dernière  prend l’air le plus innocent possible.

- Moi ? Mais je voulais juste qu'il soit poli avec moi et non qu'il me dise comme à un chien : fait-ci ! Fait Ça ! Donne ! Je lui ai juste demandé de me dire s'il te plaît ! Monsieur le petit chouchou de Maman.

Là, le petit roquet se retourne vers elle, prêt à mordre.

- Ah ! Ah ! Madame qui joue la grande sœur et qui refuse de me donner mon billet de train histoire de me ridiculiser. D'ailleurs donne-moi mon billet pour le retour. Je ne te fais plus confiance.

- Bon et bien ça suffit tous les deux, toi, viens avec moi dans la cuisine, tu vas manger, j'ai fait un gâteau pour le goûter. 

Souraya s'empresse de les suivre et elles restent seules toutes les deux avec Leila qui alors lui pose plein de questions sur lui. Pour parler plus tranquillement, elle l'entraîne dans la chambre dont elle ferme la porte avant de lui raconter tout ce qu’elle sait. Véronique aime bien la voir de plus en plus horrifiée, la main sur la bouche, les yeux comme des soucoupes. Mais Leila ne peut s'empêcher de rire lorsqu’elle lui raconte ce que lui ont fait les jumelles.

- Le pauvre, vous êtes trop méchantes avec lui, vous devriez avoir honte. Vous êtes des filles vous ne devriez pas vous conduire comme ça. De plus, il n'a pas l'air bien méchant.

On toque à la porte, c'est Souraya.

- Si vous voulez un bout de gâteau, vous devriez venir parce ton copain Véronique. Il semble capable de tout manger si on le laisse faire.

Tatie m'apprend que Monsieur s'est enfilé deux des gros sandwichs de Maman et presque la moitié du cake. Il a fait descendre tout ça avec du thé vert. Je m'assieds à la table en face de lui.

- Pardon madame, m'autorisez-vous à aller dans le salon ?

Là, il me souffle, monsieur joue les enfants de chœur. Tatie le regarde surprise elle aussi.

- Mais tu fais ce que tu veux mon petit, je suis contente de t'avoir vu manger, je sais maintenant qu'il faut que j'en prévois pour deux pour te rassasier. Mais dis-moi un peu : comment appelles-tu Gisèle, tu lui dis Madame ?

Il a un sourire gêné et secoue la tête

- Heu, non, je l'appelle Gisou.

- Bon alors moi ce sera Sophie ou Tatie comme Véro, mais pas madame, d’accord ? Et si cela t'embête pas je préfère Tatie. Il se lève et hoche la tête.  Alors Les grandes de quoi vous parliez dans la chambre ?

Leila devient toute rouge et je pousse un long soupir.

- De plein de choses, il bon ton gâteau Tatie. Je dors où ce soir ?

- C'est là que j'ai un souci, avec Isabelle vous dormiez sur le canapé mais ta mère est d'accord avec moi. J'ai un peu peur de t'y faire dormir avec Robert.

Véronique lui fait un grand sourire.

- Pourquoi ? Je ne vois pas ?

Mais sa marraine ne paraît toujours pas très convaincue.

- Bon et bien, viens nous allons lui demander son avis. Nous avons pensé que Leila pourrait dormir avec toi et lui dans son lit mais le hic c'est que Souraya dormira en dessous de lui et cela m'embête aussi un peu. 

Robert regarde la télé et lorsqu'elles entrent dans le salon, il se lève avec l'air du mec qui a fait le pire des conneries.

- Je... Je me suis permis de…

Mais Sophie lui sourit rassurante.

- Mais tu as eu raison. Je voulais juste te demander où tu préférais dormir…

Il ne lui laisse pas le temps d'ajouter quelque chose.

- N'importe où, sauf dans la même pièce qu'elle ! En montrant Véronique de la main. A la cave ou sur le balcon s'il faut mais pas avec elle !

Là, si les autres se mettent à rire,  Véronique le fusille du regard. Et elle se jure de le lui faire payer !

Bref la tante a décidé, il emporte son sac dans la chambre puis revient devant la télé et à nouveau avec Leila, elles s’enferment dans la chambre.

Là, elle ouvre le sac de son compagnon contre l’avis de Leila qui lui dit que ce n'est pas bien de faire ça. Puis se met à fouiller pour voir ce qu'il a emporté. Des slips, des chaussettes, des baskets, un maillot de bain, un short et une casquette. Rien d'autre, il compte rester en uniforme tout le temps ? Et pourquoi un short en plein mois de novembre, ce garçon est vraiment malade ! Tous les garçons sont-ils comme lui ?

Vers dix-neuf heures, la mère de ses cousines vient les chercher pour manger. Avant de servir son jeune invité, elle lui demande s'il aime les légumes.

- Oui presque tous.

- Lesquels n'aimes-tu pas?

- Les betteraves mais je les mange. Par contre le poisson non ! Rien à faire sauf les rollmops et les sardines maintenant.

Elle sourit amusée.

- Depuis quand le poisson est-il un légume ? Les filles se mettent à rire et lui s’empourpre. Et c'est quoi des rollmops ?

Il a baissé les yeux et lui répond d’une voix basse encore teintée de son accent, ce qui le rend encore moins facilement compréhensible.

- De fines tranches de maquereau roulées autour d'un cornichon tenues par un cure-dent et marinés dans du vinaigre. Et c'est bon parce qu'elles n'ont plus le goût du poisson que celui du vinaigre.

- C'est allemand, non?

Il secoue la tête mais ne lève toujours pas la tête.

- Non alsacien, mais bon ils doivent aussi en manger de l'autre côté.

La gamine assise à côté de lui fronce les sourcils.

- De l'autre côté de quoi? 

Il se tourne vers elle et la regarde surpris. Véronique aussi la regarde, elle lui fait encore et toujours penser à Ivette, la Souraya !

- De la frontière pardi ! Robert est alsacien c'est pour cela que quand il parle, on ne pige rien parfois et encore... c'est mieux qu'au début... 

Puis elle fait un super sourire au monsieur qui s'il avait un flingue, elle serait déjà au sol criblée de douze balles dans le corps.

- Et bien le papa de Souraya et Leila était marocain. Tu le savais ? Il répond négativement.  Gisèle m'a dit que tu voulais devenir pilote, comme leur papa qui était un ami de Richard. Ils ont leurs classes ensemble et il devenu pilote comme lui mais il s’est écrasé il y a trois ans. Enfin n'en parlons plus !  Mangez les enfants, mangez, je vais revenir. 

Tous regardent la jeune femme sortir de la pièce, puis continuent à manger en silence. Leila met sa main sur celle de sa sœur qui semble prête à pleurer. Leur mère revient cinq minutes plus tard et se remet à interroger Robert comme si elle n'avait pas quitté la pièce.

- Et ce n'est pas trop dur le lycée ?

Le sujet lui convient mieux, il esquisse un sourire.

- Non ça va, en fait j'ai vu peu de changements avec la maison sauf depuis la Toussaint.

Elle joue l’étonnée pour le faire parler, histoire de mieux le connaître.

- Pourquoi,  que s’est-il passé à la Toussaint ?

Véronique ne laisse pas le temps au garçon de répondre.

- Papa l'a emmené au chalet pour les vacances.

Sa tante confirme mais par un regard lui fait comprendre que ce n’est pas à elle qu’elle parler ce qui n’a pas l’air de contrarier Véronique.

- Ah oui, ta mère m'a raconté. Elle ressert le garçon qui ne refuse pas, bien au contraire. Et tu n'as pas aimé aller dans leur chalet ? Tu étais déjà allé dans les Alpes ?

Il fait non de la tête, la bouche pleine ce qui amuse la tante autant que son bon appétit.

- Non, jamais avant.

- Tu n'as pas aimé être là-bas ? Dis-moi que mes cousines ne sont pas adorables et là je ne te croirais pas !

Il la regarde alors avec un air gêné.

- Elles oui... 

Véronique ne peut s'empêcher de pouffer en voyant son regard sur elle et sa tante se met à rire aussi. Ce qui le fait replonger vers son assiette qu’il finit rapidement.

- Hum, oui, je vois, mais Gisèle m'a dit que tu n'étais pas du genre calme non plus, non ?

Sa réaction, alors, la fait sourire.

- Ah bon ?

Il lui fait un tel sourire et des yeux si tendres  qu'on lui  donnerait le bon Dieu sans confession. Véronique le tuerait volontiers !



Après le repas, il veut aller se coucher et la jeune femme lui demande d'aller d'abord se doucher. 

Lorsque le film trop drôle avec Louis de Funès est terminé, Véronique et sa tante accompagne Leila chercher sa chemise de nuit. 

Robert dort déjà la lumière allumée, la tête sur un bouquin. La jeune femme doucement le lui enlève, il est torse nu, Véronique et Leila se regardent, puis éclatent de rire et vont s’enfermer dans la salle de bain d'où elles sortent propres comme des sous neufs, enfin presque neufs.

Vers minuit la tant Sophie vient les prévenir que si elle doit revenir Leila dormira avec elle dans son lit, elles décident alors de se taire, demain elles auront tout le temps pour discuter.

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C'est Souraya qui les réveille. Enfin, surtout Véronique en la secouant sans douceur, pour être la première à lui offrir son cadeau.

-  Bon anniversaire ! Ouvre-le vite !

Leila se lève alors très vite et revient elle aussi avec un paquet.

-  Après, tu ouvriras le mien ! 

Abandonnant son cadeau sur le lit à côté de Véronique, elle repart. 

Véronique s'assied et commence à ouvrir celui de Souraya. C'est une trousse de toilette en liberty avec brodé dessus son prénom. Dedans, elle trouve une jolie brosse assortie, ainsi qu'un lot de bandeaux et de chouchous.

-  C'est moi qui ai tout fait, cela te plait-il ?

Véronique embrasse sa cousine tendrement.

- Oui beaucoup, j'aimerais savoir aussi bien coudre que toi, tu es une véritable artiste dis donc ! Bravo !

-  Tiens ouvre celui de Leila. 

Cette fois-ci c’est un peignoir de bain, assorti à la trousse, lui aussi brodé avec son prénom.

- Souraya c'est toi aussi qui l'a brodé ?

- Non, lui c'est Leila. 

Véronique enfile le peignoir et va dans la cuisine. L'autre goinfre y est déjà, tout habillé en uniforme même la cravate.

Elle se moque de lui.

- Tu as oublié le pull et la veste Robert, ce n'est pas réglementaire comme tenue, tu vas être puni !

Il lui lance un regard noir sans s’arrêter de manger.

- Ah ! Ah ! tu te crois drôle? 

Sa tante est devant la cuisinière, elle se retourne, l'embrasse puis désigne Robert avec sa cuillère en bois.

- D'ailleurs bonhomme, Richard m'a demandé de t’acheter des vêtements pour que tu ne restes pas en uniforme justement.

Il n’est pas d’accord.

- Non merci, c'est bon, je peux rester comme ça.

Mais la jeune femme soupire et insiste.

- Pitié ! Enlève au moins ta cravate. Tes vêtements puent. Hier, je croyais que c'était toi mais non ce sont eux, ils ont besoin d'être lavés, toi, tu sens bon le savon.  

Il fait une drôle de tête mi-surpris, mi-vexé, puis hausse les épaules.

- Pas besoin, lundi tout part au lavage.

La tante Sophie elle, semble surprise.

- Vous ne changez de vêtement qu'une fois par semaine ? La bouche pleine, il hoche la tête.  Je ne pourrais pas, vous faîtes comment pour supporter ? Vous vous lavez tous les jours  j'espère? 

Surpris tout d’abord, il la fixe le temps d’avaler puis explique

- Oui et non. On a accès aux lavabos matin et soir où on se lave au gant pour ceux qui ont un gant. Moi ,j'en ai un que depuis une semaine c'est Gisou qui me l'a donné et j'ai mis mon nom dessus pour qu'on ne me le pique pas. Sinon on a droit à la douche tous les vendredis. Bon en fait ce n’est plus vrai pour moi, car maintenant il y a des douches à notre étage et on y passe tous les matins mais pour les fringues sauf s’il nous arrive une grosse tuile, on n’en change que le samedi.

Tatie a l'air navrée mais répète son intention de le voir habillé autrement.

- Toujours est-il que nous irons t'acheter des vêtements tout à l'heure. Vous viendrez avec nous les filles?

Cette fois, le ton du garçon est moins conciliant.

- Mais non ! J'n'en ai pas besoin.

Et le voilà qui disparaît vers le salon. La tante de Véronique le suit. Les trois filles les entendent se disputer dans le couloir. Il ne veut pas et finalement la femme lui dit qu'il n'a pas le choix ou elle l'obligera à porter une des djellabas de Souraya pendant qu'elle lavera sa tenue. C'est vrai qu'ils ont la même taille. Nous n'entendons plus de bruit, les deux filles en face de moi pouffent. Leur mère revient tout sourire.

- Voilà c'est réglé, j'irai seule avec lui, vous serez sage pendant ce temps les filles d'accord ? Cet après-midi, que voulez-vous faire ?

Véronique en a une petite idée.

- Si nous allions à la piscine ?

La jeune femme approuve l’idée.

- Oui pourquoi pas. Véronique tu crois qu'il a emmené un maillot?

- Oui il en a un dans son sac.

Sa tante surprise la fixe étonnée.

- Et comment sais-tu ça?

- Nous dirons que j'ai regardé ce qu'il  a emporté. 

sa réponse n’a pas l’air du goût de sa tante…



Finalement Souraya les accompagne au magasin. Robert tire une tête d'enterrement et lorsqu'ils reviennent, Véronique voit pour la première fois de sa vie sa tante énervée. 

Elle aurait bien aimé y aller avec eux.

Elle lui demande innocemment si cela s’est bien passé et la réponse de sa tante l’amuse.

- Un vrai plaisir. D'abord avec son maudit uniforme nous avons attiré tous les regards. Et je connais tout le monde là-bas ! Ensuite il faisait la tête. Refusait tous les pantalons que je lui proposais même les plus chers et c'est Souraya finalement qui lui a choisi. Ensuite il a fallu que je me batte pour savoir quelle taille il faisait. Comme lui et Souraya sont à peu près pareils, j'ai pensé que le douze ans lui irait et bien imagine qu'il nage dedans. Ils ne le nourrissent pas au lycée ? Nouvelle prise de tête pour le lui faire essayer. Bon, je pense honnêtement qu'il lui aurait été trop court. Bah comme il l'a dit, il mettra une ceinture. Pour le pull, je n'ai même pas essayé de lui faire essayer. Marre de me battre. Du coup comme il me restait de l'argent sur ce que m'a donné ta mère, je lui ai pris aussi une chemise. Et maintenant je vais aller voir s’il s'est changé ?

Les trois filles la suivent jusqu'à la porte de la salle de bain où la jeune femme doit toquer cent fois avant qu'il n'ouvre. Il en sort rouge jusqu'aux oreilles. Il a mis le pantalon neuf en drap bleu marine et le pull marin rayé bleu et blanc qui se ferme sur l'épaule.

Cela fait rire Véronique.

- Hé, l'uniforme de la marine te va bien aussi. 

Il hausse les épaules. La mère des deux filles veut lui prendre son linge sale mais il refuse et elle lève les yeux au ciel.

- Quel bonheur de n'avoir que des filles ! En tout cas je suis contente de te voir habillé de propre. 

Et il fourre tout en vrac dans son sac puis grimpe sur son lit où il s'allonge collé au mur. Les trois filles sont priées de sortir de la pièce par la mère de famille pour le laisser seul.

Véronique aide sa tante à la cuisine et à mettre la table, et cette dernière en profite pour lui donner son propre cadeau : deux serviettes et un drap de bain assortis au peignoir, elles aussi brodées mais elle en plus, elle a brodé des motifs du liberty un peu partout. C'est véritablement une artiste. Elle a déjà proposé à Véronique de lui apprendre à broder mais cela ne l'intéresse pas.

Tatie va chercher monsieur mauvais caractère. Elle a fait du couscous au poulet et lorsqu'elle lui demande s'il en a déjà mangé, il fait non de la tête. Ce mec hallucine Véronique, mais il sort d'où ? En tout cas, il semble aimer.

-  Tu n'as vraiment jamais mangé de couscous ? Même à la cantine ?

- Avant Aix, je n'avais jamais mangé à la cantine.

Les trois filles se regardent mais c’est Sophie qui réagit en premier les empêchant de parler.

-  Et à Aix ils n'en font jamais ?

-  Non hélas, ce serait trop chouette !



Les quatre enfants aident  Sophie à débarrasser, après un vrai gros gâteau d'anniversaire. Et tous les quatre limacent devant la télé lorsque la mère de famille vient leur rappeler leur projet pour l’après-midi..

- Les filles si vous voulez aller à la piscine pensez à mettre vos maillots. 

Mais Véronique a un problème. 

- Justement Tatie je ne trouve pas le mien, pourtant je suis sûre d'en avoir pris un.

Problème auquel Robert propose une solution.

- Tu n'as qu'à ne pas en mettre, comme ça après vous aurez toute la piscine rien que pour vous !

Ce qui lui vaut un regard noir et une réponse cinglante de la jeune interréssée.

- Ah ah que tu es spirituel Robert ! Et je parierais que toi tu resterais ?

Lui qui allait sortir de la pièce en direction de la chambre, se retourne et sans vraiment la regarder, semble réfléchir puis sur un ton tout à la fois sérieux et désinvolte lui explique.

- Bah, moi tu sais, je suis un futur militaire, il faut que je m'habitue à voir toutes sortes d'horreurs. ?  Elle le alors avec un coussin qu'il attrape et lui renvoie en riant puis fait mine de sortir, mais repasse juste la tête par la porte.  Tu veux que je te prête mon maillot ?

Mais disparaît avant qu’elle n'ait eu le temps de lui lancer encore quelque chose dessus. 

Finalement Véronique adopte un de ceux de Leila même s' il lui est un peu petit.

Vers quinze heures Tatie leur annonce qu’elles iront seules à la piscine, monsieur dort ! Et refuse de la réveiller au grand dam de Véronique.

A la piscine, ses cousines lui montrent ce qu'elles font dans leur club. D'ailleurs, elles y retrouvent certaines de leurs copines. Leila est celle des deux qui nage le mieux. Elles font de la nage synchronisée, c'est trop beau. Souraya leur offre un pince-nez et l’invite à faire comme elles.

A leur retour, elles le trouvent en train de regarder la télé avec un livre à la main. La valise de Véronique n'est plus sur le canapé et de suite elle l’accuse d’avoir fouillé dedans, et le lui dit. Ce qu’il réfute sans même la regarder.

-  Même pas vrai ! Je l'ai juste mise par terre pour pouvoir m'allonger. Sophie par contre, je me suis permis de finir la semoule, j'avais faim.

Cette dernière sourit amusée.

-  Oh ! Tu n'as pas vu que j'avais fait des gâteaux pour quatre heures ?

Il a alors un sourire gêné puis ferme son livre et éteint la télévision.

-  Heu, si, mais je n'ai pas osé.

Elle lui sourit, il s’est approché d’elle, son regard papillonne d’une fille à l’autre, il ne sourit plus. Elle prend son menton et le force à la regarder, il rougit. 

- C'est bête tu ne dois plus avoir de place pour l'un d'entre eux, alors?

Il lui sourit amusé. Elle observe ce visage d’enfant sur lequel commence à se dessiner l’homme. Ces yeux à la couleur étonnantes, vifs et pétillants.

- Oh ! Ne vous inquiétez pas, je lui en trouverai bien une petite.

Et il le leur prouve ce morfale  en les aidant à tous les finir. 

Et Véronique une fois de plus, se demande si tous les garçons sont comme lui et mangent autant ? Car le jour où elle aura des enfants, elle ne veut avoir que des filles comme sa mère !



Dimanche matin, Sophie les emmène à la gare vers neuf heures. 

Il a voulu qu’elle lui passe son billet avant le départ et Tatie l'a forcé à le lui donner. Ce n'est même plus drôle. Pareil, il a exigé qu’ils partagent toutes les provisions en deux. Contrairement à Papa, Tatie ne monte pas dans le train. Il ne monte pas son sac mais le fourre sous son siège. Le train n'est pas parti depuis cinq minutes que déjà il attaque son premier sandwich.

Véronique elle veut attendre.

- Si tu les manges tous maintenant tu n'en auras vite plus.

Il se met à rire.

- Pas grave, je mangerai les tiens.

- Alors là, tu peux toujours courir.

Mais elle ajoute amusé.

- Et d'ailleurs pour l'eau aussi, je compte bien vider ta bouteille.  Monsieur a obtenu d'avoir une grande bouteille de coca en plus de sa bouteille d'eau. Quand Maman va le savoir, elle va râler, elle ne veut pas que nous en buvions. Il tend la bouteille de coca à Véronique qui hésite puis tend la main pour le prendre.  Tiens, tiens, tu vas désobéir à ta maman ? Tu sais que ce n'est pas bon pour la santé. Et puis tu ne m'as pas dit s'il te plaît.

Sa main tendue est juste au-dessus de son genou. Tant pis pour lui ! Elle n'a pas les ongles très longs mais bien plantés juste au-dessus du genou, au début de la cuisse, c'est très efficace. Il crie. La bouteille non bouchée manque d’atterrir sur le mec assis à côté de lui. Véronique la récupère avec un grand sourire. Non, mais, il y a une limite à ce qu’elle accepte ! Du coup lorsqu’elle lui rend la bouteille, il la range et prenant son sac, il s'en va. Elle le suit pour voir. Bien sûr, il s'assied entre deux personnes. Elle laisse sa valise et ne garde que son sac à dos avec elle. Il n'a pas de bol, son voisin descend à la gare suivante, il va sans dire qu’elle m'empresse de le remplacer avec un grand sourire. Il fait mine de se lever. Elle le plaque sur son fauteuil.

- Reste un peu tranquille ! Tu es sous ma responsabilité, je vais me faire gronder par Papa si je te perds des yeux. 

Elle le dit très fort pour que tout le monde l'entende. Ils voient les adultes sourirent. Lui d'abord, il fronce les sourcils puis d'un coup se met à rire.

- Oui petite soeur ! Je peux t'embrasser ? Tu viens avec moi aux toilettes, j'aime bien quand tu es gentille avec moi ! 

Véronique reste bouche bée puis s’empourpre. Il sort ça comme ça, pas gonflé du tout. Une dame en face de moi se met une main devant la bouche, il l'a choquée. Elle doit se demander comment un petit garçon de son âge peut se permettre de dire de telles choses. En plus il essaie réellement de m'embrasser mais il doit presque se mettre debout pour y arriver. Il prend une claque que je regrette de suite mais il exagère tout de même. Il se met alors à rire en se frottant la joue. Mais il s'est assis et sort le journal que Tatie lui a acheté à la gare. Encore une qui est totalement sous son charme, comme Souraya d'ailleurs, qui n'a cessé de le suivre comme un petit chien. Et vas-y que je fais des maths avec lui, que je le branche sur les avions, que je lui demande quels livres il aime, etc etc. Elle l'a épuisée celle-là aussi. 

Et maintenant là, il croit qu’elle ne voit pas la regarder en coin depuis tout à l'heure en souriant. Il mijote quoi encore comme mauvais coup  ? Il ne perd rien pour attendre !

Ah non, il se lève, je le force à reposer son sac.

- Tu vas t'en occuper ? Oh que tu es gentille ! Au passage, je ne reviendrai pas, alors à plus à Aix ! 

Une demi-heure plus tard, il n'est pas de retour. Il l'énerve, il l'énerve mais alors il l'énerve !

Elle part à sa recherche, il est dans le dernier wagon de queue, il semble dormir. Elle me penche sur lui et lui dépose un baiser sur les lèvres.

-  Je retourne à nos places, où j'ai laissé ma valise. Ton sac si tu y tiens, vas le chercher, mon GRAND ! 

Elle retourne donc à leur wagon d'origine. Sa valise est toujours là mais il n'y a plus de place. Elle reste debout dans le couloir. Il ne se passe pas cinq minutes avant qu’elle ne le voit arriver avec son sac qu'il pose devant elle.

-  On fait la paix ? Tu arrêtes de m'emmerder ? 

Oh, oh, doit-elle accepter ? 

Un homme veut passer, nous rentrons chacun dans un compartiment, il me sourit. Je suis tentée mais j'ai une vengeance à assouvir. L'arrivée du contrôleur m'empêche de faire quoique ce soit. Lorsqu'il voit que leurs places réservées sont prises, il pense qu’ils n'osent pas les réclamer et fait partir les deux personnes qui s'y sont assises. 

La dame de tout à l'heure se permet des commentaires dès qu'il est parti. 

Ils n'en tiennent pas compte. Robert lui fait son plus beau sourire avant de se mettre à rire. Il a ouvert sa main à l'envers sur le genou de Véronique. Elly pose la sienne. Il ferme les yeux. Il compte dormir ? C'est ce que l'on va voir mon gaillard. Pour l'instant, elle doit réfléchir. Elle l’observe. Il n'a pas remis son uniforme et sa veste est sur ses genoux. Elle la prend, il ouvre un œil et veut la lui reprendre. Elle la range dans le filet au-dessus de leurs têtes puis reprend sa main mais après avoir remonté sa manche, elle laisse les doigts de sa main gauche courir doucement sur sa peau. Elle sent qu'il frissonne, il sourit mais n'ouvre pas les yeux.

-  Arrête ! Lui dit-il doucement.

-  Pourquoi? lui demande-t-elle.

-  Tu me chatouilles.

Elle se penche vers son oreille sans s'arrêter.

-  Imagine que je fasse la même chose ailleurs ?

-  Hein? Il ouvre de grands yeux mi-étonnés, mi… horrifiés.  Répète ! 

-  Imagine que mes doigts te font la même chose ailleurs sur ton corps, où tu veux. Là où tu aimerais le plus. 

Elle sent un frisson encore plus grand le parcourir. Il se redresse. Veut m'enlever sa main, elle la tient encore plus fermement. Il se tourne vers elle.

- Tu joues à quoi ?

- Tu n'aimes pas ma petite vengeance. ?

Elle a ses yeux à dix centimètres des miens. Mais en face d’eux la bobonne les fixe, les lèvres pincées. Elle lui fait un grand sourire puis retourne à son jeu.

Il lui murmure.

-  Tu me donnes entre autres choses envie de t'embrasser.

Véronique sourit en faisant “OH !” de la bouche puis lui demande curieuse.

-  Entre autre chose ? Son regard se porte alors sur son ventre mais il a mis son bras dessus, sa main coincée entre ses cuisses. Elle sourit, il lui répond d'une grimace qui ne fait qu'agrandir mon sourire.  Et bien lève ton bras et je t'embrasse.  

Il secoue la tête.

-  Tu es une garce !

Là, elle sait qu’elle a réussi.

-  Oui mais tu m'aimes comme ça, non ? 

Ses yeux répondent pour lui. Finalement elle arrête, il a la tête posée sur son épaule, elle ne sait pas s'il dort ou pas mais jusqu'à Aix, il reste comme ça pour son plus grand bonheur.

Par contre, évidemment à peine, sur le quai de la gare, il part en courant. Elle le rattrape devant Maman qui secoue la tête avec un air amusé en nous voyant arriver en nous disputant. Véronique alors l'attrape par le col de son blouson et le secoue comme un prunier.

Mais sa mère les sépare.

- Fais attention Véro dans quelques temps, c'est lui qui te secouera.

Véronique alors lui réponds l’air

- Bah j'ai le temps de voir venir et puis qui te dit qu'il grandira ? Les nains, ils restent des nains. C'est mignon un nain, non ?

Gisèle stoppe alors Robert qui lâche son sac pour se précipiter sur Véronique les poings serré. Cette dernière comprend qu’elle a touché un point sensible. Si sa mère n'avait pas été là, elle se serait excusé mais devant elle, elle ne peut pas. Il doit la détester.

Gisèle le tient contre elle et ramasse son sac.

- Il y a une surprise qui vous attend à la maison.

Il la regarde inquiet.

- Heu, je ne viens pas chez vous, moi ?

Malheureusement pour lui, elle lui dit le contraire.

- Si comme ça tu pourras te remettre en uniforme, tu sais que tu n'as pas le droit de retourner au lycée en civil.

Il souffle et affirme alors.

- Je sais mais je veux être puni, consigné jusqu'à la fin de mes jours !

Gisèle se met à rire.

-  Ce fut si dur ? Tu as un beau pull. Et elles ne sont pas gentilles Sophie et ses filles?

Il répond en fixant Véronique d’un air mauvais.

-  Elles oui !

-  Ah ! je vois. Pourtant Sophie m'a dit que vous ne vous étiez pas trop disputés, et que tu étais surtout resté avec Souraya. Elle t'a trouvé très gentil et poli. Qu'elle accepterait volontiers l'année prochaine si tu voulais.

Il se dégage alors d’un geste brusque et récupère son sac.

- Non merci, oubliez-moi !

A la maison, la surprise c'est Papy et Mamie, Véronique est trop contente. 

Ils ont profité qu'ils allaient en cure pour leurs rhumatismes pour passer une petite semaine chez leur fils. 

Ils semblent aussi ravis de revoir Robert qui fait la gueule. Véronique sait que c'est de sa faute. A un moment donné en passant derrière lui, elle lui glisse à l'oreille: Pardon ! Il fait celui qui n'a pas entendu. Alors quand leur père l'envoie s'habiller pour retourner à l'école, avec l'aide d'Yvy, elle se débrouille pour le rejoindre dans la chambre des petites. 

Il ferme les boutons de sa chemise qui est abominablement fripée. Il a le pantalon ouvert et elle l'embête en essayant de le lui baisser. Il se bat avec elle. Il lui tient les mains. 

- Mais purée, tu vas un jour me ficher la paix ? 

Elle le plaque contre le montant du lit et l'embrasse. Il la mord mais elle continue. Il finit par se laisser faire. Il a arrêté de s’habiller. Elle glisse alors une main contre son ventre.

- Oh !

Cette fois, il la  repousse violemment, et sort en finissant de s'habiller. Elle le voit s'enfermer dans les toilettes.

 - Tu étais où ?

Un grand sourire à Papy qui sort du salon.

-  Aux toilettes.

Il fronce les sourcils.

-  Et l'autre animal ?

Elle prend un air d’innocence étonnée.

-  Il y est entré lorsque j'en suis sortie. Et non, nous n'y étions pas ensemble, franchement Papy !

Puis elle prend l'expression la plus outrée possible. Justement le voilà. Il semble très pressé de partir. Il est trop rigolo avec son calot sur la tête. Mamie veut le photographier en uniforme mais il refuse et se met presque en colère. Papa l'envoie se chausser et dit qu'il le raccompagne avec Papy. Encore une fois il refuse mais Papa ne lui en laisse pas le choix. 

Maman a emballé des parts de gâteaux qu'elle lui met dans son sac. Fanfan y glisse une feuille pliée en quatre. Il la sort et la regarde. C'est un beau dessin d'avion de chasse avec un bonhomme assis dessus. Il a le mérite au moins de le faire sourire.

Demain Véronique a cours mais elle a surtout hâte d’aller voir sa sœur à l’hôpital et de tout lui raconter !

25 mars 2010

Robert dimanche 29 février 1976 grattouille

Robert dimanche 29 février 1976 grattouille

 

J’ouvre un œil puis deux.

Il fait jour.

Je regarde ma montre : six heures et quart.

Je commence à m’affoler, nous sommes en retard. Puis je me rappelle qu'aujourd’hui c’est dimanche. Je me laisse retomber sur mon oreiller. Le réveil de Claude nous tirera du sommeil à sept heures.

J’ai fini tout mes devoirs, je pourrai passer ma matinée à lire ou aller à la piscine.

L'après-midi, j’irai sûrement leur rendre visite, histoire de découvrir quel gâteau dominical, Gisou aura fait et m’en régaler d’une grosse part.

 

La porte claque contre le mur.

Ahuri, tout comme Claude, nous nous retrouvons au garde à vous au pied de notre lit sans trop comprendre pourquoi l’intendant vient de faire cette entrée fracassante dans notre chambre.

- Alors messieurs, vous comptiez vous accorder une grasse matinée ? Je suis déçu, pour des majors vous ne donnez pas le bon exemple.

Avec Claude, nous nous risquons un bref regard, il me fait signe qu’il ne comprend pas. L’homme passe devant nous pour se mettre entre nos deux lits. J’entends le bruit caractéristique des matelas que l’on fait tomber. Je n’ose pas regarder derrière moi. Monsieur Vecchini revient devant nous se dirigeant vers nos bureaux devant la fenêtre. J’en profite comme Claude pour regarder ma montre : 8 heures ! Le réveil n’a pas sonné. Claude me fait un geste d’impuissance, il l’a tout simplement oublié la veille, l’extinction des feux l’ayant surpris plongé dans son bouquin.

Devant nous, l'homme d’un geste très ample, allant du mur de droite au mur de gauche nettoie de son avant-bras l’intégralité de la surface de nos bureaux, projetant au sol tout ce qu’il y a dessus. Heureusement rien ne casse. Puis il fait de même avec le contenu de nos quatre tiroirs et des deux étagères où se trouvent nos livres de cours et les autres. Contrairement à Monsieur Davis, la dernière fois, il ne fait pas attention à ne pas marcher sur ce qu’il a mis par terre. Il s’arrête à notre porte puis nous fait signe de sortir et de le suivre. Je saisis mes vêtements, il me fait non d’un doigt. Je les repose donc sur la chaise et avec une envie de rire, nous le suivons.

Dans la cour les autres élèves sont au garde à vous pour le salut aux couleurs.

Deux autres garçons, nous ont remplacé pour porter le drapeau.

Le colonel tourne juste la tête puis nous regarder rejoindre nos places.

Il y a quelques fous rire... vite contrôlés. Il gèle, ce qui n’est rien d’étonnant pour un mois de février même dans le sud-est dans la France surtout qu’il y a du mistral par dessus le marché.

Normalement en tant que majors nous aurions du être au premier rang, mais vu notre tenue légère, pourrons nous dire, nous nous glissons à la place de nos seconds.

Je regarde vers le balcon, les volets sont ouverts, pourvu que les filles ne viennent pas nous admirer comme elles le font souvent. Bon, nous n’étions par miracle, pas à poil mais tout de même, pas à notre avantage !

Nous sommes à peine de retour dans notre chantier et habillés que le colon s’encadre dans l’entrée de notre chambre.

Je ne peux réprimer une grimace en me remettant au garde à vous. Il me sort dans le couloir en me tenant par le col de la chemise.

- Tenez, Lorient vérifiez-le, lui aussi ?

Le caporal me force à pencher la tête en avant et je sens ses doigts fouiller dans mes cheveux. Et merde !

- Oui mon colonel !

- Bon et bien rappel général dans le gymnase, nous savons à quoi nous allons passer notre dimanche, vous nous faîtes chier les mecs !

Comme si c’était de notre faute, et puis il n'y a pas deux semaines, j’étais avec ses filles. Mais ça... je n’ose pas le lui dire. Je me contente de les imaginer la tête rasée. Je dois passer avec Claude et nos seconds, de chambre en chambre pour avertir tous les autres que la chasse aux poux commence dans cinq minutes.

A l’entrée du gymnase une immense panière nous attend où nous jetons tous, nos deux calots, nous serons pendant deux jours têtes nues mais c’est mieux que ces saloperies.

Nous devrons aussi changer à nouveau nos draps et les surveillants passeront avant, pour asperger nos literies d’un insecticide.

 

En rang, nous attendons notre tour pour aller nous asseoir sur un des six tabourets afin que l’un des caporaux use sur nous de la tondeuse.

Le colonel montre l’exemple suivi du capitaine puis des caporaux.

Nous devons à tour de rôle nous mettre torse nu puis nous asseoir sur le tabouret,

En rigolant, Caprais me pose une cape plastifiée sur les épaules et la tonte peut commencer...

Pour finir, ils nous inondent d’un produit qui pue et brûle les yeux.

Apparemment, ils jugent qu’à six, ils ne vont pas assez vite et ils obligent Claude et Darmont, à les aider.

Moi, je retourne à la chambre que je dois seul remettre en état.

A cette perspective, un profond sentiment d’accablement et de haine me saisit, autant envers l’intendant qu'envers Claude !

Je commence par les lits que je dois défaire intégralement

comme après chaque passage au coupe-tifs. Je descends les draps de suite pour les poser comme les autres sur une pile devant la porte de la buanderie et attendre qu’on m’en donne d’autres.

Les bureaux sont bientôt rangés, tiroirs et étagères comprises lorsqu’une photo tombe d’un des livres de maths de Claude. C’est Aline en maillot devant l’océan, je me mets alors à inspecter de plus près les autres bouquins pour voir s’il n’y en a pas d’autres lorsque je les remets vite sur l’étagère pour me précipiter vers sa table de chevet.

Je suis sûr qu’il doit en planquer des beaucoup plus intéressantes, l’ayant déjà vu en train d’un regarder au moins une alors qu’il se servait de la veuve poignet.

Dans son chevet, son livre de bibliothèque “obligatoire” et dans le tiroir une bible. Je la saisis avec respect. Non ? Il n’aurait pas osé ? Mais le livre saint me dévoile rapidement une image qui vient s’incruster au plus profond de mon cerveau. Un polaroid vite fait, Aline assise dans une pose des plus suggestives, jambes écartées. Je claque le livre que je tiens trente secondes serré contre ma poitrine, complètement estomaqué.

Des pas dans le couloir me font ranger le livre précipitamment.

Je fais mine de ramasser différentes petites choses ayant roulé sous le lit mais l’image reste imprimée sur ma rétine se superposant à mon environnement familier. Je me serais bien isolé mais je dois finir cette saloperie de chambre et j’en veux encore plus à Claude.

Les chaises à l’envers sur nos bureaux, je passe un coup de balai puis vais vider la poubelle pour revenir avec une lavette espagnole. La petite poubelle rejoint les chaises.

J’ai presque terminé lorsqu’il pose sa main sur mon épaule.

- Waouh nickel, mec ! Il entre dans la chambre, inspecte les vitres, passe la main sur l’armoire, sur les coins de lit. Franchement parfait jeune homme je n’aurais pas fait mieux !

- Tu parles ! Pas envie d'un nouveau coup de Mistral! Pousse-toi que je finisse ! Merde mais tu as laissé des traces, je dois tout refaire.

Il sort puis m’aide en allant vider le seau et tout ranger. Nous fermons la porte, signe que notre chambre est prête pour une éventuelle inspection, qui ne viendra pas d’ailleurs, l’intendant ayant maintenant d’autres soucis.

- Aller le nabot, allons manger, j’ai faim ! pas toi ?

- Si ! (Ah s’il savait de quoi j’ai faim aussi...) Au fait, j’ai trouvé une photo de Aline. (Je ne m’attendais pas à une réaction aussi violente de sa part : il me saisit par le cou et soulevé, me plaque contre le mur du couloir. Des collègues qui sont derrière nous, hésitent à réagir puis jugent qu’il doit avoir ses raisons et nous doublent en vitesse faisant même semblant de ne rien voir. Je saisis ses poignets.) Elle était avec toi sur la plage.

Il me lâche en riant puis me pousse en avant d’une bourrade. Je pars en courant en ayant envie de lui crier :  «Oui, oui, mon coco, l’autre aussi je l’ai vue !» mais je reste silencieux.

 

 

 

 

 

10 mai 2010

Robert vendredi 6 Août 1976 sous-marinier

Robert vendredi 6 Août 1976 sous-marinier



Hier soir ils m’ont dit : «demain matin, ne te lèves pas aux aurores, nous n’irons pas voler, nous aurons de la visite donc profites-en pour dormir.»

Et j’en profite… mais… cette visite titille ma curiosité. Certes ce sont des amis des vieux, mais j’y pense depuis hier soir, donc à même pas huit heures, je suis en bas excité comme une puce en manque de chien.

Une fois fini de déjeuner, je remonte dans ma chambre mais… au premier, je m’aperçois que la porte de la chambre des filles n’est pas totalement fermée et… je ne résiste pas.

Doucement, sans bruit, je la pousse un peu et me glisse à l’intérieur puis la referme sans bruit et attends sans bouger que mes yeux s’habituent à l’obscurité

Je ne sais pas pourquoi je suis entré… mais franchement c’était trop tentant.

Depuis que nous sommes arrivés début juillet, il s’est établi une sorte de statu quo, elles m’ignorent, je les ignore.

Une sorte de paix tacite, chacun dans notre coin, respectant une distance acceptable et des horaires différents pour être dans la pièce du bas, hors repas, il va sans dire. Et même pendant l’heure des devoirs de vacances, où au lieu de nous déchirer, nous faisons bloc contre notre « ennemi » commun : Papapa qui a décidé de remplacer les pater absents et d’être sur notre dos H24.

 

Debout à côté de la porte, je suis amusé par les positions dans lesquelles elles dorment. Mais ce que je n’arrive pas à comprendre c’est pourquoi elles dorment toutes les unes contre les autres, bien alignées comme des sardines, seulement sur quatre matelas en cent quarante, alors qu’en face il y a quatre autres matelas vides.

Je suis surpris aussi de découvrir que toutes dorment avec de vieux marcel d’homme alors que quand elles descendent pour déjeuner ou les rares fois où je suis rentré dans cette chambre, elles étaient avec de jolies chemises de nuit

La première devant moi c’est une des jumelles, elle me tourne le dos dormant en chien de fusil, mais son débardeur trop court me révèle des fesses dévoilées par une culotte mal mise.

Celle qui m’intéresse c’est Véro et bien sûr, c’est la dernière à côté de Fanfan. Alors précautionneusement, en équilibre instable sur mes orteils, je progresse telle une danseuse disgracieuse.

A côté de la jumelle, il y a sa sœur. Je n’arrive pas, une fois de plus, à les différencier et cela m’énerve franchement.

Elles se font face, dans quasiment la même position, la jambe du dessous tendue et l’autre pliée, leur genoux se touchant. Un bras plié sous l’oreiller, l’autre allongé, la main coincée sous leur cuisse remontée.

Dos à elle, Yvy semble minuscule, couchée sur le dos, elle suce son pouce gauche, le bras maintenu en l’air par le dos de la jumelle sur lequel il repose.

Ses jambes sont repliées, genoux écartés, reposant contre le dos de ses deux voisines. Heureusement qu’elle a une petite culotte.

Isa dort sur le ventre son oreiller au creux de ses bras.

A côté d'elle, Maï dort elle aussi sur le ventre mais son oreiller est au-dessus de sa tête et ses bras allongés le long de son corps.

A dix centimètres maximum de son visage, celui de Fanfan qui dort presque en travers, ses pieds pratiquement contre le dos de Véro.

Au fond de la pièce, contrairement à l’entrée de la chambre où elles ont dû laisser un espace pour pouvoir ouvrir la porte, les derniers matelas touchent le mur.

Et là, je découvre que Véro suce son pouce, du moins, elle l’a dans sa bouche juste maintenu par ses petites dents blanches, les lèvres entrouvertes et je discerne un petit filet de bave.

Je me régale à l’avance de pouvoir plus tard me moquer d’elle.

Dehors une voiture fait crisser les graviers de la cour et retentir son avertisseur sonore, je maudis en silence ces inconscients du drame qui va se jouer ici.

Je suis mort, c’est sûr !

Fanfan s’assied et me fixe, je mets mon doigt devant ma bouche.

Elle me sourit puis fronce les sourcils.

Très vite, je fais demi-tour mais ces maudits matelas couinent sous mes pieds. Heureusement, je suis dehors avant que Maï ne se mette à crier.

Dans les escaliers, j’hésite… d’abord je commence à gravir quatre à quatre mes escaliers, puis réalisant mon erreur, je les redescends et continue ma descente vers le rez de chaussée au moment où leur porte s’ouvre laissant s’échapper une flopée de furies rousses ayant toutes, juste enfilé un des shorts qui traînaient à leurs pieds sur les autres matelas.

Et là, je réalise ma seconde erreur tactique : j’aurais dû les leur piquer, ralentissant de fait, leur sortie et donc ma poursuite.

Au rez-de-chaussée, je saute directement les dix dernières marches atterrissant au pied de deux inconnus, tous deux de l’âge des jumeaux, l’un quasi chauve, l’autre blond dont la coupe réglementaire me fait penser qu’il doit s’agir de deux de leurs collègues.

Je gueule plus que je ne parle, un :

- Bonjour, enchanté mais désolé de ne pouvoir m’attarder .

Puis me redressant, pars en courant vers la cuisine évitant Rémy qui semble plus intéressé par le bruit de la cavalcade derrière moi dans les escaliers, que par ma petite personne !

- Stop mesdemoiselles ! Robert viens ici !

Dans la cuisine, je bute sur Richard qui précède Gisou et Sylvie accompagnées par deux femmes qui, je soupçonne, doivent être les femmes des deux premiers visiteurs.

Et c’est fermement maintenu par le bras gauche que je suis ramené devant les escaliers, contraint à me tenir debout à côté des folles furieuses plutôt calmées et aussi mal à l’aise que moi.

- Et bien, nous espérions vous les présenter de façon plus protocolaires mais bon, au moins vous découvrez nos démons dans leur état naturel.

- Nous en connaissons une partie et lui, Richard, je pense que ce jeune homme est ton fils. Je lui trouve d’ailleurs une certaine ressemblance avec toi.

Tous me regardent, moi je fixe les cinq ados qui viennent d’arriver et souris franchement en les voyant. Cinq garçons, voilà qui va un peu rétablir l’équilibre !



Peu de temps après, les filles sont remontées dans leur chambre pour s’habiller de façon plus civilisée, dixit Mammema et moi, on m’a gentiment prié de montrer ma chambre aux garçons.

Chambre qui ne les intéresse absolument pas, pas plus que moi d’ailleurs. La preuve étant que Etienne le plus vieux, à peine la porte fermée, attaque direct.

- Tu crois qu’on peut avoir une ouverture avec tes sœurs ?

- D’abord ce ne sont pas mes sœurs et vu ce que nous nous apprécions, je ne vous serez d’aucune utilité. Ah si un truc, Véronique préfère les filles aux garçons.

- Non ? Attends? Il a un petit ricanement Moi, suis sûr , qu’une fois sortie avec moi, elle changera d’idée.

- Et bien bon courage ! Autant embrasser un cactus.

 

Etienne a 17 ans, Edouard a mon âge et Emile 10 ans et ils sont frères, leur père c’est le chauve. Quant à Marc 16 ans et Julien 14 ans, ils sont blonds comme leurs parents. 

Au bout d’un moment assez court je décide que le jardin sera aussi bien que ma chambre et j’ai espoir que les parents nous expédie les filles nous rejoindre.

Ce qui finit par arriver mais pour cela les cinq mutter ont carrément dû monter les chercher car les cousines connaissent semble-t-il bien les lascars et ne les apprécient que très peu.





A midi, je me glisse comme d’habitude entre Papapa et Richard. Ce dernier ne manque pas de m’exprimer son étonnement.

- Tu ne vas pas t’asseoir avec tes nouveaux amis ?

Je secoue la tête.

- Nous n’avons pas tout à fait les mêmes buts dans la vie.

- Oh ! Et en quoi diffèrent-ils ?

Je regarde Richard.

- Es-tu sûr de vouloir le savoir ?

Gisou vient derrière moi.

- Robert normalement tu as ton assiette sur l’autre table à côté des garçons ?

- Suis-je obligé ?

Papapa se moque de moi.

- Gisèle, laisse-le, il semblerait que ce jeune monsieur n’ait pas la même façon de voir l’avenir qu’eux.

- Je n’ai pas dit ça. J’ai dit que nous n’avons pas les mêmes buts ou objets dans la finalité de nos entreprises actuelles.

L’homme assis en face de moi, à droite de Rémy, se met à rire.

- Vu sa façon de parler, je comprends Richard que ton fils ne soit pas en phase avec les miens ou ceux de Gilles.

Richard me fixe.

- Je suis pourtant étonné. Je pensais qu’il profiterait de l’occasion de ne plus être que entouré de filles.

Alors je lui explique.

- Des garçons j’en côtoie H24 à l’école et je me suis habitué à vos filles, cela ne me dérange plus et même, cela a parfois de bons côtés. Ayant un peu ras le bol d’être le sujet de leurs discussions, je fixe l’homme et l’interroge à mon tour. Vous êtes sous marinier vous aussi ? Vous avez fait vos classes avec Rémy ?

- Oui, tout à fait et aujourd’hui je suis pacha d’un sous-marin comme lui mais Gilles lui a choisi de l’être sur un destroyer.

- C’est lequel qui est le plus armé et le plus gros ?

- Tu t’intéresses à la marine pour plus tard ?

Rémy répond à ma place.

- Non lui, il veut être un petit zizi comme son père.

Richard réplique classiquement de suite.

- Écoute frangin, nous préférons l’Azur à la promiscuité dans une boîte de conserve.

- Parce que vos fer à repasser ne sont pas des boîtes de conserve ?

- Si sûrement, mais nous nous élevons alors que vous, vous vous enfoncez.

Là, je vois ce que Gisou et Sylvie, posent sur la table, alors saisissant un bout de pain, je me sauve, profitant qu’ils se désintéressent de moi pour remonter dans ma chambre.



La porte de ma chambre s’ouvre pour se refermer de suite.

- Purée, j’en peux plus de ces mecs, je te comprends de les fuir. Véro va s’asseoir par terre devant la fenêtre. Par contre, je te préviens que les parents n’ont pas apprécié ton comportement et que tu vas être puni.

Je souffle.

- Tant pis.

- Au fait, tu faisais quoi dans notre chambre ce matin ?

- Je vous regardais dormir.

- Mais t’es vraiment un sale voyeur.

Je lui souris.

- Tu sais que tu suces ton pouce ?

- Au moins, moi, la nuit, je ne pleure pas comme un gros bébé.

- Salope !

- Oui je reconnais, là suis méchante. Et t’as vu quoi d’autre ?

- Rien, absolument rien.

- Vu comment tu essaies de ne pas sourire, je sais que c’est faux.

- Vous êtes trop mignonne quand vous dormez. Tes cousines, elles se donnent la main.

- Ce sont des jumelles, de vraies jumelles.

- Oui ça merci j’avais remarqué ? Tu fais comment pour les reconnaître.

- Je ne sais pas. Mathilde est plus grande que Marthe et a des yeux plus bleus et prononce les s comme des «x».

- Putain, j’avais jamais remarqué.

- Ouais et elle a une jambe plus courte que l’autre et il lui manque un orteil au pied gauche.

- Bref tu te fous de moi ?

Elle se met à rire.

- Oui. Mais Mathilde a tout de même un centimètre de plus que Marthe.

- Ouais je me vois bien les mesurer avant de dire leurs prénoms.

Je colle le tout petit bout de ficelle tendu entre deux des mâts de ma goélette. Range tout mon matos dans ma boîte puis me frotte les mains pour faire partir l’excédent de colle. 

Véro se déplace sur ses fesses pour venir s’asseoir à côté de ma chaise.

- Donne-moi tes mains.

- Oh une demande en mariage !

- J’ai pas dit : ta main, mais tes mains. J’adore enlever la colle comme ça.

Je la laisse m’enlever la colle du bout de ses ongles, comme si elle m’enlevait de longs lambeaux de chair.

- Comment fais- tu pour t’en mettre autant ?

- Suis maladroit de mes dix doigts. J’ai faim, il est quatre heures, on descend ?

- T’es courageux.

- Devant les invités, ils ne me diront rien.

- Par contre ce soir, Maman a parlé de te servir à nouveau ton assiette de midi.

- Et bien raison de plus alors pour aller faire des réserves pour pouvoir tenir jusqu’à demain.



Les invités ne partiront qu’après le repas du soir durant lequel je vais m’asseoir avec eux, enfin plutôt entre eux et les filles.





Richard que je viens d’embrasser avant de monter me coucher, me retient.

- Que leur reprochais-tu ?

- De vouloir mettre vos filles dans leur lit !






16 mai 2010

Robert Jeudi 15 Août 1976 la fenêtre

Robert Jeudi 15 Août 1976 la fenêtre

 

J'ai juste le temps d'ouvrir mes volets pour voir passer sous mes yeux ébahis, neuf beaux oiseaux tricolores remontant toute la vallée de Chamonix..

- You hou hou, trop beau !

En bas, j'entends rire. Qu'est-ce qu'elles foutaient déjà dans le jardin ?

 

Puisque je suis réveillé, autant aller déjeuner. Et puis ce réveil aéronautique m'a mis de bonne humeur.

En bas, je suis accueilli par Véro qui affiche un sourire qui ne me dit rien qui vaille.

- La prochaine fois que tu te penches à ta fenêtre, mets un slip.

- Pfff n'importe quoi ! Le rebord de la fenêtre m'arrive au nombril.

- Pas quand t'es sur la pointe des pieds et que tu sautes comme un imbécile.

Je hausse les épaules, grand bien leur fasse, au moins elles auront vu ce qu'est un vrai mec.

- Dis-moi, tu peux me laisser pisser tranquille ?

Debout contre la porte des toilettes, elle tambourine du bout des doigts un air qui se veut ressembler à la Marseillaise.

- Tu sais qu'au village, il y a une fête foraine ?

- Cool, mais tes parents ne nous laisseront jamais y aller.

Retour dans la cuisine où elle me suit. Je me lave les mains puis comme tous les matins empile dans mes bras : pain, fromage, lait, confiture et autres trucs qui me font envie.

Elle me regarde faire sans m’aider.

Sa tante referme la porte du frigo pour moi 

- Ça va ? Tu ne veux rien d'autre ?

- Merci Sylvie. Si, un mug de café mais je reviendrai la chercher.

Véro me surprend.

- Laisse, je te la porte.

Là, je m'arrête et regarde Véro avec une mine inquiète.

- T'es sûre que tu vas bien ?

- Oui, oui, tellement ce que j'ai vu tout à l'heure m'a amusée.

- Oh tu m'énerves avec ça !

- Véronique toi aussi, tu te mets à aimer les avions ?

- Oh non, moi un seul, un peu mollasson mais bon.

Sylvie la regarde sans comprendre. Moi, je suis déjà devant la grande table.

- Tiens, ton kawa.

- Hé, il est froid.

- Laisse, je vais te le faire réchauffer.

Cette fois, je la suis des yeux puis physiquement jusqu'à la cuisine.

- Mais t'es sûre que tu vas bien ?

Sylvie qui ne comprend pas : 

- Et pourquoi n'irait-elle pas bien ?

- Mais Sylvie, tu as vu comment elle agit depuis que je suis levé ?

Véro me regarde amusée.

- Que veux-tu, je suis amoureuse.

- Quoi ? De qui ?

Avec Sylvie on se regarde et on se met à rire.

- Oh tu m'agaces. Je voulais juste être gentille, ça ne te plaît pas et bien prends ça !

Là, je me dis que je la préférais gentille.

Le café bouillant, c'est chaud et ce n'est pas agréable. Cette fille décidément est désespérément incompréhensible.

J'enlève rapidement tee shirt et short, ce qui fait rire Sylvie. Mais moi, je remonte dans ma chambre de bien moins bonne humeur.

Et avec tout ça, j'ai toujours faim. Retour dans la cuisine pour un café.

- Je te l'ai posé sur la table.

- Ah merci.

Je dépose un bisou sur la joue de Sylvie avant d'aller me restaurer dans le silence reposant de la grande maison vide. 

Et là, je percute.  C'est vrai ça, sont où, tous ?

Je les trouve autour de planches posées sur des tréteaux devant le garage.

Rémy me fait signe d’approcher.

- Tu veux te fabriquer ton lampion toi aussi ?

- Heu... il me servira à quoi ?

- Pour la procession ce soir.

- Ah ! Et ça sert à quoi ?

J’ai droit à deux versions selon Yvy et Maï.

- A faire joli.

- A illuminer la nuit.

- Ah ! Je vois les adultes sourire, ils sont tous en train de découper, coller, dessiner. Ouais, bin,non, moi, les travaux manuels de maternelle, ce n'est pas mon truc. Et me balader avec un lampion, j'ai déjà donné quand j'avais cinq ou six ans où j'ai failli mettre le feu aux cheveux de Caths. Alors non. J'en vois plus trop l'intérêt. (e m’incruste entre les deux jumeaux. Richard, on ira voler aujourd'hui ?

- Ah non, mon gars, on est le quinze août aujourd'hui, ce soir, nous irons au village faire la fête.

- Ah, ! Bon, alors bonne fête !

 

Dans ma chambre, il fait déjà chaud malgré les volets fermés. Je me laisse tomber à plat ventre sur le lit. Flemme. Je m'ennuie. Mon regard fixe la fenêtre. Je me lève et me dirige vers elle. Et merde ! J’ai grandi c’est vrai. Bon, et bien, je le saurais pour la prochaine fois.



- Debout là-dedans ! Ouvre ta fenêtre, elle pue le bouc en rut ta chambre.

- Elle est déjà ouverte ! Les volets claquent. Non, elle ne va plus être vivable, sur Mercure, il fera moins chaud.

- Et bien descend, il fait frais en bas. En guise de réponse, je vais refermer les volets puis reviens me laisser tomber sur mon lit mais me fais cueillir par le bras de Rémy qui me balance sur son épaule comme il le fait avec Yvy ou Fanfan. Ton père a dit : en bas ! De toute façon nous passons à table.

- Pose-moi, je sais marcher.

A peine au sol, je l'évite et me jette sur mon lit. Je l'entends soupirer. Il me prend par les chevilles et me soulève. Je me mets à rire. Je laisse pendre mes bras.

- Lève tes mains ou je te marche sur les doigts.

En bas, il me laisse tomber d'un coup.

- Aïe !

- Fichtre frangin, la prochaine fois tu descendras toi-même ton linge sale. Je suis déjà debout et sur la première marche des escaliers. Houlà, non ! Toi, tu restes ici. Il m'attrape à bras le corps, me soulève pour m'asseoir sur le banc. Je le regarde en souriant. Non ! Pas bouger ! Je suis prêt à m'élancer sourire aux lèvres. Tu bouges, je t'assomme.

- Robert attends, laisse-moi juste passer.

Mammema passe devant moi avec le grand plat avec les rosbifs et derrière Sylvie et Gisou avec les frites.

- C'est bon Rémy, je me rends. Je vais juste me laver les mains.

Je me dirige vers la cuisine mais au niveau des escaliers je bifurque d'un coup et... bute contre Rémy. Nous rions tous les deux.

- Bon, tous les deux, soit vous êtes à table dans trente secondes soit vous ne mangez pas.

- Mammema, c'est la faute à Rémy, il m'empêche d'aller me laver les mains.

- Ah bin, ça, c'est la meilleure. Deux secondes plus tard, j'ai la tête sous le robinet d'eau froide. Oups, désolé !

Je sèche mes mains mais pas ma tête et lorsque j'arrive devant la table, je vais la secouer derrière Véro et Marthe qui bien sûr veulent me frapper.

Je m'assieds à ma place quand je vois Richard se lever.

- Bin, mon vieux t'es déchaîné.

- La faute à Véro qui m'a réveillé en voulant m'ébouillanter avec mon café.

Je souris en voyant Papapa secouer la tête amusé.





- Ah bin voilà, t'es très beau, mais tu n'as pas d'autres chaussures que des baskets ?

- Non.

- Tant pis, on fera avec. Oh mais si, tu prends ton pull.

Gisou me pose le pull col V blanc sur les épaules et fait un nœud avec les manches.

- Mais il fait quarante à l'ombre !

- Pas à minuit.

Richard me pose une main sur l'épaule et me glisse quelque chose dans la poche de mon bermuda.

- Pour t'amuser.

Je le regarde, il est habillé comme moi, bermuda bleu marine et chemise bleu ciel. Comme Rémy et Papapa, je trouve que ça fait un peu uniforme mais je le garde pour moi. En plus, je nous trouve débiles en bermuda mais on ne m'a encore une fois pas demandé mon avis.

Les filles et leurs mères ont des robes qui ne différent que par le tissu, celles des filles sont imprimées et celles des adultes unies. Coco elle, est en combinaison et a hurlé lorsqu'elles l'ont habillée car elle ne voulait pas qu'on lui mette une couche. Je me propose de pousser sa poussette mais Gisou me l'enlève rapidement, soit-disant que je fais l'imbécile avec elle et commence par vouloir me donner la main. J'accepte cinq minutes puis la quitte pour rejoindre les filles qui marchent devant avec leurs lampions éteints.

- C'est quand que vous les allumerez ?

- Quand ils auront été bénis.

- On va se taper une messe ?

- Une petite à la chapelle là-haut, et après on descendra au village où on les plantera tous ensemble puis on ira à la fête foraine.

- Votre père m'a donné du fric.

Véro m’interroge curieuse.

- Combien ?

Je sors le billet de ma poche.

- Cinquante.

- La vache, il est plus généreux avec toi qu'avec nous, c'est pas juste.

- J'y suis pour rien.

Isabelle prend ma défense.

- C'est parce que lui, ce n'est pas l'argent de Papa, c'est son argent à lui.

- Qu'est-ce que tu racontes ?

- Rien, un jour tu comprendras. Les filles, si on veut être devant faut se dépêcher. Allez viens, suis-nous.

Au-lieu de descendre vers le village, nous montons vers une petite église, celle où nous sommes déjà allés pour le premier novembre l'année dernière. Il y a déjà beaucoup d'enfants avec leurs lampions. Je suis content de ne pas en avoir un car j'aurais eu un peu honte, il y a surtout des moins de dix ans. Si Véro et Isabelle ne m'avaient pas tenu par la main, je crois que je me serais éclipsé.

Je cherche les parents, ils sont restés un peu plus loin. Richard tient le lampion de Coco, ça n'a pas l'air de le déranger, au contraire.

Il est presque vingt-deux heures quand le vieux curé sort de la chapelle.

Nous scandons un "je vous salue Marie" et il bénit tous les lampions lorsque les enfants défilent devant lui. Véro me gonfle car elle refuse de me lâcher la main et me traîne derrière elle comme un petit toutou, à la différence que ma laisse ce sont ses ongles plantés dans ma paume.

Lorsque j'arrive à me la décrocher, je me laisse distancer par le troupeau lumineux et me retrouve bientôt totalement à la fin de la procession.

Je découvre alors qu'ils ont éteint toutes les lumières du village et seules les lumières des lampions et de la fête foraine sont visibles.

Je lève les yeux vers le ciel.

Immobile, je reste émerveillé, une fois de plus par ce tapis d'étoiles. Du doigt, le bras tendu, je dessine les constellations qui s'offrent à mon émerveillement.

- Tu les connais toutes ?

- Oui plus ou moins. Là, c'est la constellation du capricorne et là du verseau.

- Tu es tout seul ?

- Non, suis avec ma famille.

- Tu es en vacances ?

- Oui mais on est originaire d'ici.

- Oh ! vous habitez où ?

Je ne réponds pas mais regarde la jeune femme qui m'interroge. Pourquoi me pose-t-elle toutes ces questions ? Nous sommes seuls, tout le groupe est presque déjà en-bas dans la vallée, on voit la lumière dansante des lampions éclairer les premières maisons. Avant qu'elle n'ait pu refermer sa main sur mon poignet, je me suis mis à courir. Elle n'est pas seule en fait, deux hommes l'accompagnent. L'un d'eux essaie de m'intercepter et sa main ne se referme que sur mon pull, je le lui abandonne volontiers et pique le sprint le plus rapide de ma vie.

Je bouscule des gens pour rejoindre les adultes et m’agrippe au bras de Rémy pour ne pas me casser la figure, il me retient de l'autre main.

- Oh la, tu sors d'où toi ? Richard !

- Où est ton pull ?

- Ils me l'ont pris ?

- Qui te l’a pris ?

Je reprends mon souffle et leur raconte.

Je vois Papapa qui file vers le groupe des porteurs de lampions.

- Toi, tu restes avec elles, compris ?

Alors là, il peut compter dessus, j'ai eu la frousse de ma vie, pas près de m'éloigner à nouveau. Les hommes eux, rebroussent chemin au pas de course malgré Gisou et Sylvie qui leur disent de ne pas le faire.

Nous rejoignons les filles qui font la gueule car Papapa leur a dit qu'on rentrait.

- Oh non pourquoi ? On veut faire des manèges, nous !

- Oui, moi aussi.

- Bon, mais nous restons avec vous. Personne ne s'éloigne, vous restez ensemble, compris ?

Elles veulent faire des autos tamponneuses. Je m'amuse autant qu'elles et monte à tour de rôle avec Véro ou une des jumelles. Lorsqu'on revient vers les parents, Richard et son frère sont de retour. Il me tend mon pull. Il me raconte qu'il a trouvé mon pull au milieu de la route, une voiture a roulé dessus mais ils n'ont vu personne.

- Toi, à partir de demain jusqu'à la fin des vacances, tu es puni.

Pour une fois, je ne me rebelle pas, j'ai eu trop peur.



Avec Richard et Gisou, nous laissons les autres remonter au chalet sans nous. Richard veut aller à la gendarmerie. Devant le bâtiment, les deux voitures sont prêtes à partir, gyrophares allumés..

- Messieurs, Dames, revenez demain, nous partons pour une urgence.

- Désolé mais notre fils vient d’échapper à une tentative d’enlèvement.

Sa réaction est immédiate, il me prend par le bras et se mettant à courir, m’entraîne derrière lui.

- Arrêtez-tout, on a peut-être un témoin et une description.



Je suis en train de finir de me déshabiller quand la porte de ma chambre s'ouvre sur Gisou. Elle m'arrache presque mon bermuda des mains et le jette sur ma chaise puis me plaque contre elle.

- Jamais plus, compris ? J'opine de la tête. En perdre un m'a suffit, tu comprends, pas un second ! Promets-le moi .

Non, je ne comprends pas ce qu’elle a perdu mais si ça lui fait plaisir.

- Oui promis. Je suis désolé.

Son regard cherche le mien, elle a un sourire triste.

- Tu as eu peur ?

- Oui.

- Et bien que ça te serve de leçon, les garçons comme toi, de ton âge,sont aussi des proies de choix. Je vais en faire des cauchemars. En tout cas, la gamine qui a disparu, qu’ils ont enlevée, ça aurait pu être toi. On ne la retrouvera sûrement jamais. Tu te rends compte qu’elle doit déjà être morte ou finir dans un réseau de prostitution. Pauvre gamine. Et tu aurais pu subir le même sort. Heureusement pour nous, toi, tu réussis à sortir de leurs griffes. Elle soupire. Bon et bien maintenant, couche-toi, j'éteins.

Blotti sous ma couette, je la regarde sortir et éteindre. Elle doit être vraiment bouleversée car elle ne m'a même pas demandé d'enlever ma montre.




J'ai du mal à m'endormir, car des scénarios de pire en pire défilent dans ma tête. Finalement, je me lève, enfile un pantalon jogging et descends dans la chambre des parents. J’ai envie de les réveiller. Je reste un moment debout devant Gisou, j’aimerais me glisser dans ses bras mais y renonce.  Je ressors.  Je reste un moment la main sur la poignée de la porte de la chambre des filles mais elles vont se moquer de moi. Au rez-de-chaussée, roulé en boule sur le canapé, je sursaute au moindre bruit. Finalement,  je remonte m’allonger sur le lit en quatre-vingt-dix de la chambre des parents et enfin arrive à m'endormir.

 

Le matin, ils seront surpris de me trouver là mais ne me feront pas la moindre réflexion.












13 octobre 2010

Robert dimanche 20 février 1977 Vérissimo

  Robert dimanche 20 février 1977 Vérissimo



Rémy secoue le bout de corde que je viens de nouer. 

- C'est quoi ce nœud ?

Je le regarde amusé.

- Bin un nœud !

Il lève les yeux au ciel en soupirant.

- Sacré réponse.

Richard pose les deux sacs dans le coffre de la voiture et ferme ce dernier.

- Tu veux qu'il te réponde quoi le gamin ? Que c'est une saucisse ? Il a fait un nœud donc il te répond un nœud.

- Et toi t'es une tête de... Là, j'ai presque le fou rire en voyant tous les autres adultes en train de charger les divers véhicules se retourner d'un bloc sur Rémy qui soupire. Quand tu es face à une bite comme celle-là… Quoi ? c'est le bon mot désolé !

Gisou secoue la tête et réagit énervée.

- Un taquet peut aussi faire l'usage.

Il hausse les épaules.

- Et filer des taquets à ton mari, je peux aussi.

Richard en souriant se met en garde, poings levés.

Je soupire.

- Vous êtes fatigants, mon nœud est très bien. Je veux juste un truc qui ne lâche pas.

Les deux hommes me regardent. Rémy défait mon nœud et me tenant par le bras, le refait d'une main.

- Tu as vu ? Bon et bien aux prochaines vacances je prévoirai de la corde.

Je le repousse en jouant l’effrayé.

- Hé, je ne veux pas que tu me pendes !

Rémy marque un temps d'arrêt.

- Mais non, pour t'apprendre à faire des nœuds comme un bon marin.

Richard claque des doigts, marquant sonorement son regret.

- Zut, j'aurais été débarrassé d'un seul coup du frère et du gamin.

Toujours un sacré sens de l’humour !

- J'suis con mais j'avais compris, je blaguais.

Je prends deux claques sur la tête.

- Et pourquoi moi, je prends des coups et pas vous ?

- Nous on les prend quand on est seul au lit avec nos femmes.

J'avoue que je regarde Rémy s'éloigner, un peu, comment dire, surpris et amusé par sa réponse.

 

Le retour est silencieux comme les autres fois.

Mais la différence réside dans le fait que Isabelle a pris ma place et moi la sienne et avec Véro, nous dormons, la tête appuyée à l'énorme rehausseur de Yvy.



14 mars 2010

Robert mercredi 14 janvier 1976 première fois

Robert mercredi 14 janvier 1976 première fois



Dimanche, Richard m’a annoncé qu’il m’a pris un rendez-vous chez un pédo psychiatre réputé sur Marseille à l’hôpital Sainte Marguerite.

- Tu dois y être à quinze heures donc nous partirons de suite après le repas. Mercredi à treize heures, je te veux dans mon bureau.

Il va sans dire qu’à l’heure dite, je suis planqué à l’opposé total de son bureau. Je ne veux pas y aller à son putain de rendez-vous.

C’est Gâche qui met la main sur moi dans l’atelier de chaudronnerie où le prof assez surpris m’a accepté.



Dans la 4L, je monte à l’arrière et me roule en boule sur le siège sans mettre la ceinture.

Il finit par s’arrêter sur le bord de la route.

Sorti sans douceur de l’habitacle et debout contre la voiture, je me fais secouer comme un prunier.

- Mais bordel, tu ne te rends pas compte que c’est pour ton avenir que je fais ça. Tes cauchemars, ta violence et certaines de tes réactions sont la preuve que tu dois te soigner pour guérir tes blessures. Car si physiquement tu vas bien, là-dedans. Il me toque sur le sommet du crâne comme s'il toquait à une porte. J’ai envie de lui dire :”Entrez !”. Et d’un autre côté, je ne suis pas d’humeur à plaisanter et encore moins à laisser qui que ce soit entrer dans mon cerveau. Il n’y a rien de régler. Alors si tu veux pouvoir devenir un jour officier et encore plus pilote, tu vas faire l’effort de te conduire en homme. 

Si je regardais mes pieds jusqu’à présent, là je lève mon regard vers lui. 

- Tiens, je croyais que je n’étais qu’un petit garçon ? 

Il soupire.

- Viens t’asseoir à l’avant. Il ferme la portière arrière et sans douceur me force à m’asseoir sur le siège passager où je m’affale plus que je ne m’y assieds. Attache-toi ! Dois-je le faire moi-même ?

Je souffle puis soupire à mon tour. Je clipse ma ceinture mais je garde mon regard fixe devant moi, les mâchoires serrées.

Ma portière claque faisant vibrer tout le léger véhicule.

Je ne peux m’empêcher de sourire en imaginant la voiture tomber en pièces comme la deux chevaux de Bourvil dans le film avec Louis de Funès.

Il redémarre et je m’aperçois que lui aussi sourit, je me demande à quoi il pense.



À l’accueil du service de pédopsychiatrie, il m’enlève le calot d’un geste énervé.

- Tiens-toi droit !

- J’veux aller aux toilettes.

Vu son regard, j’aurais dû me taire mais tant pis pour lui si je lui vomis sur les pompes.

La femme en blouse blanche qui vient d’arriver devant nous, me sourit. Il ferait bien de se décider. Mon haut le cœur les affole cette fois. Elle pose sa main sur mon épaule. J’ai un geste de rejet violent et je recule d’un pas puis me tourne pour me vider.

Il n’aurait pas dû m'emmener ici.

Je tremble. J’ai du mal à contenir mes larmes.

- Tu es malade ? Ce n’est pas grave ? Ça va mieux ?

Encore une fois, elle fait mine de me toucher, cette fois, je vais détaler mais il l’a prévu et me saisissant pas le bras, me plaque le dos contre lui.

- Voilà, pourquoi nous sommes là. Maintenant essaie de te calmer.

- Venez, vous mettre dans ce bureau, je préviens le docteur R… que vous êtes là.



Je ne suis pas mieux lorsque la femme revient nous chercher pour nous emmener dans un autre bureau où un homme en jeans, veste ouverte sur une chemise blanche fripée laissant voir des poils aussi bruns que ses yeux et que ses cheveux mal coiffés. L’homme aborde un grand sourire, serre la main du colon, puis me la tend. Je la lui serre aussi.

- La prochaine fois, veux-tu que l’on se voit ailleurs que dans le cadre de cet hôpital.

- Je ne veux pas d’autres fois.

- Bon ça c’est dit. Mon colonel, je vais vous demander de nous laisser seuls. Richard qui a toujours sa main sur mon épaule, la serre puis sort. J’entends la porte se fermer derrière moi. Tu peux t’asseoir si tu veux. Non je n’en ai pas envie. Debout derrière les deux petits fauteuils devant son bureau, je regarde fixement par la fenêtre. À l'extérieur, des petites montagnes grises de pierres, au-delà des toits de tuiles rouges. Alors, je sais que tu t’appelles Robert, Samuel, Adolphe Weissenbacher. Que tu es Alsacien. Tu arrives à supporter le Mistral lorsqu’il souffle comme aujourd’hui ?

Il parle, il parle, il parle. Mon cerveau l’entend, moi non, je suis là-bas… Sur la colline, je marche sur le sentier que je discerne entre ces buissons d’épineux rachitiques, je rêve de forêt de sapins, de chênes, de tapis de mousse et de champignons.

Il claque des doigts devant moi. Sans le regarder, je vais m’asseoir devant une table comme il me le demande.

Il place devant moi des feuilles et des crayons de couleurs.

Je souris, il veut que je dessine. Bien. Il ne va pas être déçu du voyage le gars.

Ma famille ? Je commence un personnage fil de fer mais je m’arrête. Quelle famille ? Je n’en ai plus. Je gribouille rageusement mon bonhomme et froisse la feuille que je lance dans la poubelle à deux mètres de moi.

Moi ? Me dessiner ? Je ne sais pas dessiner. Je réfléchis en le fixant à ce que je pourrais bien dessiner. Je le fixe. Il a comme le colon, un visage impassible. Lui aussi me fixe. Il n’est pas assis bien droit sur sa chaise en parallèle à la table. Il a les jambes croisées qui font remonter son pantalon en velours marron, sur des chaussettes noires. Rien n’est assorti dans sa tenue. En fait, il doit s’en foutre de sa tenue.

Son bras et sa main gauche sont bien à plat sur la table. L’autre est posé sur sa jambe pliée.

Moi, je suis assis bien droit, bien comme il faut. Les jambes ramenées sous ma chaises, les pieds croisés, les bras posés sur la table, un crayon noir dans la main droite, mon poing gauche fermé.



Puis je me mets à dessiner. Pas ce qu’il m’a demandé car je ne saurais pas le faire. Je lui dessine un avion. Un Mystère vingt. Je m’applique, je lui fais même sur l’empennage, une cigogne en train de voler. Je n’oublie pas de dessiner autour les nuages en crayonnant le fond de la page avec du gris et du bleu ciel.

Je lui tends ma feuille.

- Oh ! donc tu es un avion de chasse ?

- Non, je vous ai dessiné ce que je sais dessiner c’est tout.

- Mais quel rapport avec toi ?

- C’est ce que je veux devenir plus tard ?

- Un avion de chasse ?

Il est con ou il se fout de ma gueule ?

- Non, je serai le pilote à l’intérieur.

- Oh ! Et…






Lorsqu’il me raccompagne jusqu’à la salle d’attente où Richard est plongé dans la lecture d’un magazine féminin. 

Nous nous serrons la main et il me donne rendez-vous la semaine prochaine.



La tête appuyé à la vitre de la portière, les bras croisés contre ma poitrine, les jambes remontées, les pieds sur le siège,  je compte les poteaux qui bordent l’autoroute.

Richard, tout en conduisant, d’une main, me fait mettre les pieds au sol puis j’ai l’impression d’être un petit chien lorsqu’il a ensuite ce geste qu’ont beaucoup d’adultes de caresser la tête des plus jeunes. Je repousse sans douceur son bras et m’assieds en lui tournant le dos. 

- Oh désolé ! De quoi avez-vous parlé ?

- D’avions.

Je continue à compter…

- Oh ! Et c’est tout ?

- Il voulait que je dessine ma famille mais je ne pouvais pas et encore moins moi. D’une, parce que j’arrive pas à dessiner de personnages et parce que je n’ai plus de famille.

- Entraînes-toi.

Je me tourne vers lui, de quoi il cause ?

- M’entraîner à quoi ? A avoir une famille ?

Je me regarde amusé.

- Mais non, à dessiner des personnages.

- À quoi ça va me servir ?

- À devenir meilleur en dessin.

- Quel intérêt ?

Il secoue la tête avec cet air dépité que je lui connais bien. Mais si je le déçois tant que ça, pourquoi il persiste à s’occuper de moi ? Par devoir ?





- Tu joues à quoi ? Ils vont bientôt éteindre.

Claude, déjà en pyjama, la main gauche posée sur mon bureau, la droite sur mon épaule, regarde la feuille de dessin sur laquelle j’ai gribouillé des bonhommes informes.

- Je ne joue pas, faut que j’apprenne à dessiner. Tu crois que le prof d’art plastique du collège acceptera de m’aider ?

- Demandes-lui... ou à Xavier qui dessine pas trop mal. Ou alors... aux prochaines vacances, viens demander à Anaïs.

- Ah, ah, trop drôle !


















1 novembre 2010

Robert samedi 26 Mars 1977 vacances de Printemps 1

  Robert samedi 27 Mars 1977 vacances de Printemps 1

 

Claude debout à l’entrée de ma chambre me repose pour la troisième fois la même question.

- Bon t'es bien sûr, tu ne viens pas avec moi ?

- Non, parce qu'il vient avec moi !

Mon coude s'enfonce dans le foi du grand abruti qui a encore osé m'entourer de ses bras et qui se plie en deux en expulsant avec grand outch, l’air vicié de ses poumons. Le jour où il comprendra que je ne l'aime réellement pas, sera franchement un grand jour.

Claude, plutôt amusé, s'inquiète pour la forme.

- Ça va Marion ?

Ce dernier opine de la tête en se redressant.

- Mon cœur saigne mais sinon je m'en remettrai.

- Dîtes tous les deux, vous ne pourriez pas enterrer la hache de guerre une bonne fois pour toute.

Claude se retourne sur Xavier, son sac de voyage jeté sur l'épaule. 

Marion est plus rapide que moi pour lui répondre.

- Quand il m'aura dit je t'aime.

Je lui colle un coup de poing dans l’épaule qu’il se masse en sortant de la chambre.

- Quand il sera mort et enterré.

Jean-Charles qui suivait Xavier avec une grosse valise, nous désigne l’un après l’autre.

- C'est vrai que l'un pourrait être moins violent et l'autre moins…

Je me retourne d’un coup sur lui.

- Parce qu'il n'est pas violent avec moi, peut-être ?

Marion joue l’innocent en me regardant sourire moqueur aux lèvres.

- Moi, je suis la tendresse même. Un câlin ?

Xavier retient mon poing en se mettant entre nous.

- Vous êtes chiants l'un comme l'autre. Mais toi Marion, t'es lourd, y en a marre de vous supporter et de vous couvrir à chaque fois qu'il te démonte. T'en as pas un peu ras le bol de servir de punching-ball ?

Marion fait semblant d’essuyer une larme en s’éloignant avec son gros sac de sport bleu blanc rouge.

- Bon bin, l'incompris s'en va, ciao les fillettes.

Immédiatement suivis par les autres, je me retrouve seul à l’étage.

 

Miracle, la chambre est rangée, faut dire, depuis son retour de vacances en janvier où il s'est fait remonter les bretelles par Richard puis surveillé par Gâche, il s'est mis à ranger. Je finis l'inspection de la chambre puis saisis mes sacs. Celui du linge sale que je ne ramène pas à Madame Calliop mais à Gisou à sa demande et mon barda. Mais ce dernier me semble très lourd et plus gros que normal. Je l'ouvre.

Dedans, plus rien à moi, à la place de mes affaires que je retrouve sagement rangées dans mon placard, ce salopard y a fait rentrer son sac de linges sales. En plus, j'ai un mal fou à l'en faire sortir. Ce type est réellement un malade. Je vais poser le gros sac blanc dans le couloir. Rapidement, je le remplace par les deux pantalons et les deux pulls que j'ai ramené du chalet la dernière fois, ce, dûment vérifié par Gisou. Les pulls doivent encore m'aller par contre les pantalons, je crains qu'ils ne soient trop courts. Comme l'a dit Madame Calliop la semaine précédente, je ne devrais porter que des shorts ainsi ils ne me seraient jamais trop courts.



La porte de l'appart est fermée et personne ne répond quand je sonne. J'abandonne donc mes deux sacs devant la porte et n'emportant qu'une serviette et mon maillot, je file à la piscine.

Là-bas, c'est le pied car elle est pratiquement vide, je peux aligner les longueurs sans problème, tout comme me faire engueuler pour mon papillon que je ne maîtrise pas, ce qui me met dans une rage folle.

 

A dix-sept heures trente, je retourne à l'appart, mes sacs sont toujours devant la porte, je sonne mais toujours pas de réponses. Je reprends mon bien et redescends le cœur lourd. Au rez-de-chaussée, je vais vérifier la présence ou pas de la voiture. Hélas, il n'y a ni voiture, ni remorque sous l'abri à vélo.

Je passe déposer mon sac blanc à madame Calliop puis mon barda dans ma chambre.

Dans la salle de Perm, c'est le bronx. Pas de surveillant. La plupart des mecs sont assis sur les tables et le bruit est absolument dantesque. Je repère le “petit” Vivien seul dans un coin.

- Hello ! Pas parti en vacances ?

- Oh b'jour. Non, mes notes en maths c'est une vraie cata. Je n'y comprends rien. Pourtant avant, j'étais bon.

- Tu veux que je t'aide ? Des cours particuliers ? Moi, les maths j'adore ça. Et les autres matières ?

- Ça va, tant qu'il faut apprendre par cœur, je me débrouille.

 

Je devrais plus surveiller  mes arrières.

- Tiens c'est la femme du PD qui est en train de draguer. Tu les aimes plutôt jeunes.

Je suis appuyé sur les coudes à côté du gamin, je juge plus prudent de m'asseoir à côté de lui. Pour cela, j'en bouscule un des trois sans ménagement, en m'apercevant avec délectation que je suis aussi grand qu'eux.

Je décide de les ignorer.

- Vivien, il faut que m'apprennes à faire des origamis car je ne sais rien faire d’autre que les petits bateaux et les avions standard.

Un clac violent résonne dans la pièce, Gâche derrière le bureau sur l'estrade vient de casser une règle en deux.

Bizarrement, une seconde plus tard, le silence règne et tout le monde est assis sur une chaise.

Quand la sonnerie retentit, j'ai devant moi une armée de cygnes ou canards enfin... ce qui se veut être des cygnes.

- Mon garçon, tu as encore du boulot devant toi.

- Oui mon capitaine, je préfère les différentielles, mon cerveau fonctionne mieux que mes mains.

- Vous mettez tout à la poubelle en passant, compris ?

A la poubelle, mes œuvres d'art ? Il est fou.

- Je peux ?

- Oui.

Mes zozios dans une main, ceux de Vivien dans l'autre, je me dirige vers la sortie quand je vois les trois lustucrus s'approcher de lui.

De loin, je lui fais signe de me suivre.

- Viens, suis-moi.

En bas de mes escaliers, il s'arrête.

- Je n'ai pas le droit.

- Prends le gauche.

Dans le couloir, le sac de Marion a disparu par contre un post-it signé de Gâche est sur son armoire. Ça me démange de l'enlever.

- Wahoo vous avez trop de la chance d'avoir des chambres.

Il a posé son sac à côté de mon bureau et passe mes livres en revue.

- Ils parlent de construire d'autres bâtiments et donc avant nous à ton âge, tu auras ta chambre.

Il se tourne vers moi puis continue son inspection de mon bureau.

- Toi, tu es arrivé en sixième ici ?

Moi, je réfléchis devant la porte de l’armoire de Marion à quelle vacherie lui faire.

- Hélas non. L'année dernière, mais avant d'avoir une chambre j'ai connu l'horreur des dortoirs..

Le post-it reste mais se voit donner des copains, mes zozios. J'engage Vivien pour qu'il les tienne avec moi le temps que la colle prenne.

Quant à faire une bêtise, autant ne pas la faire seul.

Les cygnes de Vivien finissent dans mon sac car j'ai toujours un petit espoir de ne pas avoir été oublié.

 

Par contre, une fois mes conneries collées, on se retrouve à ne pas savoir quoi faire ou se dire, je lui propose donc de redescendre dans la cour. On se dirige vers l'escalier central quand quelqu'un siffle dans notre dos.

Oups ! Vivien ouvre des yeux comme des soucoupes et je le vois se décomposer en regardant Richard approcher.

- Ce n'est pas votre étage ici, jeune homme ?

Il s’est statufié.

- Non, mon colonel.

Il va pour saluer, je retiens son bras et lui chuchote :

- Non, il est en civil. Vas-y, descends, je m'en occupe, je lui mets une patate et il t'aura oublié.

Cette fois, c'est moi qu'il regarde halluciné puis disparaît dans les escaliers en courant.

Richard commence à lui crier : 

- On ne court... Je donne un grand coup de poing dans la porte à côté de moi et Richard me fixe surpris. Tu es sûr que tu vas bien ?

- Oui. Oui. Cette fois, je donne un coup de pied dans la balustrade en bois des escaliers qui répercute, j'en suis sûr, le bruit jusqu'en bas. Tu vois là, je suis en train de frapper le colon de l'école. Vais-je me faire virer ? A voir ?

- Mais t'es vraiment un grand malade.

Je lui fais un grand sourire moqueur.

- Oui pour ça que je suis enfermé dans cet asile de fous.

 

Nous traversons la cour au pas de charge, lui, me tenant par le col du blouson. Je me demande si Vivien nous voit.

 

A l'appart, il me pousse tellement fort que je me mange le mur face à la porte.

Gisou se précipite depuis la cuisine.

- Qu'as-tu encore fait ?

Je fais mine de ne pas savoir.

- Moi, rien.

Mais j'ai les bras levés et me glisse derrière Gisou. En même temps, j'ai le hoquet tellement je me retiens de rire.

- Je vais le tuer ! Gisou je vais le massacrer, en faire de la bouillie de ce gosse.

- Je peux t'aider si tu veux ?

L'intervention de Véro ne fait qu'aggraver mon fou rire. Gisou me pousse dans la cuisine en y traînant mon sac.

- Alors raconte ! Qu'as-tu encore inventé pour le mettre dans cet état ? Tiens, bois ce verre d'eau, il t'aidera à te calmer puis change-toi tout en me racontant.

Je me tais et finis d'enfiler mon pull puis mon pantalon.

- T'as vu ? Je vais aux fraises. Debout je lui montre mon jeans qui m'arrive presque mi-mollet. Et sans lui laisser le temps de réagir, je prends les ciseaux dans le tiroir et mon jeans est transformé en bermuda. Ta dam !

Elle met presque les mains sur sa tête catastrophée.

- Mais tu es fou ! Il a raison, je vais le laisser se défouler sur toi. J'espère que tu seras plus calme là-haut sinon on va encore souffrir avec toi.

Le mot "souffrir" me calme... un peu. Je m'en veux... un peu, et lui donnes les cygnes de Vivien en lui disant que ce sont les miens.

- Oh qu'ils sont jolis, je vais les mettre dans la vitrine du salon.

Je la suis avec mon sac rempli maintenant de mon uniforme mais devant la porte d'entrée Richard me fait signe de sortir tout en regardant mes jambes, l'air encore moins content qu'à notre arrivée.

Les filles sont déjà dans la voiture. Yvy est assise à ma place.

- Pourquoi t'es pas derrière ?

Elle me fait comprendre qu’elle n’y est pour rien.

- C'est toi qui y vas, ordre de Papa.

Ma surprise n’est pas feinte.

- Tu te fous de moi ? Avec Véro et Isa ? C'est comme charger une bombe nucléaire.

Véro opine de la tête avec ce petit sourire sadique et effrayant.

- Yvy a raison, en plus il a dit : vous le mettez au milieu de vous deux.

J’avais déjà mis un pied dans la voiture je le ressors.

- Ouais bin non. Je préfère encore rester à l'école.

J'ai l'impression de prendre vingt centimètres d'un coup et de voir Yvy devenir Flash Gordon tellement elle sort vite de la voiture.

- Alors, quand je te donne un ordre, tu obéis, quand vas-tu te le rentrer dans la tête ?

- De suite.

Je vais donc m'asseoir entre les deux filles qui ont un sourire qui ne me plaît pas du tout.

Pourtant, peut-être à cause de l'état de nerfs où nous sentons Richard, nous restons silencieux et j'essaie de me faire le plus petit possible ce qui devient quasi impossible.

Et nous passons les trois quart du trajet à papoter gentiment.

A l'aire d'Avignon, je demande poliment à reprendre ma place.

- Non !

Je ne sais pas pourquoi mais je n'ai guère envie de discuter.

 

Nous rejoignons Rémy et Papapa au village après Chamonix et Richard nous interdit de sortir car tout est blanc. Gisou nous dit de nous mettre les couvertures sur nous car il fait froid surtout qu'il est facile plus de vingt-deux heures. Là, par contre, je me dispute avec les deux chieuses qui ont les mains froides et veulent absolument les mettre sous mon pull ou dans mes manches car je suis soit disant tout chaud.

- Mais laissez-moi être chaud tranquille. Vous me gelez par contre. 

Richard ouvre d’un coup sa portière.

- Ah non, vous n'allez pas commencer. Prenez plutôt les petites avec vous pour leur tenir chaud. Et bientôt nous voyons débarquer les cousines au grand complet avec leurs couvertures.

Nous couchons totalement les sièges de la première banquette et tels des anchois, couchés sur le côté sauf Coco et Fanfan couchées sur la dernière sous deux couvertures. nous nous y entassons et recouverts par toutes les couvertures sauf une roulée en traversin, nous essayons de dormir.  

Mais Maï et moi, nous nous plaignons de deux choses : de ne pas avoir assez de couverture et les poignées des portières incrustées dans notre dos, alors Isabelle arrange différemment les couvertures de façon qu’elles viennent dans notre dos pour mieux nous protéger.




2 novembre 2010

Robert Dimanche 27 Mars 1977 chasse neige

 

Robert Dimanche 27 Mars 1977 chasse neige

 

C'est le moteur qui a du mal à démarrer qui nous réveille.

Il est deux heures.

L'humeur de Richard est encore pire et je ne suis pas le seul à prier pour que Gisou arrive à le calmer.

 

Devant nous, il y a un chasse-neige et je comprends dans les échanges entre eux que la route qui montait à la chapelle n'a pas été déneigée car non importante pour la mairie mais que du coup, nous n'avons pas accès au chalet non plus.

Par contre, si le chasse neige continue tout de même jusqu'au bout de cette route qui est en fait une simple boucle allant du village au village et permettant l'accès à la chapelle mais aussi à quatre propriétés comme la nôtre, il n'ira pas jusqu'au pied de la maison et ce sera à nous de nous démerder.

Papapa est d'avis de repartir mais pas les jumeaux au grand dam de leurs femmes.

 

Et donc, nous voyons s'éloigner le chasse-neige et les parents sortent pour discuter de ce qu’ils vont faire.

Les filles râlent quand j'écrase un doigt ou deux en passant à l'avant pour sortir les rejoindre. 

Ils sont tous les six tournés vers le chalet. J’ai froid pour Gisou qui si elle a de grosses chaussures de montagne et un grand manteau à capuche mais est en jupe et comme les autres piétine pour ne pas geler. A côté d’elle, Richard a le bonnet enfoncé au maximum, col relevé et mains dans les poches. Rémy lui tient Sylvie serrée contre lui. Sylvie qui contrairement à sa sœur est en pantalon. Mammema qui ressemble à un bibendum tellement elle de vêtements sur elle, frotte le dos et la poitrine de son homme qui mains dans ses poches semble s’être tassé et exprime son découragement à ses fils.

- Richard, Rémy, il y a cinquante mètres à déneiger et pour ça il faut : que quelqu'un aille allumer le chalet, toutes les pièces en ouvrant les volets pour nous éclairer et nous ramène au moins trois pelles qui sont à l'avant du garage et donc entrer dans le garage, aller jusqu'aux pelles et les ramener en passant au-dessus de tout le bordel. J'en ai ras le bol, là. Je n'ai plus votre âge, les gamins.

Aucun d'eux ne fait attention à moi.

Je continue sur la route jusqu'à être au-dessus du chalet, là je coupe tout droit. La neige entre dans les jambes de mon bermuda et bientôt je ne sens plus ni mes pieds ni mes jambes, pas plus que mes mains.

L'été, ce passage est plus facile et j'ai peur de me paumer mais la lune a la bienveillance de m'éclairer et fixant le toit rouge, j'arrive enfin au-dessus du chalet. Par contre, si l'été c'est aussi très facile de descendre la falaise de granit, là mes doigts refusent de me tenir correctement et je fais une superbe chute dans la neige qui heureusement est tombée durant la nuit et continue à tomber..

Sous le préau, grimper pour prendre les clefs est une épreuve de force car mes doigts gelés refusent de me tenir.

Dans la maison, je grimpe au dernier étage et j'ouvre les volets en laissant la lumière allumée. et je fais ça jusqu'au rez-de-chaussée. 

Je m'autorise à allumer les cheminées et devant celle de la cuisine je change de vêtements, enfile la salopette de ski que je viens d'aller prendre dans l'armoire des parents et un blouson qui est à Sylvie je crois, mais je m'en fous car je suis gelé. Par contre, je suis obligé de remettre mes baskets avec deux paires de chaussettes ce qui me comprime les pieds mais j'espère que ça les protégera tout de même un peu du froid.

Maintenant les pelles. La clef pour la porte du garage sous le préau est planquée comme celle de la maison mais là j'ai la flemme et l'échelle m'y donne accès sans avoir à grimper.

C'est la partie qui m'amuse le plus sauf quand un truc tout doux fout le camp sous ma main et j'avoue, je hurle et après je me mords la lèvre pour pouvoir continuer.

Je ramène les cinq grandes pelles qui sont super encombrantes et lourdes.

Je retourne ensuite au fond du garage pour récupérer une luge en bois, que j'ai du mal à déplacer tellement elle est lourde et encombrante. J'y colle les pelles dessus puis mes fesses et arrive tout content de moi jusqu'aux parents qui ne m'accueillent pas comme je le prévoyais. Papapa me fait me lever et Sylvie avec Mammema tirent la luge sur le côté.

Devant les voitures, je vois Rémy et Gisou tenir Richard

- Dis-moi garçon, tu sais quel âge j'ai ?

- Non.

- Soixante-neuf et ton père ?

Mon père ? Oh, Richard !

- La quarantaine.

- Oui, et c'est presque trois fois ton âge. Quand apprendras-tu à demander la permission avant de faire quelque chose ? On avait décidé de renoncer. Et là, il va falloir y retourner pour tout éteindre et tout fermer et accessoirement tout ranger.

- Je vais le faire.

Il agite ses mains sous mon nez.

- Oh non ! toi, tu en as assez fait !

- Papa, il y a le chasse-neige qui revient, on doit dégager la route. On reviendra plus tard, prenez-le avec vous sinon je crois que Richard va le tuer et je ne pourrai pas le tenir éternellement.

Mammema me fait entrer dans leur cabriolet. Richard est entré dans sa voiture et a commencé à reculer, suivi par Rémy puis nous mais le camion nous fait des appels de phares.

 

Le conducteur descend et Papapa va à sa rencontre. Quand il revient, il a le sourire mais semble furax tout de même. Il continue jusqu'à la voiture de Rémy puis revient s'asseoir à sa place, pendant que Rémy court jusqu'à la voiture de son frère.

 

- Il m'a proposé de déneiger jusqu'à la maison pour mille francs. J'ai dit oui.

- Mais c'est du vol et je parie que c'est pour sa poche.

- Bien sûr, mais au moins le gamin ne se sera pas décarcassé pour rien. Il se tourne vers moi. Par contre un conseil, dès qu'on est arrivé, tu disparais dans ta chambre et on ne te voit plus, tu as bien compris ?

J'opine de la tête. De toute façon, là, je n'ai pas du tout envie de me retrouver face à Richard.





J'ai faim, j'ai soif et envie de pisser. Il est dix-huit heures, je n'ai pas le choix, je dois descendre. Et puis je n'ai pas mon sac.

Dans l'armoire, je trouve un pull et un pantalon dans lesquels je rentre mais trop courts tous les deux. Je décide de rester en tee shirt et pour le pantalon, je lui ferais bien subir le même sort qu'à mon jeans mais je ne trouve pas de ciseaux.

En bas, je ne m'arrête pas deux secondes dans la grande pièce. Mais en passant dans la cuisine, je pique des ciseaux et une fois fini de pisser, je coupe les jambes de mon pantalon.

Lorsque j'ouvre la porte, je suis face à Richard. Je reste pétrifié.

- Bon tu sors ? Crois-tu être le seul à avoir l'usage des toilettes ?

Quand je rentre dans la cuisine, j'ai les jambes en coton.

- Oh non, tu as recommencé ? Mammema m'arrache les ciseaux et les bouts de tissus des mains. Mais arrête, arrête ! Qu'est-ce qu'on va faire de ces pantalons maintenant ?

- Bin je vais les mettre.

Mais quand j'entends la porte s'ouvrir dans mon dos, je remonte quatre à quatre dans ma chambre.

 

- Debout, et essaie ces pantalons, en longueur, ils devraient t'aller, je t'ai amené une ceinture. Mais je te préviens, si tu coupes encore un pantalon, ce sont tes doigts que je coupe compris ?

- Mais Gisou, je les mettrai cet été.

- Si tu entres encore dedans.

- Ils seront juste plus courts.

Elle soupire.

- Nous verrons. Mais là, nous sommes en hiver. Bon et bien voilà, et deux pulls. Mais arrête-toi avant de faire deux mètres cinquante d'accord ? Maintenant, viens,  à table.

 

À table, je me glisse entre Isa et Maïté.

Rémy s’adresse, moqueur, à son frère.

- Richard, on dirait qu'il y en a un qui te fuit.

- Il peut.



Et bizarrement, j'attends qu'il monte coucher Coco pour vite dire bonsoir à tout le monde et monter dans ma chambre. Hélas, je ne suis pas assez rapide. Mais quand je le croise dans les escaliers, il ne me calcule même pas et descend sans même un regard.




















4 novembre 2010

Robert mardi 29 Mars 1977 pneumonie suite

Robert mercredi 30 Mars 1977 pneumonie suite



Je tourne la tête vers la porte qui s’ouvre, prêt à envoyer chier Gisou, que je ne l’ai plus vue depuis hier.

- Hello ! Comment vas-tu ?

- En train de mourir.

Le docteur sourit amusé.

- Je n'espère pas car sinon je serais un bien mauvais médecin. Désolé de te réveiller mais je voulais te donner moi-même tes médicaments. Je ne vois pas pourquoi mais bon. Le liquide dans le verre est infecte mais je crois que je n'ai pas trop le choix. Par contre avaler les cachets c'est plus dur car j'ai toujours la gorge en feu et l'impression qu'elle est gonflée. Voilà, c'est très bien ! ce n'était pas si dur ? Le regard que lui offre le fait sourire. A midi, tu es sage et tu les reprends sans trop râler, ne m'oblige pas à revenir. Même, si, Michel, je crois, vivrait volontiers ici. A midi, ta mère te donnera de la purée sans lait avec du poulet mixé et ce soir pareil. Demain, nous verrons comment tu seras.

 

Je le regarde sortir.

J'ai moins froid pourtant je grelotte, c'est abominable. Je ne sais pas quelle heure il est, et je ne trouve pas ma montre. Oh et puis, je m'en fous ! J'ai sommeil.

 

- Réveil bonhomme !

- Non dehors !

Oups ! J’ai réagi trop vite, ce n’est pas elle.

- Encore une fois, je ne sortirai que lorsque tu auras pris tes médicaments. aller hop, assis !.

J’obéis au ralenti, avec un air de chien battu. Papapa à côté de mon lit soupire.

- Pour te faire plaisir parce que c'est toi !

Je crois que je l’amuse autant que je l’épuise

- Ça, c'est gentil. Et tu vas essayer de manger un peu.

Médocs avalés, je me couche en lui tournant le dos. Je n'ai pas faim, juste sommeil, envie de dormir et encore dormir.



Quelle heure est-il ?Je soupçonne l’heure des médocs, vu l’homme qui me surplombe.

Le docteur me tend le thermomètre.

- Bonsoir mon grand, Je dois encore t'embêter. Tiens prends ta température. Je souffle, soupire mais obéis. Comment tu te sens ? Tu as beaucoup dormi ?

- Je crois que je n'ai fait que ça.

Il croit quoi, que je suis allé courir un marathon ? Dés fois, je te jure….

Je lui rends son instrument de torture. 

- Ah oui, elle a bien baissé, je vais te laisser sous valium pour la nuit et demain fini, d'accord ?

Ai-je le droit à la parole ? Ai-je le choix ? Non ? Donc pourquoi il me le demande ?

- Si vous le dîtes.

Il me tend le verre avec l’antibio, des cachets puis un autre très grand verre avec dedans un liquide épais avec un goût de chocolat hyper chimique mais meilleur que l’autre.

- Maintenant, tu prends tes médicaments et ce mélange protéiné puisque tu ne veux ni manger ni boire pour lutter contre la déshydratation. Tu ne veux pas faire pipi. Je secoue la tête. J'ai l'impression d'être un tout petit bébé. Tu devrais bien dormir jusqu'à demain matin. Bonne nuit mon grand. A demain.

- Bonne nuit docteur !

Oh purée, j'ai l'impression d'avoir du coton dans la bouche ou la langue tellement gonflée que je n'arrive plus à parler, une horreur ! Mais le tournicoti qui me tenait compagnie depuis quelques jours, a disparu.



10 novembre 2010

Robert Lundi 4 Avril 1977 retour à la normal

Robert Lundi 4 Avril 1977 retour à la normal

 

Ils sont tous en train de déjeuner, même les grand-parents qui pourtant à cette heure-ci, il est huit heures, sont debout depuis au moins deux heures.

Tour de table rapide du matin.

Je termine par Véro.

- T'es pas venu hier soir, je t'ai attendue, j'ai dû faire ça tout seul.

J'évite son coup de coude d'un élégant déhanché puis direction la cuisine.

Sur l'évier, posée à l’endroit la bouteille de calva. A côté, un paquet de bougies. J'en prends une et retour dans la pièce d'à côté. Non, juste à l’entrée et brandissant la bougie à bout de bras.

- Puis-je me servir de cette bougie ? Puis sans attendre je dis en changeant un peu ma voix en plus grave : “Mais bien sûr mon garçon, tant que tu ne mets pas le feu à la maison.” Puis avec ma voix normale : Merci Richard !

Retour dans la cuisine.

Je rince la bouteille de calva jusqu'à ce qu'elle ne pue plus l'alcool. Puis j'allume une allumette et fais chauffer le cul de la bougie au-dessus du goulot de la bouteille, je l'affine jusqu'à ce que je puisse le faire entrer dedans. 

Je me retourne mon mug et ma bouteille à la main vers la cafetière pour me servir. A la porte de la cuisine, Gisou, Richard et Papapa m'observent.

- Quoi, je n'ai plus le droit de me servir du café ?

Il est devant les autres bras croisés, dans son attitude de “colonel”.

- Que vas-tu faire de cette bouteille ?

- Rien Richard !

Il insiste.

- Alors pourquoi ?

En passant je m’arrête devant lui, mon mug dans ma main droite, ma bouteille se balançant au bout de mon bras gauche.

- Pourquoi quoi ?

Là, je sens que j’ai intérêt à prendre le large mais c’est lui qui d’un coup fait demi-tour jusqu’à la table.

- Oh et puis zut ! Papa, aux prochaines vacances, je le laisse à Aix.

Papapa cache son envie de rire en toussotant et tape sur l'épaule de son fils.

Je vais m'asseoir à côté de lui là où était assis Papapa avant, qui récupère son bol pour aller s’asseoir ailleurs, non sans m’avoir largué une petite tape sur la tête au passage. Je pose la bouteille devant moi.

En face de moi, de sa cuillère, Rémy me montre mon bougeoi.

- Tu crains des coupures de courant ? Parce que sinon, il y a un générateur à essence dans le garage pour le cas où.

- Non Rémy, juste un souvenir.





Cette fois c'est Richard qui accompagne Papapa pour m'acheter une tenue de ski.

Sur la porte du magasin, une affichette indique qu'ils recherchent un vendeur.

- Bonjour Monsieur, peut-on vous aider ?

- Oh oui, bonjour Madame; mon fils ici présent, voudrait savoir si comme vendeur vous prenez des apprentis?

Je souris à la brave dame en soupirant, me retenant de dire à Richard que je le trouve lourd.

- Mais pour l'instant, on se contentera de l'habiller pour l'hiver.

Papapa n'est pas mieux avec ses commentaires sur tous les vêtements que je regarde.

Je décide donc de me passer d'eux. Cette fois, pas de couleurs flashies mais des teintes plus discrètes.




- Je peux t'aider ?

Alors vu le sourire et les yeux bleus qui accompagnent cette question, je serais fou de refuser.

- Oh oui et je veux la totale. Elle penche un peu la tête vers le côté, sûrement un peu désarçonnée par ma réponse. J'ai envie de rire mais je me contente de sourire. Une salopette, un blouson, des après-ski et des moonboots. 

Surtout des moonboots, j’y tiens à mes moonboots. Pourquoi ? Si j’avais dix ans, je vous dirais pour faire semblant d’être un spationaute mais j’en ai seize et je rêve simplement d’être aussi fun que les autres gars de mon âge que je peux voir avec. Et parce que Caths en avait…

- Oh d'accord ! Tu connais ta taille ?

- Pour les pompes du quarante-cinq sinon, non. Je ne sais pas du tout.

- Alors viens avec moi, tu vas en essayer plusieurs. Tu veux quelque chose de mode je pense, pas trop Pépé.

- Quelque chose de pratique, de chaud et de pas trop voyant.

Elle avance dans les rayons devant moi, je fixe ses fesses rondes qui ondulent, elle me surprend en s’arrêtant d’un coup pour se tourner vers moi surprise.

- Ah oui je vois. Passant ses doigts dans ses cheveux, elle les rejette en arrière tout en me regardant des pieds à la tête avec une moue dédaigneuse puis elle se fait moqueuse. On va aussi, si tu le veux bien, regarder pour un jeans à ta taille.

Je crois que si elle me le proposait, je prendrais tout le magasin.

Elle me fait choisir entre une salopette matelassée et une dans un tissu élastique bleu marine que je choisis de suite.

Elle m'abandonne dans une cabine d'essayage.

- Tiens, enfile ça dessous. Richard me passe une boîte avec de caleçon long en laine. Sinon, je vais me faire exploser par ta mère.

La vendeuse lui prend des mains, amusée.

- Monsieur, excusez-moi, mais je crois que cette taille lui sera trop grande et il existe maintenant des modèles plus agréables à porter. Attendez, je vais vous montrer. Elle revient deux secondes plus tard et me tend une paire de caleçon long bleu marine dans un tissu tout doux. Ceux-là, il pourra les porter directement sans que ça gratte.

Et à nouveau, elle a un petit sourire en me regardant les enfiler. En sachant que j'ai renoncé à refermer le rideau que Richard a ouvert, m'exhibant en slip avant de m’abandonner.

- Bon comme t'es entre de bonnes mains, on te laisse, tu nous diras quand tu auras trouvé tout ce dont tu as besoin, ton grand-père veut fumer alors nous t'attendons dehors.

 

- C'est ton père et ton grand-père ? Tu ressembles beaucoup à ton père, je trouve.

- Heu, ah ! merci.

- Ah bin voilà, elle te va bien. Elle a l’air sincère mais j’aurais aimé me voir dans un miroir. Tu veux qu'on voit pour un jeans ? Elle ne me laisse pas le temps de lui répondre. C'est ton père qui t'achète tes vêtements ? Non, parce que franchement, ne le laisse plus faire, il t'habille comme lui, une véritable horreur ! Elle commence à s’éloigner. Moi, j’enlève la salopette. Elle revient sur ses pas. C'est comme ces slips, le jour, tu vas te déshabiller devant une fille, elle va franchement se foutre de toi. Là, je crois que je me liquéfie et en même temps, je prends des couleurs. Et je les ai gardées à son retour. Elle me tend un pantalon. Tiens, essaie ce jeans. Puis se met à rire. Mais non, sans le caleçon tout le même. Mets plutôt un de ces boxers.

Elle a tiré le rideau. Le miroir enfin découvert en face de moi, me renvoie l'image d'un ado trop maigre en caleçon long avec dans une main un jeans et l'autre un boxer bleu marine lui aussi. Un frisson me parcourt l'échine et je pose les deux sur le petit fauteuil en rotin puis me dépêche de lui obéir angoissant qu'elle n'ouvre ce maudit rideau et ne me voit en mon plus simple appareil.

 

Le boxer me va bien, c'est vrai que je me trouve moins ridicule qu'avec mon slip blanc réglementaire. Quant au jeans par contre si en longueur il me va, niveau taille, il m'est trop grand.

Elle est de retour mais n’ouvre pas le rideau.

- Alors ? Je peux ?

Je déglutis.

- Oui

Elle fait coulisser le lourd rideau noir.

- Ah oui, quand même. Enlève-le, je reviens... Tiens, essaie celui-là, il est élastique. Elle ne bouge pas alors je renonce et enlève le premier et enfile le second qui lui me va bien et même me colle. Et bien, voilà, parfait ! Elle me fait tourner devant elle. Tu devrais faire mannequin, tu as de très belles fesses, ne les cache pas.

Là, c’est moi qui aimerait me cacher et c'est fou comme je trouve qu’il fait chaud dans cette cabine.

 

Quand je vais chercher Richard et Papapa pour payer, Papapa est seul, Richard est allé faire une course.

En présentant sa carte bleue, il ne peut s’empêcher d’exprimer sa surprise.

- Hou là, tu as dévalisé la boutique ?

La jeune femme sourit en me regardant.

- Non, il a été très sage mais je lui ai conseillé des vêtements un peu plus «jeunes» que ceux qu'il portait en arrivant.



Je pose mes moonboots devant la cheminée en tenant serré sous mon bras le sac en plastique contenant mes autres achats et le pantalon de Gisou.

Quand je redescends dix minutes plus tard, j'ai mis mon nouveau jeans. Je pose ma salopette de ski sur le dossier du canapé comme les autres puis vais mettre le pantalon de Gisou et mon slip dans la machine et rejoins les filles qui ont sorti un jeu que je ne connais pas.

Un tapis plastique avec des ronds de couleurs.

- Tu joues ? C'est facile il suffit de mettre les mains et les pieds où on te dit.

C'est vrai que c'est drôle mais on ne peut jouer qu’à quatre. Nous décidons que celui qui tombe ne joue plus au tour suivant pour laisser sa place à un autre joueur.

C'est Maïté qui tombe la première puis moi. Les tours ne durent pas longtemps car on triche en se poussant les uns les autres. Mais on s'amuse bien car dès que l'un de nous lâche, on se laisse tous tomber avec lui. Mais Gisou finit par intervenir car nous ne laissons pas jouer Yvy que nous jugeons trop petite.

Mais jouer avec elle c'est moins drôle car il faut faire “attention”...

Entre deux parties, nous sommes assis côte à côte par terre contre le canapé, Véro me chuchote à l'oreille :

- Il te va bien ton nouveau jeans, il te fait un joli cul.

- Je sais, c'est ce que m'a dit la vendeuse et c'est pour ça que je l'ai pris, pour pouvoir tomber plein de filles.

- Elles vont surtout avoir envie de te l'enlever.

- Cool ! Aïe ! Aïe !

Notre entente n'aura pas duré toute la soirée, et je fuis Véro en riant pour me planquer derrière les mutter.

- Véronique viens donc nous aider à mettre la table et toi vas aider les hommes à rentrer du bois. Les autres rangez vos jeux s'il vous plaît.




Lorsque j'embrasse Véro pour lui dire bonsoir.

- Tu viens m'aider à l'enlever ?

Heureusement qu'elle est la dernière car je la fuis en montant les escaliers quatre à quatre.

 

La porte s’ouvre devant elle. Pourquoi suis-je tout de même surpris ?

- Alors, faut que je t'aide ?

- T'es folle ? Si les parents montent, tu vas nous faire tuer.

- Je pars dès que tu l'as enlevé.

- T'es chiante ! Sors !

- Pff tu n'es qu'un dégonflé. Le jour où une autre fille te le demandera, tu refuseras aussi ?

Je soupire et l'enlève.

- Maintenant dehors ! Mais elle fixe maintenant  une certaine partie de mon individu devant laquelle je mets le jeans que j'ai encore dans les mains. Dehors ! Sors !

- Depuis quand tu ne t'habilles plus comme Papa?

Je souris amusé.

- Ça me va bien ?

- Très mal, tu devrais l'enlever aussi.

- Ah ah ah !

Cette fois j'en ai marre, je jette le froc sur le lit et veux la mettre dehors. J'arrive à ouvrir la porte mais elle me pince, me mord mais j'arrive en la soulevant à bras le corps à la mettre sur le palier mais c’est sans compter avec ses mains baladeuses. 

Là, surpris, je la repousse d'un coup, ce qui la fait tomber dans les escaliers. 

Elle se retient à mon pull et m'entraîne avec elle, je bascule en avant la tête la première. 

Heureusement les escaliers sont très étroits et j'arrive à saisir la corde, ce qui arrête notre chute. mais quand je veux me redresser, elle me mord au niveau des poignées d'amour. Je lâche alors la corde pour la  faire lâcher et me retrouve couchée sur elle qui est sur le dos en travers d'une marche, un peu écartelée, une jambe vers le bas et une vers le haut. Je pose mes deux mains à côté de son pied deux marches plus bas qu'elle, mais je ne peux pas plier les jambes sinon je lui entre mes genoux dans les côtes et le ventre.

Nous nous mettons tous les deux à rire et ça ne nous aide pas.

En plus cette chieuse me pince les fesses que j'avoue, elle a sous le nez. Mais lorsqu’elle soulève la ceinture de mon boxer, je veux enlever sa main mais appuyé plus que sur une main, je me retrouve déséquilibré et je m'écroule réellement sur elle.

Une petite voix venant du bas des escaliers nous fait lever la tête vers elle.

- C'est quand même un drôle d'endroit pour jouer au twister.

- Yvy pitié n'en rajoute pas.

Et on repart dans le fou rire. Véro me repousse des deux mains.

- Enlève tes fesses de ma figure.

- Mais alors lâche-moi !

Finalement elle me laisse remonter mes mains d’une marche et je peux à nouveau saisir la corde pour me redresser et l'aider à se lever mais quand elle veut se mettre debout, elle se met à crier : “ma cheville !”

Alors je la prends dans les bras et la porte jusqu'en bas et la pose sur le canapé.

- Elle est tombée dans les escaliers.

Mammema est la première à venir devant elle.

- Et vous faisiez quoi dans les escaliers ?

Yvy passe derrière moi en s’éloignant vers la cuisine.

- Ils jouaient au twister !

- Yvy !

Et nous explosons de rire Véro et moi.






1 décembre 2010

Robert lundi 30 Mai 1977 anniversaire

   Robert lundi 30 Mai 1977  anniversaire 



Se lever.

Ouvrir les rideaux occultants et voir qu'il pleut. C'est le pire truc au monde.

Cela veut dire faire le lever au drapeau sous la pluie avec cette cape ridicule puis se la trimballer toute la journée dès qu'on doit sortir.

Évidemment, la strasse ou les rats n’ont pas de cape. Mais eux pourront enlever leur blouson et le faire sécher devant un radiateur… explication donnée par notre cher colon. Gna, gna, gna.

Déjà cette nuit, j'ai mal dormi et je suis de mauvais poil d'ailleurs Marion même pas levé en a fait les frais. C'est simple, ce matin tout me tape sur le système.

- Putain, pourquoi j'ai tes pompes devant mon lit ? 

Je le vois lentement se lever sur un coude les yeux mi-clos.

- Parce que mon lit est à côté du tien. Le coup de pied dans les pompes,  les envoie valser contre son armoire. Oh la, on se calme !




Je passe dans le rang, vous ai dit que j’étais de mauvaise humeur ce matin ? Ah oui. Et bien mes camarades de classe, en font les frais malheureusement pour eux. D'habitude je suis tatillon, mais là, c’est encore pire.

- Ton calot ! T'as vu tes lacets et tes pompes sont dégueulasses.

- Il pleut.

- Et alors ça t'empêche de les cirer ?

Yann se permet une remarque.

- Sully ne répond rien sinon le roquet va te mordre.

Le roquet se retourne sur Morvan mais Xavier me siffle doucement. 

Je reprends ma place car Richard remonte les rangs. J'ai droit à un regard noir et mon calot vole. Derrière moi, j'ai droit à des rires étouffés. Oui, bon, j'avais pas la capuche de ma cape. Maintenant, c'est malin, mon calot est trempé et boueux. Je le déteste !

Gâche me montre sa main ouverte de dos. Cinq tours ? Sous la pluie ? Fait ch... ! Derrière moi ça rigole encore.

- Spé, aucun absent !

Pour l'instant du moins, car si ça continue comme ça, je vais en envoyer un ou deux à l'infirmerie.

Au mess, je vire Autret pour m'asseoir à sa place, à lui le plaisir du service, il n'avait qu'à pas rigoler.

- T'as quoi ce matin ?

- Je sais pas. L'impression d'être à l'étroit dans ma peau.

- Tu aurais dû te branler ce matin, ça t'aurait fait du bien.

Je regarde Bachelet par en dessous.

- Qui te dit que je ne l'ai pas fait ?

Andréani ricane.

- Il n'a pas dû arriver à finir.

Je fusille Andréani du regard car toute la table se marre.

- Très drôle, les obsédés.

Ma réponse provoque une nouvelle salve d'hilarité qui s'arrête net d'un coup. Le colon debout se dresse en bout de table.

- Peut-on partager votre bruyante bonne humeur ? Nous sommes tous debout dans l'instant, nos bancs glissant sur le sol en grinçant dans la salle silencieuse. Notre réaction a l'air de l'agacer. Assis ! Alors messieurs ?

Nous échangeons des regards gênés.

- Nous nous moquions de Weissenbacher qui, ce matin, n'a pas réussi à péter.

C'est bon, cette fois, je sais qui partira à l'infirmerie en premier car quel garçon ici, ne sait pas ce que cache ce verbe. J'ai envie de mourir.

- Et bien Jussieu vous continuerez votre rôle de cafard en nettoyant les sanitaires, le cinquième sur qui cela devait échoir ce matin, vous en remercie. Weissenbacher quant à vous, allez donc effectuer la punition que le capitaine vous a donnée. Un peu d'eau fraîche vous calmera les nerfs. Quant aux autres, faîtes en sorte que je ne vous entende plus.

 

Je remonte trempé me changer et remettre mon uniforme. Si j'attrape la crève, je me ferai en plus engueuler, ras le bol ! Par contre, derrière une certaine baie vitrée du rez-de-chaussée, j'ai aperçu une bouteille sur un rebord de fenêtre. Est-ce pour ça ma nuit agitée ?

 

A pendant la récré de dix heures, je m’autorise un petit tour en cuisine. Jules m’accueille avec un lancé de trognons de brocoli.

- Firmin, vous savez qu'aujourd'hui, c'est l'anniversaire du colon ?

- Ah non, tiens ! Et alors ? Pourquoi tu viens me le dire ? Tu veux que je lui fasse souffler ses bougies ?

Je sens tellement d'animosité de sa part que je fais demi-tour et m'en vais. Lui aussi n'a pas dû réussir à péter ce matin.

 

A midi, j'embarque Vivien et d'autres de différentes classes que j'arrive à convaincre dans mon idée folle.

Je ne sais pas pourquoi Mademoiselle Dionis m'a à la bonne, je passe la voir à l’intercours de onze heures.

- Ah te voilà toi. Ta bouteille l'a bien fait rire.

- Il n'avait pas l'air furieux ? En colère contre moi ?

Elle sourit en faisant la moue.

- Si, il a dit qu'il allait t'étrangler un jour mais ça, ce n'est que du très habituel. Tu veux le voir ?

- Non, c'est vous, que je veux voir. J'ai encore un service à vous demander.

Son sourire s’agrandit.

- Je vais finir par me faire payer.

- Si vous voulez.

Là, ce n’est plus un sourire, c’est… je ne sais pas expliquer, elle me regarde bizarrement, qu’est-ce que j’aimerais être télépathe car suis vraiment pas doué pour décrypter les émotions sur le visage des gens.

- Oh ! et comment comptes-tu me payer ?

- Je ne sais pas, proposez, je verrai si j'ai les moyens. Comme elle ne dit rien, se contentant de me regarder en souriant, je me dis que je n'ai pas du comprendre qu'elle blaguait. Pourriez-vous le retenir un peu à midi, le temps qu'on soit tous assis au mess. Puis trouver une excuse pour qu'il passe au mess.

Depuis tout à l’heure je me passionne pour mes pompes qui auraient besoin d’un coup de cirage et ça me stresse.

- D'accord, je vais essayer mais je ne te promets rien.

- Merci !

La sonnerie de fin de récré retentit, je m'éloigne.

- Hep et mon paiement ? Je m'arrête et la regarde sans comprendre. Un bisou, là !

Oh ! En courant je fais demi-tour et lui en colle deux bien sonores puis repart aussi vite.



Je croise les doigts pour qu'elle y arrive.

 

Nous sommes tous rentrés et assis. On a commencé à se servir lorsqu'il arrive. Nous nous levons tous. Je me penche et mettant deux doigts en bouche, je vrille les tympans de tous et d'une seule voix, nous gueulons " Bon anniversaire". Puis nous nous asseyons. Je ne veux pas le regarder car il sait bien d'où ça vient, puisque je suis le seul à le savoir. Le garçon à côté de moi, me donne un coup de coude.

- Bob regarde Firmin.

Je me tourne vers la cuisine d'où je vois venir le cuistot avec un tout petit gâteau avec une bougie allumée. Lorsqu'il passe à côté de moi, il me saisit par le col et me force à me lever et me colle l'assiette dans les mains et me pousse devant lui.

Gâche et Richard semblent bien amusés et me regardent avancer.

- Et bien, cela fait quelques années que je suis ici et jamais je n'ai eu droit à ça. Merci Capitaine.

Non, ce n'est pas vrai, il a osé ? J'ai comme une envie de lui coller le gâteau sur la tronche. Je croise le regard de Richard qui semble surpris d'un coup. Je pose l'assiette sur la table des profs puis je retourne à ma place. Richard lui descend dans la salle et passe de table en table.

On a fini les hors-d'œuvre, lorsqu'il s’approche de notre table, je saisis le plat vide et me lève pour le ramener à la cuisine et rapporter la suite mais j’attends qu'il ait quitté notre table pour revenir.

J'en ai ras le bol, je ne veux plus avoir à faire à lui.




4 décembre 2010

Robert dimanche 5 juin 1977 fête des mères

  Robert dimanche 5 juin 1977 fête des mères

 

- Non, ce n'est pas l'heure de se lever, j'ai juste une lettre à livrer.

Appuyé sur un coude, Marion me regarde en clignant ses yeux de myope.

- Arrête tes conneries. Ce serait con de te faire virer à moins d'un mois de la fin.

- Pour ça que tu restes ici, compris ?

- Ouais., mais...

- Pas de mais ! Ordre de ton major.

Il s'est assis.

- M'en cogne de tes ordres.

- Par contre si je te cogne, tu en tiendras compte ?

Il soupire et se rallonge.

- Si dans cinq minutes t'es pas de retour, je vais réveiller Claude.

- Tu fais chier, occupe-toi de ton cul, franchement.

J’ai droit à un grand sourire. Il me répond quelque chose que je ne comprends pas, suis déjà hors de la chambre.



La lune aussi fait chier. Éventuellement qu'il y ait des nuages m'aurait arrangé. En plus les graviers crissent sous mes pieds pourtant j'essaie d'être le plus léger possible.

Et merde ! Maintenant c'est la porte de la cave qui aurait besoin d'être huilée. Et plus, je vais lentement, plus elle fait de bruit. Du coup, je l'ouvre en grand rapidement puis la referme de la même manière. Ensuite, j'attends un peu pour voir si quelqu'un bouge.

Au troisième, je pose l'oreille contre la porte. 

Pas un bruit. 

Je sors l'enveloppe que j'avais glissée contre mon ventre dans mon boxer. Je vais pour la glisser sous la porte mais avant par acquis de conscience, je la porte à mon nez. Non c'est bon elle ne sent que l'odeur de mon déodorant.

Je la glisse sous la porte en lui impulsant un petit coup qui va, je pense, l'envoyer se mettre au milieu du couloir. Je croise juste les doigts qu'elle n'aille pas se perdre au milieu du salon. Il faut impérativement que ce soit Gisou qui la trouve en se levant et que… elle.



Dans son lit, Marion ronfle et cela m'amuse.

Couché sur le dos, j'imagine mille scénarios.

Bon je finis sur certains que je n'avouerais pas… même sous la torture mais sur lesquels je m'endors avec le sourire.



- Spé, aucun absent !

Devant moi, Richard n'a même pas un regard pour moi.

Je ne sais pas quoi en penser.

Lorsque Caprais distribue les corvées, je m'attends au pire mais non je suis en cuisine avec Firmin.




- Non ! non !

Les deux mains tendues devant moi, je tente désespérément d'éviter de me prendre du spray de produit nettoyant dans la figure. Jules lui s'amuse comme un petit fou mais en attendant, en dehors de moi, rien n'est nettoyé.

- Hum hum !

Jules s'arrête brusquement et se remet à frotter la hotte. Je me retourne sur un Richard mi-figue mi-raisin. Il est en civil. Il vient jusqu'à moi qui me suis remis à essuyer la vaisselle et la ranger.

Il m'enlève le tablier et le grand torchon des mains et les pose sur la tête de Jules qui soupire, les enlève et les pose sur une chaise.



Nous n'échangeons pas un mot jusqu'à l'appartement.

J'enlève silencieusement et lentement, très lentement, mes chaussures.

Au fond du salon, sur la desserte, ma bouteille, toujours pas totalement déshabillée de son papier cadeau doré. Seulement la bougie. Il a compris le clin d’œil.

Il ne m'a pas attendu et entre dans la cuisine. J'entends sa chaise glisser sur le sol sur ses patins de feutre.

Gisou sort de la cuisine et referme la porte derrière elle.

J'entends des bruits de chaises puis à nouveau le silence.

Je n'ai pas bougé et je ne n’ose pas la regarder.

Elle vient jusqu'à moi. Dans la poche de son tablier dépasse un coin d'enveloppe bleue.

Je ne sais que faire ou que dire.

Je n'ai pas posé mon calot sur mes chaussures comme je le fais d'habitude. Au moins, j'ai les mains occupées.

Elle sent bon. Pourquoi ai-je dit qu'elle puait ?

Son odeur est différente de celle de Véro, plus forte et en même temps plus fleurie. Souvent celle de Véro est… acidulée.

J'ai le ventre noué, une douleur qui monte du bas-ventre vers la gorge.

Elle m'attire vers elle en me tenant par le col de ma chemisette.

- Quelle est cette odeur, tu sors d'où ?

Je fixe mes pieds.

- De la cuisine du mess.

Elle me repousse et sa voix est chargée de reproches. Je vois ses pieds s’éloigner.

- Et bien, tu sens la graisse et le produit nettoyant. Tu mériterais un bon bain. Allez hop, après tu viendras manger.

Je ne bouge pas.

- J'ai déjà mangé.

Elle revient sur ses pas.

- Au moins le dessert, ce sont les filles qui l'ont préparé.

Elle m'enlève mon calot des mains et le pose sur leur téléphone.

Je hoche la tête et la laisse m’emmener d’une main dans le dos, qui me brûle à travers le tissu de ma chemisette, vers la salle de bain, dont elle ferme la porte derrière nous.

Elle sort une serviette du meuble et la pose sur la chaise puis descend le tapis de bain du rebord de la baignoire et le pose au sol. Elle ouvre le robinet d'eau chaude et d'eau froide et règle la température.

Elle retourne vers moi. J’évite de croiser son regard.

- Tu attends quoi ?

Je ne dis rien.

Mon cœur bat la chamade et mon cerveau semble comme noyé. J’ai la nausée.

J'ai dit dans ma lettre que j'étais d'accord pour une mise à nu. Il ne me reste plus qu'à m'exécuter.

Par quoi commencer ?

Je ferme les yeux, je commence à ouvrir les boutons de ma chemisette, ouvre ma ceinture…

Je l’entends fermer le robinet puis ses mains saisissent les miennes.

- Stop ! Te voir nu ne m'intéresse pas, espèce de fadat. Rhabille-toi et rejoins-nous après t'être lavé les mains. Elle m'embrasse sur la joue. Puis prend mon menton entre son pouce et son index et m'oblige à la regarder. Tu serais allé jusqu'au bout ?

- Oui. Bizarrement je n'ai plus honte. Pourtant je suis toujours chemise et pantalon ouverts devant elle. De toute façon, je pense que tu as déjà vu, plusieurs fois, mon corps dans son intégrité.

Elle sourit, me caresse la joue et sort.

Je regarde la porte fermée puis la baignoire et finis de me déshabiller et me glisse dans l’eau chaude.



Lorsque j'arrive, elle sourit.

- Tu t'es douché ?

- Oui tu m'as dit que je puais, mais bon mes fringues, elles, je n'ai pas pu les changer donc je dois toujours autant sentir le graillon.

 

Ce sont les grandes qui ont préparé le repas.

Le gâteau est sublime.

Leurs cadeaux aussi.

 

A vingt et une heures trente Richard me raccompagne jusqu'en bas de mes escaliers.

- Tiens, peut-être qu'avec celui-là, tu feras moins de tâches d'encre. Bonne nuit… mon garçon.

Je le regarde partir avec au creux de ma main gauche, son gros stylo encre noir.




17 mai 2010

Robert vendredi 22 Août 1976 pourquoi ?

Robert vendredi 22 Août 1976 pourquoi ?

 

Allongé sur le dos, je n’arrive pas à dormir.

Je n’ai fermé ni les volets, ni la fenêtre et de dehors monte le chant des criquets et des cigales qui ne semblent jamais dormir. De temps à autres, aussi des sortes de jappements, des hululements et des hurlements divers… me demande qui a inventé que à la campagne, les nuits étaient silencieuses.

Je n’arrive pas à dormir.

Pourtant je devrais, ce matin j’ai fais du vélo avec les pater. Cet aprem, on a tellement trimbalé du bois, de la terre et des sacs de ciments que j’ai été content quand les mutter nous ont appelé pour manger. Et pourtant, j’arrive pas à dormir.

Bientôt c’est la fin des vacances, peut-être pour ça.

J’suis bien ici, moi.

Subitement, j’ai une envie.

Mon oreiller et ma couette dans les bras, je dévale les escaliers.

Je me laisse tomber, allongé sur le ventre, la couette sur mon dos, le visage dans mon oreiller, entre deux filles. Dans le noir je n’ai pas vu lesquelles et je m’en fous.

- Hé ! Qu’est-ce que tu fous là, toi ?

- Je viens dormir avec vous !

- Nous on ne te veut pas.

- Et pourquoi ? Vous n’êtes pas gentilles.

- Parce que t’es un garçon.

- Et on a pas à être gentille avec toi.

- Aller...( Je me redresse et assis sur les talons, j’essaie de voir entre qui et qui je suis.) soyez sympas. Je veux pas vous embêter. Vous êtes toujours toutes ensemble et moi tout seul.

- Tiens le coquelet fier d’avoir une chambre rien qu’à lui, s’en plaint.

- Non Véro, je ne m’en plains pas, j’aimerais juste… partager un peu plus votre vie, voilà ! Et pourquoi vous me rejetez tout le temps ?

- Parce que t’es un garçon.

- C’est sexiste ça.

- Parce que t’es pas sexiste toi peut-être ? Toi qui es tout le temps en train de dire : « c’est normal vous êtes des filles ! » «  Vous pouvez pas comprendre vous êtes des filles. » «Vous pourrez pas le faire vous êtes des filles. » Bin à notre tour et zut !

Depuis le début je n’entends que les jumelles et Véro.

- Isa, Maï dîtes oui, laissez-moi rester.

- T’es prêt à payer combien ?

- Isa tu sais que j’ai plus de fric, vous m’avez tout pris pour vos machines à sous.

- Tu as le droit de rester mais tu vas te coucher tout au fond là-bas sous les fenêtres.

- Mais pourquoi ?

- Parce que ! Choisis tu restes ou tu t’en vas ?

Mon oreiller entre deux doigts traînant ma couette je m’exile mais je ne comprends pas pourquoi ? Fanfan et Coco viennent mettre leurs oreillers à côté du mien et Yvy se couche sur mon dos.

- Nous, on est pas méchantes comme elles, on s’en fout que tu sois un garçon.

- Merci Yvy.

Coco se couche comme moi sur le ventre, sa figure contre la mienne et passe son petit bras sur mon cou.

Fanfan, elle, me caresse la tête comme si j’étais un petit chien.

- Oui moi aussi, je m’en fous que t’aies un zizi.

- C’est une obsession chez toi Fanfan.

Les grandes se mettent à pouffer.

- Attention les petites, vous allez puer comme lui.

Je me redresse, là, elles m’énervent.

- Arrêtez avec ça ! Même quand je viens de me laver, vous dites que je pue.

- Non, tu pues pas.

- Yvette la suce-boule !

- Véronique t’es dégueux !

Là, c’est moi qui rigole et toutes les grandes qui engueulent l’autre chieuse.

- Bin quoi ? J’ai entendu Papa le dire.

- Ce n’est pas une raison, avec tonton, ils ont parfois un langage ordurier que nous n’avons pas à répéter car nous sommes des filles.

- Heu, là Isabelle, je crois que t’en fais trop tout de même.

- Laisse tomber Maï, elle est dans sa période : «Je suis parfaite » comme maman». Et elle est plus que gonflante, la miss perfection.

- Oh toi le garçon manqué insolente et malpolie, je préfère ne pas te ressembler.

 

Finalement… même si je ne suis pas au milieu d’elles, je suis content d’être là. Mais je repousse un peu le mini truc roux qui me tient chaud.

Qui du coup se met à me bourrer de coups de pieds.

- Hé calmos la brute.

- Tiens, on avait oublié le putois.

- Je ne suis pas un putois, je ne pue pas plus que vous les rouquines.

- Si on pue, pourquoi t’es là ?

- Parce…

En fait je ne sais même plus et j’en ai marre. J’en ai marre de me faire rejeter et insulter et me demande bien, justement, pourquoi je suis venu.

Alors d’un bond je suis debout. Je roule ma couette sous mon bras. Mon oreiller dans l’autre main, je m’en vais.

Devant la porte, dans le couloir, je bouscule un Richard qui me regarde passer puis qui retient la porte avant qu’elle ne claque. Par contre, la mienne, elle claque !

L’oreiller se retrouve sur la couette que j’ai jeté rageusement sur le lit et que je les boxe de toutes mes forces agenouillé devant, sur le matelas.

D’un coup, je me laisse tomber de tout mon long, le ventre sur la pile, mon visage au creux de mes bras croisés.

Et je hurle dans le matelas.

- JE VOUS DETESTE !

 

 

8 décembre 2010

Robert vendredi 1 juillet 1977 1er jours de vacances

Robert vendredi 1 juillet 1977



- Debout fainéant !

Il me faut quelques secondes pour réaliser que cette voix n’est pas celle de Marion.

- Hé ! Mais j’ai plus cours moi !

Gisou qui le suit me sourit et éteint la lumière.

Il fait demi-tour et d’un coup de poing la rallume.

- Oh femme ! Il se lève, il s’habille et va faire dix tours de stade, ensuite il viendra déjeuner.

Gisou se retourne, l’embrasse et lui appuie sur le nez avec un doigt.

- Et bien jeune homme, vous n’aurez vous même votre café que quand vous aurez fait dix tours de stade.

Il commence par rire puis tourne la tête vers moi qui me suis assis.

- Ne souris pas fiston car ça, tu me le paieras !

- Hé ! Mais j’y suis pour rien.



Lorsque nous revenons du stade, Coco est dans la cuisine, debout sur sa chaise nous tournant le dos, en train de se disputer avec sa mère. Elle ne nous entend pas entrer.

- Corinne Granier, assieds-toi et bois ton chocolat avec tes tartines.

- Nooooon, je veux mon bibi, pas le bol !

- Non, tu es trop grande pour un biberon. Tu vas à l’école, tu bois au bol.

- J' veux pas, j' veux pas, j' veux pas le bol ! Je veux mon bibi !

Sans faire de bruit, je saisis son bol et le vide.

- Mais Gisou, elle l’a fini son bol.Maintenant elle peut avoir droit à son bibi.

La gamine sursaute, regarde son bol puis moi et me tend les bras.

- Tu vois maman. Robert a dit que j’avais droit à mon bibi.

- Ah non ma chérie, je ne referai pas un second chocolat sinon tu seras malade.

Là, la gamine que j’ai pris dans les bras me vrille les tympans

- T’as bu mon chocolat !

Et se met à me taper avec ses petits poings qui finalement arrivent à faire mal quand c’est sur la figure. Son père la saisit puis s’assied la mettant couchée à plat ventre sur ses genoux.

J’ai un moment de surprise puis veux la reprendre.

- Si tu la tapes, je te tapes aussi.

Trois visages incrédules me fixent. Richard lâche la gosse qui court vers les chambres puis se lève face à moi.

- Tu peux répéter ?

Je le fixe droit dans les yeux.

- Je ne veux pas que tu tapes Coco.

- Et si je te tapes toi à sa place ?

Je hausse les épaules.

- Moi, je sais encaisser. Mon père me frappait. Je ne frapperai jamais mes enfants.

Là je vois un coin de sa bouche se soulever.

- Tiens, tu comptes avoir des enfants ? 

Nous faisons presque la même taille. Pratiquement poitrine contre poitrine, nous nous affrontons du regard.

- Non. Mais si ja…

La claque résonne dans la cuisine.

- Vas dans ta chambre et jamais. Tu entends, jamais, elle insiste bien sur ce mot, tu ne reparles comme ça à ton père. Et tu n’as pas intérêt à faire claquer ta porte.

Richard semble surpris, il s’écarte et me laisse passer.

Les filles qui venaient vers la cuisine, s’écartent aussi. C’est un zombi la main sur la joue qui passe devant elle. Je reste debout derrière la porte du bureau que j’ai refermée sans bruit.

Lorsque Richard veut entrer, il me pousse. Je n’ai pas bougé. Cette gifle m’a surpris. J’étais prêt à affronter Richard, pas elle.

- Vas te laver garçon, après tu viens avec moi.



C’est drôle d’être en civil dans les murs de l’école et de ne pas me faire engueuler.

A un moment même, monsieur Cohen me fait signe de venir. Il a dans les mains une énorme liasse de courrier et deux sacs en jute de la Poste à ses pieds. Je cours pour le rejoindre et passe devant Gâche. Je rentre la tête en attendant le coup de sifflet mais rien ! J’arrive devant le concierge en riant.

- Et bien qu’est-ce qui te rend si heureux ?

- Gâche ne peut plus me gâcher la vie.

Il sourit amusé.

- Oh ! Tiens, porte tout ça à ton père.

Je mets la liasse sous un bras et soulève les deux sacs.

- Vous savez que ce n’est pas mon père ?

Je vois son sourire s’effacer. Et il me saisit par le bras.

- Alors mon petit. Je ne sais pas qui t’a fait la trace sur ta joue droite mais j’aurais bien envie de te faire la même sur la gauche. Certes, tu n’es pas son fils mais pour bien connaître maintenant le colonel saches que tu n’es plus pour lui, un simple garçon parmi tant d’autres. Alors si tu lui portes un tant soit peu d’affection, ne répètes plus jamais ce que tu viens de dire.



Madame Dionis s’est levée de son bureau en me voyant arriver.

- Ça va ? Tu sembles bien calme et songeur ?

- Oui. Oui.

Je pose la liasse sur son bureau et les sacs par terre.

- Bon. Alors aides-moi donc à trier tout ce courrier. Vides les sacs des colis dans ce coin, on s’en occupera plus tard.

J’obéis à Mademoiselle Dionis. 

Sur les colis, je reconnais des noms d’élèves déjà partis, d’autres que je sais encore dans les murs, soit consignés, soit en cours de rattrapage.

 

Dans son bureau, j’entends Richard s’énerver malgré les murs épais et la lourde porte matelassée et doublée de cuir fauve avec ses gros clous dorés.

Madame Dionis secoue la main.

- Moi, franchement, des fois il me fait peur. Pas toi ?

- Non, il est gentil.

Elle arrête d’ouvrir les enveloppes. Elle me fixe. Je détourne le regard, gêné. Pourquoi elle me fixe ?

J’ai fini de trier le second paquet de lettres. Autour de son bureau, il n’y a qu’une chaise. Je ne sais pas ce que je dois faire maintenant. Je saisis les enveloppes destinées aux élèves et me mets à les trier par ordre alphabétique.

- Il est comment avec sa femme ? Et avec ses filles ? Elle a l’air soumise… mais très amoureuse. Gisou, soumise ? Heu… non, pas trop. On voit que Madame Dionis ne la connaît pas. Et avec ses filles, il a l’air très sévère comme avec toi.   Plus elle parle et plus j’ai envie de rire. Elle s’en aperçoit et ne sourit plus. C’est quoi ce sourire ? Te moquerais-tu de moi ? En tout cas… 

Elle se lève pour ranger un dossier dans l’armoire métallique qui couvre tout le mur du fond du couloir. Et reprend : 

- Tu vois. S’il n’était pas marié, ton père adoptif, j’en ferais bien mon casse-croûte.

Derrière moi, le casse-croûte ouvre sa porte.

- Mademoiselle Dionis, vous deviez me donner le dossier du petit Payet. Où est-il ?

Oh ! je pose les enveloppes et le suis.

- Pourquoi ? Il va lui arriver quoi à Vivien ?

Il me regarde surpris.

- Tu le connais ? Tu es ami avec des sixièmes maintenant ? Ah mais c’est vrai, c’est celui que j’avais surpris à ton étage.  Sortant totalement de son bureau, il vient s’asseoir sur le bureau de sa secrétaire, face à moi, en repoussant de la main ce qui s’y trouve, faisant faire la grimace à la jeune femme qui précipitamment récupère des dossiers pour pas les voir tomber au sol. Vous sortiez de ta chambre.Et que faisais-tu donc dans ta chambre avec un gamin de douze ans. Mademoiselle Dionis ne trouvez-vous pas cela étrange vous aussi ?

Elle a l’air aussi choquée que moi.

- Oh colonel ! Non, vous ne pensez pas tout de même que…

Je fais non des deux mains.

- Hé ! Non ! Il voulait juste…

Cette enflure semble trouver drôle ma réaction.

- Voyez comme il devient tout rouge.

- Colonel arrêtez. Vous le mettez mal à l’aise.

Il a un petit sourire sadique.

- Mais c’était le but mademoiselle Dionis, c’était le but, maintenant qu’il est mûr il va parler. Alors, que sais-tu sur lui ?

D'abord je ne suis pas un fruit et puis il me gonfle !

- Rien. Avec Claude on l’a un peu protégé, car des garçons de sa classe le tourmentaient.

- Ah bon. Tu sais ça et tu ne viens pas m’en parler ?

- Suis pas un cafard. On se débrouillait seuls.

Bon je l’ai énervé, il retourne dans son bureau avec le dossier de Vivien.

Sans toquer, je rentre derrière lui puis vais m’asseoir sur une des chaises devant son bureau.

- Il a fait quoi Vivien ?

Il répond sans lever la tête.

- Il n’a pas la moyenne dans toutes les matières.

- Il n’avait pas un parrain ?

- Si mais il nous a quitté en Octobre.

- Oh ! Comme Tramoni. Jusque là, il ne me regardait pas. Il lève la tête vers moi. Mais Hector a eu de la chance, il a eu un autre parrain. Pas Vivien. J’ai essayé de l’aider mais c’était déjà trop tard. Bref, il n'a pas eu de bol. Je me lève et quitte la pièce. Madame Dionis avez-vous encore besoin d’aide ?

- Oui, porte le courrier au capitaine puis reviens, je te donnerai les colis et les lettres à ramener à monsieur Cohen pour qu’il les rende au facteur.

Sans un mot, je ramasse le gros sac en jute et, avec, rejoins le capitaine dans la cuisine où attablé, il boit un café en parlant avec Firmin qui me hèle dès qu’il me voit.

- Hé gamin, un petit noir ? Encore une fois, le cuistot n’attend pas ma réponse et me tend un bol avec un fond de café. Je contourne la chaise de Gâche pour accéder au sucre. Et bé, quatre ? Rien que ça ? C’est du sucre au café que tu bois, et on s’étonne que tu ne tiennes pas en place.

Gâche semble… différent. Il me sourit amusé.

- Alors ton père t’a embauché ?

Je vais pour répondre que Richard n’est pas mon père mais renonce, haussant juste les épaules.

- Si on veut. C’est plus de l’esclavage puisque je ne suis pas payé.

Les deux hommes éclatent de rire. 

- Vois ça comme du bénévolat me conseille Firmin.

J’suis pas d’accord mais bon, j’ai pas le choix.

- Ouais. Surpris, je regarde autour de nous. Jules n’est pas là ?

- Il a sa remise de diplôme cet après-midi donc je lui ai laissé sa journée.

Lui aussi ? 

- OH ! Vous irez ?

Firmin me fixe

- Bien sûr ! Tu viens avec moi ?

Ah oui alors, ça me sortira d’ici.

- Si le colon est OK.



Vers onze heures, Richard vient me chercher lui-même, pas trop content.

- Tu sais que tu avais du courrier à porter à monsieur Cohen qui n’a pas pu le redonner au facteur. Donc on fait comment ?

Je m’en tape moi, c’est pas mon problème.

- Il partira demain.

- Et bien, non mon gars. Tu vas voir mademoiselle Dionis pour aller à la Poste avec elle pour les y porter. Tu lui fais perdre son temps. Allez bouge-toi. Cours pour une fois, dépêche-toi !




Assis dans la petite Fiat 500, à côté de sa secrétaire, je n’ose rien dire. Je n’ose pas bouger, ni la regarder.

La petite voiture sent son odeur, son parfum. J’ai une impression bizarre qui me met mal à l’aise. J’ai chaud malgré nos fenêtres grandes ouvertes. Comme ça, en short, les mains posées à plat sur mes cuisses, je suis mal à l’aise. J’aurais dû mettre un pantalon et pas écouter les parents. Je suis un petit garçon à côté d’une femme. Je me sens ridicule.

Encore plus lorsque mes deux sacs en main, je la suis dans les locaux.

Je suis aussi grand qu’elle avec ses talons. Les employés me regardent en souriant.

- Vous avez embauché votre fils.

Elle s'offusque.

- Moi un enfant ? Jamais ! Je me supporte déjà tous les garçons de l’école. C’est celui du directeur. Il me le prête pour pas qu’il s’ennuie.

 

Le retour est aussi silencieux même si elle essaie d’engager la conversation… enfin, plutôt si elle me bombarde de questions sur Richard.

Pourquoi elle ne les pose pas directement à lui ? Et puis comme elle dit : «Il est déjà pris» alors pourquoi elle persiste ?

 

Richard n’est plus dans son bureau à notre retour. Mademoiselle Dionis me renvoie assez sèchement.

- Vas manger c’est l’heure !

La porte de la cave est ouverte. Je vais la fermer.

A la cantine je m’assois à la table de Vivien où il reste une place. Je le questionne, le sermonne :”Pourquoi t’es pas venu me demander de t’aider ?”



C’est Firmin qui semble le plus surpris de me voir.

- Qu’est-ce tu fous là ?

- Bin comme ça après, je vous aide puisque je viens avec vous soutenir Jules.

Firmin semble surpris mais ne fait pas de commentaire.

 

Firmin est allé se doucher, il me laisse finir d’essuyer les plans de travail et les faire briller.

 

J’entends la porte s’ouvrir derrière moi. Je sais que c’est le colon. Je ne me retourne pas.

 

- Je te re-ouvre ton ancienne chambre jusqu’à notre départ ? Si tu viens avec nous bien sûr.

En fait presque oui, j’aimerais bien retourner dormir là-haut, au moins c’était… ma… chambre même si je la partageais avec l’autre emmerdeur. Alors que chez eux, je suis le parasite à qui on ouvre un canapé là où il y a encore de la place.

- Si vous voulez.

Un silence s’installe. j'ai fini les plans de travail.

- Firmin m’a téléphoné pour me demander l’autorisation de t’emmener. J’ai dit oui.

- Merci.

Je ramasse les quatre immenses torchons et les joignant à mon tablier, je les fourre dans le grand sac que je ferme. Il est plein, faut que je le porte à la buanderie. Je passe devant lui sans un mot.

Il me tient par le bras. Je le secoue, il serre, il ne me lâchera pas.

- Bon tu t’expliques ?

Je me tourne vers lui mais c’est Firmin que je regarde. Firmin habillé en civil. Un pantalon beige et une chemisette blanche. Une brosse à la main. Je l’ai toujours vu avec ses cheveux attachés. Là, ils lui arrivent en-dessous des épaules en longues vagues. Il est presque blond. Je trouve que ça va bien avec ses yeux bleus. Avec son visage carré comme ses épaules et ses bras musculeux, il doit avoir du succès auprès des femmes. Il retourne dans l’autre pièce et referme la porte derrière lui.

Je n’ai rien à expliquer. Depuis ce matin j’ai envie d’hurler mais je me contiens. «Une fessée, ce n'est pas de la maltraitance. Coco est dure à gérer comme gamine. Une claque ça remet les pendules à l’heure, qu’elle a dit». Non ça m’a fait taire et remis à ma place ça oui. J’ai compris, je me tais.

Il me lâche en soupirant. Je reprends mon sac et m’en vais.

A mon retour, je le vois dans son bureau, derrière la vitre, il me regarde. Habituellement je lui aurais au moins souris, là, je regarde mes pieds.

 

Firmin m’attend dans le parking. Il me tend un casque puis monte sur sa Harley. Malgré moi je suis content. Je ne suis jamais encore monté sur une moto.



Jules est dans un CFA à Marseille.

J’ai envie de rire en le voyant dans son costume cravate.

- Purée je ne t’aurais pas reconnu.

- Moi non plus mais c’est sympa que tu sois venu.

Il me présente à ses potes. Une fois de plus avec mon short et mon polo, je me sens ridicule, pas à ma place au milieu de ces garçons en costume cravate..

Une main se pose sur mon épaule. C’est Madame Calliop

- Mais c’est notre petit alsacien.

Firmin se penche pour l’embrasser pour lui dire bonjour. Jules me fait un clin d'œil, je ne comprends pas pourquoi.

- Que veux-tu j’ai eu pitié de lui. Je me suis dit que le sortir des griffes du colon ne lui ferait pas de mal.

Eux aussi ont pitié de moi.

- Ah ça, tu n’as pas choisi le père adoptif le plus cool.

Je ne peux me retenir…

- C’est le plus cool des deux. Vous ne connaissez pas sa femme.

Le rire de Firmin fait converger les regards vers nous, je rougis.

- Oh ! Donc ta joue ce matin, c’est elle ?

Je ne réponds pas. Ai-je vraiment besoin de répondre ? il continue à rire.



Pour Jules et ses collègues, pas de livres, pas de discours, enfin si, juste celui de leur directeur. Jules quand il est appelé, passe devant lui, lui serre la main et revient vers nous avec son rouleau de papier noué d’un ruban rouge.

Ses parents le félicitent pour son CAP cuisine.

Je repense aux apprentis poissonniers. L’ont-il réussi eux aussi ?

Son père est charcutier et lui ressemble beaucoup.

Avec sa femme ils semblent hyper fiers de leur fils. Si j’ai un fils, je considérerai comme une sorte d’échec de sa part, qu’il n’ai pas au moins le bac.

- Et toi, tu vas faire quoi en septembre ?

La question de son père me surprend.

- Militaire. Je me suis engagé.

- Oh ! Félicitations ! Nous avons besoin d’hommes comme toi pour nous défendre. J’aimerais que l’année prochaine, Jules devance son appel pour être tranquille ensuite. Comme ça après ses dix-huit mois, il pourra tranquillement se chercher une bonne place l’esprit tranquille.

- Tu ne veux pas continuer sur un brevet ou un Bac ?

- Suis pas toi, moi ! Les études pour moi c’est mort. Ce que je veux c’est plus tard ouvrir mon propre resto.Nous n’avons pas la même vision de la vie, de l’avenir.

- Oui mais avec un bac, tu ferais ton service militaire derrière un fourneau et non chez les commandos. Ça te ferait un plus pour l’avenir.

Tous me fixent. J’aurais dû fermer ma gueule.

Mais son père me tape sur l’épaule avec un grand sourire. 

- Tu sais Jules, il n’a pas tort ton copain. 

Firmin renchérit.

- Si tu fais un bac en alternance, je te reprends pour les trois prochaines années et on t’aidera avec Camille pour tes études. Et je suis même sûr que les profs du bahut seront d’accord pour t’aider.

Donc Madame Calliop s’appelle Camille, et... mais c’est vrai ça. Pourquoi est-elle ici ?



Nous sommes de retour vers dix-huit heures au bahut. Cette fois Jules est avec nous et nous revenons dans la voiture de « Camille ». Ça m'amuse de l’appeler par son prénom.

Je les aide encore en cuisine. Ce soir ce sera soupe en “sachet”, enfin en boîte, et raviolis. Je mange avec eux dans la cuisine avant le service.

J’aimerais rester mais Firmin me raccompagne fermement à la porte de l’immeuble du colon.

- Aller, monte et arrête de jouer au con avec eux.



La porte de l’appart est fermée. Je sonne. C’est Richard qui vient m’ouvrir. D’abord il reste devant moi, m’empêchant d’entrer. Je vais pour redescendre mais j’entends les paroles de Firmin :”Fais amende honorable…”

- Puis-je entrer s’il te plaît ? Il s’écarte. Au lieu de me laisser aller vers le bureau, il me pousse vers la cuisine. J’ai déjà mangé.

- Et ? Ici les règles sont les mêmes qu’au chalet. Vas te coucher si tu veux mais tu dois souhaiter une bonne nuit à tout le monde.

Ils en sont au dessert et Gisou me force à m’asseoir devant un bol de salade de fruits.

- Manges puis vas te laver. Tu es en vacances, tu as le temps avant d’aller te coucher.



Les filles sont sur le canapé devant la télé. Richard programme le magnétoscope accroupi devant. Isa me montre la place libre à côté d’elle. Je secoue la tête. Gisou m’y pousse avant d’aller s’asseoir dans son fauteuil. Isa passe son bras autour de mon cou et m’attire contre elle. Je me laisse faire.

- T’es un imbécile mais t’es mon petit frère !














22 janvier 2011

Robert Samedi 12 Novembre 1977 hummmm

Robert Samedi 12 Novembre 1977 hummmm



Le truc roux dort toujours mais c’est le bruit de succion qui m’a réveillé. Non décidément je ne m’y habituerai pas.

Dans l’appart tout le monde dort.

Je réalise que je n’ai plus ma montre. Gisou m’énerve. Comment fait-elle pour me l’enlever sans que je ne m’en aperçoive ?

Après un tour au pipi-room puis dans le frigo, je retourne vers mon lit mais le bruit que fait Coco me donne envie de fuir. Alors je la fuis pour aller me coucher dans son lit.





Une main doucement me caresse les cheveux.

Suis pas un chat !

- Aller Coco, c’est l’heure de te lever ma chérie.

Il y a des fois où je me demande si Richard réalise qu’il n’est pas drôle.

- C’est bon, fous moi la paix, tu me gonfles là.

Je me retrouve dans l’instant sorti du lit superposé  sans douceur.

- Pardon ?

Je crois qu’il n’a pas apprécié de se faire envoyer bouler.

- Désolé !

-Tu peux ne pas être Coco mais tu peux prendre comme elle une fessée.

Il le fait exprès ou il n’est pas conscient de ce qu’il vient de dire ?

Mon air contrit disparaît instantanément, remplacé par un franc sourire.

- Ça, j’aimerais bien voir.

Et moi, faudrait vraiment un jour que j’apprenne à me taire. Quoique…

Fanfan se met à hurler.

- Maman ! Papa et Robert se battent.

- Et bien appelle-moi quand ils auront fini que je vienne avec l’arnica et l’alcool à 90.

Richard et moi nous regardons et nous nous mettons à rire en nous asseyant sur le lit de Coco.

Nous voyons alors apparaître les pieds de Fanfan sur son échelle. Un nouveau regard complice. Nous lui laissons descendre encore deux barreaux puis faisons semblant de nous battre à nouveau. Elle remonte très vite en criant.

- Maman ! ils recommencent !

Nous nous arrêtons en voyant une spatule au-dessus de nos têtes.

- De vrais gosses !

Et c’est en riant comme deux imbéciles que nous la suivons jusque dans la cuisine.




- Tu repars quand à Ancelle ?

Bonne question ! Je tente de lui répondre, avant d’enfourner la cuillerée suivante.

- Je ne sais pas. D’ailleurs si je l’avais su cet été. J’aurais descendu toutes mes tenues de ski.

Il a un geste de la main assez évasif.

- Ça peut s’arranger mais est-ce que tu rentres encore dedans ? Vaudrait sûrement mieux que tu t’en achètes d’autres.

Il en a de drôle l’autre…

- Et je ferai ça quand ? et avec quel fric ?

Ce que j’adore avec Mutti c’est son assurance. Je fais ceci, cela et tout le monde doit être d’accord.

- La semaine prochaine, je viens samedi à Salon et on s’en occupe.

Ah zut ! Bin non !

- Nan mutti. Le week-end prochain je serai à Vinon1.

Cette fois c’est Richard qui a un sourire jusqu’aux oreilles.

- Oh ! Dis-moi Gisèle si on allait s’oxygéner dans les basses Alpes le week-end prochain ? Quant à toi, ils te fourniront vêtements et équipement.

- Pourquoi pas. J’aimerais bien essayer le nouvel objectif de mon appareil photo.

Non ! Pas eux ? Pas ça ! Et lui, il doit connaître tout le monde là-bas. 

- Vous êtes sérieux là ? Je vous préviens, je ferai celui qui ne vous connait pas.

Elle sourit et lui se marre.

- Gisèle, dis moi ? On le connaît ce morveux ? D’ailleurs pourquoi laisses-tu traîner ce bout de gâteau ?

Je le laisse ramener à lui l’assiette vide, ayant pris le morceau de gâteau aux poires. Avec, je m’enfuis vers la chambre de Véro.



Cette dernière est assise en tailleur sur son lit. Elle a mis un très grand livre sur ses genoux, au-dessus un cahier dans lequel elle écrit. Sous sa main gauche, un manuel de latin qu’elle tient ouvert de sa main gauche.  

- Tu vis dans ton lit ?

Elle ne me regarde même pas.

- Non mais c’est le seul endroit où je me sens vraiment chez moi.Je mets les pieds sur le premier barreau de son échelle.

- Je peux monter ?

- Si tu veux.

Je m’assieds à côté d’elle dos au mur, jambes pliées face à la porte. Je lui pose un tee shirt de l’école de Salon sur la tête*.

- Tiens, bon anniversaire !

Sans poser son stylo, elle le saisit pour le regarder.

- Merci ! C’est un des tiens ?

Je baille et m’étire.

- Ouais mais je peux m’en acheter d’autres.

Elle le plie et le pose devant elle puis se penche vers moi et m’embrasse sur la joue.

- Je le mettrai pour le sport au lycée.

- Tu pourras dire que c’est celui de ton petit copain.

Elle me regarde en souriant.

- C’est un peu vrai, non ?

M’asseyant aussi en tailleur, je me redresse en secouant la tête.

- Bin non, justement. Pourquoi tu t’en cherches pas un vrai ?

Elle ferme son stylo et le range dans sa trousse puis fermant cahier et livre, elle range tout dans un sac militaire décoré de dessins de toutes sortes. 

- Et je fais comment ? Les seuls moments où je suis hors de cette prison c’est pour aller m’enfermer dans une autre prisons avec QUE des filles. Présente-moi des copains à toi.

Je souris amusé en prenant son sac.

- Je pourrai dessiner dessus moi aussi ? Elle me l’arrache des mains avec un regard noir. Tu as bien réussi à sortir avec moi. Purée, tu as tout de même trois cents représentants de mon espèce, en bas de ton immeuble. Tu ne vas plus à la piscine du bahut ?

- Si avec Yvette. Mais ils savent tous qu’on est les filles de Papa alors tu comprends, ils nous fuient.

Ah ça...

- Ouais, je les comprends un peu.

J’étends mes jambes et me cale une grosse peluche dans le dos puis pose ma tête en arrière contre le mur. 

Elle glisse le grand livre sous son oreiller et s’assied comme moi à l’inverse. Elle pose sa main gauche sur mon genou puis s’amuse à me tirer les poils de jambes. Je lui tape sur la main puis lui tiens. Elle fait pareil avec moi lorsque ma main gauche se pose sur son genou et se glisse de quelques centimètres sous sa jupe.

- Non , stop ! Et toi, t’en es où ?

Je soupire et me remets en arrière.

- Il y a quatre filles pour cent pax et hier c’était la première fois que je sortais de l’école, alors bon.

Elle tire sur sa jupe puis se met à examiner ses jambes.

- Bref on en est au même point tous les deux. Mais toi au moins, tu t’amuses. Moi, je me fais chier comme un rat mort.

Je me redresse, pas trop d’accord.

- Oui, bon, s’amuser, c’est vite dit. Regarde ça, et répète que je m’amuse. Je soulève mon tee shirt et lui montre mon flanc où s’étale un bleu magnifique qui commence ,seulement maintenant à virer au jaune. Souvenir de notre dernière marche. J’ai dérapé et c’est un tronc d’arbre qui a stoppé ma chute. Ce n’est que le soir que je m’en suis aperçu. Mais ne le dit pas à ta mère sinon ils vont vouloir m’emmener à l’hosto.

Elle pose ses doigts dessus. J’ai un frisson et repousse sa main.

- Tu l’as montré à personne ?

- Non. Pour qu’ils m’empêchent de finir le stage ? J’arrivais à respirer correctement donc pas de fracture, donc pas grave.

Son expression m’amuse.

- Pfff t’es un vrai malade toi. Mais sinon, vas-y, raconte-moi ce que tu fais tous les jours ?

Je soupire et m’étire à nouveau, en tendant mes bras parallèlement à mes jambes.

- Je stacke, je stacke, je stacke comme les autres.

- Ne me dis pas que tu ne fais que ça.

J’ai un sourire amusé. Elle croit quoi l’autre ?

- Et bien, en vrai si. Surtout qu’ils se sont aperçu que j’étais en avance sur les autres pour plein de choses comme en langue par exemple, alors ils m’ont filé du boulot en plus de ce que j’ai à faire en temps normal. Tiens, si veux savoir. Comme je suis le plus jeune, je suis le Popotier. Bref, ça fait de moi le clown de service et ça me gave. Mais alors, ça me gave au plus au point. Toi vois s’il y avait un truc qui pourrait me donner envie de démissionner, ce serait ça.

- Mais qu’est-ce que tu dois faire ?

Elle prend ma main gauche dans les siennes et joue avec mes doigts. Je la regarde faire.

- Plein de choses, trop de choses en fait. Et que des trucs que je déteste. Tu vas te foutre de moi. Mais faut que, lorsqu’il y a un repas un peu spécial comme celui des «pères-tradi» que je chante le menu en présentant les divers plats de façon rigolote. Enfin... plutôt de façon paillarde. Et comme suis nul mais alors absolument nul, je finis avec une partie de leurs repas sur moi. Ouais, vas-y rigoles. Mais c’est franchement pas drôle. Là tu vois, j’aimerais pouvoir aller dans une librairie et me trouver des recueils de chansons paillardes pour m’en inspirer. Je dois aussi m’occuper à gérer le stock de bouffe et de boissons de notre salle de repos mais aussi lors des sorties, des grands repas ou occasions spéciales . Et j’aurais jamais cru que c’était aussi difficile surtout avec le peu de temps que j’ai.

- Mais tes copains, ils ne t’aident pas ?

- Ce n’est pas leur boulot car tu sais, ils ont leurs propres tâches à gérer.

- Mais quel rapport avec le métier de pilote de chasse ?

Je hausse les épaules.

- Notre brigadier un jour m’a dit : « Vu ton âge mon gars, ça te prépare à ta vie future en escadron où tu seras encore popotier pendant un certain temps». Imagine ma joie en entendant ça.

On se tait. Nous n’avons plus rien à nous dire.

 

Je me laisse tomber sur le côté en chien de fusil la tête sur un gros nounours imprégné de l’odeur de Véro. Elle sort un livre de son sac puis se tourne, pose sa tête sur ma hanche, je relève la mienne pour regarder sa position. Elle a les pieds levés posés à plat contre le mur et sur ses jambes tendues, elle a posé son livre.

 

Gisou me réveillera à midi pour aller manger.

1  Vinon sur Verdon, un des terrains d’aviation squatté par les élèves de Salon.

4 avril 2010

Robert dimanche 28 Mars 1976 chamois d’or

Robert dimanche 28 Mars 1976 chamois d’or



je n’ai pas envie de me lever.

Ma montre que j’ai toujours au poignet m’indique neuf heures trente.

Vu la journée d’hier, je n’ai pas envie de les voir.

 

A onze heures passées, je me décide.

Je n’entends pas de bruits. Ils ont dû aller skier et il ne doit rester que les vieux.



Devant la table d’échec, Rémy et Papapa.

Sur la grande table, les filles sur leurs cahiers. Elles lèvent la tête et me sourient.

De la cuisine monte une odeur de chocolat.

Les mutter se taisent en me voyant, Gisou vient alors m’embrasser en me souriant, me soulève le menton. Elle a ce regard un peu songeur, triste et doux.

Mais je me dégage mal à l’aise.

Il n’y a plus de café. Mammema se met devant moi.

- Nous allons bientôt manger, tu le boiras après, j’ai fait un gâteau un peu spécial, je parierais qu’il fait partie de tes préférés.

A voix basse, presque dans un murmure je lui réponds, ne comprenant pas leur attitude.

- Possible.

- Tu m’aides à mettre la table ?

Je lui réponds affirmativement de la tête puis la suis dans la grande salle jusqu’au placard où sont rangées les assiettes et tout le reste.

Rémy s’est levé et aide les filles à ranger leurs affaires. Papapa lui tape sa pipe contre le cendrier.

Je me sens un peu comme étouffé, oppressé par ce silence, par ce manque de bruit.

Puis un cri, un léger bruit de lutte, des pieds qui courent sur le sol.

Un rire.

Des petits bras qui se tendent vers moi.

Je la prends.

- Tu sais qu'hier tu as été très vilaine que tu nous as fait très peur.

Alors elle met son bras autour de mon cou, sa tête sur mon épaule, son nez dans mon cou.

- Pardon, je ne recommencerai pas. T’es fâché ?

- Non, plus maintenant.

Je réalise alors qu’il est devant moi. Il sourit. Il a le même geste que Papa hier. D’une main derrière ma tête, il m’attire à lui, m’embrasse sur le front, me serre contre lui puis m’écarte et me fixe une broche sur le pull.

- Prends-en soin, c’est le mien que j’ai eu pour mes dix ans. En février tu pourras tenter la première flèche.

 

Un chamois d’or ? J’y suis arrivé ? J’ai bouffé ce putain de papier pour rien ? Je me dis alors que je dois avoir l’air débile avec ce sourire niais que j’affiche. Mais pas plus que celui de Richard en face de moi.






5 mai 2010

Robert mercredi 14 juillet 1976 feu d’artifice

   Robert mercredi 14 juillet 1976 feu d’artifice

- Ce soir on va voir le feu d’artifice puis la fête du village ?

- Ah ! C'est pour ça que nous nous sommes tous sapés comme si nous allions à un mariage ?

- Parce que tu ne t'habillerais pas mieux pour aller te marier ?

- Si bien sûr que si… Si je suis le marié. Ce qui d’ailleurs n’arrivera jamais ! C’est donc pour ça que ta mère m'a carrément acheté un bermuda et une chemise neuve.

La jumelle se penche vers l'oreille de Véro en lui mettant le bras sur l'épaule.

- Maman a même dit des chaussettes et des slips.

Je hausse les épaules en levant les yeux.

- Marthe, tu ne veux pas vieillir un peu, c'est du niveau maternelle là. Mais bon puisque cela semble t'intéresser, oui ce soir j'en porte un neuf que j'ai mis après le bain. Tu veux d'autres détails ?

Véro repousse sa cousine, lui lance un regard moqueur puis se colle à moi en me tenant par le bras.

- Même qu'il sent bon le parfum. Mais ne connaîtrais-je pas cette bonne odeur ? Papa a dit à Maman qu'elle jouait à la Barbie avec toi, à t'acheter tout le temps des vêtements.

Je lui souris.

Aller avec Gisou à Chambéry m'acheter des vêtements devient la routine de chaque vacance. Parfois avec Sylvie et parfois Coco, mais plus jamais les autres.

Pour mon plus grand bonheur.

Elle va toujours dans le même magasin et à chaque fois les vendeuses, en me voyant, s'extasient sur le fait que j'ai grandi. Par contre ce que je n'aime pas c'est la suite : Gisou m'emmène manger une glace pendant qu'elle même boit un thé. Là aussi, toujours dans la même pâtisserie où là aussi les vendeuses la complimentent sur moi. J'ai l'impression d'être le petit toutou que l'on fait admirer.

Et pourtant j'aime ces sorties, seul avec elle.

Je sors ma main de ma poche pour enlacer la taille de Véro. Elle m'entraîne dans son sillage, zigzaguant d'un bord à l'autre du chemin comme deux ivrognes.

Je l'aurais bien embrassée sur la joue mais nous marchons juste devant les adultes et je juge plus prudent de m'en abstenir.

Je me contente de rire.

Au loin, la musique de la fête nous parvient déjà. Maïté et Isabelle à ma droite sont en grande discussion à savoir lequel de Claude François ou Mike Brant chante le mieux. Je viens m'incruster entre les deux en entraînant Véro avec moi. Je prends aussi Isabelle par la taille.

- Le meilleur chanteur c'est moi ! Allons enfants de la patrie, ie,  le jour de gloire est arrivé ! ...

Les deux filles veulent me faire taire en me mettant la main devant la bouche mais je pars en courant et elles me suivent en riant. J'enchaîne les chants militaires français, anglais ou allemands. Mais à l'entrée du village, Papy nous appelle et nous intime le silence et me tient par le cou pour me garder au milieu du groupe des adultes.

- Toi, tu te tiens tranquille ! Richard tu ne pouvais pas adopter une autre fille ?

Ils se mettent tous à rire. Adopté…. j’aimerais bien.

Mammema me prend par la main mais je la lui fais lâcher et lui passe un bras autour de sa taille et mets son bras sur mes épaules puis lève un regard amouraché vers elle. Elle se met à rire.

Gisou à côté de moi, tient de la même manière Richard qui pousse une fois de plus la princesse Coco dans son carrosse.

D'un geste doux, elle me passe la main dans les cheveux comme si elle me recoiffait mais franchement vu la longueur de mes poils crâniens depuis septembre dernier, je ne sais pas ce qu'il peut y avoir à recoiffer, mais bon, je lui souris.

- Visage d'ange et diable au corps. Rhabille-toi, rentre ta chemise.

Je fais la grimace en soupirant mais obéis, la sachant capable de le faire elle.

Elle me prend la main. Je la serre, content de ce contact. Mais d’un coup je la lui fais aussi lâcher et lui passe le bras autour de la taille comme avec Mammema, et l’écarte de Richard qui fronce les sourcils.

- Voilà, maintenant, c’est moi qui ai les plus belles femmes rien que pour moi.

- Ah bin sympa pour moi.

Je lève les yeux au ciel.

- Sylvie, je n’ai que deux bras !



Le centre du village est occupé par quelques manèges et diverses baraques foraines, dont une pêche au canards que Coco repère très vite.

Papapa tient à me faire tirer à la carabine, exercice dont je me sors pas trop mal. Nous gagnons à nous deux un Casimir, orange comme il se doit que je décide de donner à Fanfan ce qui fait hurler la plus jeune pourtant déjà comblée par un chien gonflable style dalmatien qu’elle jette par terre de jalousie. Aussitôt Fanfan le ramasse et lui donne à la place la grosse peluche. Mais moins d’une seconde après le bébé réclame aussi le gros chien en plastique. 

Isabelle se penche vers sa petite sœur.

- Françoise, rends-lui de toute façon, tu ne pourras pas l’emmener dans les manèges.

Et le chien cinq minutes plus tard après avoir été ramassé par terre dix fois, finit dégonflé sous la poussette.

 

Les filles réussissent à entraîner leurs pères dans les auto-tamponneuses. Richard avec Isabelle, Rémy avec Maïté, Véro avec Yvy, les jumelles ensemble et j'ai la chance d'avoir une voiture pour moi tout seul. Il est encore tôt et les gens toujours attablés n'ont pas encore pris d'assaut les ménages, nous laissant quasiment la piste pour nous seuls, me permettant de prendre véritablement mon élan avant de percuter leurs voitures. Nous en sortons moulus, surtout les filles qui me traitent de cinglé. Moi c’est ma première fois et j’ai adoré.

Les parents s'installent à une table pour attendre assis l'heure du feu d'artifice.

Je suis obligé de m'asseoir entre eux et je me mets à regretter de ne pas avoir emmené un livre.

Les filles papotent entre elles mais moi je ne peux que rester là à écouter les adultes qui en plus semblent plus occupés à observer la foule qu'à discuter et je me mets à faire de même. J'ai vite fait de repérer quelques jolies ados ou jeunes femmes et mon imagination prend le dessus. Je rêve ainsi lorsque Papy fait semblant de me fermer la bouche en riant.

- Hou hou garçon, arrête de baver, elle n'est pas pour toi ! 

Évidemment je sursaute et rougis, ce qui fait rire tous les adultes.

Et je déclenche l’ire des mutter quand Gisou me demande ce que je veux boire et que je réponds une amer bière. Les trois hommes eux ça les fait rire..

- Un panaché ce sera très bien.

Mais en acceptant ça Papapa déclenche une révolution car les filles veulent échanger leur soda pour la même chose que moi. Ce qui évidemment n’est pas du goût des mutter et des pater cette fois. Et je me mets à haïr Isabelle.

- Papa il est plus jeune que nous et il y a droit et pas nous c’est pas juste !

Et bien sûr Gisou est d’accord

- Richard, Isabelle a raison. Mademoiselle ce sera un Coca pour lui aussi. 

- Hé non !

Mais le seul droit que j’ai c’est de faire la gueule et de jeter un regard noir à l’autre garce à cause de qui j’suis traité comme un môme. En plus, madame est très fière d’elle, même si elle continue à rouspéter car elle n’a pas eu son panaché. Je la déteste.

Et puis leur feu d'artifice, il est nul. Ceux de Munster, ils étaient mieux. 



- Richard ton gamin, tu sais qu’il boude encore ?

- Et bien écoute, au moins pendant ce temps il est sage.

Jusque là, je remontais vers le chalet à côté d’eux, mains dans les poches en regardant mes pieds se défouler sur les cailloux traînant sur la chaussée. Je lève la tête, les adultes me fixent moqueurs. 

Font chier !

Je connais le chemin jusqu’au chalet et je pars en courant.

- Stop ! Robert reste là !

J’entends ses fils rire et lui dire que courir ne me fera pas de mal… qu’ils me retrouveront au chalet…

 

Et bien sûr comme un abruti je n’ai pas pensé qu’ils fermeraient la porte. Je lève la tête. Y a-t-il toujours une clef là-haut ? Mais le truc c’est que moi même en sautant je n’atteins pas la poutre. Il y a le vélo de Yvy qui traîne, je vais le chercher et l’appuie contre le mur.



Du fond de mon lit, je les entends arriver et j’angoisse pour la suite mais lorsqu’enfin Morphée m’happe dans son sillage, personne n’est monté me voir.

 









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