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grâce à vous deux Richard et Gisou (incomplet, en cours d'écriture )
7 janvier 2011

Robert lundi 15 août 1977 attention

   Robert lundi 15 août 1977 attention



Une main se referme sur mon bras au moment où j’entre dans le sas.

- Où vas-tu ?

Je me retourne sur la grand-mère. Quoi encore ?

- Il est dix-sept heures trente, j’ai le droit de sortir.

- Pas aujourd’hui, ce soir on descend au village.

Je lève les yeux au ciel et souffle, oh non !

- Ah oui c’est vrai, j’avais oublié. J’suis obligé d’y aller avec vous ? Mammema sourit mais… ce n’est pas un vrai sourire, j’ai l’impression qu’il est un peu triste. Bon ça va, ça va !

J’ai déjà fait demi-tour, elle me retient et me force à la regarder.

- Non, tu n’es pas obligé mais l’année prochaine, sais-tu si tu pourras venir ?

Je lui souris en faisant une grimace style j’suis horrifié.

- Hé je ne compte pas mourir d’ici là !

- Non, mais tu ne sais pas si tu auras des congés. Par contre cette année tu restes avec nous. Aucun de vous de ne s’éloigne seul.

- Oh ! J’ai un frisson au souvenir de ce qui s’est passé l’année précédente. Oui promis mais j’espère bien avoir des vacances pour Noël.

Elle sourit amusée.

- Noël ce n’est pas le quinze août.

- Oui, mais…

Elle secoue la tête.

- Allez s’il te plaît, fais nous grâce de ta présence avec nous.

Je soupire et… 

- Ouais OK ! OK ! Mais je ne mets pas sa tenue de clown.

Là, son regard est suppliant.

- Robert… fais-lui plaisir…

- Et elle ? Elle me fait plais… Je ne termine pas ma phrase. Elle me tient les deux mains. J’ai envie de me tortiller comme si je devais me dépêtrer d’un filet. Ce filet, c'est son sourire, son regard qui me fixe et que j’essaie d’éviter. Cette expression empreinte de douceur et de reproches en même temps. Ouais je sais que tous ici, enfin les adultes... essaient d’être gentils avec moi. Que c’est moi l’ado chiant et égoïste. Je me penche sur sa joue. A mon arrivée, je me mettais sur la pointe des pieds. Et y dépose un baiser. Elle sent bon la vieille dame et le chocolat. OK OK je viens.

Cette fois je ne la laisse plus me retenir…

Sur la chaise devant mon bureau, Gisou m’a déjà préparé la tenue ce matin pendant que je faisais du vélo avec Richard : pull, chemisette et bermuda. Je la récupère de dessus le lit où je l’ai jetée pour me servir de la chaise. Elle est toute  froissée car je me suis couché dessus tout à l’heure.

J’ouvre mon armoire et, en dessous une pile de draps, je récupère le short qu’elle a confisqué à Véro après moult disputes.

Non décidément, j’ai l’air trop cruche avec.

Puis cette année j’ai les jambes toutes blanches parce que je n’ai porté que mes pantalons treillis. On dirait un touriste.

Je me laisse tomber à plat ventre sur le lit.

Bon il va bien avec le gros, enfin ça faut le dire sans me regarder… nul que je suis.

Putain mais j’ai quoi là, ces derniers jours ?

 

Habillé pour faire plaisir, je redescends et me couche sur le canapé, un coussin cœur dans les bras, collé au dossier. J’ai pas envie de rester seul et pas envie d’être avec les autres. J’suis franchement tordu comme mec !




- Allez Robert, à table que l’on mange vite pour ne pas arriver trop tard.

 

Sylvie pose devant moi une assiette de crudités et de charcuterie. Je la fais tourner, j’ai envie de manger d’abord les légumes après on verra pour le reste… Le reste… il reste car je n’ai plus faim. Lorsque je dépose mon assiette dans la cuisine, Gisou semble inquiète, elle vient vers moi, Mammema la retient.

Le désert passe tout seul, c’est de la glace et de la chantilly.




- Je peux la pousser ?

Sylvie s’écarte, Marine dans sa poussette se tortille pour me regarder. Je la secoue un peu, elle se met à rire. Sylvie fait mine de me reprendre la poussette, Mammema la retient.

- Elle ne risque pas plus que quand c’est son père qui fait le con.

- Mamy !

Elle sourit aux deux mutter et en même temps, a un geste agacé.

- Oui je sais, je suis désolée mais d’où elles sont, les petites ne m’ont pas entendue.

Je prends le bras de Gisou à côté de moi et me penche vers elle, j’ai droit à un regard suspicieux.

- Gisou, tu sais Coco et Fanfan le connaissent déjà ce mot.

- Et on se demande jeune homme qui leur a appris.

- Pas moi,  lui !

Du menton, je montre Richard qui vient prendre sa femme par la taille que je lâche et reprend la poussette des mains de Sylvie. Il prend un air outré.

- Moi ? Non… Je n'emploie jamais ce vocabulaire voyons.

Mammema à côté de moi, me chuchote :

- Bin voilà, je retrouve mon sale gamin.

Le sale gamin il est toujours là mais… il est enseveli sous une montagne de sentiments divers et multiples qui l’écrasent.




Au stand d’auto-tamponneuses Véro, Maï, les jumelles et Yvy ont déjà choisi leur monture, chacune la sienne. 

Michel tient sa femme dans ses bras et lui dépose un baiser dans le cou.

- Non Isabelle les auto-tamponneuses dans ton état ce n’est pas indiqué.

Elle se retourne vers lui avec un air de reproche.

- Et toi, tu vas m’abandonner pour en faire ?

Michel se met à rire.

- Je vais défendre ton honneur.

Je laisse passer Michel et prends sa place à côté d’Isabelle.

- Moi, je reste.

Elle me pousse vers la piste en me tendant un billet.

- Non, vas-y, tu sais. Je disais ça pour l’embêter.

Les mains dans les poches, je regarde les autres sans bouger.

- Non, non, mais moi. Je suis sérieux je reste avec toi.

Elle me regarde un peu inquiète puis sourit amusée.

- Ah ! Toi, t’as un truc à me dire ?

- Non même pas… j’ai plus de sous.

Elle se met à rire.

- Demande à Papa, il t’en redonnera.

Je secoue la tête et m’assieds sur le banc métallique. C’est dingue mais en un mois, j’ai l’impression qu’elle a explosé au niveau du bide.

- Tu sais que t’es grosse.

Elle prend un air vexé.

- Ah bin ça c’est toujours agréable à entendre.

Je baisse la tête embêté.

- Oui désolé !

Elle me passe un bras autour des épaules et veut faire comme Rémy, frotter son poing sur ma tête, je me défends en riant.

- Mais non, t’as raison mais je sais qu’en janvier je maigrirai d’un coup.

Bin si elle y croit, c’est déjà ça…

- J’sais pas.

- Qu’est-ce que tu ne sais pas ?

Je dégage son bras. Pourquoi je l’ouvre tout le temps ? Pourquoi je ne sais pas me taire ?

- Bin d’être enceinte et tout ça… et je ne saurais jamais.

A son regard je sais que j’ai ouvert la boîte de Pandore…

- Et qu'aimerais-tu savoir ? Comment j’en suis arrivée là ?

Je me tourne vers elle outré cette fois.

- Ça va pas, non ? T’es pas bien toi !

Elle se met à rire.

- Tu as bien vu avec Sylvie… gros bide puis pfui plus rien et un bébé.

Je lui lance un regard en coin dubitatif.

- Ouais, bin, j’trouve qu’elle n’a pas beaucoup maigri.

Elle se tourne vers moi, moqueuse.

- Mais t’es dans ta journée de bonté dis donc ?

Je secoue la tête.

- Non, je crois que je suis toujours comme ça. C'est pour ça que les filles en général me détestent. Elle est de plus en plus amusée. Pourquoi tu rigoles ?

- Parce que le jour où les filles te détesteront, je serai devenue moi aussi un garçon.

- Quel rapport ?

- Aucun. Mais t’es trop con.

- Merci !

 

Je reste avec elle toute la soirée mais on ne se parle plus. Je donne en douce à Yvy mes sous qui les partage avec les autres sans dire d’où vient sa soudaine fortune.

Je n’ai pas envie de m’amuser, juste d’attendre que le temps passe et il passe si lentement.




Mammema me tend un mug de tisane bien chaude puis ressort dans le jardin rejoindre les autres adultes.

- Tiens bois ça puis monte te coucher.

Les filles, elles, sont montées se coucher dès notre retour.

Moi, assis par terre dans le noir, devant le canapé je fixe la cheminée éteinte. J’ai envie de l’allumer juste pour voir danser les flammes. Mais, je me ferais engueuler alors je reste à regarder l’âtre froid.

Je souffle sur le contenu de la mug de Mammema.

 

Je les entends discuter dehors sans comprendre ce qu’ils se disent.

Le bruit de leurs voix tissent autour de moi une sorte de cocon protecteur.

Le mug est chaud dans ma main, ça aussi c’est agréable.

Une des jumelles descend en petite culotte et marcel pourrave. Elle passe devant moi sans me voir. 



A son retour, elle s’arrête à ma hauteur.

- T’es toujours là ? Qu’est-ce tu fous ?

- Je buvais une tisane.

- Tu l’as finie ?

- Oui.

- Alors vas jeter ton mug et viens te coucher avec nous.

- Avec ou sans élan ?

- Quoi ?

- Bin jeter mon mug.

- Oh ! Avec élan comme ça, la maison s’animera un peu et je pourrai contempler ton massacrage.

- T’es trop gentille.

Elle me fait une sorte de révérence qui m’ouvre un décolleté que je n’avais pas envie de voir.

- Toujours mais ne me nifles pas trop ou j’oublie mon invit.

- OK ! OK !  Je vais chercher ma couette.

- Pas besoin fait trop chaud et au pire y en a plein dans la chambre comme pour les oreillers.



J’entre prudemment  dans la chambre devant elle. Elle murmure : 

- Fous-toi à poil et dodo sans faire chier.

Je tourne la tête vers elle avec un grand sourire moqueur et sur le même ton.

- A poil ? t’es sûre ?

Elle  hausse les épaules tout en s’allongeant à côté de sa sœur.

- Tu sais que t’es trop drôle dans ton genre ? Mais c’est pas moi qui serai la plus gênée.

Je pose mes fringues sur le tas des leurs et me laisse comme elle, tomber… la tête sur un oreiller entre Véro et Yvy.

Comment font-elles pour que ces matelas soient si moelleux ?

Véro suce vraiment son pouce, c’est rigolo, ça fait quoi de sucer son pouce ? Bon le mien a un goût pas ouf.

Bonne nuit les filles…















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15 janvier 2011

Robert mardi 20 septembre 1977 tarmac

Robert mardi 16 septembre 1977 tarmac




La lumière et la voix du capitaine, nous jettent une nouvelle fois en bas de nos lits.

- En tenue de combat sans ceinture dans la cour.

 

Il est trois heures.

Ça pique.

- Commencent à m’épuiser !

L’exclamation de Dimitri nous amuse. C’est bon de commencer une journée en riant.

Walach lui répond d’une voix désabusée.

- Parce que tu commences seulement ? Moi, il y a quinze jours que je suis déjà sur les rotules, j’ai l’impression que je vais finir cul de jatte !

Les portes d’armoire l’une après l’autre claquent, suivies par les clics des cadenas.

Nous vérifions mutuellement la rectitude de nos lits, de nos tenues, la propreté de la chambre puis comme un seul homme, nous nous précipitons hors de la pièce.

J’ai le lit le plus au fond de la chambre, je sors en dernier.

J'éteins la lumière mais laisse la porte ouverte.

Les marches des trois étages sont vites avalées et nous nous glissons à nos places dans les rangs de notre brigade.

A côté de moi, André et Momo n’ont pas l’air plus réveillés que moi. Nous avons tous des mines de déterrés avec des cernes que nous désespérons de voir disparaître un jour.

 

Ils ont éteint toutes les lumières extérieures et dans le noir au pas de course et en chantant. Nous longeons les bâtiments, pour rejoindre le tarmac. Le long duquel sont garés les avions de l’école.

Marius trois ans plus tard nous dira : “si ici, j’ai appris quelque chose, c’est à chanter.” Nous serons cinquante à lui assurer que non.

Ses deux milles mètres nous paraissent vingt milles.

Mais au fur et à mesure de notre approche, nous apercevons les aspis qui nous y attendent .

 

Encore une fois, ils sont en grand uniforme et nous en kaki pour bien nous montrer la distance qui nous sépare d’eux.

 

Le commandant D se fend encore d’un beau discours qu’il conclut par cette phrase : «Messieurs vous êtes arrivés ici nus, vous repartirez habillés.»

En fait, heureusement qu’on est pas vraiment à poil. Vu que le calot avec le charognard que l’on se voit remettre par notre parrain, ne nous aurait pas beaucoup réchauffés. Nous tremblons tous de froid sûrement à cause de la fatigue mais surtout du Mistral. Et nos couvre-chefs tout neufs (premier symbole de notre appartenance dorénavant à la grande famille de l’armée de l’air) ont bien du mal à rester sur nos têtes.

 

Étape marquante, la remise du charognard sur le calot.

Ah ! je l’aime mon épervier, comme lui, je chasserai avec dextérité, rapidité mais aussi avec discernement.

 

Encore un mois et je recevrai le poignard qui me consacrera officier.

J’ai hâte. Mais en attendant il nous faut finir notre période d’aguerrissement où on va nous enseigner à la dure, notre futur métier de soldat et surtout d’officier.

Certains autour de moi, angoissent vu les dix jours que nous venons de passer.

Quant à moi, je me dis que ce ne sera plus que du physique et qu’il n’y aura plus, toutes ces brimades et vexations débiles que j’ai enduré en serrant les poings.

Et si j’ai choisi l’Oiseau comme père tradi c’est aussi pour pouvoir un jour lui faire payer au centuple toute sa méchanceté gratuite à mon égard.

17 janvier 2011

Robert lundi 24 Octobre 1977 huit semaines

Robert lundi 24 Octobre 1977  huit semaines



Ce soir c’est revue d’armoire.

Tout devra être propre, repassé et rangé.

Notre brigade est la dernière comme d’habitude à y passer.

Vingt-quatre bonhommes à remplir, vider les cinq lave-linge et sèche-linge puis à suer sur des fers à repasser archaïques qui ne chauffent pas, en mesurant à la règle en fer l’écartement réglementaire des plis de nos chemises.

 

Huit semaines se sont passées.

Huit très, très longues semaines où nous avons fait connaissance avec le sadisme, si si !  Le sadisme de ceux qui ont pour mission de nous rendre dingue et/ou (rayer la mention inutile… ) malade de fatigue.

Mais bon, avec tous ceux de ma chambrée, on a tenu, faisant mentir nos détracteurs au visages peints en vert. Pas comme certains qui ont abandonné. Immédiatement remplacés par des nouveaux, trop heureux de nous rejoindre après avoir désespéré de n’être pas pris. 

Despéro aussi a tenu le choc. Même si nous nous sommes un peu éloignés pour plus nous rapprocher des autres membres de notre brigade. Nous nous soutenons de loin en loin même lorsque nos brigades sont en compétition. 

 

Notre brigadier hier nous a dit que nous étions la brigade la plus soudée des quatre et qu’il était très fier de nous. 

Mais sur les vingt-cinq pax, j’ai quand même des préférences. Enfin, disons qu'avec certains, je m’entends mieux qu’avec d’autres. 

D’abord les deux blonds à ma droite et à ma gauche dans les rangs. André, un mec tellement pâle de cheveux autant que de peau que j’ai d’abord cru qu’il était un albinos. J’ai fini par lui refiler l'huile solaire que Gisou a collé dans mon sac car moi, je n'en ai pas besoin. J'aurais largement préféré des produits anti-moustiques, car je me suis fait vider de mon sang par ces minuscules vampires.

Puis Monique qui n’a de fille que le prénom. et les jupes quand elle les met avec sa tenue bleue. 

Ensuite Josef, un juif marocain qui a entrepris de m’enseigner parallèlement l’hébreu et l’arabe. 

Et enfin Moussef, un géant qui vient de Djibouti aussi noir de peau que le père fouettard mais qui arriverait j’en suis sûr, à le mettre dans sa poche.

 

Huit semaines que l’on a vécu coupés du monde, coupés de nos proches que l’on va revoir ce week-end. J’ai hâte, j’ai tellement de choses à leur raconter. 

 

- Regarde.

André me montre en rigolant Kro (De son vrai nom Corentin mais qui a hérité de ce pseudo car durant ces huit semaines, il n’a pas arrêté de dire qu’il rêvait d’une bonne Kro bien fraîche.) qui s’est endormi sur sa chaise devant son sèche-linge qui vient d’ailleurs de s’arrêter.

J’arrête son geste de vouloir le secouer.

- Ne le réveille pas. J’ai bien cru qu’il ne tiendrait pas les huit semaines. Lui on peut dire qu’il a tout donné. T’as fini ton linge ?

- Non, il sèche et je dois encore le repasser. Quelle corvée ! Plus tard, j’aurai une femme de ménage.

Je me demande ce qui revient le moins cher , une épouse ou une femme de ménage ?

- Pourquoi pas une femme tout court ?

Il fait tourner son index contre sa tempe.

- Ça va pas non ? Je ne vais pas m’aliéner avec une femme, alors que je peux en avoir cent.

Je soupire, il n’a pas tort en vrai et en même temps… Je lui montre les sèche-linges.

- Ouais, t’as bien raison. Tu me donnes un coup de main, on lui plie son linge comme ça on libère le sèche-linge. Et puis cela nous occupera sinon je vais finir par faire comme lui.

Il se met à rire mais me suit.

- Tu rigoles ? Toi tu m’épuises, tu ne t’arrêtes jamais.

Pourtant si. Là, je rêve de ne rien faire, de dormir deux ou trois jours d'affilée.

- Si ! Quand je suis à l’horizontal.

Il se met à rire et me répond avec un air mutin.

- Ah bin moi tu vois. C’est quand j’suis à l’horizontal que je n’arrête pas.

Nous nous mettons à rire tous les deux.

 

Sur ces huit semaines, j’en ai détesté une, la première. Celle où nous avons subi le bizutage, le bahutage des aspis. Même si après, on a tout autant souffert, l’ambiance n’était pas la même. En tout cas moi, cette semaine ne m’a rien appris. Si ce n’est la haine de ces petits chefs qui se sont cachés derrière un certain anonymat pour se défouler sur nous. 



 Après ces jours d’«amusements», nous avons continué à nous frotter à la vie militaire sous ses côtés les plus rudes.

L’un des premiers jours lors d’une de nos « balades », assis en tailleur sous les pins en respectant la distance de deux mètres, imposée entre nous, et dans un silence monacal, nous réceptionnons nos rations. 

Nous avons dix minutes pour manger, pas le temps de rêvasser. 

Chouette j'ai du poulet,  j’angoissais d’avoir du poisson. Devant moi la tête de Moussef a un mouvement que je connais bien. Il pose la boîte de conserve à côté de lui, je lis : choucroute. 

Je lui lance la mienne de façon qu'elle atterrisse juste à côté de sa cuisse. Il sursaute et la prend. Sa main saisit alors sa propre boîte qu'il lance vers l’arrière du bout des doigts. Je vois nos gardes chiourmes tiquer sans intervenir.

 

Mon côté casse-cou a plus apprécié les semaines suivantes que nous passons dans les Basses Alpes près de Gap.  Là-bas, je suis chez moi.

Le dernier jour, nous gravissons à la queue leu leu les 2464 mètres du mont Piolit.  Ascension qui clôture admirablement ces quinze jours qui nous ont vu morpionner1 sur des sentiers à flanc de montagne où les cailloux ont tous la même volonté farouche de s’enfuir de dessous nos semelles provoquant des chutes cruelles pour nos articulations mais aussi nos mains sur lesquelles nous nous réceptionnons.

Le sac sur notre dos pèse trente kilos. Les sangles nous scient les épaules, le soleil tape sur le casque ou sur l’espèce de chapeau de pêcheur. Le poids, je m'en fous. C'est la chaleur qui me pèse le plus. 

Cela faisait un certain temps que ma bouteille est vide et pesait des tonnes au bout de mon bras.  

Ils nous ont pourtant prévenus, mais la chaleur et la soif, c'est un truc que je ne sais pas gérer. Je continuais donc à avancer, pas le choix : arriver au bout ! 

Quelqu'un m’a doublé et d'un geste sec m’a fait lâcher ma bouteille pour la remplacer par une bouteille à moitié vide. Je reconnais cette nuque brune. Cette fois je vais me rationner, du moins... je vais essayer. 

Devant moi, la nana avançait d'un bon pas, par contre derrière l'albinos avait du mal à suivre, je restais à sa hauteur et comme la veille, je marchais à côté de lui en soulevant légèrement son sac dorsal par une lanière, le soulageant d'un petit peu de poids. Lorsque mon bras me faisait mal, je changeais de côté. Nous sommes arrivés ensemble, je l'ai aidé à poser ses sacs puis à enlever les miens. Ma bouteille était encore vide. Il me tendit la sienne. Nous l'avons partagée.

 

J'ai le sommeil lourd quand je suis HS alors je ne remercierai jamais assez ceux, qui, plus d’une fois, m’ont réveillé, presque habillé pour ensuite me traîner derrière eux.  Ou pour me permettre d’assurer sans retard mes gardes dans un froid déjà assez piquant en milieu de nuit.

Parlons du froid qui nous donne l’impression de dormir dans un sac mouillé.  Surtout que la toile de la grande tente qui accueille les vingt cinq pax de la brigade, ne protégeait guère du vent et du froid. De même que l’étroit lit Picot qui, s’il nous évitait de dormir directement sur le sol, était pour moi comme pour d’autres (déjà) trop court.

Momo est celle d’entre nous, je crois, qui en a le plus souffert. 

Un matin, réveillés sous les étoiles, je l’ai vu en pleurer.

- Mets tes mains contre ton ventre, elles se réchaufferont plus vite.

- Ça va pas ? J’suis déjà gelée.

J’ai alors ouvert ma veste matelassée et lui saisissant les mains je les ai glissées contre moi, contre mon ventre, la serrant contre moi. Je ne pus retenir un outch de surprise ne m’attendant pas tout de même à un contact aussi glacial.

- Mais à partir de ce soir porte des gants et un bonnet même pour dormir et même une ou deux autres paires de chaussettes. 

Elle a suivi mon conseil.

En tout cas, si moi, elle m’avait refroidi, ses doigts furent moins engourdis.



Ma mémoire nous sauve lorsqu’il faut se rappeler un carte et associée à la capacité d'analyse rapide d'un autre, notre groupe arrive à chaque fois en premier lors des parcours d’orientation.

On apprend vite à veiller les uns sur les autres. Car si l’un d’entre nous fait une connerie, oublie un truc c’est tout le groupe qui est puni. Et ça franchement ça fait chier.

Et pareillement, on pousse les plus faibles, on les soutient et on les aide car c’est toujours cool d’être récompensé… Comme pouvoir dormir en arrivant les premiers, en attendant que les autres brigades arrivent.

Aider un autre poussin qui n'arrive pas à remonter son arme en lui passant la nôtre et finir de remonter la sienne pour que tout notre groupe reste dans le temps imparti. Et le soir, sous la tente, sur notre temps de sommeil, se relayer pour le chronométrer en le dirigeant de la voix. 

Et puis, il y a notre arme avec laquelle nous dormons, mangeons, pissons. Je lui donne un petit nom : Fanny. Le soir, je lui souhaite une bonne nuit en la bordant dans mon sac de couchage et le matin, je l’embrasse pour lui dire bonjour.

Moussef me demande même un soir, comment nous appellerons nos enfants ?

Par contre cette bobonne là, ne nous réchauffe pas et prend une certaine place en étant d’une rigidité gênante.

Et c’est sans compter aussi sur ceux qui nous encadrent et ne se gênent pas pour récupérer celles qui tombent au sol durant notre sommeil ou que nous posons quelques millisecondes pour… par exemple, nous changer ou nous laver. Pour ensuite nous le faire chèrement payer.

Notre Famas n’est pas le seul dont nous devons toujours nous soucier. Il y a aussi nos camarades. 

Une brigade ce n’est pas vingt-cinq pax... ce n’en est qu’un seul corps et toutes les occasions sont bonnes pour nous le rappeler. Et c’est vrai que ces deux ans qui nous verrons suer ensemble scelleront des amitiés au-delà de nos spécialités et certaines que nous garderons toute notre vie.



Bref tout cela n’est déjà plus qu’un souvenir dont le lave-linge vient d’effacer les dernières traces et pourtant nous savons que demain nous réservera d’autres plaisirs.

D’ailleurs c’est bientôt l’heure du repas et nous ne pourrons nous rendre au mess que lorsque nous aurons tous fini. C’est pour ça qu’André n’a pas rechigné à m’aider pour le linge de Kro. Mais là un fer se libère et je dois me résoudre à le réveiller, il est le seul pour l’instant à avoir tous ses vêtements secs.



La porte claque, nous faisant nous retourner sur le nouveau venu.

- Oh les limaces, si vous voulez manger faudrait vous magnier.

Il est sympa le brigadier mais faudrait qu’ils augmentent le nombre de fers et de machines s’ils veulent qu’on aille plus vite.

Les premiers à avoir fini sont de retour et trépignent déjà. Aidant comme ils peuvent les infortunés retardataires que nous sommes.

 

- Que ça ? Tu peux pas en rajouter ?

Le cuistot rigole et me rajoute une énorme louche de purée qui recouvre toute mon assiette. Même cette dose me semble bien légère pour remplir le trou béant de mon estomac. Déjà que je ne suis pas gros, il y a plusieurs semaines que j’ai rétréci ma ceinture d’un trou. J’entends déjà Gisou râler. J’en rigole tout seul devant mon plateau que je n’ai que cinq minutes pour vider.

 
















 






6 août 2010

Robert mercredi 17 Novembre 1976 nouveau prof.

 Robert mercredi 17 Novembre 1976 nouveau prof. 



Après avoir troqué nos pantalons, pulls et chemises pour un short noir et un tee-hirt vert aux armes du lycée et chaussures de sport aux pieds. Nous pénétrons dans la grande salle du gymnase. Devant nous deux heures de corde, de sauts et autres activités durant lesquelles nous restons plus souvent à regarder les autres qu’à les pratiquer.

Mais assis sur le gros tapis de saut, un homme qui ne doit même pas avoir la trentaine nous fait signe d’approcher et se redressant.

- Bonjour messieurs !

- Bonjour monsieur !

- Je suis monsieur Armand votre nouveau professeur d’éducation sportive et physique. Je remplace dorénavant Monsieur Armand parti à la retraite. Oui je porte le même nom que lui mais nous n’avons aucun lien de parenté. On m’a demandé de vous préparer à votre future vie, nous nous retrouverons donc dorénavant tous les matins. Nous nous regardons, nous n’avons sport que le mercredi matin et le vendredi après-midi en dehors des spécialités sportives que nous tous dû choisir en début d’année scolaire. Vous vous lèverez une heure plus tôt et ensemble nous ferons un petit jogging histoire de vous réveiller et de vous mettre en forme. Pour certains qui font de la course ce ne sera pas trop dur mais pour les autres cela vous habituera à votre vie l’année prochaine dans vos futures grandes écoles. On m’a dit que vous étiez une classe exceptionnelle alors messieurs éblouissez-moi ! Pour ceux qui le veulent, vous pouvez comme moi enfiler un bonnet et des gants et nous partirons pour notre premier jogging ensemble. Ah oui, il vous faudra m’apprendre vos chants et je vous apprendrai les miens qui eux n’ont rien de militaire.



Bonnet et gants…  quelle bonne idée. Ce mois de novembre est absolument pourri.

Je me glisse au cœur du groupe, les autres autour de moi, feront un peu écran contre le vent qui rabat sur nous la pluie glaciale qui nous fouette.

Nous avons du mal à courir en rythme car sa première chanson nous fait rire. Et c’est avec une chenille reprise à tue tête que nous sortons de l’école. Il a nommé Christian qui est à la chorale pour donner le ton et ce dernier enchaîne sur la Strasbourgeoise.

Sur le bord de la route, un gros C35 blanc tout rouillé est garé au milieu de nul part. Il est entièrement fermé par des panneaux occultants. Nous charrions Simon qui a des origines gitanes, en lui demandant si ce sont ses parents.

- Faîtes pas chier, mes parents, ils ont un camping car plus grand que l’école et là mon père il doit bosser. Vous êtes trop cons les mecs.



Comme sur la petite route derrière le bahut, il y a personne qui passe, nous restons groupés.



- Non mais attends, ils font chier ces cons !

Quelques minutes plus tard alors que nous courons maintenant sur la départementale, le fourgon blanc nous double et s’arrête presque au milieu de la route, nous obligeant à dissoudre momentanément le groupe pour passer à côté d’eux.

- Attention trois cent pompes à ceux qui tourneront la tête. Vous les ignorez.

Le prof reste sur le côté et passe en dernier.

Nous reformons le groupe plus loin.



Il veut nous faire entrer par l’autre portail donc nous passons devant l’entrée du parking où nous empêchons Gisou de sortir.

 

Une fois retournés au gymnase, le prof nous annonce : 



- Bon messieurs, à partir de demain, nous visiterons la ville. Le trajet devra durer une demie-heure pour commencer. Trouvez-vous un plan d’Aix et à tour de rôle, l’un de vous sera notre guide et devra avant notre départ, me fournir le tracé sur plan dessiné et annoté de tous les noms des rues. Ce sera évidemment un travail noté. Maintenant cette seconde heure sera pour un sport d’équipe car si vous faîtes tous du sport seulement trois en font en équipe, donc nous allons travailler vos compétences aussi là-dessus. Cette semaine volley. Lemoine et Vermont pour la semaine pro vous nous présenterez ce sport et vous serez nos juges lors des matchs.

On râle tous pour le fun mais en fait nous sommes tous ravis car au moins avec lui, ce n’est plus muscu pendant deux heures comme avec l’ancien prof.










5 décembre 2010

Robert mardi 7 juin 1977 angoisses

  Robert mardi 7 juin 1977  angoisses

 

- Bonjour Madame Dionis, le colonel est-il visible ?

Elle me regarde avec une expression moqueuse.

- Et bien je ne crois pas qu'il sache se rendre invisible.

D’abord surpris, je corrige de suite ma formulation.

- Oh désolé. Le colonel pourrait-il me recevoir ?

Elle me fait oui de la tête.

- C'est déjà mieux. Je la regarde se lever et se diriger vers la porte. Comment fait-elle pour tenir sur de tels talons ? Mon colonel, j'ai ici un jeune homme qui veut vous parler.

- Si c'est pour se plaindre, envoyez le chez Gâche, j'en ai ma dose ce matin des pleurnichards. Elle se tourne vers moi. Viens-tu te plaindre ?

Je vais encore me faire frapper mais tant pis c’est tellement tentant.

- J'aurais beaucoup à me plaindre de lui, mais non, pas cette fois.

Je l'entend soupirer et reculer son fauteuil.

- Faîtes donc entrer cet animal que je le rosse pour avoir osé dire ça de moi. Elle s'écarte et je passe devant elle avec un grand sourire, puis elle referme la porte derrière moi. Il s'est laissé aller en arrière dans son fauteuil avec un air très sévère mais je sais maintenant reconnaître ces coins de lèvres relevés qui montre sa difficulté à conserver ce visage de pierre. Alors comme ça, c'est de moi que tu viens te plaindre ?

Je vais jusqu’à lui pour l’embrasser.

- Oui, je vais même demander à changer de tuteur, d'ailleurs j'aimerais aller voir Gisou pour lui demander d'être ma tutrice.

Je regarde vers le balcon mais les volets sont à moitié descendus.

- Bon sinon, blague à part, tu veux quoi ? Dix francs pour la bouteille ?

- Ah t’as compris mon allusion ?

Je prends son nouveau stylo, il est blanc cassé et l’attache est en or comme la plume, est le nom de la marque : “Mont Blanc”.

- Oui j'ai voulu l'interdire, ce fut un tel tollé que j'ai laissé couler, heureusement toi, tu n'auras pas dix-huit ans ici.

Je repose son stylo en souriant puis je vais m’asseoir sur une des chaises.

- Ils me l'ont offert pour mes seize ans justement pour ça. Sinon ton stylo il écrit super bien.

Je ne crois pas qu’il ait entendu la fin de ma phrase, je le vois se décomposer. Il se lève et vient devant moi, l’air sévère.

- Tu te fous de moi, là ?

Il m’amuse.

- Non, non, ce fut étrange mais agréable.

- Raconte.

Je prends un air outré.

- Heu non.

- Robert je ne rigole pas. Il me tient par les bras et me secoue. Tu es allé…

J’explique avec les gestes qu’il faut.

- Oui, oui, même qu'elle était... blonde, la trentaine avec de gros seins.

Faut pas déconner tout de même, j’allais pas lui dire qu’elle était rousse.

- Oh putain !

Bingo !

- Oui, c'est le cas de le dire.

Je crois que le pauvre, je l’ai séché car il s’assied sur l’autre chaise à côté de moi, pensif.

- Lorient le sais ?

Qu’est-ce qu’il me fait l’autre, bien sûr !

- Bah oui, le soir, il est venu faire le débriefing avec nous comme à chaque fois.

Il est debout aussi sec.

- Je vais le tuer !

Cette fois c’est moi qui le tient par les bras, debout entre la porte et lui.

- Non, arrête ! Il n'y est pour rien et il est le plus sympa des capots. D'une main dans ma nuque, il m'attire contre lui.

- Bon, ce qui est fait, est fait mais jamais, jamais un mot à personne ! Compris ? Surtout pas à ta mère.

- Bah oui.

Il est malade lui ? Il me voit raconter ça à Gisou ? Oui, oui, j’ai fini par assimiler que “ma mère” avec eux c’est Gisou.

Il me repousse et va derrière son bureau reprendre sa place et rôle de colon… et son air sérieux.

- Bon, sinon, tu veux quoi ?

- Bin… voir Gisou, j'ai un truc à lui demander.

Plus de colon, revoilà Richard.

- Demande-moi le.

Je secoue la tête.

- Non, c'est Gisou que je veux voir.

Il fronce les sourcils puis hausse les épaules et décroche son téléphone.

- Gisèle, mon amour, j'ai un sale gosse qui refuse de me parler et ne veut parler qu'à toi... Tu me raconteras ? Comment ça, non ? Il raccroche. Vas-y, elle va t'ouvrir, il est midi, je passe au mess et je t'excuse, tu manges avec nous. File !

Je ne me le fais pas dire deux fois.

- Au-revoir Madame Dionis.

Elle ne lève même pas la tête de son petit miroir.

- Au-revoir jeune homme.





Elle m'attend en bas, derrière la porte, dans le noir. A peine la porte refermée sur moi, elle me prend le visage entre ses mains.

- Qu'est-ce qu'il y a mon lapin ? Des mains ont lâché mon visage pour mes bras et elle me détaille de la tête aux pieds inquiète. Tu es malade ? Tu as un problème ? Allez viens, monte, tu vas me raconter avant que Richard arrive. Elle se suspend presque à mon bras pour monter, j'ai l'impression de la hisser.

- Rien, c'est pas grave mais j'arrive plus à dormir ces derniers temps c'est ch... épuisant.

Hola Gisou calmos, faut pas s’affoler, il n’y a pas mort d’homme !

Encore une fois, elle me fait face, sur le palier du second.

- Mais pourquoi ? Qu'est-ce qui t'arrive ?

- J'ai juste peur, j'angoisse pour Salon. J'y pense H24 et du coup, bin, j'en dors plus. 

Elle s’arrête au milieu des marches. Ouf elle a l’air moins affolée. Maintenant on dirait qu’elle regarde un extra-terrestre…

- Pourtant dimanche, tu avais l'air bien.

Allez encore un petit effort, plus que quelques marches.

- Ouais si on veut, dimanche, je ... Au souvenir de dimanche, je fais la grimace, pourrait-on parler d’autre chose ? C'était la fête des mères, voilà ! En tout cas, je ne veux pas en parler à Richard, il va se moquer de moi. Et toi, tu ne lui dis rien, pitié !

Je joins les mains avec des yeux de cocker à la messe.

- Promis ! Mais tu sais, tu pourrais lui en parler, il ne se moquera pas de toi, j'en suis sûre. Lui aussi est allé à Salon et lui, n'avait pas fait une école militaire avant, c'était plutôt le petit garçon que sa maman gardait dans du coton.

D’une main, il empêche la porte de se fermer.

- Qui était gardé dans du coton ?

- Toi mon amour.

Il ne semble pas tout à fait d’accord.

- Moi ? Tu rigoles ou quoi ? J'ai été élevé à coup de triques. Il se tait et me regarde rire avec Gisou. Désolé bonhomme.

- Non, c'était drôle surtout quand on connaît Mammema et Papapa.

Je mime une poule, les mains sous mes aisselles, mes bras formant des ailes. Gisou sourit. Lui me fusille des yeux mais ne reste pas sérieux plus de trente secondes. 

- Maman, mère poule, oui un peu, même si mes jambes ont goûté du martinet. Mais Papa, des fois, je me demande comment on a survécu avec mon frère.  Il se déchausse et me montre mes pieds. Je refais la poule tout en lui obéissant. Et toi, je vais te plumer si tu continues ! Sinon ma femme, on mange quoi ? Si on faisait cuire ce gallinacé à la broche ?

Elle lui pince les poignées d’amour à travers sa chemisette.

- A prendre, c'est toi que je mettrais à la broche, tu es plus gras donc plus goûteux, lui, il n'a que les os sur la peau, regarde.

Elle me pince juste sous les côtes à gauche puis à droite, la cuisse, le cou, je me tortille en riant tout en reculant. Richard se rapproche en faisant la pince de ses doigts.

- Je peux aussi ?

Je fuis dans la cuisine.

- Nooooon ! Ils sont à deux sur moi et je finis presque à genoux. Pitié stop !

Ils arrêtent, Gisou m'embrasse sur la joue. 

Richard met la table, je veux l'aider, il me force à m'asseoir puis s'assied à côté de moi.

Gisou pose un gratin devant nous et de la salade.

- Les hommes, j'avais prévu pour deux, vous vous rabattrez sur le fromage.

Je les regarde, je les écoute.

En fait, ils n’ont pas besoin de se parler. Elle nous sert, lui coupe du pain pour elle puis pour lui. Il la complimente pour chacun des plats, elle minaude, on dirait presque une ado, je la verrais bien rougir.

Je suis bien avec eux deux, je n'ai pas envie de retourner à l'école, je n'ai pas envie d'aller à Salon ou n'importe où ailleurs, j'ai juste envie de rester là, avec eux.

Elle croise mon regard et le sien se teinte d'inquiétude.

- Tu ne manges pas ? Tu n’as pas faim ? Tu n’aimes pas.

Je sors gêné de ma rêverie.

- Si si c’est très bon.

Et je me dépêche d’engloutir ma tomate et de me saisir du plat à gratin pour l’attaquer directement.

- Hé, carrément !

- Richard, je t’en ai servi plus qu’il ne lui en reste.

- Oui peut-être mais c’est mon privilège de racler le plat !

Elle se lève l’air amusée pour aller ouvrir le frigo. Lui avec sa fourchette fait mine de taper dans le plat. Je change de chaise, je fais glisser le plat d’une place à l’autre, un bras levé devant en protection. Il passe, à ma suite, de chaise en chaise. Gisou soupire et revient s’asseoir à table, cette fois entre nous deux et pose la grosse boîte à fromage au milieu de la table. Puis se penchant au-dessus de moi, se saisit de son verre, de son assiette et de ses couverts qu’elle pose devant elle. Mais d’un coup saisissant sa fourchette, elle pique une rondelle de courgette dans le plat et la déguste.

- Hum Richard, tu as raison, elles ont bien meilleur goût comme ça.

Je glisse le plat devant elle.

- T’en veux encore ?

Et… je ne comprends pas son air surpris.

- Non poussin, mange.



Après le repas, Richard repart de suite, moi j’aide Gisou puis je vais m'allonger sur le canapé en attendant de retourner en cours.




C’est la voix de Miss ronchon qui me réveille.

- Hé lui, il fait quoi sur le canapé ?

J’entends Gisou intimer à Véro de se taire

- Chut Véronique, fait moins de bruit, il dort.

- Non, il dormait. Je regarde ma montre. Oh non Gisou, vous ne m'avez pas réveillé, j'ai loupé des cours moi.

Je me lève énervé, j'ai honte de m'être endormi.

- Calme-toi, Richard a donné une excuse pour l'après-midi, tu manges encore ici ce soir puis tu retourneras te coucher dans ta chambre à moins que tu veuilles dormir ici. Tu avais besoin de dormir c'est tout, la, calme-toi.

Je les suis jusque dans la cuisine ou les trois petites sont déjà attablées devant un bol de chocolat.

- Non, mais moi je veux retourner en cours.

Isabelle me tend un bol, surprise.

- Il est dix-sept heures trente, t'as encore cours toi ?

- Oui jusqu'à dix-huit heures et après je vais en sport, le mardi, j'ai athlé, jusqu'à dix-neuf heures, on mange puis on bosse ou on s'amuse jusqu'à vingt-deux heures et extinction des feux.

- Hé Maman, eux ils se couchent à à vingt-deux heures alors que nous… et par-dessus le marché moi, j'ai deux ans de plus que lui, c'est à vingt heures trente ?

- Et bien, toi, tu as ton compte de sommeil et pas lui, surtout que toi, je te réveille à sept heures et lui à six heures.

Ouais et je trouve ça pas top.

- Non, cinq heures trente depuis notre nouveau prof de gym, même le dimanche. N'empêche que le dimanche, ils pourraient nous réveiller à sept heures.

J’ai l’air de rendre Yvy rêveuse.

- Quelle chance de pouvoir s'amuser jusqu'à vingt-deux heures.

- S'amuser, si on a fait tous nos devoirs. Mais souvent on se réunit pour s'interroger les uns les autres.

Véro d’un coup interroge sa mère.

- Mais Maman, ça n’explique pas pourquoi il est encore là ?

C’est moi qui lui répond, en essayant de rester sérieux.

- Parce dorénavant je vais habiter avec vous.

Là, je ne peux que rire de sa réaction immédiate.

- Quoi ? Maman c'est ...  Hélas, j’suis pas Richard. Moi c’est plutôt, sérieux s’abstenir…  Ouf ! J'ai eu peur.

- Bon et si au lieu de vous disputer vous goûtiez ? Pour pouvoir ensuite vous mettre aux devoirs justement. Et toi, tu fais ce que tu veux, tu m'aides à préparer le repas et on parle ou tu vas à l'athlétisme.

 

Les grandes sont chacune sur leur bureau, Fanfan sur la table de la cuisine et Coco dans mes bras. Gisou ferme la porte. Elle me tend un économe.

- Tiens , épluche-moi ces patates. Alors qu'est-ce qui t'inquiète ?...






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14 janvier 2011

Robert vendredi 16 septembre 1977 père tradi

Robert vendredi 16 septembre 1977 père tradi

 

 

Bon, voilà, la période dite « Pépida » où les aspis sont quasiment libres de faire ce qu’ils veulent de nous et avec nous se termine.

Certains d’entre nous n’ont pas tenu le choc.

Les quatre filles ont tout mon respect car ils ont été plus que limite avec elles mais aucune n’a craqué.

 

Il y a eu des moments drôles comme se transformer en bibendum, manger sans couvert et du dessous de la table ou devoir tous rester immobile sur un pied bras en l'air jusqu'à ce que nous nous soyons tous écroulés.

Et là se faire pourrir car nous ne nous sommes pas entraidés...

Ou encore quand on a du écrire l’année de notre promo avec des pneus de toutes tailles en compétition avec les autres brigades.

D’autres que j’ai détesté comme les sempiternels cheeze à chacun de nos retours de crapahutage dans le «crado1».

C’est là où on a compris pourquoi nous avions du donner à notre brigadier un double de la clef de notre cadenas.

Ils vidaient par les fenêtres tout le contenu de nos armoires et le paquetage de 100 bonhomme ça donne un sacré tas

J’avoue que la premier fois,que j’ai été impressionné et me suis dit qu’on y arriverait jamais.

Mais d’abord faut savoir qu’ils nous avaient fait marquer de notre matricule toutes mais alors toutes nos affaires même chaque chaussette et ceux qui ne l’avaient pas fait par flemme ou manque de temps le premier soir s’en sont bien mordu les doigts.

Nous avons du mettre au point une stratégie et beaucoup communiquer.

Et chaque jour nous avons battu le record de temps de la veille.

Lorsque la première fois, le zeff nous passe en revue pour vérifier nos tenues, il s'arrête devant moi et me crache.

-Toi le fiston, tu n'as rien à foutre parmi nous, on va t’abraser2, je te le promets.

Ah ça, c’est sûr qu’il s’est acharné.

J’’ai bien cru que j’allais perdre la vue à force d’avoir sa lampe torche à dix centimètres des yeux dès qu’il le pouvait en me hurlant dessus : «Regarde-moi ! Regarde-moi !»

Et il m’a aussi gavé de m’appeler uniquement «le fiston3» comme si j’avais demandé quoique ce soit à qui que ce soit. Les parents me l’ont tous dit : «Si piston, il y a eu, il ne vient pas de nous.»

Mais heureusement que j’avais pris l’habitude de satelliser avec Gâche car pendant ces dix jours que ce soit en brigade ou seul, la place PO4, j’ai bien tourné autour.

Pareil pour les polichinelles et les pompes.

Ah ça il s’est bien planté en croyant me faire craquer en me poussant dans mes dernier retranchements. Oui parfois j’avoue il s’est foutu de ma gueule en publique car je pleurais de rage, de fatigue et de douleur mais (merci Papa) je ne supporte plus de baisser les bras devant quelqu’un qui veut me faire craquer. Préférerais en crever.

Ce qui a failli me fait craquer durant ces dix jours et les semaines suivantes ce fut le manque de sommeil.

Se coucher à pas d’heure et à peine dans les bras de Morphée se voir jeter du lit pour une nouvelle marche ou activité.

Et aussi la faim.

 

Quand j’y repense, ça me fait marrer car le dixième jours, les aspis sont venus marcher avec nous lors de la «marche au père» dans le but que chaque poussin se trouve un «père tradi» qui durant toute l’année et peut-être qui sait toute sa carrière comme Sam pour Richard, deviendra celui sur qui, il pourra toujours compter.

Et moi, bin celui avec qui je matche le plus c’est le grand Zeff lui même… un drôle d’oiseau cet aspi à la voix qui porte sans besoin de mégaphone et qui comme moi semble ne jamais pouvoir s’arrêter. Deux petites différences entre nous : il a vingt trois ans et c’est un ivrogne de la pire espèce. Bon je découvrirai qu’il n’est franchement pas le seul. Et la mixture au fond de laquelle je trouverai ma pucelle sera à 200 % de l’alcool agrémenté de piment. Me laissant KO à peine ma poitrine épinglée, l’obligeant à me porter jusqu’à l’infirmerie s’inquiétant de ma perte de connaissance.

 

Là-bas après un lavage d’estomac que j’ai apprécié à sa juste mesure et trois heures sous perf, j’étais remis sur pied pour la suite des réjouissances.

Un repas pris en commun poussin et aspis, où le vin servit par les aspis coule à flot sauf pour moi ce qui me vaut certains questions et réflexions.

- T’es PD ?

- Tu sais que tu ne seras jamais un homme !

- Gamin on t’apprendra à t’amuser.

- Boire c’est comme baiser une femme c’est orgasmique.

 

 

Nous sommes tous réunis en bas des escaliers.

Nous rêvons tous de nos oreillers…

- Les poussins vous avez cinq minutes pour être de retour ici en civil. Attention nous garderons toutes les lumières éteintes. Alors celui qui se casse une jambe, on l’achève et on l’enterre derrière la maison du Général.

Ses derniers mots nous font rire mais cinq minutes plus tard, nous sommes tous de retour en silence.

 

Chaque parrain et son filleul s’exfiltre en silence vers l’extérieur de l’école où en bordure de route deux bus nous attendent pour nous emmener jusqu’à Aix dans une boîte de nuit.

- François, tu sais qu’il est mineur et que ça se voit.

- Ouais fait chier ce bébé. Et le fiston tu restes bien au mieux du groupe.

Finalement dépassé par le nombre mais surtout prévenu de notre descente le videur ne vérifie aucune de nos pièces d’identité.

Pour moi c’est une grande première et un souvenir incroyable.

Nous sommes de retour peu avant l’heure du réveil, nous laissant juste le temps de nous allonger pour nous relever aussitôt. Enfin une demi-heure plus tard.

La journée promet d’être longue.

1Autre nom pour la Touloubre, petit ruisseau coulant sur le terrain de la 701 et où les gradés aiment bien faire barboter pendant des heures les poussins.

2On va pas te louper, on va détruire

3Synonyme de pistonné

4Pelletier Doisy

21 mai 2010

Robert mercredi 8 septembre 1976 élections

Robert mercredi 8 septembre 1976 élections

 

- Messieurs, nous allons donc procéder aux élections des délégués de classe. Weisembacher, pas de discours cette année ?

- Non monsieur, ce serait contre-productif.

- Et bien distribuez tout de même les bulletins et ramassez-les.

- Pour quoi moi ?

- Pardon ? Vous viendrez prendre vos exos en fin de cours !

Et vlan ! Ça m’apprendra à fermer ma gueule !

Comme l’année dernière, j’écris Marion Garrot.

Comme l’année dernière Nevière pour le cahier du jour, Nguyen pour le tableau.

- Commençons : Weisembacher. Weisembacher, Weisembacher. Weisembacher… Je veux mourir et cette fois pour de bon ! Ils se sont tous donné le mot ou quoi ? Ah tiens, du changement : Garrot ! Weisembacher. Bon et bien jeune homme vous êtes élus avec dix-neuf voix et comme j’avoue que j’ai la flemme et que j’estime que l’on s’est assez amusé. Garrot élu en second.

- Non !

Là toute la classe éclate de rire !

- Weisembacher, je suis tout de même étonné par votre cri du cœur, cela fait tout de même deux ans que vous votez pour lui…

- Pour le faire chier…

Le prof fronce les sourcils.

- Dix exos de plus pour votre langage. Même si… je me demande si je vais vous les donner car s’ouvre devant vous une longue année d’expiation. Mais bon vous avez bien dit que vous aimiez avoir toujours plus de travail. Maintenant passons aux suppléants…

Je rends un papier vierge, vierge comme mon cerveau, vierge comme mon envie de bosser. Un an d’enfer s’ouvre sous mes pieds, je serai mort avant juin !

 

 

 

12 novembre 2010

Robert Jeudi 14 Avril 1977 le mur 1

Robert Jeudi 14 Avril 1977 le mur 1



C’est le long hululement de la sirène de l'alarme incendie nous jette dans la cour en pyjama, drapés dans notre couverture.

Le règlement est strict : dans ce cas de figure, nous devions descendre en moins de trois minutes dans la cour de l'école.

Pour une fois toutes les portes des diverses issues se trouvent grandes ouvertes et nous avons autorisation et même obligation de courir dans les couloirs.

Je n'eus pas besoin de compter les garçons de mon groupe, il manquait deux bonshommes à l'appel... encore au lit ou ayant fait le mur, seul moyen de le savoir : remonter dans leur chambre.

Cela impliquait deux choses toutes aussi désagréables pour moi : Demander l'autorisation au capitaine Gâches et donc lui avouer mon défaut de surveillance. J'étais le Major de ma section, ces garçons étaient sous ma responsabilité et ils manquaient à l'appel.

- Bob tu vas faire comment ?

- T'es mal mec !

- Ils font chier Antoine et Damien, nous allons être tous punis à cause d'eux.

Devant moi, les têtes se dégagèrent des couvertures et les dos se redressèrent. L'ordre tomba finissant de me glacer.

- Garde à vous ! Je mets un certain temps, trop longtemps certainement à me retourner et saluer. Le sourire du capitaine me glace. Il me semble l'entendre réfléchir tout haut à toutes les possibilités de sanctions qui s'ouvraient à lui. Alors Monsieur, toujours Grondin et Charcot ? Cette fois vous ne pourrez pas les couvrir mon garçon.

- Mon capitaine, je demande l'autorisation de remonter dans les chambres.

2

Son rire ne fut partagé par aucun d'entre nous.

- Cinq fois que je les loupe ces deux petits salopards. Vous savez comme moi jeune homme que ces deux délinquants, s'ils sont au chaud dans un lit, ce ne sera pas dans celui de l'école. Mais montez, montez, je vous suis pour le plaisir de goûter à votre déconvenue.

Abandonnant ma légère protection contre le froid, à l'élève directement derrière moi, je me mis à courir en direction du bâtiment. Le pas lourd de Gâches se fait entendre derrière moi, je ne le sèmerai pas avec ces maudites pantoufles. Au bas des escaliers j'abandonne ces dernières puis avalant les marches trois par trois j’essaie de creuser la distance. En même temps je tente de trouver une solution mais je n'arrive qu'à prier pour que nos deux abrutis aient décidé de revenir.

La porte de leur chambre trouvée fermée, claque contre le montant du lit de Damien. La main du capitaine se pose sur mon épaule. Devant nous deux lits vides, les draps en vrac sans couverture. Sur les chaises des deux bureaux, les uniformes réglementairement rangés. Je ne peux réprimer un léger sourire mais contiens le soupir de soulagement qui ne demande qu'à sortir. Par contre je peux m'empêcher de plier sous la pression de la main qui me broie l'épaule tout en sursautant lorsque il envoie dinguer la chaise et son contenu.

- Les salopards ! Les salopards ! Aller chercher tous vos camarades, votre nuit est finie !

En bas des escaliers plus de pantoufles. Gilles me rend ma couverture. Devant ma section seule encore dans le froid, Richard en grande discussion avec les caporaux se tourne vers moi .

- Monsieur, peut-on savoir d'où vous venez ?

- J'ai dû accompagner le capitaine qui voulait faire une inspection des chambres, mon colonel.

3

- Pieds nus ?

- On m'a volé mes pantoufles mon colonel.

- Vous me décevez jeune-homme, Camoufler ses incapacités derrière une accusation n'est guère digne d'un major. Vous passerez à mon bureau pour les récupérer et prendre connaissance de votre sanction. Messieurs rompez, remontez à vos chambres.

Dans nos chambres ce n'est pas le Mistral qui a sévit mais carrément une tempête venue tout droit de Sibérie. Le capitaine s'étant amusé à vider tous les divers contenants de nos chambre aussi bien dans les chambres que dans le couloir. De plus, les fenêtres étant grandes ouvertes, il règne un froid polaire aggravé par un monstrueux courant d'air qui fait s'envoler en tout sens les feuilles de papiers. Bien sûr, deux chambres ont les plus soufferts de sa vindicte.

- Vous avez une heure messieurs et interdiction de fermer les fenêtres, cet étage a un grand besoin d'aération.

D'abord moroses nous nous mîmes au rangement. Jacquemin dont seule l'armoire avait été visitée vient nous prêter main forte dans la notre une fois la sienne finie.

- Waouh trop chouette ces avions. Ils volent bien en plus.

Récupérant l'avion en papier ramassé sous mon lit, il le relance en travers de la chambre puis dans le couloir. Eh les gars, profitons que les fenêtres sont ouvertes et quitte à être punis que ce soit pour quelque chose : je propose un concours d'avions en papier, je fournis les feuilles ! Des protestations timides nous arrivent de certaines chambres vite cachées par les hourras montant de toutes les autres.

L'heure arrive bientôt à son terme et l'étage a retrouvé un calme plus ou moins relatif ponctué de quelques fous rire et de jurons proférés à voix basse.

- Attention les gars : Lancez !



4

Toutes les lumières des chambres s'éteignent en même temps et si dans les escaliers le bruit de nos pas avertissent le capitaine que nous serons à l'heure pour notre rendez-vous, une nuée de légers avions en papier de multiples tailles et formes a pris l'air à partir des nos fenêtres et lui font lever la tête.

Certains ne feront même pas quelques mètres se mettant en vrille dès la première seconde, alors que d'autres se laissant porter par l'air léger de cette fin de nuit de printemps iront en planant jusqu'au-delà des murs de notre école.











20 janvier 2011

Robert vendredi 4 Novembre 1977 des corolles dans le ciel

  Robert vendredi 4 Novembre 1977 des corolles dans le ciel



Ce matin pas un iota de vent par contre ils nous prévoient de la flotte.

En nous mettant en rang devant le bâtiment, nous sommes tous le nez en l’air, croisant les doigts pour que ce ne soit pas avant ce soir.

- Qui croit en Dieu pour une petite prière ? J’ai besoin de sous pour Noël.

L’Helgouach surenchérit sur Ténor qui vient de parler.

- Par ce que tu crois être le seul ?

Yann l’a énervé, Pierre se retourne sur lui.

- J’ai des gosses moi, contrairement à toi.

Celui qui vient de parler n’est pas le plus vieux d’entre nous, ni le plus beau d’ailleurs mais il a déjà deux enfants. Je trouve ça d’une débilité sans nom.

Se marier, pourquoi pas… comme disent la plupart, au moins quand on rentre chez soi, on enfile les pantoufles et on peut souffler. Mais des mômes ? Non, pas possible !

 

Aujourd’hui nous passons de la théorie à la pratique.

Aujourd’hui c’est le grand saut dans le vide.

Bref aujourd’hui nous allons être largués d’un CASA pour nos premiers sauts en parachute.

J’ai hâte, Momo et André aussi, d’autres moins.

 

Sur l’herbe bien alignés, nos sacs contenant nos voilures sont prêts.

Les deux premières brigades sont en train de pénétrer dans le ventre de la grosse bête.

A notre tour de nous équiper.

 

Enfiler ces harnais c’est pas une nouveauté pour moi même si avec les patter, je mettais ça comme on met un blouson, sans réaliser que… bin oui… ça pouvait servir. Un peu comme le bob dans le planeur pour le soleil. Sauf que… quand l'instructeur a fait claquer son petit sac en papier, si nous avons tous rigolé c’était plus pour cacher notre angoisse. Et là pour la première fois, je fais vachement gaffe en passant les cuissardes.

- Paf !

Je fusille du regard ma voisine.

- Oh, Momo t’es trop drôle.

- Aller avoues qu’il t’a foutu la trouille.

Non, je n’avouerai rien même si c’est vrai.

- Gnia gnia gnia ! Si c’est vrai qu’une couille qui éclate fait ce bruit, alors imagine le bruit si c’est un de tes pamplemousses ?

- C’est toute la différence entre vous et nous. Nous sommes moins fragiles que vous.

Son voisin de gauche, ne peut s’empêcher de se glisser dans notre conversation.

- En tout cas, nos fragilités vous les aimez bien.

Là par contre c’est elle qui lui jette un regard mauvais.

- Et bien dans mon cas, non Gomez, je ne les aime pas.

- Madame a ses préférences…

Second regard noir.

- Et alors ? Il est où le problème ?

Avec Dédé même si nous échangeons un petit sourire entendu, nous préférons ne pas entrer dans la discussion. Qu’elle se débrouille avec les autres mecs.

 

Assis dans le ventre du gros avion, face à l’autre brigade. Aucun de nous ne parle…

Dans quelques instants, nous expérimenterons une nouvelle dimension.

On peut lire dans nos gestes, dans les regards que nous partageons une certaine dose d’appréhension et même de franche angoisse pour certains.

En tout cas, aucun d’entre nous ne moufte.

J’ai l’impression que des kilomètres me séparent des instructeurs qui se sont levés lorsque la lumière rouge s’est allumée et que la sonnerie a retenti.

Debout, nous suivons le mouvement.

Debout, nous fixons l’embout sur le câble. C’est lui qui ouvrira notre parachute.

Debout, nos jambes n’ont d’autre choix que de nous soutenir.

J’en vois certains répéter à minima les gestes que nous avons répété cent fois sur l’herbe puis dans notre chambre en sautant de notre lit superposé.

De là où je suis, je ne vois rien si ce n’est une ligne de casques.

Puis tout va très vite.

Go ! Go ! Go !

On a plus le temps d’avoir peur.

Et pourtant, même moi qui plonge volontiers du dix mètres et même de plus haut, je dois reconnaître que c’est impressionnant.

D’un coup… le vide est devant nous puis une main te donne une légère poussée et tu en fais partie.

Mains sur la tête, bras devant le visage, se jeter face à l’arrière de la carlingue et d’un coup un choc. Je repense au petit sac… c’est que ça tire bien.

Au-dessus de moi, une corolle kaki.

En dessous, une quarantaine d’autres. Laquelle est celle de Momo ou d’André, je ne saurais le dire.

Mais déjà je vois les premiers atterrir. Pour certains c’est plus percuter la planète. Je sais que lors de ces premiers sauts il y a un assez fort taux de blessures, de la foulure à la fracture. Il ne faut pas que j’y pense même si… avec ma capacité à me blesser.

Mes pieds bien à plat prennent contact avec notre dure planète. Je fais trois pas en avant puis suis entraîné en arrière. Mais déjà la corolle s’est aplatie. Pas le temps de rêver. Avec de larges mouvements des bras je « brasse » le parachute autour puis comme je peux je l’introduis à nouveau dans son sac.

Nous sommes tous arrivés et les uns après les autres nous nous dirigeons vers l’école.

Je regarde autour de moi, je n’en vois aucun rester au sol.

L’instructeur, content, dira : «Ah ! en voilà une bonne fournée !» Par contre quand il nous dira : «Allez messieurs, on y retourne !» Certains feront franchement la gueule.




Josef me tend son bout de fromage.

- Bob, tu veux mon camembert ? J’ai eu plus grands yeux que grand ventre.

- Ouais, aboules, je lui trouverai une petite place.

Mon voisin de droite rigole.

- Toi, y a rien qui te coupe l’appétit.

- Écoutez les mecs, je ne mangerais peut-être pas pendant un saut, mais là, le cul sur une chaise, je ne vois pas pourquoi je m’abstiendrai de me remplir le bide.

- En tout cas moi, le fiston, je ferai mes quatre sauts et basta.

- Tu sais ce qu’il te dit le fiston ? Que si je n’arrive pas à devenir pilote, et que je suis obligé de rester dans l’armée,  je ferai para.

Semblerait que j’ai fait plaisir à un collègue à la table de derrière.

- Oh un furieux intelligent !

Et je tape dans la main des trois collègues futurs officiers paras qui passent derrière moi.









6 janvier 2010

Robert dimanche 20 juillet 1975 toujours un garçon

Robert dimanche 20 juillet 1975 toujours un garçon

 

Ce matin, la dame aux livres est juste passée me déposer un cahier et un Bic quatre couleurs.

Hier elle m'a proposé d'écrire comme si je parlais à un ami, mais je n'ai pas osé lui dire que à part Caths ( Caths n'étant pas une amie. C'est ma femme, la preuve en est ce qu'elle m'a offert l'autre soir. ) je n'ai jamais eu d'ami. Et quoiqu'en pense mon connard de père, je referai des milliards de fois l'amour avec Caths. Enfin si je peux...et si je ne peux plus et bin tant pis, je l'aimerai quand même. Je veux retrouver ces sensations, je veux retrouver son odeur, la douceur de sa peau, remplir mes mains de ses formes et me noyer en elle. Elle m'a dit je t'aime ! Je l'entends encore...

 

Bon bref, à part ça, je me fais chier grave, j'ai même pas droit à la télé puisque c'est payant et que je n'ai personne pour me la payer. Alors je la fixe et je m'imagine des films... mais même ça, c'est chiant à force. Donc ce petit cahier sera mon seul ami.

 

Le docteur Péret est revenu, cette fois avec sa femme.

- Bonjour bonhomme. Je suis très contente de te revoir et que tu viennes habiter chez nous, je t'ai préparé la petite chambre bleue.

J'aime bien Madame Péret.

Quand j'étais petit, c'est plus elle qui me soignait, plus que son mari. Après elle me prenait sur ses genoux et me berçait en chantant en occitan. C'est peut-être pour ça que j'ai des facilité en langue. Elle sent le pain d'épice mais sa spécialité à elle ce sont les crêpes, j'en mangerais des tonnes de ses crêpes.

- Je viens chez vous ? cool ! Pourtant hier, la dingo d' AS m'a dit que j'irai en foyer en attendant de descendre sur Aix.

- Le foyer c'est ce qui était prévu mais avec mon collègue on a magouillé. Il me fait un clin d’œil. Comme ton état nécessite encore beaucoup de soins, aller en foyer n'est pas recommandé alors que habiter chez un médecin qui pourra s'en charger, l'est beaucoup plus.

- Bin oui, c'est sûr, et puis vous êtes mon sauveur.

- Holà n'allons pas si loin.

- Pourtant c'est ce que le gendarme m'a dit.

- Alors c'est Annie qui t'a sauvé en faisant un point de compression jusqu'à l'hôpital, moi, je t'ai juste porté pendant que ma douce épouse conduisait. Mais j'avoue que j'ai bien cru qu'on arriverait pas à temps à Colmar.

 

 

13 janvier 2010

Caths vendredi 1er Août 1975 Tach

Caths Vendredi 1er Août 1975 Tach

 

Ses parents se disputent une fois de plus au sujet de Robert.

Elle entend les mots : dépecé et mutilé. Ils ne pourraient pas une bonne fois pour toute arrêter et se taire ? Elle plaque ses mains sur ses oreilles.

Quand ils partent, elle reste longtemps roulée en boule sur mon lit à tenter de l'imaginer. A tenter d'imaginer son petit corps si fragile, si malingre couvert de sang.

Et puis ras le bol !

Dans mon coin toilette sous le lavabo, elle vide le contenu du petit meuble dans un sac poubelle sauf un rouge à lèvres noir et du vernis noir qu’elle applique consciencieusement sur ses ongles de pieds et de mains qu’elle passe d'abord un long moment à manucurer.

Son ventre gargouille, un chewing-gum le fera patienter.

Elle admire longuement ses ongles noirs mais non, ça ne lui plaît pas. En saisissant le dissolvant, elle voit le rasoir mécanique et à côté les boîtes de lames.

Elle en prend une puis assise sur le lit, elle la pose sur son poignet, puis la déplace partout où elle voit des veines mais elle n'y arrive pas, elle a peur d'avoir mal et du coup, elle la jette au loin et éclate en sanglots. 

Elle n'a même pas le courage de le rejoindre.

 Elle a honte. Elle est sûre que lui aurait eu le courage.

Elle enlève sa chemise de nuit. Debout, elle regarde son corps, et en fait un examen minutieux, puis elle met une lame dans le rasoir et commence un rasage intégral y compris de son crâne.

Un frisson la parcourt lorsque les premières longues mèches blondes tombent au sol, elle ne peut plus faire marche arrière.

Quand elle a fini, le miroir lui renvoie l'image d'un autre moi-même, elle ne se reconnaît pas.

Un être androgyne au torse presque plat et sans rien en bas. Elle cache son bas-ventre d'une main. Elle pourrait passer pour un garçon, un joli garçon.

-Tu sais que je pourrais tomber amoureuse de toi.

Elle trouve même que d'un certain côté, elle ressemble à Robert sans ses cheveux blonds et elle trouve ça plutôt cool !.

- Bonjour jeune homme veux-tu être mon ami ? Mon amant ? Hou là, tu perds la tête, tu t'en rends compte ?. Hé! Qui es-tu toi pour me dire ça ? Moi je suis... Elle hésite, ce reflet d’elle qui n'est pas elle comment l'appeler ? Ah mais oui ! Moi je suis Tach ! Bonjour Tach, enchantée de faire ta connaissance.

Dehors, le soleil est levé.

Elle a faim.

A quoi ça sert de manger ? A rester en vie, pfff quelle servitude.

Mais d'abord, elle doit finir de trier le contenu du petit meuble. Elle entasse son passé sur le tas de fringues qu’elle compte jeter aussi lorsqu’elle aura récupéré d'autres grands sacs poubelle.

Tach ne se maquille pas. C'est un mec.

Par contre, elle cache le rasoir et les lames derrière l'armoire qu’elle a repoussée contre le mur.

- Catherine ma chérie, tu es réveillée ? Purée mais elle hallucine, sa mère a dormi derrière ma porte ou quoi ? Qu'est-ce encore que tout ce bruit ?

- Je refais la déco de ma chambre.

Elle remet le verrou avant de pousser l'encombrant lit au milieu de la pièce, la commode et la coiffeuse ayant pris sa place contre le mur.

D'ailleurs ce lit lui sort des yeux, munie d'une lame de rasoir, elle se met debout sous le baldaquin que sa tête soulève. Elle a envie de le lacérer, mais elle se laisse tomber à plat dos et jette la lame sous la coiffeuse.

Elle se souvient de lui. De son sourire et de ses yeux brillants lorsqu'il se glissait sous les draps et qui lui disait combien il m'enviait d'avoir un lit comme celui-ci Ses yeux où se reflétaient les étoiles d'argent du tissus au-dessus de lui. 

Son cœur se serre.

Bref !

Elle saute au sol. Elle enlève le verrou et ouvre la porte, traverse le couloir. Elle est nue... ou nu, comme un ver. Un ver lisse sans poil.

Dans le couloir, il y a ses parents et le père Camerer une bible à la main.

Elle traverse juste pour entrer la chambre de son frère Théo dont la porte est en face de la mienne.

Théo qui est en vacances et qui dort encore, elle va à la fenêtre et fait claquer les volets.

Il se redresse et va pour l'envoyer chier mais reste muet en la voyant.

Elle lui fait un pied de nez puis va jusqu'à sa grosse panière de linges sales.

Elle savait qu’elle pouvait lui faire confiance, elle est pleine. Elle la renverse et étale les vêtements.

Théo est aussi grand que moi.

Il ressemble à Christophe d'après tout le monde, mais elle, elle ne trouve pas.

Elle récupère un tee-shirt tâché de cambouis et un bleu de travail qu’elle enfile.

Ils puent la testostérone et l'huile de moteur bref, ils puent Théo.

C'est ce qu’elle veut.

Elle se glisse dans les draps à côté de lui. Il râle, il est nu dessous. Ça la fait rire. Elle se love contre lui qui ne sait pas quelle contenance prendre puis il lui rend mon câlin.

Elle l'embrasse sur la joue et se lève et repoussant d'un coup toutes les couvertures et en passant au-dessus de lui, l'exposant aux regards des adultes restés à l'entrée de la chambre.

Ils s'écartent quand elle fait mine de vouloir les repousser, descend pieds nus jusque dans la boutique puis jusqu'au labo.

En bas, il y a les deux apprentis et les deux ouvriers, à chacun d'eux, elle roule une grosse pelle bien baveuse, les laissant sidérés. Puis elle remonte en mordant dans un croissant tout chaud. Elle a pris la gamelle avec le fond de ganache praliné qu'ils ont posé sur le dessus de la pile de vaisselle à laver que Etienne l'apprenti trisomique doit laver après avoir balayé le sol. C'est la seule chose que son père lui fait faire.

Dans la gamelle, elle ajoute une poignée de croissants.

Elle les dégustera en pensant à lui.

Dans le salon où Annie repasse, elle se laisse tomber sur le canapé et après avoir allumé la télé commence à manger.

Sa mère vient se mettre devant elle.

- Catherine es-tu devenue folle.

Elle ne la regarde pas.

- Je suis Tach dorénavant, Cath est morte. Poussez-vous s'il vous plaît madame.

Sa mère éteint la télé. Tach me lève furieux.

- Décidément t'as le chic pour faire chier.

Elle évite la claque puis quatre à quatre remonte dans sa chambre où elle s'enferme à nouveau.

- Bon maintenant, il faut que je me casse de ce bagne.

15 janvier 2010

Caths Vendredi 8 Août 1975 pas d'anglais

             Caths Vendredi 8 Août 1975 pas d'anglais



- Catherine tu ne m'as pas donné tes vêtements sales. Cette dernière continue à beurrer sa tartine en ignorant sa mère qui vient se mettre à côté d’elle. Tu comptes garder ce bleu sale pendant encore combien de temps ?

Exaspérée, elle la secoue.

Alors, d'un geste brusque, Catherine se dégage et se lève.

- Madame, mais arrêtez ! Vous m'empêchez de déjeuner. C'est assommant à la fin.

Sa mère quitte la pièce en faisant signe qu'elle laisse tomber.

Par contre Théo qui déjeune de l’autre côté de la table, la désigne du doigt.

- En tout cas moi, je reprends le boulot le dix-huit, tu devras me rendre mon bleu.

Elle lui répond en faisant une grimace moqueuse.

- Oh pauvre petit chéri, ta petite maman se fera un devoir de t'en acheter un autre.

- Tu en as pas marre d'être chiante.

Elle le regarde, sa petite cuillère à la bouche qu’elle suce et lèche avec une moue la plus sensuelle possible puis la jette dans son bol projetant du chocolat partout.

- Non ! Et vous m'avez donné la nausée.

 

Dans les toilettes, c'est tout mon petit déjeuner qui ressort. Elle  s'assied à côté de la cuvette et compte sur mes doigts.

- Et merde, dix jours de retard. J'espère que personne ne s'en est aperçu.

Dans la salle de bain, elle récupère les deux paquets de serviettes hygiéniques et remonte dans sa chambre. Si elles ont disparu c'est qu’elle les a utilisées, n’est-ce pas ?

 

Après avoir fermé le verrou, elle met la chaise devant le lavabo. Debout dessus, elle laisse tomber le bleu de Théo à ses chevilles.

Dans le miroir, ses seins lui semblent plus gros et c'est vrai qu'ils sont plus sensibles. Elle rentre le ventre mais rien, toujours aussi plat.

De profil, de face, elle veut continuer à tourner mais le bleu s'emberlificote avec la chaise, elle finit alors de l'enlever pour admirer son corps nu.

Des poils ont recommencé à repousser, un duvet de cheveux aussi. Elle saute au sol pour récupérer le rasoir dans sa cachette.

 

Voilà, elle me sent plus nette maintenant.

Couchée sur son lit, elle me caresse pensive. Elle doit savoir si c'est vrai ou pas. Le docteur Péret, lui, pourra lui prescrire un test de grossesse. Mais pour ça, il faut qu’elle sorte de cette prison.

Rhabillée, elle met sur ma tête une casquette, ouvre les volets et regarde s'il n'y a personne dehors puis enjambe sa fenêtre et se met debout face au mur sur le petit rebord qui fait le tour de la maison, à portée de sa main gauche le treillis inextricable de la vigne vierge vieille de plus de cent ans qui recouvre la maison et le tuyau d'évacuation d'eau des toits. Elle  s‘y laisse glisser et pieds nus, s'éloigne rapidement.

 

C'est Madame Péret qui lui ouvre.

- Cathe... tu ne peux pas entrer, rentre chez toi.

Mais pourquoi ? Elle ne comprend pas cet accueil.

- S'il vous plaît, il faut absolument que je vois votre mari, je crois que je suis enceinte.

La surprise et le dégoût s'affiche sur le visage de la femme du médecin.

- Entre vite !

Elle la pousse jusqu'au bureau du docteur et l'y enferme à clef.

- Il te verra dès qu'il rentrera de ses visites mais pitié ne fais pas de bruit.

 

D'abord sagement assise, Catherine se lève, tourne en rond dans le petit cabinet.

Elle passe en revue d'un doigt les nombreux livres de médecine de la bibliothèque.

Elle relit plusieurs fois les trois diplômes de médecine de l'Université de Toulouse : médecine générale, médecine pédiatrique, médecine de néo-pédiatrie.

Elle se rassied puis se lève à nouveau.

Elle tourne autour du bureau. Ouvre les tiroirs. Dans celui du haut à droite, des stylos, des tampons, des crayons etc... Dans celui du dessous ses blocs d'ordonnances.

Puis dans les autres, des dossiers de malades.

Elle les sort, et trouve ce que je cherche : le dossier de Robert. Dedans il y a tout, toutes ses petites maladies d'enfant, il est groupe O positif, elle sourit en lisant certaines descriptions intimes.

Mais il y a aussi une grande enveloppe kraft, d‘où elle sort des photos qui lui donnent envie de pleurer. Elle ne peut pas tout regarder. Elle les range puis d'un coup, les récupère toutes et les glisse dans mon bleu. Puis elle relit toutes les pages et le sourire lui revient, car nul part, elle ne trouve de date de décès. Il est donc toujours vivant, alors elle le retrouvera quoi qu'il arrive et quel que soit son état physique. 

 

La porte s’ouvre sur le docteur Péret.

- Ah Catherine, ma femme m'a annoncé la nouvelle. J'ai un très bon collègue sur Strasbourg, ton souci sera vite réglé et tu seras vite soulagée.

Catherine reste stupéfaite trente secondes puis s’écrie.

- Mais quoi ? Mais non, si j'suis en cloque ce ne peut être que de Robert donc moi, je veux le garder.

Il lui sourit puis s’approche d’elle, fait mine de lui toucher le bras, elle s’écarte et évite son contact comme ça la dégoûtait.

- Voyons, voyons, il te faudra être raisonnable mon enfant.

C’est fois, elle serre les poings et exprime violemment son désaccord.

- Tout d'abord je ne suis pas votre enfant et secondo je suis seule à pouvoir décider pour mon corps.

Il continue à sourire mais cette fois, il est devenu dédaigneux.

- Hélas non, ma chérie, puisque tu es mineure, la décision finale ce sont tes parents qui la prendront..

Bref, encore un dont, il n'y aura rien à tirer. Elle hausse les épaules et sort du bureau dont elle claque la porte de toutes mes forces. Au premier, elle entend une porte s'ouvrir et la voix de Madame Péret dire à quelqu'un de rester dans sa chambre.



Sa mère, debout devant la porte de la boutique, l'attend les bras croisés et l'air pas contente du tout. Et flûte, l'autre vendu a dû l'appeler.

- Salut chère mère, il fait bon aujourd'hui, ni trop chaud ni trop froid, n'est-ce pas ? Le temps idéal pour sortir s'oxygéner un peu.

Sa nouvelle provocation ne fait qu’accentuer la colère de sa mère.

- Tu n'as pas honte ma fille ?

Et bien non, elle n’a pas honte.

- Honte de quoi Madame ? Je viens de me souvenir que je ne suis plus Cath mais Tach.

- De ton état et de sortir dans cette tenue dans la rue.

Une cliente sort de la boutique. Catherine l’interpelle.

- Vous vous rendez compte que Madame Lutz a honte de sa fille Catherine car elle est enceinte du garçon qu'elle aime. Je me demande franchement ce qui est le plus honteux.

La cliente les rende toutes les deux et Catherine se dit que celle-là, on ne la reverra plus.

- Tu as décidé de me rendre folle ? Vivement septembre !

- Bien d'accord avec toi que je n'ai plus à voir vos gueules.

La claque ne l'atteint pas.

Dans la boutique, en passant, elle rafle tout un plateau de gâteaux puis monte s'enfermer dans ma chambre.

Dans la soirée, elle sort discrètement pour fouiller dans leur grenier familial. Hélas le radar maternel a fonctionné.

- Catherine, que fais-tu là-haut ?

- Rien, Maman, je cherche d'autres fringues pour m'habiller, Je jette le gros sacs de l'époque scout de mon père plein de vieux rideaux et de vieux vêtements tous troués aux pieds de ma mère. Je le récupère et en passant dépose un baiser sur la joue de ma mère. Je t'aime Maman, pas besoin de te fatiguer à les nettoyer, plus ils sont grades plus c'est cool. Tu vois, je veux même t'éviter du travail.

Par contre une fois dans ma chambre, elle le vide, jette les vieilles fringues dans un coin sauf le vieux ciré jaune de Théo, de sa période : "je veux être marin pêcheur !"

Demain sera le grand jour. elle sort poser le plateau devant sa porte avec un papier dessus : " Réveil dix heures. Pour le petit déjeuner : deux religieuses, un bol de café, un jus d'orange et un steak frites. Merci Papa !"

Lorsque son père vient lui dire de descendre manger, il l'entend faire semblant de pleurer et n'insiste pas.

 

- Tu sais Mariette je trouve tout de même que tu es sans cœur avec cette petite !




21 janvier 2010

Robert samedi 30 Août 1975 Aix 1

Robert samedi 30 Août 1975 Aix 1

 

Nous arrivons vers sept heures à Marseille.

- Avant de prendre le TER pour Aix, nous allons déjeuner car j'ai bien besoin d'un café .

J'ai donc droit à un chocolat car le café ce n'est pas pour les enfants et à du pain avec du beurre et de la confiture qu'elle me tartine elle-même, bin oui, je ne dois, vu mon jeune âge, pas savoir le faire moi-même. Ou alors... elle a peur que je l'égorge avec le couteau.

 

 

À Aix, je découvre celui qui sera mon tuteur, il nous attend comme convenu à la gare.

Il n'est pas beaucoup plus grand que les autres, mais son uniforme détonne avec les tenues estivales des gens qui l'entourent.

 

Bla, bla, bla, gnia, gnia, gnia, elle se plaint encore de moi. Et moi, puis-je me plaindre d'elle ?

 

Ne pas bouger, ne pas réagir. Sa main sur mon épaule m'attire à côté de lui, la vieille me lâche. Ouf ! je n'avais plus de sang dans la main. J'ai l'impression d'être un meuble, ou un petit animal de compagnie qui change de propriétaire.

- Alors mon gars, il me faudra donc te tenir à l’œil ?

Je bafouille un truc complètement incompréhensible en secouant la tête.

Je l'écoute parler avec l'autre chouette et même s'il est courtois et poli, elle se fait plusieurs fois remettre à sa place copieusement et rien que pour ça, je vais le vénérer.

 

Par contre je suis déçu par sa voiture. Il aurait au moins pu avoir un truc plus classe style Jeep ou Land Rover au lieu d'une 4L vert forêt.

 

Je suis assis au milieu de la banquette arrière pour voir la route devant nous mais je l'aperçois qui me zieute dans le rétro alors je glisse sur la banquette jusqu'à la portière pour sortir tant que je peux de son champ de vision surtout que l'autre continue à déblatérer sur moi. Une vraie mytho cette nana. J'espère bien qu'un jour je pourrai lui dire ses quatre vérités mais là, je dois juste me taire et ça me bouffe.

 

On passe devant l'entrée de l'école sans s'arrêter pour se garer dans un petit parking fermé au pied d'un immeuble. A côté, il y a une grosse voiture bleue marine avec des auto-collants de l'Armée de l'air mais à l'intérieur il y des couvertures roses avec des fleurs, des papillons et des petits anges.

- Je monte présenter Madame à ma femme puis je redescends très vite pour t'emmener à tes quartiers. Je te fais confiance, tu m'attends ici, d'accord ?

L'autre est déjà en train de monter, je n'existe déjà plus pour elle, tant mieux cela m'évite de devoir refuser de lui dire au-revoir.

Immobile devant la porte de l'immeuble, j’attends qu'il veuille bien revenir. Le soleil pratiquement au zénith me force à plisser des yeux et me brûle.

Il a laissé la porte des escaliers ouverte. J'ai deux possibilités, entrer me mettre à l'ombre et rester ici. J'opte pour la seconde possibilité surtout que je l'ai entendu descendre très discrètement mais pas sortir, et donc me surveiller.

Purée, il descend dans mon estime, il me prend lui aussi pour un débile mental ?

Et c'est reparti, cette fois, il a sa main sur ma nuque, ce contact m'énerve mais je pense qu'il faudra que je m'habitue à être confondu avec un caddy ou peut-être me confond-t-il avec une canne ?

On ressort par le grand portail du parking qu'il laisse ouvert, sur la grande route. Je dois ressembler à ces condamnés qu'on emmène en prison. Dois-je en adopter l'attitude ?

C'est une femme qui nous ouvre le grand portail de l'école. Devant nous s'ouvre une immense cours couverte de graviers. Elle est bordée sur les quatre côtés par de hauts bâtiments et celui du fond ressemble à un gigantesque gymnase. C'est ce qui m'effraie le plus dans cette nouvelle vie : le sport, je ne suis pas physiquement fait pour ça !

Le dortoir où il m'emmène est au second du premier bâtiment.

Il m'indique le premier lit à côté de la porte où il y a une pile de draps et couverture.et me tend un cadenas avec une clef au bout d'un ruban bleu.

- Tu fais ton lit, tu ranges tes affaires dans cette armoire et tu m'attends, sois sage, on viendra te chercher.

 

Me voilà seul dans cette immense pièce où s'aligne deux rangées de quinze lits et armoires identiques.

De l'autre côté du couloir, une porte fermée s'ouvre sur une pièce identique mais sur elle une petit carré indique : "4eme" et sur la mienne "3eme". Je tique un peu, il n'y aurait pas une erreur ?

Bon, nous verrons plus tard, là, je dois être "sage". Alors rapidement, je fais mon lit et range mes affaires dans l'armoire. Je ne sais pas ce que je dois faire de ma valise, elle se glisse parfaitement sous l'armoire.

Maintenant, il ne me reste plus qu'à attendre. Et rapidement je me fais chier comme un rat mort.

Je regarde par les fenêtre, le mât en haut du quel flotte notre drapeau tricolore, monopolise un moment mon attention qui tout aussi vite passe à autre chose.

Je m'ennuie.

Est-ce qu'on lui a dit que j'ai du mal à rester immobile ?

Est-ce qu'on lui a dit que mon cerveau explose s'il n'est pas nourri et là, il est en ébullition. Je passe en revue le tableau de Mendeleïev à travers tout ce qui m'entoure mais mon univers actuel est si pauvre que j'en viendrai presque à regretter d'être là.

Je retourne sur mon lit. Je suis un rat mort ! Couché sur le dos, bras et jambes tendus vers le ciel, tête sur le côté langue pendante... ça faisait rire Caths quand je faisais le con comme ça... pas mon père mais lui, on s'en tape.

Caths... la tête sur l'oreiller qui sent trop bon, je rêve d'elle.

 

 

 

 

14 février 2010

Robert mercredi 22 octobre 1975 Colmar 1

Robert Mercredi 22 Octobre 1975 Colmar 1

 

Lorsque notre porte claque contre le mur, nous ne dormons que depuis une heure.

Parler avec Claude et pleurer m'a fait du bien.

Claude a même réussi à m'amuser... À la fin de mon récit, je l’ai vu se lever, aller s'appuyer à son bureau, revenir se coucher puis s'asseoir en face de moi, son oreiller dans ses bras.

- Si tu n'y vas pas, j'y vais moi !

Et là, nous avons rit tous les deux avant de nous écrouler comme un seul homme, terrassés par le sommeil.

 

Ébloui, je me retrouve debout tenu par un bras. 

- Debout ! Faîtes votre sac !

Le colon m’a collé un sac militaire kaki contre la poitrine. Surpris je le serre contre moi.

- Non…

Je lâche le sac qui tombe au sol. Il se passe trente secondes où il me fixe. Nous nous faisons face, je serre les poings, lui en a un fermé l’autre est ouvert, j’attends la gifle. Au lieu de ça, il hurle sur mon collègue de chambrée.

- Putain D' Aureilhan !

Ce dernier se lève d'un pas chancelant ne comprenant pas pourquoi il lui gueule dessus. Moi non plus d’ailleurs.

Mais nous voyons alors le colon ramasser le sac kaki et y fourrer lui-même tout qui lui tombe sous la main dans mon placard. Puis, il me colle dans les bras les fringues posées sur ma chaise, mon blouson et mes chaussures et me pousse hors de la chambre puis dans les escaliers où je dois m’arrêter pour ramasser une chaussette perdue qui pue et enfin me fait traverser toute la cours tenu par un bras, tremblant de froid, en slip jusqu'à la porte de son immeuble d'habitation qu'il ouvre en râlant, car il se trompe de clef.

Je ne moufte pas.

Pourtant, je n'ai qu'une envie : me barrer en courant mais sa main me serre le bras qu’il ne lâche pas même pour ouvrir la porte ou sa voiture. J'ai l'impression que ce n'est pas de mon père mais moi de dont on va faire le procès

Nous ne faisons que traverser le bâtiment pour aller jusqu'à sa 4L vert forêt. Il jette mon sac sur la banquette arrière et m'y pousse à sa suite. Je me laisse tomber couché sur la banquette sur le côté. Je ne ferai aucun effort pour lui faciliter la tâche. Il essaie de me rentrer les jambes pliées mais je les rigidifie, il soupire et là, m’attrappe à bras le corps et me voilà tout de même rentré. Pendant tout ce temps, si j’ai serré les poings, je n’ai pas osé le frapper mais l’envie ne m’a pas manquée. Je ne suis que haine envers lui.

- Habille-toi ! Il a déjà démarré. Il est plus pressé que moi. Je surprends son regard dans le rétroviseur intérieur. Il fait encore nuit, il n'a pas ses putains de lunettes. Je lui jette un regard meurtrier. Il sourit amusé. Dépêche-toi de t'habiller ou tu vas attraper la crève.

- Ça ! Il fallait y penser avant de me trimballer à poil, de nuit, sous la pluie.

- Pardon ?

Ma pensée, je l'ai exprimée le plus bas possible, mais là, je hurle :

- MON COLONEL !

Il secoue la tête en souriant, encore plus amusé.

- Je vais finir par comprendre pourquoi ton père a disjoncté. Là, pour moi, s'en est trop. Rejetant ce que j'ai dans les bras à côté de moi, j'ouvre la portière. Sa main gauche se referme sur mon bras, la voiture fait une embardée et il la gare sur le bas-côté. Mais t'es vraiment dingue ! Ferme cette porte ! 

En fait, il le fait lui-même. Il a viré sa ceinture, et s’est retourné, à moitié levé sur son siège. il me propulse contre l’autre portière, ma tête fait un bruit un sourd en percutant la vitre. Il me regarde tout en fermant la portière de sa main droite puis appuie sur les deux petits champignons qui verrouillent les portes arrières. Puis se remet derrière son volant.

J’ouvre l’autre portière, là, il se retourne vers moi, comme halluciné. Mais, le fixant, je la claque, puis me mettant face au dossier, je me couche, roulé en boule, la tête entre mes jambes serrées dans mes bras. Qu'il ne démarre plus, cela m'arrange. Un silence s'installe, juste un peu bousculé par les courants d'air qui secouent la légère voiture quand un autre véhicule ou encore plus sévèrement, lorsqu'un camion passe à côté de nous. 

- Je suis désolé garçon pour ce que je viens de dire, habille-toi s'il te plaît ! Je ne démarrerai que lorsque tu seras devant, à côté de moi, habillé.

- Je ne veux pas y aller.

- Ecoutes petit, il faut que tu comprennes que si tu n'y vas pas avec moi, tu iras entre deux gendarmes.

Là, les larmes jaillissent, j'suis épuisé.

- Mais j'ai jamais rien fait, moi ! J'ai rien fait, rien, rien, rien.

 

Je ne sais pas combien de temps j’ai mis pour m’habiller mais ce fut plus qu’au ralenti. Il me surveillait dans le rétroviseur intérieur mais restait silencieux penché sur son volant ou droit sur son siège.

Je n’ai plus que mes chaussures à enfiler mais je le fixe le regard mauvais. 

Il soupire, sort et fait le tour de la voiture, me fait sortir en chaussette, ramasse mes pompes et me les tend, je ne fais rien pour les prendre alors il soupire et les lance devant au pied du siège passager.

Il balance sur la banquette arrière ce qui encombrait quelques secondes plus tôt le siège passager sauf un thermos et une boîte plastique enveloppés dans un torchon que je reconnais qu’il pose sur son siège. Et me fait asseoir à l’avant et m’attache lui-même la ceinture. Pour pouvoir s’asseoir lui-même, il me pose sur les genoux le thermos et la boîte.

- Tiens mange, ma femme a pensé que tu aurais faim.

- Oh ! c'était elle aussi, les sandwichs le premier jour où je suis arrivé. Il grogne un oui. Vous lui direz merci de ma part, ils étaient très bons.

Les deux mains sur son volant, il se tourne vers moi en souriant.

- Et bien, tu lui diras peut-être toi-même.

Je ne comprends pas sa réponse mais je m’en fiche. 

D’abord je ne bouge pas, mais mon estomac qui gargouille est plus fort que ma volonté de ne pas céder. Et puis de toute façon, quoiqu’il arrive, faut que je sois réaliste, quoi que je fasse, il aura le dernier mot. Alors lentement, histoire de ne pas perdre totalement la face, je me régale du chocolat chaud et des parts de gâteaux contenus dans la boîte.

Mais d’un coup, je m’arrête, horrifié d’avoir osé penser que tout ça pouvait être que pour moi et lui tend la boîte.

- Oh pardon, il y en avait peut-être pour vous aussi ?

Il sourit et d'une main m’ébouriffe le millimètre de poil crânien que le coiffeur a bien voulu me laisser au début du mois.

- Non, mange tout. J’ai bien déjeuné moi aussi ne t'inquiètes pas. Avec ma femme, impossible de mourir de faim, un jour tu verras.

Je verrai quoi ?

 

Nous sortons de l'autoroute à Baume les Dames.

Il s'est arrêté deux fois pour faire le plein et si je le sais, c'est seulement parce que cela m’a un peu réveillé à chaque fois. Au dernier péage, je sors réellement de mon coma.

- Bien dormi ?

Je le regarde. Depuis qu’on est partis, le colon sérieux et austère à la mine toujours sévère, n’a pas arrêté de sourire.

- Oui, mon colonel.

Il me colle une claque amicale sur la cuisse.

- As-tu faim ? Moi, j'ai besoin d'un bon café.

Il ne me connaît pas encore mais il va apprendre à me connaître. Moi ? Faim ? Oui, j’ai faim . J’ai toujours faim comme si mon estomac pouvait se distendre à l’infini.Et ce ne sont pas deux sandwichs à dix heures qui m’ont rassasié. Enfin si, pendant cinq minutes.

- Oui, mon colonel.

Dans un petit village, on s'arrête dans un bar où on avale un jambon beurre. Il m'offre un Coca-Cola et lui une bière. Et finit par un café pour lui.

- Mon colonel puis-je en avoir un ?

- Un café ? Oh non, je préfère encore, quand tu dors.



Nous arrivons à Colmar vers cinq heures trente.

Nous nous sommes encore arrêtés deux fois pour manger.

Il a réservé une chambre dans un hôtel au cœur de la vieille ville pour lui et son fils. Cela me fait bizarre, mais juste après cette journée,  j'aurais donné ma vie pour échanger mon géniteur pour lui. J’envie son ou ses fils s’il en a.

La fenêtre de notre chambre donne sur l'Ille , je l’ouvre pour y regarder les canards.

Il pose sa main sur mon épaule. Je sursaute, il l’enlève de suite.

- J'ai besoin de me dégourdir les jambes après cette journée derrière le volant. Fermes et viens.

 

Nous hallucinons de voir qu’il est à peine dix-huit heures et que les magasins ferment déjà. Il se contente d'acheter une dizaine de cartes postales.

Sur l'une d'elles destinées à sa famille, il n'écrit que : "Bisous Papa." mais me force à signer aussi.

- Cherche pas mon garçon, exigence de ma femme.

J’obéis et écris “Robert” en dessous de sa signature, mais décidément, je n'ai pas hâte de la connaître cette femme, que j’imagine en mégère acariâtre.







23 janvier 2010

Robert lundi 1 septembre 1975 Aix 3

Robert lundi 1 septembre 1975 Aix 3

 

- Aller hop debout bonhomme ! Tu t'habilles et tu me suis.

Le colon ne me laisse même pas le temps de me réveiller qu'il me met debout en me soulevant par un bras et déjà commence à défaire mon lit pour faire un tas des draps et de la couverture sur l'oreiller. Il prend le second traversin du lit d'à côté et le pose sur le matelas de mon lit. Oh ! Tiens, c'est vrai ça, c'était le seul à avoir deux traversins. Puis il saisit ma valise et la pose aussi sur le lit. J'hésite entre mes sandalettes et les chaussures des Cohen mais si je dois m'en aller, je n'emporterai que ce qui m'appartient.

- J'suis viré ?

Il a l'air surpris.

- Non, bien sûr que non. Oh ! ta valise ? C'est pour montrer que ce lit est déjà pris.

- Ah !

Je suis rassuré mais il doit me prendre pour un débile profond.

- Bon, mais dépêche-toi, je n'ai pas que ça à faire.

Il me pousse devant lui jusqu'à la cantine puis dans la cuisine où il m’assied de force sur une chaise puis s'en va avec toujours la pile de draps sous le bras.

- Firmin, vous me le nourrissez puis chez Madame Calliop.

- Bien mon colonel ! Tu veux quoi, salé ou sucré ?

Mais il me met déjà sous le nez un bol énorme avec du lait crémeux qui sent comme celui de la ferme des Pfizer. De l'autre côté de la table il y a déjà une pile de morceau de viande débités presque à la taille d'un cube. Il a en main, une sorte de courte machette bizarre, arrondie. Me faisant sursauter, il l'abat sur une baguette qui se retrouve débitée en gros bouts qu'il coupe ensuite en deux. Il s'éloigne pour revenir avec une jatte qui sent le pâté, oh des rillettes ! Et une énorme boîte de conserve de cinq kilos de confiture de fraise qu'il ouvre à un ouvre-boîte fixé au mur, qu'il pose ensuite devant moi à côté des rillettes.

Je manque de prendre du café sur moi quand il en verse une grande rasade dans mon bol puis dans un autre bol beaucoup plus petit pour lui.

Il se remet à couper sa barbaque comme si je n'existais plus.

Je n'ai ni couteau, ni cuillère et ce géant avec ses cheveux longs, blonds attachés par un foulard comme un pirate m'impressionne et je n'ose l'interrompre.

- Ah ! te voilà ! Premier jour, premier retard et dernier j’espère, sinon c'est la porte !

- Oui monsieur Firmin ! (Derrière moi, un ado bedonnant vient d'entrer, il a un casque bol dans les mains, il doit avoir une mobylette, la chance ! Il me regarde avec un sourire narquois et passe dans une autre pièce, d'où il revient en enfilant un grand tablier comme celui de Firmin et sur la tête un chapeau blanc.) Et c'est qui lui ?

- Un élève, t'occupe ! Oh quel con, quel con mais quel con ! (Il se précipite vers moi et je me recule sur ma chaise un peu effrayé, qu'ai-je fais ? Ou plutôt qu'est-ce que je n'ai pas fait ? Mais je le vois alors me tartiner la moitié du pain avec des rillettes et l'autre de confiture.) Jul, tu veux un café ? (Mais il est déjà en train de servir un autre bol de café que l'ado vient prendre ainsi qu'une tartine de rillettes.) Et toi le microbe, tu n'as pas faim ?

- Si mais pourriez-vous me passer une cuillère s'il vous plaît ?

Je pose mon bol dans ce qui me semble être un lave-vaisselle et cela semble les amuser.

- Pardon monsieur c'est où chez Madame Calliop ?

Le cuistot et l'apprenti se regardent.

L'homme me prend par les épaules et m'accompagne jusqu'à la porte du mess. Dehors, il commence à y avoir du monde : des garçons, certains déjà en uniforme, d'autres non, certains seuls et certains accompagnés de un ou plusieurs membres de leur familles. J'aperçois le colon qui sert la main à des parents et à un garçon pas plus grand que moi qui semble ne pas en mener bien large.

- Tu vois la porte là-bas, où viennent d'entrer deux garçons et en sortir un, les bras chargés, et bien c'est là. Mais attention, cette femme c'est un dragon femelle, tu sais quand tu entres dans son antre mais tu ne sais pas quand tu en sors, alors je vais te donner un gage de paix en mon nom.

Je retourne avec lui en cuisine. Il me donne un petit plateau où il pose une tasse sur sa soucoupe, avec du café. A côté sur une serviette pliée en triangle, il pose une cuillère, casse trois carreaux de chocolat qu'il taille en cœur et deux biscuits tout frais sorti du four.

Il me raccompagne jusqu'à la porte du mess avec sa machette à la main.

- Si tu fais tomber le plateau, je te coupe en rondelles.

Bon bin il n'y a plus qu'à…

 

 

- Vous allez où comme ça jeune homme ?

Il a le soleil derrière lui et je ne peux, ne veux pas regarder le colon, je me sens rougir.

- Chez Madame Calliop.

- Avec des chocolats en forme de cœur ? Tu espères être mieux traité que les autres ?

- C'est pas...

- Je ne t'ai pas autorisé à parler. Files !

Je réussis à traverser la cours tant bien que mal et je me glisse à l'intérieur en profitant qu'un grand sort, en me glissant sous son bras.

Dedans, il fait sombre mais un comptoir presque plus haut que moi, déjà assailli par cinq ou six garçons est violemment éclairé par un néon juste au-dessus, ainsi que plus loin trois postes de travail avec des machines à coudre toutes différentes.

- Madame Calliop ?

- Oui c'est moi, qu'est-ce que tu veux ?

Je vois sortir de derrière le comptoir une femme aussi large que haute, très maquillée, jupe courte, juchée sur des talons vertigineux comme son décolleté.

- De la part des cuisines.

- Tu es un nouvel apprenti ?

Je secoue la tête.

- Non, non, un élève.

- Alors c'est un pot de vin ? (Putain elle va me le prendre son plateau ? Je n'ai qu'une envie, c'est de le laisser tomber, de fuir et d'aller me rouler en boule dans un coin. Les mecs me regardent en rigolant.) Bon, viens avec moi. (Elle me fait entrer dans un pièce éclairée normalement. Il y a un bureau et au-milieu de la pièce une sorte de petite estrade carrée.) Monte là-dessus ! (Elle me débarrasse du plateau qu'elle pose sur le bureau où elle prend un mètre ruban et un bout de chocolat qu'elle croque.) Tu es le petit alsacien du colon, c'est ça ?

- Oui, possible.

Elle se penche sur un gros registre.

- Weisembacher Robert, dortoir quatre.

- Oui madame

Bras tendu en croix et jambes écartées, elle me mesure sous toutes les coutures, puis me tend un bout de papier.

- Tiens, va voir les filles derrière le comptoir. Elle sort avec moi, Tania tu lui donnes du cent trente avec vingt centimètres d'ourlet non coupé sinon tu seras bonne pour lui changer dix fois de pantalons en six mois.

Les garçons sont servis et d'autres ont pris la queue derrière moi. Je sors avec un immense sac polochon blanc super lourd et presque aussi grand que moi ainsi qu'une pile de draps et couvertures que je pose sur mon lit.

- Eh toi ! casse-toi de mon lit !

- Non, c'est le mien.

- Ah ! donc c'était à toi les merdes dans l'armoire ? Et bien tu peux les récupérer dans la poubelle et si c'était ta valise, désolé, il lui est arrivé un accident.

De l'autre côté de la pièce, à côté du lit devant la fenêtre il y a ma valise, toute aplatie. Je comprends de suite qu'il a sauté dessus pour l'avoir explosée ainsi. A côté, le cadenas donné par le colon. Je regarde le gars, il fait trois fois ma taille autant en largeur qu'en hauteur, avec un teint olivâtre, des petits yeux légèrement en amande sous des sourcils fins formant des virgules ridicules dont l’un est cassé par trois petites cicatrices parallèles qui se continuent sur la paupière et sur son nez qu’il porte droit sec et très étroit. Derrière lui, deux autres du même gabarit,un blond foncé aux yeux bleus dont les coins tombent comme s’il allait se mettre à pleurer, encadrant un nez en patate énorme et un brun aux yeux clairs d’un marron délavé et indéfinissable, dont le ventre qui distend les boutons de sa veste indique un être mou et plus porté sur la bouffe que les études, le collent et rigolent avec lui. A la rigueur je me battrais volontiers contre lui mais contre trois, non je ne suis pas fou.

Je reprends mon sac et vais le poser sur le lit d'en face qui semble libre puisque l'armoire est encore ouverte. Je vais ensuite récupérer mon linge dans la poubelle au fond de la pièce. Quand je reviens mon sac a été vidé sur le sol autour de mon lit et les trois cons se marrent assis sur le lit de celui qui semble leur chef.

Chouette, à peine arrivé, je sais que je vais encore passer une année d'enfer.

Un gars déjà en uniforme vient poser ses affaires sur le lit à côté de moi.

- Clavier, il t'a pris ton lit, tu t'en fous ?

J'ai tout ramassé et commencé à replier mais je m'arrête et regarde le nouvel arrivant. Il me tend la main.

- Clavier Philippe, c'est normalement le lit du major mais moi franchement je m'en fous.

- C'est quoi un major ?

- Un titre qui donne certains droits et devoirs dont celui de pouvoir dénoncer certains cons à Gâche. Je vois les trois cons disparaître. S'il t'emmerdent dis-moi le, OK ? Méfie-toi surtout de Maxime, c'est lui le pire.

Lorsque j'ai tout rangé et fait mon lit comme mon père me l'a appris, j'ai enfilé un des deux survêtements, Philippe m'a dit que, chaque couleur correspond à une semaine et on commence par le bleu. On n'a pas des baskets mais des sortes de petites chaussures basses en coton blanc et la femme m'a donné une boîte avec une pâte blanche pour les blanchir et une boîte de cirage noir pour les chaussures d'uniforme.

Pour ma valise, il n'y a plus rien a faire, Maxime me dit de la descendre la jeter dans la grande poubelle.

Ce que je fais, mais pour cela, je dois aller à côté du portail et de la maison des Cohen. Lorsque je me tourne pour retourner au dortoir, je bute contre le colon juste derrière moi.

- Pourquoi la jettes-tu ?

- Elle a eu un accident. Je sors le cadenas de la poche et lui tends. Et lui aussi, je suis désolé.

Je lève les bras pour me protéger quand il lève la main... pour saisir ma valise et la regarder avant de la reposer dans la poubelle.

- C'est qui ?

- Un accident, je vous dis.

Et, c'est, traîné par le bras que je retourne vers le bâtiment. Les parents et les élèves s'écartent devant nous.

Je suis à la limite de pleurer, mon premier jour me donne envie de mourir.

On s'arrête devant les chambres du rez de chaussée. Là, il tend le cadenas à un jeune militaire :

- Vous lui en trouvez un autre et trouvez qui en est l'auteur ?

Il est parti et l'autre prend le relais après avoir fouillé dans une boîte en bois pleine de cadenas.

- Tiens, mets ton ruban à la nouvelle clef. Moi c'est le caporal Lorient et si tu as un soucis quel qu'il soit, c'est moi que tu viens voir OK ?

- Oui Monsieur !

- Non tu dois dire : Oui mon caporal et pareil pour le colon ou le capitaine, compris ?

- Oui mon caporal.

Lui, il n'a pas l'air trop méchant mais bon, je méfie.

Par contre, quand on arrive dans la chambre trois nouveaux garçons prennent possession de leur lit mais moi mon armoire que je n'avais pas pu fermer, est vidée au sol. Je ne dis rien et ramasse.

Le caporal va parler aux garçons mais ils n'ont rien vu. Même s'ils avaient vu, ils n'auraient rien dit et je les comprends.

Le cadenas est plus gros que l'autre, j'espère aussi qu'il sera plus résistant.

Le caporal m'emmène ensuite lui même au coiffeur.

Lorsque j'en sors, je me gratte de partout mais je n'ai plus qu'un demi-millimètre de poils sur le crâne.

A midi, les tables ne sont pas toutes pleines et je m'assieds avec Philippe qui en profite pour me mettre au parfum de toutes les règles et obligations. Par contre, derrière lui, à l'autre table, il y a les trois abrutis qui passent le temps du repas à me faire des signes de menace que je préfère ignorer.

- Et si je bute un autre élève ?

- Ça dépend, si t'es pris, t'es renvoyé mais si tu n'es pas pris, on sera nombreux à te vouer un culte.

On éclate de rire tous le deux et sommes menacés de punition par le capitaine.

On passe l'après-midi ensemble et bientôt je connais tous les autres gars du dortoir.

Un seul truc me chiffonne, personne ne me croit lorsque je dis que je ne suis pas en troisième mais en maths sup en plus contrairement aux autres, je n'ai ni sac ni matériel scolaire. Je poserais bien la question au colon vu qu'il est mon tuteur mais il a disparu et j'ai peur qu'il ne m'engueule. Bref, je verrai bien demain.

Il n'y a plus de parents et nous sommes tous dans le dortoir, je remarque que des petits groupes se sont formés, mouvants et interchangeables, seuls les trois cons restent entre eux et tous les autres semblent les fuir.

Lorsque la cloche sonne pour le repas, nous descendons tous et des rangs se forment. Au sol, des marques que j'avais déjà repérées. Mes camarades de dortoir s'alignent derrière le 3, moi, je tente d'aller là où sont marquées les deux lettres MS.

- Ho-la va rejoindre ton rang.

- Vous êtes les Maths Sup ?

- Oui, et toi en sixième déguerpis !

- Non, comme vous.

Mais le Capitaine me ramène avec les troisièmes et me colle au premier rang à côté de Clavier pas beaucoup plus grand que moi. OK ! J'ai compris, mais si demain, je me retrouve en troisième, je n'apprécierai pas la blague et je me casserai de cette école.

Du coup, je me retrouve assis à la table du milieu des trois tables assignées à notre dortoir. Et comme je suis en bout de table, je me retrouve responsable pour aller chercher les brocs d'eau. Chouette ! Il contiennent deux litres chacun et sont super lourds et pendant que je me balade, personne ne surveille mon assiette, du coup quand je reviens je n'ai plus ni pain, ni viande ni fromage. Mais quand arrive le dessert je comprends pourquoi tous vident leur verre et se resservent m'envoyant chercher de l'eau, du coup la pomme finit d’abord dans ma poche.

Le repas fini, tous s'en vont et je vais pour les suivre mais celui en face de moi me fait non du doigt.

- Ceux qui sont de service d'eau le sont aussi pour le débarrassage et le nettoyage.

Sur le coup, je fais un peu la gueule, c'est quoi cette arnaque ? Mais en fait, c'est très cool. Non seulement, on est pas surveillé sauf par le cuistot qui est encore plus gamin que nous dans sa tête mais en plus, il nous gave des restes, y compris des restes des tables des profs, alors comme je suis devenu un véritable ventre à pattes, je décide d'être de service à chaque fois que je pourrai.

Lorsque à vingt heures, les lumières s'éteignent, mes démons reviennent et lorsque Clavier m'aura secoué deux fois, je décide de ne plus dormir et je m'assieds sur mon lit bien décidé à résister au sommeil.

 

 

 

 

 

25 janvier 2010

Robert Mardi 2 septembre 1975 Aix Rentrée

Robert Mardi 2 septembre 1975 Aix Rentrée

 

Finalement j'ai du dormir mais peu.

Les autres mecs me regardent en biais et m'évitent.

Comme je suis perdu, je suis le mouvement en observant ce que font les autres. Ce matin, j'aurais un temps de retard sur les autres que je n'aurai plus demain.

Première course, descendre aux sanitaires du rez de chaussée en pyjama et pieds nus comme la plupart. Sanitaires où, en tant que troisième donc les plus grands on bouscule les sixièmes. Les plus virulents sont bien sûr les trois cons, ceux-là, je leur rentrerais volontiers dans le lard mais pour l'instant, je garde mes distances, je reste avec Philippe qui n'est pas plus tendre avec les petits, même si certains sont plus grands que nous ce qui me plonge dans un abyme de honte, pas lui, apparemment.

Heureusement la salle des lavabos bordés de box avec des WC non fermés et des urinoirs de l'autre côté, est grande mais encore trop petite pour cent vingt gamins pas tendres du tout entre eux. Mon père aurait dit : ça forge le caractère. Mais moi, je suis septique. On apprend à pisser à trois au même urinoir et à pas trop se poser de questions à savoir à qui appartient l'urine sur son pantalon. Quand, parfois aussi, le jet dévie volontairement...

On a pas le temps de se poser ce genre de question existentielle car déjà on doit remonter pour s'habiller car très vite les gradés nous envoient chier nous trouvant trop lents.

Là-haut, on doit s'habiller, ranger et nettoyer puis attendre au pied de notre lit fait, que le gradé passe inspecter. Et je comprends vite que pour un lit mal fait, tous sont à refaire, pareil pour des chaussures mal cirées.

Enfin on court tous pour descendre se mettre en rang, la dernière compagnie en place sera de corvée chiottes et de ça, personne en a envie.

Philippe me rassure, presque tout le premier trimestre ce sont les sixièmes qui s'y collent, enfin le premier mois, après c'est moins sûr.

Je découvre l'appel avant le lever des couleurs, j'envie Philippe, je serai à sa place bientôt, je me le jure.

Puis c'est le petit déjeuner, cette fois ce n'est pas de l'eau que je trimballe mais le lait et le café. Au menu : lait, café, pain, rillettes et confiture de fraise.

- Prends une tranche de pain dans chaque poche, à dix heures tu auras faim. Je reste avec toi pour le débarrassage pour t'emmener aux salles de classe. En fait, il sait en tant qu’ancien que le cuistot donne des biscuits à ceux qui sont de service.

Puis, c'est à nouveau la course pour remonter au dortoir récupérer les sacs de cours avant d'aller en classe.

Mais là, je commence une méga crise d'angoisse. Je le suis mais j'ai du mal car j'ai le souffle court et mes jambes me portent mal.

- Putain mais tu fais quoi ? Grouille !

- J'ai pas de sac, pas d'affaires et encore une fois je ne suis pas en troisième.

- Bon arrêtes tes conneries, t'es dans le même dortoir que nous donc t'es en troisième.

- Non merde, j'ai déjà mon bac moi, j'suis inscris ici en math sup !

Le groupe m'entraîne dans la salle mais si tous vont s'asseoir au bureau marqué de leur nom, moi, je reste les bras ballants prêt à fondre en larmes devant le prof qui me regarde aussi perdu que moi.

- Et bien tu n'as pas de place ?

- Non, monsieur, car je suis normalement en maths sup.

Explosion de rire générale. Il sourit et va me dire quelque chose lorsque la porte s'ouvre brusquement sur le colon.

- Ah ! Désolé Monsieur Brian pour cette erreur. Toi, viens ici ! (Sans douceur pris par le col, je me retrouve dans le couloir.) Tu joues à quoi là ?

- Mais mon...

- Tais-toi et prends ça. S'il te manque quelque chose dis-le à Lorient compris ? Et QUE, à lui, compris ?

- Oui mon colonel.

- Bon et maintenant viens ! (Je jette le sac kaki sur mon dos.) Ah oui, dedans il y a mon nom, alors tu fais en sorte que personne ne le voit, compris ? (Mais déjà, je cours derrière lui qui marche. Deux étages plus haut, il toque à une porte.) Monsieur Logent, je vous emmène le nouveau qui s'était perdu.

Et il me pousse sans douceur sur le siège qui doit être le mien et ressort.

Le gars à côté de moi est celui qui hier soir m'a traité de sixième, il fait une drôle de gueule.

- Dernier arrivé, premier au tableau !

Des rires fusent. M'en fous, aller au tableau j'adore !

A midi, j'arrive au mess avec eux et d'Aureilhan, Vermont et L’Hiver m'empêchent d'aller m'asseoir avec les troisièmes. Du coup, on est un peu serré sur le banc et j'ai pas d'assiette. Cela qui fait tiquer Lorient qui me dit d'aller chercher la mienne sur la table des troisièmes où je suis accueilli par un grand silence.

L'après-midi se passe comme le matin, l'ambiance dans la classe est studieuse et très compétitive, je m'y sens comme un poisson dans l'eau. Sauf... que, après le repas, à vingt heures, je ne peux pas remonter avec eux et dois descendre deux étages pour rejoindre mon dortoir où je suis accueilli par un grand « Bziiiiiit ».

- Eh ! t'as volé le sac de qui ? C'est un vrai sac de l'armée celui-là.

- Maxime, j'aime bien le drapeau français qui est dessus, je peux le prendre, tu crois ?

Je balance vite fait le sac dans mon armoire et ferme la porte mais je suis en pantalon d'uniforme et torse nu car je n'ai pas pu prendre mon pyjama.

Lorsque les trois viennent vers moi, je passe par dessus mon lit vers celui de Philippe dans l'espoir d'être soutenu mais ce dernier se casse.

J'enlève le fil de ma clef de mon cou et l'attache à mon poignet la coinçant entre deux doigts, je les attends.

- Que se passe-t-il encore ici ? Ah tiens donc, tu aimes être torse nu ? Grand bien te fasse, enfile tes tennis et viens. Les autres, je vais éteindre la lumière. (Je suis le Capitaine, en me demandant ce qu'il me va bien pouvoir me faire. Contre lui aussi, je suis prêt à me défendre, j'ai remis ma clef au creux de ma main. Certains à Munster ont déjà goûté à ce genre de chose et en ont gardé des souvenirs.) Aller mon gars, deux tours de cours et après tu pourras aller te coucher.

Deux tours ? Il est fou. Un tour de stade et je m'étouffe et là, elle fait bien la taille de deux ou trois stades.

Je finis plié en deux et en marchant. Quand j'arrive devant lui, il a les bras croisés et un immense sourire.

- Au sol, vingt pompes.

J'essaie tant bien que mal mais à trois mon ventre ne décolle pas du sol, il m'attrape par le bras et me jette dans les escaliers.

En haut, il m'éclaire avec sa lampe torche pendant que je déshabille et me couche. Ma clef dorénavant restera attachée à mon poignet.

Lorsqu'il passe au niveau du lit de Lorenzo, je l'entends lui dire " Toi, je t'ai à l’œil !"

 

 

29 janvier 2010

Robert mercredi 10 septembre 1975 piscine 2

Robert mercredi 10 septembre 1975 piscine 2

 

 - Weisenbacher !

Je lève le bras.

J'ai du courrier ? J'ai du mal à y croire, qui peut bien m'écrire ? Caths ? Elle n'a pas mon adresse.

Le garçon me tend un colis, un paquet souple emballé dans du papier kraft fermé par une ficelle. Dessus mon nom et l'adresse de l'école mais pas de cachet de la poste.

Je défais consciencieusement la ficelle, mes collègues sont encore plus pressés que moi de savoir ce qu'il contient. Je dois me battre pour qu'ils ne déchirent pas tout.

Je veux récupérer la ficelle et le papier, ça peut toujours resservir.

Dedans, une serviette de bain brodée à mon nom et un slip de bain autour d'une tablette de chocolat noir Poulain, et... un carnet de correspondance contenant déjà mes premières notes.

Cela m'amuse et en même temps, je ne comprends pas pourquoi tout ces mystères.

La tablette finit dans nos estomacs et la petite image d'un guépard dans mon portefeuille. Le papier d'alu et le papier de couverture avec le papier Kraft. On ne sait jamais et ils seront mes premières possessions.

- Claude, tu veux bien me remplacer pour le service, j'aimerais pouvoir ranger tout ça dans mon placard avant le début des cours.

- Oui, si tu veux, mais c'est juste à cause du chocolat.

Il a l'air sérieux en plus.

- Michel, je vais pouvoir venir avec toi à la piscine ce soir.

- Hum, si tu ne viens pas à l'athlétisme, je ne te remplace pas.

- Hé Claude, le chantage, c'est digne des filles ça ! Mais bon normal pour un poids lourd qui ne doit pas savoir nager.

- Répète ça ? L'année dernière, j'étais premier aux cent mètres nages libres.

J'avale ma dernière goutte de café et je fille au dortoir. Je suis parmi les premiers. Vite, je glisse les papiers bien pliés sous mon pantalon de rechange en vérifiant bien qu'ils ne se voient pas, puis je fourre la serviette et le maillot dans mon sac à dos.

- Alors, tu nous le donnes, le drapeau français du sac que t'as volé.

Je dégrippe le drapeau et le jette n'importe où dans mon casier. Claque la porte et ferme le cadenas puis la clef se retrouve à nouveau entre mon index et mon majeur.

Je recule contre l'armoire en finissant de fermer mon sac.

- Je ne l'ai pas volé. Laissez-moi passer, je ne veux pas arriver encore une fois en retard.

- Oh ! Bébé a peur d'arriver en retard ?

- A voir qui est le vrai bébé de nous deux, car moi j'ai déjà mon bac en poche contrairement à toi, le nullos.

- Répète un peu ça .

- Nullos, nullos !

L'autre con me fonce dessus. Je me laisse tomber à plat dos sur mon lit et le reçois sur mes pieds, jambes pliées. Il vole jusque dans le couloir où il percute deux quatrièmes qui se mettent à hurler. De vraies filles !

J'en profite pour me faufiler et disparaître en courant. J'ai bien intégré que l'on a pas le droit de courir dans les escaliers mais ma vie faut bien un tour de cours. Mais au lieu de descendre, je décide de monter en espérant que aucun fayot ne me dénoncera.

Deux étages plus haut, je rejoins ceux de ma classe qui rigolent en me voyant.

- Tu sais que tu vas te faire tuer si un surveillant te voit ici ?

- Oui et non, je serai puni mais je n'en mourrai pas. Par contre si Lorenzo me choppe. Là, oui, je serai mort.

- Tu veux qu'on lui fasse la peau ?

Je secoue la tête. Non, j'ai mon honneur à respecter.

 

 

Le prof est en retard, j'en profite pour rapidement gribouiller les résultats des devoirs de la veille que je n'ai pas eu le temps, ni l'envie de faire.

- Tricheur !

- Même pas.

Tramoni me pique mon cahier rouge de physique et fait tomber ma serviette du sac. Je n'ai pas le temps de la récupérer car le prof entre et on se lève tous.

Du pied, je fais glisser ma serviette sous mon bureau.

- Weisembacher vous comptez vous essuyer avec une serviette qui aura nettoyé le sol ? Ramassez-la, voyons !

(Je la ramasse mais la garde pour l'instant sur mes genoux mon doigt suivant mon nom brodé en fils argentés. J'ai jamais eu quelque chose d'aussi beau.) Bon, Monsieur Weisembacher au lieu de rêver, venez nous démontrer qu'un polynôme est divisible par un autre polynôme dans la division euclidienne !

 

 

 

- Tramoni, tu remplaces Weis au service, car il doit être à treize heures à l'infirmerie.

- Eh !

Tramoni et moi on réagit en cœur, lui, car il déteste ça et moi, parce que je ne vois pas pourquoi j'irai à l'infirmerie.

- Manges rapidement et je te montrerai, car il semble que tu ne connaisses pas le grand tableau.

Bin, non, je ne connais pas, c'est quoi encore ce truc ?

C'est bêtement un tableau d'affichage où les profs et le Staff notent tout.

Il est sur un mur du bureau des surveillants et visible de l'extérieur par la vitre. D'ailleurs Monsieur Deschamps est en train d'y écrire qu'il sera absent jeudi et vendredi et que le travail sera à demander aux dits surveillants.

Et effectivement mon nom est dans la colonne rendez-vous infirmerie, à treize heures, il est moins deux et je n'ai pas le droit de courir et en plus l'infirmerie est de l'autre côté de la cours près de l'entrée, ras le bol !

Je suis reçu froidement par une infirmière en blouse blanche et petit chapeau sur la tête.

- Vous êtes en retard mon petit. Déshabillez- vous intégralement et attendez avec vos camarades.

 

Ils sont déjà trois. Je commence à me désaper quand une porte s'ouvre sur une autre infirmière qui fait entrer le premier.

Je trouve dégradant qu'on nous fasse foutre à poil alors que eux, sont habillés.

En attendant, je lis le règlement intérieur dans mon carnet de correspondance. Purée, mais on a rien le droit de faire dans ce bahut ! Mon tuteur a signé mais il y a une autre signature à côté. Je le paraphe aussi et puisque j'y suis, je fais des annotations au règlement : en rouge ce que je trouve dégueux, en vert ce avec quoi j'suis d'accord.

Quand le premier revient, il tire la gueule.

- Ça va pas ?

- Non, ce toubib est un gros con, il m'a bousillé en me décalottant sans prévenir.

- Ah !

J'ai un frisson dans le dos. Bon, chez moi, y a plus rien à décalotter alors ça ira.

C'est ça une visite médicale scolaire ? Je cherche dans mes souvenirs mais ma dernière visite médicale remonte à très loin, de la maternelle et après c'est toujours le docteur Péret qui me les faisait passer chez lui.

- A toi !

 

 

- Bonjour jeune homme. Grimpe là dessus. Ouvre la bouche, aucune caries visibles, ni de soins dentaires , présence des amygdales et végétations, tu es souvent malade ? Otites, angines ?

- Non jamais.

- Intéressant et rare surtout chez un garçon. Tu as de beaux yeux violets, t'a-t-on déjà parlé du gène d' Alexandria. (Je secoue la tête.) Couche-toi. Tu m'expliques toutes ces cicatrices ?

- Je suis tombé dans un mixer géant.

Il tique mais ne dit rien. Je vire sa main lorsqu'il touche mon sexe.

- Tu as mal ?

- Non, c'est privé.

- Faut qu'elle te tienne ?

Je regarde l'infirmière que s'est approchée, son sourire me provoque un frisson qui me fait fermer les yeux et serrer les poings.

- Houla calme. Qu'est-ce qui t'arrive.

Je crache les dents serrées :

- Rien.

Mais je sens sous mes paupières des larmes s'accumuler.

- Testicules bien descendues et début léger de pilosité.

Je me remets debout et en profite pour m'essuyer les yeux., Le médecin me sourit puis me fait tourner dos à lui.

- Aucune scoliose mais présence de cicatrices significatives. C'est ton père ou ta mère qui te battait ?

-….

Bon vas sur la balance. 30 kilos, un mètre quarante deux. Pour quatorze ans, c'est vraiment en bas de la courbe mais avec la puberté, tu devrais grandir. Ah ! Il y a une demande de prise de sang et d'analyse d'urine. Vas dans les toilettes et remplis moi ce flacon puis Micheline te fera la prise de sang. Ne fermes pas la porte.

Je n'ai pas envie de pisser et je les entends dans mon dos, parler de moi, de mes cicatrices y compris celles sur mon appareil génital. Mais aussi de ma réaction. J’ouvre alors le robinet au maximum pour ne plus les entendre puis mets ma main dessous, merci Josyane ! Mais bon devront se contenter de trois gouttes.

 

L'infirmière qui regarde plus mon visage que mon bras, devrait se recycler. Elle doit s'y prendre six fois avant de me trouver une veine.

 

En tout cas, j'suis content d'en avoir fini, j'ai appris plein de choses sur moi et le règlement intérieur.

 

Maintenant allons donc nous noyer.

Dans les vestiaires, il n'y a plus personne.

La douche est chaude, c'est un délice.

 

Il y a deux bassins, un grand rectangulaire et un rond surplombé par un plongeoir vertigineux.

Le long du grand bassin devant la grande baie vitrée des gradins où les nageurs ont posé leur serviette. J'y pose la mienne puis reste debout à observer.

 

- Non, non, non, je ne sais pas nager !

Quatre cons me balance à la flotte. Je panique et agite bras et jambes avec d'autre résultat que de me faire avaler des litres de flotte par la bouche et le nez.

Quelqu'un m'attrape par la main et me hisse hors de l'eau, à genoux sur le bord. Devant moi, Lorenzo se marre. Je suis debout comme un ressort.

- Je vais te tuer !

Le maître nageur me repousse dans l'eau et à nouveau me hisse, debout cette fois. Il me tient par les épaules.

- Et moi, tu vas me tuer ? (Je secoue la tête mais si je m'y autorisais, ce serait volontiers.) Bon, alors viens avec moi au lieu de te ridiculiser. Tu n'es jamais allé à la piscine ?

- Non.

- Même pas avec l'école ?

- Non, j'étais toujours dispensé.

- Qu’as-tu pris au bac ?

- Comment vous savez que j'ai le bac ?

- Parce qu'un gamin comme toi, ça ne passe pas inaperçu. J'aimerais me barrer mais je n'ose pas. J'ai honte d'être une attraction de foire. Je m'aperçois que tout le monde me regarde même deux filles.

Des filles dans une école de garçons ?

Contrairement à nous, elles ont des bonnets de bain. Ils sont trop drôles d'ailleurs. La plus grande a des fleurs dessus et la petite : des papillons. Purée, j'suis content d'être un garçon !

Bientôt, je fais des longueurs accroché à la perche du maître nageur. Au début des deux mains et à la fin de l'heure, j'ose un peu me lâcher, je sais qu'il me repêchera, je n'ai plus peur.

 

 

17 février 2010

Robert Vendredi 24 Octobre 1975 Colmar tribunal récit

Robert Vendredi 24 Octobre 1975 Colmar récit

 

- Dis-moi mon garçon, peux-tu d'abord te présenter ?

- Je m'appelle Robert Adolf Samuel Weissenbacher, je suis né le 10 février mille neuf cent soixante et un à Munster. Ma mère est Adélaïde Sarah Weissenbacher née de Max Weissenbacher et Clarisse Bloch. Mon père est Karl Kristofer Minzer mais il a adopté le nom de ma mère pour se faire oublier car il est un ancien gardien SS du camp d'extermination où ma mère et ma grand-mère ont été déportées peu de temps avant la fin de la guerre. Mais je ne saurais vous dire lequel car ma mère a toujours refusé de me le dire.

Je me tourne vers mon père avec un grand sourire aux lèvres. Et ouais, maintenant, je ne suis plus le seul avec Maman à savoir la vérité. Je suis déçu par son visage impassible.

Dans la salle, c'est un vrai tohu-bohu.

La juge tape avec son petit marteau pour rétablir le calme.

- D'où sors-tu ces informations ?

- De ma grand-mère mais demandez donc confirmation à ma mère.

- Mais ta grand-mère est morte quand tu avais trois ans.

- Oui mais je m'en souviens.

- Bon, nous vérifierons, quels étaient les rapports entre tes parents et ceux de ton père avec vous ?

- Mon père commandait, ma mère obéissait. Je ne l'ai jamais vu s'opposer à lui mais je ne l'ai jamais vu la frapper. Pareil, je n'ai jamais vu mon père lever la main sur mes sœurs. Par contre sur moi, il ne s'en privait pas.

- Comment te décrirais-tu comme enfant ?

- Pas facile à vivre mais je n'ai jamais osé tenir tête à mon père. j'avais trop peur de lui.

- Et de ta mère ?

- J'aimais faire le clown devant elle, hors présence de mon père car elle semblait toujours triste et je n'aime pas les gens tristes. Pareil pour mes sœurs, elles souriaient peu et riaient encore moins et je n'ai jamais compris pourquoi. Mon père appelait ma mère : sa reine et mes sœurs : ses princesses. Moi, j'étais principalement la petite merde, le bougnoule ou le taré, l'avorton.

- Sais-tu pour ton père et tes sœurs ?

- Heu non, qu'aurais-je du savoir ?

- Décris-nous où vous habitiez et ta vie.

- Mes parents étaient les concierges du Grand Hôtel à Munster. Et mon père en était l'homme à tout faire. On y habitait dans une dépendance sur deux étages. Un rez -de-chaussée avec une pièce unique où dans une alcôve, il y avait le lit de mes parents. Au premier, une seule pièce aussi avec au centre les lits de mes sœurs et le long des murs diverses armoires dépareillées où se rangeaient toutes les affaires de toute la famille. Dans un coin, à côté de la cage d’escalier, une sorte de petite pièce de deux mètres cinquante sur un mètre cinquante où quand j'ai eu quatre ans, mon père a mis une grosse caisse en bois avec dessus un bout de matelas, sous la lucarne ronde sans volet qui servait de fenêtre. Une table carrée et une chaise. Et ce fut ma chambre pendant dix ans. Plus tard, j'ai empilé contre le mur du fond des caisses de bois que me donnait le garagiste, pour m'en faire une bibliothèque pour les livres que Caths me procurait.

- Ah tiens, puisque tu en parles, qui était Mademoiselle Catherine Lutz pour toi ?

- Caths ? La seule chose qui faisait que je ne me jetais pas par la fenêtre quand j'entendais mon père monter.

- Attends, pourquoi quand... ton père montait ?

- Parce que je savais que s'il montait c'était que j'allais me faire démonter. Même, si juste avant, je l'entendais être gentil avec mes sœurs. Après, il venait toujours dans ma chambre, avec, soi, déjà la ceinture à la main, soit il l’enlevait devant moi. Et franchement… je préférais quand il l’avait déjà en mains, j’avais moins de temps à attendre et à penser à ce qui m’attendait. Dès fois, je savais pourquoi, si dans la journée je n'avais pas obéis assez vite, si je lui avais répondu, ou exprimé un avis contraire au sien, il me disait : "on réglera ça ce soir" et je savais ce qui m'attendait. Mais des fois, je ne savais pas ce que j'avais fait de mal et quand je lui demandais, il me répondait : "parce que tu oses demander ?" à la fin je ne demandais plus, ça ne servait à rien, je n'avais que le choix d'encaisser. La dernière année c'était tous les soirs.

- Mais à l'école, dans la famille, les amis, personne ne savait ou s'en doutait ?

- Quelle famille ? On n'en avait pas. Des amis, je n'en avais pas plus.

- Aucun ? Même pas un copain ?

- Si, Caths. Comprenez que j'ai toujours eu entre trois et quatre d'avance sur les autres, je suis l’olibrius de service, celui dont on se moque et qu'on charrie. Si je mesurais un mètre quatre vingt dix peut-être que les choses seraient différentes. A l'école, j'étais l'emmerdeur, celui qu'on déteste car j'étais premier en tout, sauf en sport bien sûr. Un jour en cours de gym, c'était en première, il neigeait, les quatre classes étaient dans le gymnase, les garçons de ma classe m'ont balancé à poil devant toutes les filles. Dans le bureau du directeur par la suite on m'a traité de perturbateur.

- Hum bon... et donc Catherine ?

- On a été élevés ensemble, elle a deux ans de plus que moi, ma mère était sa nounou. Je n'ai pas de souvenir où elle ne soit pas. Ses parents tiennent une boulangerie en face de chez nous et ils sont aussi les propriétaires de cinq autres magasins dans le village et d'une dizaine de maisons. Tous les matins, en arrivant, elle me donnait un croissant . Elle sentait toujours bon. Elle voulait toujours tuer mon père qu'elle détestait et elle me consolait. Depuis tout petits, on disait qu'on allait se marier ensemble, qu'on ne se quitterait jamais. J'ai pas honte de dire que oui, j'ai fait l'amour avec elle. J’ai un drôle de sourire car bizarrement là j’ai envie de rire. Enfin non, soyons honnête elle… m'a fait faire l'amour et quoiqu'il arrive, je jure qu'un jour je la retrouverai et c'est moi qui lui ferai l'amour que cela déplaise à ses parents ou aux miens.

- Et justement, tu veux bien nous raconter ce qu'il s'est passé ?

- C'est-à-dire ?

- Et bien, pourrais-tu nous raconter comment s'est déroulée cette journée ? Où vous êtes allés, les personnes que vous avez rencontrées, vos activités. Non, maître Grammont, vous parlerez quand je vous y autoriserez, quand cet enfant aura fini. Asseyez-vous donc. Continues, mon garçon.

- Le matin, elle est venue demander à mon père la permission de m'emmener à Colmar pour récupérer mon diplôme du bac que je venais de passer et que j'avais réussi avec la mention très bien. On est resté un peu sur Colmar puis on est rentré en train sur Munster. Là, au lieu de revenir chez moi, elle a tenu à ce qu'on aille au champ de tir. Une clairière où sont creusés des sortes de tranchées où sont organisés des concours de tir. Soit disant, elle voulait aller y cueillir des myrtilles qui y sont très grosses. Mais pendant que je lui cueillais les myrtilles, elle avait enlevé ses vêtements et s'est couchée toute nue sur sa jupe. La juge me fit signe en souriant de zapper. Bref, on n'a pas vu le temps passer. Quand on est rentré, la boulangerie était fermée donc je l'ai forcée à venir chez moi. Là, il y avait ses parents et les miens. J'arrête de parler, je ferme les yeux. Mon père a attaqué de suite...

……………………………………………………………………

 

- Alors vous étiez où tous les deux.

- On est allé chercher son diplôme.

Mon père qui est au fond de la pièce, pousse d'un coup, la grosse table sur le côté et se dirige vers nous. Caths effrayée rase les murs pour rejoindre ses parents. Moi je ne bouge pas, je sais que cela ne sert à rien.

- Toi, je ne t'ai rien demandé ! Alors mon fils ?

- Nous sommes allés manger des myrtilles au champ de tir et nous nous sommes endormis du coup, on a pas vu passer l'heure.

- Tes petites sœurs, mon gaillard, nous ont raconté que vous n'aviez pas fait que dormir, est-ce faux ?

Je vois mes deux petites sœurs collées à notre mère debout en bas de l'escalier, je veux aller les rejoindre.

Mon père est plus rapide que moi, il me soulève par un bras et me colle à la table où trône sa ceinture posée, bien roulée.

Il m'ôte mon tee-shirt puis m'appuyant sur la nuque, il me plaque contre la table et prend sa ceinture.

Je cherche le regard de Caths qui a rejoint ses parents, mais elle me tourne le dos collé à son père tenue par ce dernier.

Il fait glisser mon short à mes chevilles et commence à frapper. Je ne veux pas lui donner le plaisir de m'entendre crier ou supplier. J'ai l'habitude et une certaine résistance. C'est ma façon à moi de le défier. Je crois qu'il aime m'entendre crier, pleurer ou lui demander grâce alors j’essaie de ne plus le faire pour ne pas lui donner ce plaisir. Mais c'est la première fois qu'il le fait devant mes sœurs et surtout devant Caths et ses parents. Et en me dénudant comme ça devant eux. J'ai plus honte que mal.

Je suis étonné d'ailleurs car il s'arrête au troisième coup. Mais il me fait tomber sur le dos devant eux.

- Allez, montre leur donc l'homme que tu es !

Tout en essayant de me cacher et de remonter mon short, je me précipite dans les escaliers. En passant devant mes deux jeunes sœurs, je leur jette un : "salopes" !

Dans ma chambre, j'ôte ce short qui me fait plus mal qu'autre chose car il a frappé sur les fesses et non sur le dos. Puis me couchant sur le ventre, je repense à l'après-midi et cela efface tout le reste.

J'entends la porte de la maison claquer, mes sœurs monter puis se coucher et enfin le silence.

Mon réveil indique deux heures du matin quand je l'entends monter. Contrairement à d'habitude, il ne s'arrête pas dans la chambre de mes sœurs.

Il n'allume pas la lumière.

Il pue le schnaps.

Il pose sa ceinture et une ficelle sur mon bureau.

Je me roule en boule sur mon oreiller, dans le coin du mur, en haut de mon lit.

Il s'assied sur la chaise et me fait signe de venir le voir.

Je ne bouge pas.

Peut-être aurais-je dû obéir, je l'aurais moins énervé.

Il se penche et m'attrapant par une cheville, il m'attire à lui.

Il m'oblige à me mettre debout devant lui.

Je ne vois pas venir le coup de poing qui m'envoie valser sur le lit.

Il me fait me remettre debout et recommence deux fois puis trois, ricanant de me voir incapable de prévoir et de parer.

Il se lève, prend la cordelette sur mon bureau, la tend entre ses deux mains.

J’ai peur qu'il veuille m'étrangler alors je fais non avec les deux mains devant moi. Il me saisit les poignets et les attache avec la ficelle tellement serrée qu'elle me rentre dans la peau.

Il me soulève et me pose debout sur mon lit puis fait passer la cordelette dans le crochet au-dessus de la lucarne. Par celle-ci je peux voir le sol de la cour, dix mètres plus bas.

Je suis sur la pointe des pieds.

Il ne frappe pas, il laboure, frappant avec le côté du ceinturon.

Je pleure, je hurle, lui demandant pardon, lui disant que je ne recommencerai pas, que je ne verrai plus Caths.

Il s'arrête, du plat de sa main ouverte, il me caresse le dos, le ventre, les cuisses meurtries par les coups puis recommence à me frapper cette fois avec la partie plate de la ceinture.

Il essaie de me bloquer face à lui, visant mon ventre et mon bas ventre surtout. Et enfin se laisse tomber sur la chaise comme épuisé, les yeux fermés.

Me hissant au maximum sur mes orteils, j'enlève la ficelle du crochet.

J'hésite à me jeter par la fenêtre mais je n'en ai pas le courage, je suis trop lâche.

Je me laisse tomber sur le lit en pleurant.

Il s'assied à côté de moi.

Il laisse sa main à nouveau courir sur ma peau, sur ma poitrine, sur mon ventre, puis me mettant sur le ventre, il me fait glisser vers le bord du lit. Le visage enfoui dans les draps, je sens les doigts de sa main caresser mon dos. C'est douloureux mais moins que les coups.

J'ai arrêté de pleurer.

- Je t'aime mon fils. désolé mon garçon, je t'aime !

D’un coup sa main gauche m'enfonce la tête dans le matelas et je sens un doigt de sa main droite s'introduire en moi. Je me cabre. Il se colle à mes jambes et ce n'est plus ses doigts que je sens. Je m'étouffe en hurlant.

Lorsqu'il s’arrête, il me lâche.

Je suis debout aussitôt.

J'ai mal et cette fois cette douleur, elle n'est pas que physique. Je la ressens encore aujourd’hui, le jour et la nuit, jusqu’au fond de mon âme.

Ma haine envers lui me donne un courage insensé.

- Tu n'avais pas le droit, j'suis pas une fille !

Quelque chose s’écoule de mon entrejambe, je mets la main, c'est du sang associé à quelque chose de crémeux et gluant.

Dans un accès de rage, je veux le lui essuyer sur la figure. Je ne vois pas qu'il tient en main quelque chose qui brille, reflétant la lumière de la lune.

La douleur est fulgurante, comme je n'en avais jamais ressenti, je hurle alors, sans m'arrêter, comme peut hurler un loup à la lune, mais moi, je hurle à la mort. Mais il frappe, frappe et frappe encore mais je ne sens plus rien, seulement cette brûlure atroce.

Ensuite, je me suis réveillé à l'hôpital.

……………………………………………………………………………………………………..

J'ai froid, du revers de la main, j'essuie la sueur qui coule sur ma joue.

Sueur ou larmes ?

De la sueur me coule dans ma nuque et mon dos et me glace.

- J'ai fini, je n'ai plus rien à dire, puis-je sortir ? Puis-je m'en aller ?

- Oui, merci monsieur Weissenbacher.

La juge a une drôle de voix.

Derrière moi, j'entends plusieurs femmes pleurer.

Je me lève et lentement regardant mes pieds, je sors. Pourtant, j’ai envie de courir, de m’enfuir mais la main posée contre ma nuque, m’en empêche.

Un homme ouvre devant moi, la double porte de la salle d'audience.

Un flash d'appareil photo m'éblouit et… plus rien.



18 février 2010

Robert Vendredi 24 Octobre 1975 Colmar les Alpes

Robert Vendredi 24 Octobre 1975 Colmar les Alpes

 

Lorsque j'ouvre les yeux, j'suis couché sur un canapé dans la grande pièce aux immenses bibliothèques.

Le colon est debout, jambes écartées, bras croisés sur la poitrine. Il fait face à la juge et approuve tout ce qu'elle dit.

Il me voit m’asseoir, il me sourit et s’approche de moi.

- Ah ! Le dormeur s'éveille. Ça va mieux ?

Je regarde autour de moi, je suis de nouveau dans la grande salle aux dorures.

- Qu’est-ce que je fais ici ?

- Tu ne te souviens pas ?

Il a le front barré d'une grosse ride, je ne l'avais jamais remarquée avant. J'ai envie de la toucher mais n'en fais rien. Il a l'air inquiet et s'accroupit face à moi.

Je m’assieds sur le bord du canapé. J'ai la tête qui tourne.

La juge pose un petit plateau à côté de moi, dessus une tasse de chocolat avec deux larges parts de cake avec des fruits confits dedans et dessus de gros morceaux de sucre candy.

- Non, merci, je n'ai pas faim. Mon colonel peut-on partir ?

- Quand tu auras mangé.

- Veux-tu bien goûter mon cake s’il te plaît? On me dit être bon juge mais je sais être aussi une très bonne pâtissière, mes petits-enfants adorent mes gâteaux.

Je prends une des deux tranches et mords dedans.

- Oui, il est très bon. Vous avez des petits enfants ? Mais vous avez quel âge ?

- Robert, bordel et toi t'as quel âge ? Qu'est-ce que c'est que ces questions ?

- Laissez, ce n'est pas grave. Elle soulève le plateau et s'assoit à côté de moi puis le pose sur ses genoux. Il a répondu à toutes mes questions. Je peux répondre aux siennes, cela ne me dérange pas. J'ai qu'une fille qui a quarante-trois ans et six petits-enfants de vingt à deux ans. Et moi, j'ai soixante trois ans. Ai-je bien répondu à ta question ?

Je prends la deuxième tranche de cake.

- Oui madame, mais alors pourquoi vous n'avez pas de rides ?

Là, le colon se redresse furieux. Son visage exprime pour une fois son énervement et il me fusille du regard. La juge, elle sourit, elle semble même amusée.

- Parce que dans mon métier avec mes responsabilités, je dois toujours sembler jeune, alors je les ai fait disparaître. Tu me trouves jolie ?

- Oui madame vous êtes très belle.

Qu'est-ce qu'elle voulait que je lui réponde ? Qu'elle était moche. Parfois les adultes me surprennent.

- Maintenant, j'ai une question à mon tour. Saurais-tu où pourrait se cacher Catherine ?

Je manque de renverser la tasse que je finis rapidement.

- Pourquoi ? Elle a disparu ? Mon père l'a peut-être tuée aussi. Ou ses parents ?

- Non, elle a juste fugué et on la cherche, c'est tout.

- Moi aussi, je vais la chercher.

Là le colon n’est pas du tout d’accord.

- Oui et bien toi, tu vas d'abord venir avec moi, on a assez monopolisé Madame La juge qui a d'après moi, déjà était trop gentille avec toi.



Nous ne sortons pas par la porte principale pour retourner à la voiture.

Le colon est en pétard contre moi.

Tout en conduisant, il peste pendant un certain temps contre mon impolitesse et mon incorrection et à chaque fois que je pique du nez, il me secoue en me disant :

- Tu m'écoutes, oui ?

- Oui mon colonel.

Mais en fait mon esprit n'est pas du tout avec lui. Il est resté sur le bureau dans la salle d'audience, avec les photos de cet enfant, couché sur un drap blanc. Submergé par la nausée, je lui fais comprendre que je vais vomir.

Arrêtés sur la bande d’arrêt d’urgence. Je m’appuie des deux mains sur les bandes métalliques qui bordent la grande quatre voies. Je me vide plusieurs fois. Il ne dit rien. Il a dans les mains, une boîte de mouchoirs en papier qu’il me tend l’un après l’autre pour que je m’essuie la bouche puis les yeux. Bon bin, le cake de madame la juge fut très bon…

 

Il conduit maintenant en silence.

Moi, mon esprit est toujours envahi par ces putains de photos.

Je refuse d'admettre que c'est moi dessus. L'enfant semblait mort et moi je suis vivant !

D’un coup je me tourne vers lui.

- Mon colonel et pourquoi on doit pas demander son âge à une femme ? Moi, on me demande tout le temps mon âge et cela ne dérange personne. Et je m’en fiche moi, franchement, c’est normal de vouloir savoir l’âge des autres. On ne peut pas le deviner à moins de connaître sa date de naissance. Alors quand on ne la sait pas, on fait comment ? Bin, on demande alors, non ? Et vous par exemple, je ne connais pas votre date de naissance donc je ne peux pas deviner votre âge, alors je vous le demande : vous avez quel âge ?

Il soupire, secoue la tête et ne répond pas tout de suite mais sourit. J’ai l’impression qu’il semble soulagé.

- Un enfant n'est pas embêté de dire son âge, lorsqu'il le donne, il est dans le présent. Par contre, les adultes comme moi quand je te dis que j'ai trente neuf ans. Je pense que ma vie est déjà en grande partie derrière moi. C'est une sensation qui peut être désagréable pour beaucoup de personnes. Et les femmes, pour la plupart, refusent leur âge. Elles n'aiment pas vieillir alors on ne leur demande jamais, pour ne pas les blesser.

- Hum, vous ne les faites pas et l'enfant sur les photos il avait l'air d'avoir six ans pas plus, comme quoi tout est subjectif. Et comment puis-je être mort et vivant à la fois ?

- Si tu étais mort, tu ne pourrais pas dire autant d'âneries à la seconde.

- Donc… Je me redresse sur le siège. L'enfant mort sur les photos ce n'est pas moi. Vous êtes quand même allés loin pour arriver à me faire parler. Bravo !

Là, il me regarde en secouant la tête, l’air effaré.

- Et bien, je pense que je vais me trouver un bon psy moi. Tes cicatrices te viennent d'où d'après toi ?

- Non, mais mon colonel, vous croyez que je suis débile ou quoi ? C'est vous qui avez hurlé sous les coups de mon père puis sous les mains d'infirmières sadiques ? Et c’est vous qui vous êtes réveillé tous les matins en pleurant pendant plus de deux mois et encore parfois aujourd’hui, lorsque je bande. Je me tais. Son visage n’affiche aucune émotion mais je vois ses mains blanchir sur son volant. Dîtes, rassurez-moi, c'est fini avec le tribunal, j'aurais plus besoin d'y retourner ? Non, hein ? Parce que moi, j'aimerais bien essayer d'oublier même si je sais que ce sera dur. Sinon, on arrive à quelle heure à Aix ?

- On ne va pas à Aix.

Là, je fais un bond sur mon siège. Non il se fout de moi ?

- Ah non, mais moi je veux retourner à Aix. Vous m'avez dit que c'était fini. Non, s'il vous plaît, moi, je suis bien dans votre école, laissez-moi au moins finir cette année. C'est la première fois que j'ai des amis, qu'on m'accepte comme je suis. Je.. je ferai tout ce que vous voudrez mais ne me renvoyez pas.

Je le regarde avec un air désespéré.

- Quoi ? Qu'est-ce que tu racontes encore, on ne va pas à Aix simplement parce que ce sont les vacances de la Toussaint et que je t'emmène les passer avec moi dans les Alpes. Tu vas faire la connaissance de ma femme et de mes filles. Peut-être aussi de mon frère et de mon père... Ah, oui Rémy, mon frangin a aussi des filles, trois. Ne me regarde pas comme ça, je n'y suis pour rien ! Sinon, encore une chose : mon prénom c'est Richard, d'accord ? Alors pendant le temps des vacances appelle-moi par mon prénom et non plus : «mon colonel» sinon je ne me sentirai pas en vacances... et toi non plus.

- Mais vous êtes sûr que vous ne pouvez pas m'emmener à Aix ? Sinon, je peux y aller seul. Je me redresse et lui adresse un grand sourire suppliant. Je vous jure que je saurai y aller et que je ne fuguerai pas. D'un côté, je suis rassuré d'un autre, je sens monter une autre angoisse, sa femme semble une vraie mégère et je vais me retrouver encore que avec des filles. Je resterai avec les Cohen, je m’entends bien avec leurs fils. J’aiderai monsieur Cohen dans son travail. Et de toute façon, je n'ai pris aucun livre de cours avec moi et les profs ont dit qu'ils donneraient des devoirs pendant les vacances. Je vais prendre du retard, donc je dois retourner au lycée.

- Toi du retard ? Cela te ferait peut-être du bien, mais ne t'inquiètes pas, ma femme doit s'en être occupée.

- Ah !

La vache, il a pensé à tout, je n'ai plus d'excuse. Je me mets à regarder le paysage défiler sous mes yeux. Mais une fois de plus, on ne m'a pas demandé mon avis. Je ne suis qu'un pion qu'on déplace .

J'ouvre la fenêtre en grand puis je la referme et je fais ça plusieurs fois.

- Pourquoi avez-vous accepté d'être mon tuteur ?

Je ne le regarde pas, trop occupé à tourner la petite manivelle d’ouverture de la fenêtre dans un sens puis l’autre.

- Je suis déjà ton directeur et donc, j'avais déjà des responsabilités sur toi, alors, quand on m'a proposé d'être ton tuteur jusqu'à ta majorité parce que ma femme a fait la demande pour être famille d'accueil pour un bébé, j'ai accepté. Entre un bébé de six mois, ou de quatorze ans, la seule différence c'est qu'il ne faut plus te mettre de couches.

- J'suis pas un bébé !

- Oh ! des fois je n'en suis pas très sûr ! Je retourne à ma fenêtre. Je l'ouvre en grand puis la referme pour la dixième fois. La preuve ! Arrête de bouder et laisse cette fenêtre fermée.

- Je ne boude pas, je me désintéresse juste de la conversation.

Il soupire.

- Bon, il est dix-neuf heures et mon ventre crie famine depuis un certain temps et j'ai loupé l'heure du goûter du bébé C’est vrai ça ! Voilà pourquoi j’ai faim. donc l’on va s'arrêter dans ce routier. Comme ça, l'étape suivante, ce sera le chalet.

Cette fois je le regarde.

- Elles seront déjà là ?

Ils a un sourire amusé.

- Non, sinon, il va sans dire qu'on aurait attendu pour manger là-haut sous peine de nous faire égorger vif par ma femme.

En disant cela, il a l'air très sérieux, l'angoisse !

Il gare sa guimbarde entre deux semi-remorques.

- Attends-moi. D'abord je troque mon uniforme contre une tenue civile, je suis en vacances ! Veux-tu faire de même ?

- Non et même si je voulais, je n'ai que ça comme fringues.

Après avoir enlevé sa veste et sa chemise, il enfile un gros pull blanc plein de torsades et une longue veste en cuir noir.

 

Le petit restaurant était bien plein. Autour de nous, il n'y a que des routiers et à côté d'eux, je trouve que le colon détonne. Il a une certaine classe qu’ils n’ont pas. D’ailleurs tous se sont tournés vers nous à notre entrée, me mettant très mal à l’aise.

Sous le plafond une nappe de fumée forme des volutes mouvantes. L'air saturé de nicotine me pique les yeux et je me mets à tousser.

Il y a une petite table libre devant une fenêtre. il interpelle la serveuse en la lui montrant.

- Pardon Mademoiselle, peut-on s'asseoir ici, devant la fenêtre, je crois que mon fils supporte mal la fumée.

La jeune femme lui sourit, me détaille de la tête aux pieds puis va bloquer la porte en position ouverte et ouvrir les deux fenêtres qui l'encadrent. La nappe mouvante ne bouge pas et je finis par m'y habituer.

De plus, je ne me suis même pas plaint. Faut pas abuser, je ne suis pas un gamin tout de même !

Je l'observe parler avec la serveuse, il a laissé ses lunettes dans la voiture et je découvre un inconnu.

Pour un peu, je l'aurais vu sortir avec elle, tellement il lui fait des compliments pour un oui et pour un non. Il lui parle à voix basse, et à un moment donné, je la vois même rougir.

En tout cas, nous sommes vite servis et je trouve même plus généreusement que les autres clients.

- Vous la connaissez ?

- Non, pas vraiment. Des fois quand je suis seul, je m'arrête ici. On y mange bien et copieusement pour pas trop cher.

- Mais la serveuse ?

- Quoi la serveuse ? Il la regarde en souriant puis se tourne vers moi. Hé hé, tu la trouves mignonne ? Un peu vieille pour toi, non ?

Je rougis.

- Non, non, ce n'est pas ça, j'ai cru que vous la connaissiez, vous !

- Et bien, si on te demande, tu diras que non, d'accord ? Et maintenant arrête de parler et mange !

Je ne comprends pas pourquoi d'un coup, son ton a changé et il m'engueule presque.

Alors je me tais, je garde mes questions pour moi.

Mais je l’observe et le compare aux autres convives. 

Autour de nous ça s’esclaffe et ça parle fort. Je sursaute à chaque fois que l’un d’eux tape du poing sur la table ou se met à crier.

En face de moi, il me fixe depuis qu’il a fini son assiette. Une sorte de ragoût avec des plus gros morceaux de viande fibreuse que ceux de l’école, accompagné de carottes, de petits oignons et de trois grosses pommes de terre bien blanches baignant dans la sauce. 

J’imite sa façon de se tenir et de manger, dos bien droit, coupant sa viande avec son couteau, mais ça, j'arrête vite car je trouve plus drôle de déchiqueter la viande. 

Derrière le colon, un homme aussi me fixe et lorsque je croise son regard, je me déplace pour me cacher un peu de lui. Le colon me sourit.

- Tu aimes ?

- Oui beaucoup.

- C’est bien, alors.

Au dessert, il commande pour nous deux, des profiteroles. C'était la première fois que j'en mange.

Lorsque la serveuse vient porter l'addition, elle me demande si j'ai aimé.

- Oh oui madame, c'était super bon mais il y en avait pas assez.

- Il est trop mignon ton fils. On a déjà dû te dire que tu ressembles à ton papa.

Dès qu'elle a le dos tourné, il se lève pour aller payer au comptoir. Je vais me lever aussi quand elle revient avec une nouvelle assiette de profiteroles.

- C'est cadeau, régale-toi. Mais tu as de plus jolis yeux que lui, ta maman doit être très belle.

Elle a un petit air triste que je ne comprends pas.

Par contre le camionneur me fixe à nous et cette fois me sourit bizarrement. Est-ce à cause de mon uniforme ?

Quand il revient, j’essaie de finir vite mais il s'assied en mettant sa chaise perpendiculairement à la table.

- Prends ton temps ou tu vas vomir dans les lacets et j'avoue que tu m'en as assez fait voir pour la journée.

- Désolé, mais je ne lui ai rien demandé.

- Je sais.



Il reste pensif et grave pendant le reste du trajet.

C'est vrai que la route tourne et encore plus lorsqu'on dépasse la ville de Chamonix.

Enfin, on arrive !

Il fait déjà bien nuit mais la lune presque pleine éclaire une immense maison qui m'impressionne. Sa masse noire qui se détache sous les nuages semble m’écraser.

En fait, il y a deux bâtiments collés : un grand chalet et une plus petite maison.

Il arrête la 4L juste en face d'une sorte préau qui fait la moitié du rez-de-chaussée. Puis laissant les phares allumés, il va vers une porte sur le mur de gauche en ayant d’abord récupéré une clef en se hissant à la force de ses bras sur une sorte de promontoire sous un pot de fleurs contenant des plantes grasses.

Puis il saute au sol devant moi qui l’ai suivi et doigt devant la bouche, me fait :

- Chut !

- Il y a déjà quelqu'un ?

Pourquoi prend-t-il cet air désespéré ?

- Non, c'est un secret, chut ! Tu ne dois dire à personne, où j’ai pris la clef.

Oui, je sais. Je suis débile mais j'avais compris.

La porte donne sur une petite pièce, une sorte de sas dont la lumière s'allume seule quand il l’ouvre.

Suspendu à tous les murs de multiples porte-manteaux et crochets à diverses hauteurs et dessus des manteaux, des cirés et des anoraks. Au sol, des caisses en bois superposées abritent des bottes de toutes tailles et de toutes couleurs et présentant diverses usures. Je note aussi des sabots de bois en tas dans un coin. Plus haut, hors de ma portée, j'avoue, des étagères supportent des paniers contenant des chapeaux, des bonnets, des écharpes ou des gants.

- Rentre ou sors mais ferme-moi ces portes. En été, on les laisse ouvertes mais là, il fait froid mon garçon.

Déjà à genoux devant une grande cheminée, il met le feu avec un briquet à une poignée de feuilles de journaux qui dépasse de dessous l'assemblage de branches et de bûches déjà prêt. Les flammes en quelques secondes dévorent déjà l'ensemble.

Je le suis lorsqu'il passe dans la pièce suivante où il allume la lumière. Deux énormes lustres dignes d'un château éclairent l'immense salle.

Devant les fenêtres, une longue table en bois massif épais entourées de deux bancs aussi longs et aussi massifs avec au bout une chaise.

Au bout de cette table, en enfilade, deux autres longues tables en bois mais plus fines et plus légères entourées elles de multiples chaises disparates.

Le mur du fond et celui mitoyen avec la cuisine, ne sont que des grandes portes en bois allant du sol au plafond.

Devant la cheminée, côte à côte, deux grands canapés différents, l'un en velours et l'autre en tissu, encombrés de coussins de toutes formes encadrés par deux rocking-chair et par un gros fauteuil en cuir. Au fond, un tas de peau de vaches empilées, avec dessus, assise une poupée toute nue, sûrement oubliée là par sa petite maîtresse.

- Alors il te plaît mon chalet ? Et encore tu n'as pas tout vu. Allez viens, tu vas m’aider à vider la voiture, puis nous irons nous padger1. De retour dehors, il me met dans les bras un carton qu'il sort du coffre de sa voiture. Ça va ? Pas trop lourd ? Il me prend décidément pour quoi ? Pose ça sur la grande table, elles le rangeront demain.

Je n'ai pas hâte d'être à demain.

Puis nous récupérons nos deux sacs.

Il ne ferme rien à clef. Il enlève ses pompes et enfile des charentaises. Il me tend des pantoufles rouges. Je refuse en haussant les épaules puis en chaussettes, je le suis dans des escaliers sombres .

Au premier, il allume la lumière d'une chambre juste à la gauche des escaliers.

J'y pénètre.

Au milieu, contre le mur du fond entre deux porte-fenêtres, un grand lit double. Un petit lit de bébé et un lit une place s'alignent le long d'un des murs. Sur le mur d’en face une immense armoire va du sol au plafond et une bonne partie du mur.

Il retire le drap qui recouvre le lit de bébé .

- Au lit, garçon !

Et en plus, il a l'air très fier de lui.

Je souris, passe à côté de lui et enlève le drap du grand lit puis m'assois dessus.

- Si vous voulez, alors bonne nuit mon colonel.

Il se met à rire.

- Tu as gagné mon garçon ! Mais je veux vraiment que tu fasses quelque chose pour me faire plaisir pendant ton séjour ici, appelle moi Richard et laisse le colonel à l'école, d'accord ?

- Oui mon colo... Richard.

- Aller sous les draps, oui, oui, dans ce lit c'est parfait, celui en quatre-vingt-dix n'est sûrement pas fait et j'ai la flemme de te chercher un sac de couchage. Hou là, ne te déshabille pas totalement sinon tu vas finir congeler ou avec une pleurésie dans ces draps froids et humides. J'aurais dû faire des bouillottes mais j'ai oublié, tu veux que j'aille t'en faire une ?

- Non mon colo... Richard, j'ai l'habitude.

- Alors bonne nuit mon grand !

Il éteint la lumière puis je le sens se coucher à côté de moi et bizarrement cela ne me fait pas peur.



1Se coucher dans un lit

19 février 2010

Robert samedi 25 Octobre 1975 les Alpes 1 version 2

Robert samedi 25 Octobre 1975 Colmar les Alpes 

 

Quelqu'un ouvre les volets, je rentre, telle une tortue les bras et la tête au chaud sous les draps. Mais j'ai le temps d'apercevoir des silhouettes coiffées de cheveux roux qui disparaissent en un éclair.

- Bonjour jeune homme !

- Bonjour Madame.

En clignant des yeux, je me redresse sur un coude.

Oh ! C'est elle, la femme du colonel ? Je l'ai déjà vue plusieurs fois à l'école. Je croyais qu'elle était infirmière.

- Tu n'as pas de pyjama ? Tu ne dors pas nu, j'espère, je ne veux pas de ça sous ce toit. Elle soulève les draps. Je me recule dans le lit. Eh ! Elle est folle ? Je lui fais non de la tête. Bon alors, dépêche-toi de te lever, nous passons à table.

Mais quelle heure peut-il être ?

Je la regarde sortir.

Elle referme la porte derrière elle. 

Rapidement, je me lève et fouille dans mon sac pour trouver des vêtements plus propres à me mettre avant d’y renoncer. Et de me rhabiller comme la veille avec le même uniforme sauf pour les chaussettes que je traîne depuis une semaine et qui empestent.

Je refais le lit et range mon sac sous le lit une place, puis descends les escaliers.

D'en bas, montent des bruits de voix et de vaisselle, ainsi qu'une bonne odeur de pain frais et de viande.

Ils sont déjà à table.

Au moment où je descends la dernière marche, la rouquine de la piscine passe devant moi avec un grand bol rempli de salade et, tout sourire, me fait un clin d'œil. 

J’ai l’impression que mon cœur s’est arrêté de battre quelques secondes. 

Non, c’est impossible ? 

Et pourtant, il n’y a pas d’erreur possible, c'est une des filles du dirlo ? J'ai embrassé une des filles du colon ? Là, je suis mal, très très mal. Quand je raconterai ça à Claude, il va péter une durite.

- Robert, viens nous rejoindre. Le colon assis sur la chaise en bout de table me fait signe d'approcher. Que je fasse les présentations. J'avance lentement en fixant la fille. Putain la pourriture, pourquoi elle ne m’a pas dit qui était son père ? Tu connais déjà ma femme que tu pourras appeler Gisou, si tu veux… Oui, elle aussi je la connais. Donc sa femme est accessoirement aussi infirmère au lycée. A côté d'elle, le bébé que sa mère ne surveille pas et qui met des petits pois partout c'est Corinne. Puis ma grande, la plus blonde, c'est Isabelle. A elle aussi, je lui en veux. Claude ne va pas du tout apprécier la blague je pense. Véronique a ton âge, tu peux, si tu veux, aller t'asseoir à côté d'elle. Ou à côté de moi, entre Françoise qui a sept ans et Yvette qui a dix ans. Je m'assois entre les deux petites, en face de la rouquine qui continue à me fixer en souriant. Le colon me tend la main. Donne-moi ton assiette, mon grand.

La petite à côté de moi me tire la manche :

- Tu t'appelles Robert ? C'est ton prénom ? Je hoche la tête, la bouche pleine. Et t'es un garçon ? Bin ouais, pourquoi ça ne se voit pas que je suis un mec ? T’as l’air assez bleed toi ma petite. Papa aussi est un garçon et moi je suis une fille et j'ai les cheveux roux comme Maman et on est plus jolie que Papa parce qu'on est des filles. Ah ouais sympa ! Véro, elle dit que les garçons c'est bêtes et moches, mais toi, je ne trouve pas que tu sois moche.

Sa mère lui conseille de se taire mais je fixe la fille de l’autre côté de la table. Toi ! Tu vas le payer !

- Fanfan et si tu te taisais et que tu mangeais au lieu de dire des bêtises et de répéter celles de ta sœur. Richard, peux-tu nous apporter des assiettes à dessert , s’il te plaît ? Véronique, Isabelle aidez-moi à débarrasser. Je commence à me lever pour aider, elle passe derrière moi. Toi, tu restes assis et j’aimerais que tu me surveilles ce petit monstre.

Le bébé, aussi rousse que les autres, tape dans ses mains, et essaie d’attraper tous ceux qui passent à portée.

Mais dehors, des voitures roulent sur le gravier.

Les deux petites filles à côté de moi se précipitent vers la cuisine et moi vers le bébé qui, debout dans sa chaise haute, me tombe dans les bras. Je la pose au sol, elle se met à quatre pattes et suit ses sœurs. Prudent je vais aux fenêtres. Le colon ramasse le bébé et l’emmène dehors avec lui.

C’est sa femme qui m’entraîne avec elle. D’abord derrière moi, elle se penche sur moi.

- Viens que je te présente le reste de ma famille.

Puis sur le parking au pied du chalet, me prend la main. Je n’ose rien dire mais franchement je préfèrerais rester à l’intérieur. 

Deux voitures ont rejoint la 4L verte du colon et la longue Peugeot break bleue de sa femme avec les couleurs d’enfants. Un autre break comme celui de la femme du colon, mais blanc et une petite Peugeot coupée sport décapotable. Dans la deux cent quatre, deux personnes d'un certain âge.

Le colon ouvre la portière à un moustachu bien moins grand que lui qu'il serre contre lui. La femme du colon, m’abandonne avec eux après avoir récupérer le bébé. De l’autre côté du véhicule, elle ouvre celle du chauffeur qui s'avère être une mammema1 qui prend le bébé des bras de sa mère.

- Viens ici que je te présente mon père que tu peux appeler Papy si tu veux.

- Alors c'est toi le petit protégé de mon fiston ? J'espère que tu te sentiras bien parmi nous.

Autour de l'autre voiture, je vois plein de têtes rousses sans réussir à discerner les unes des autres. Il y en a trop pour moi. Sauf au niveau des mutter car l'autre est moins grande et a les cheveux raides et non pas une crinière comme la femme du colon et sa fille. Mais déjà, la troupe des filles rentre dans la maison.

Le bébé passe des bras de sa grand-mère à ceux de son grand-père qui la fait rire en frottant son nez et donc sa moustache dans son cou. Moustache qui ressemble à celle des images d’Epinal représentant de vieux hussards. Je trouve que ça lui va bien car il a un visage assez rond et assez doux avec des petits yeux gris comme ses cheveux et  bordés d’un gros faisceau de rides.

La vieille me fait tourner vers elle et me tenant à bout de bras, elle me détaille. Elle fait la même taille que son mari en hauteur mais pas en largeur. Contrairement à lui qui a le ventre d’un bon vivant, elle est sèche comme une vieille brindille. Mal à l’aise, je baisse les yeux et fixe mes orteils que je replie en me mettant sur la tranche extérieur de mes pieds. 

- Mon dieu Gisèle, mais tu laisses ce gamin pieds nus sur les cailloux, rhôô la la, viens avec Mamie mon chéri que je m'occupe de toi.

Elle me serre contre elle jusqu’à m'étouffer, elle sent la menthe et un parfum de dame. Elle m'entraîne à l'intérieur.

Derrière nous, les autres adultes suivent, je les entends rire surtout le colon et son frère qui semblent chahuter.

Quand la grand-mère entre dans la grande pièce, le groupe de filles l'entoure, me séparant d’elle. Elles se suspendent à son cou et se disputent pour être celle qui l'embrassera la première.

Je reste halluciné par ce spectacle et en même temps jaloux de la chance de ces filles d'avoir une famille comme ça.

Quelqu'un pose ses mains sur mes épaules, une poigne appuyée et ferme.  En sursautant, je me rigidifie mal à l’aise,et rentre la tête dans les épaules. Le colon passe à côté de moi avec deux sacs qu'il pose au pied des escaliers. Ce doit être son frère car son père est devant la cheminée.

- Alors Richard, c'est lui le futur zizi ?

Je me dégage et recule, butant contre une des filles. L'homme ressemble à s'y méprendre au colon sauf au niveau largeur. Les mêmes yeux rieurs et presque la même voix mais avec un accent différent. La mammema se penche vers moi et me chuchote :

- Rémy est sous-marinier, pour lui un zizi c'est un pilote de l'armée de l'air. Tu verras qu'il passe son temps à traiter son frère de petit zizi.

- Robert met tes chaussures et vient m'aider et oublie ce bœuf et ses grosses couilles.

- Richard ! Tu recommences encore une fois devant les filles, je divorce et j'emmène les filles avec moi.

Le colon en passant à côté de sa femme, l’embrasse. 

- Mon bel amour, je signe de suite !

 

J'hallucine.

Dehors les deux hommes continuent de s'insulter et leur père semble trouver ça très drôle. Je ne reconnais plus mon colon.

Je pose mon dernier carton en bas des escaliers quand la femme du colon me dirige vers la table où les filles se partagent diverses tartes, gâteaux au chocolat ou pas, qu'elles noient sous de la crème. Isabelle prend le relais de sa mère qui ressort sur le parking avec les autres adultes , nous laissant seuls, et me force à m'asseoir à côté d'elle.

- Tu veux un peu de tout ?

- Si tu veux.

Elle se penche alors vers mon oreille et me murmure :

- Bon, alors vu qu'on se connaît tous les deux et que les parents ne savent pas tout, d'abord, tu ne joues pas le timide avec nous, ça ne fonctionnera pas. Et ensuite, essaie d'être moins con que les abrutis qui nous servent de père, OK ?

- Pourquoi vous ne m'avez pas dit que vous étiez les filles du colon ? Vous ne doutiez pas que j’allais finir par le savoir ? 

- Parce que ça n'aurait pas été drôle dit-elle avec un grand sourire moqueur. Par contre toi, tu aurais pu nous dire que c'est de toi que Papa est le tuteur.

- Je ne le sais que depuis pas longtemps et dans mon cas, cela ne change rien. Enfin si… Maintenant. 

Une de ses cousines qui me fixe, arrête de lécher sa cuillère et me demande :

- Et maintenant, toi et Véro, vous allez continuer à sortir ensemble ?

Je me tourne vers elle, surpris. D’où elle sait ça elle ?

- Quoi ? Et t'es qui toi ?

A côté d’elle Véro me tire la langue. 

- Ah oui, moi c'est Marthe.

Je n’ai pas la possibilité de répondre car les adultes de retour commencent à s'asseoir autour de nous. Alors, les filles s'éclipsent, me laissant seul avec eux.

- Je crois qu'on a fait fuir les pisseuses.

- Rémy ! Non ! Gisou lui tape sur la main et éloigne de lui le cake dont il allait prendre une part. Toi, tant que tu n'adopteras pas un langage plus soutenu, tu pourras toujours attendre pour que je te serve quoique ce soit.

Rémy soupire et s’adresse à sa femme.

- Bon, Sylvie, peux- tu me servir ?

Celle dernière se verse du thé et refuse.

- Non, Gisou a raison.

Richard se tape sur les cuisses amusé.

- Houla frangin, sort les violons.

Gisou s’en prend à lui aussi.

- Richard si tu continues, je te mets au même régime !

Je les regarde et ne comprends pas pourquoi ces hommes acceptent que leurs femmes leur parlent comme ça.

Le colon prend alors un air tout contrit et penaud.

- Hé mais chaton, j'ai rien dit de mal.

J'en ai assez entendu, je me lève avec mon assiette que je vais poser dans l’évier.

En me retournant, je vois que la femme du colonel m'a suivi. 

- As-tu vu ton sac de cours ?

- Heu, non Madame, il est où ?

Elle sourit et en même temps prend un air un peu triste.

- Tu trouves que je suis une Madame ?

- Pour moi, oui.

Je trouve qu’elle a un gentil sourire. Elle me caresse la joue. J’ai la bizarre impression d’être un petit animal qu’on flatte.

- Tu es mignon mais essaie Gisou, je préférerais d'accord ?

- Oui Ma... Gisou.

Je lui fais un grand sourire histoire de me rattraper.

- Aller, monte voir dans la chambre, j'y ai mis ce que tes professeurs m'ont donné.

Je ne me le fais pas dire deux fois. En fait, ce n'est pas du tout mon sac. Dedans, il y a bien mes livres, mais aucun de mes cahiers et surtout aucune trousse. Ils veulent que je bosse comment ?

Enfin, je ferai avec. Il y a même un livre de physique que je ne connais pas, je largue le sac au sol et, allongé sur le lit une personne, je me plonge dans la physique moléculaire.

 

Vers dix-neuf heures, c'est Véro, qui vient me chercher. Elle entre sans bruit et me donne une grosse claque sur les fesses. 

- Aïe ! Non mais ça va pas ?

Je me lève et la rattrape avant qu’elle ai pu sortir et la tire violemment en arrière, la faisant lâcher la poignée de la porte qui, ouverte d’un coup, va percuter la chaise repoussée vers l’armoire. Ce n’est pas parce que je suis plus petit qu’elle et qu’elle est une fille que je vais me laisser faire sans répondre. 

Moi, j’ai pas spécialement envie de la taper, je veux juste qu’elle me dise : “pitié, arrête !” 

Je la pousse sur le lit en la coinçant sous moi.

Le livre finit par terre et nous aussi contre le lit qui va claquer contre le mur . 

Le colon, alerté par ce remue-ménage, monte en courant et nous sépare.

- Mais ça va pas vous deux ? Il s'est passé quoi ?

- Mais rien, Papa, on rigolait.

Il me secoue me tenant par le col de la chemise et du pull.

- Ce n'est pas vrai, elle m'a pris mon livre, j'essayais juste de le récupérer.

- Tu te fous de moi ? Le seul bouquin que je vois hors du sac est sous ton lit. Il tient Véro par le bras, elle me sourit comme si elle retenait un fou rire, moi non, j'ai plutôt envie de lui sauter à nouveau dessus et de la frapper. A cause d’elle, j’ai dû mentir. Il me lâche. Récupère ton livre et descends, nous sommes à table.

Je descends mais franchement je serais bien resté dans la chambre.

 

Pour le repas, la mammema me force encore à m'asseoir entre elle et le papapa.

Par contre, lorsque Richard pose la soupière sur la table et Rémy deux grands plats, je sais que je ne mangerai rien ce soir.

- Pardon puis-je aller me coucher, je suis fatigué.

La grand-mère ne semble pas de cet avis.

- Et bien, tu manges et de suite après le repas, tu pourras aller te coucher. 

 Papapa repose son assiette et veux prendre la mienne pour la tendre à Sylvie. Je mets mes mains au-dessus.

- Non merci, je ne prendrai pas de soupe.

Le vieux monsieur est surpris puis amusé.

- Tu n'aimes pas la soupe ? Tu vas être malheureux ici mon petit gars car tu vas en manger tous les soirs.

Je le regarde en tenant maintenant l’assiette.

- Si mais pas celle-là.

Il m’écarte les mains et prend mon assiette qu’il présente à sa belle-fille. Elle n’y met qu’une louche.

- Et parce que tu crois que tu peux choisir ?

Déjà devant moi, le fumet qui s'élève de mon assiette me soulève le cœur. Les poings serrés sous la table, je m'efforce de retenir au maximum ma respiration.

Mammema qui a fini son assiette, se tourne vers moi.

- Qu'est-ce que tu as ?

Son mari répond plus vite que moi.

- Monsieur n'aime pas “cette” soupe.

Bientôt tous ont fini leur assiette. Je me suis un peu écarté de la table, les fesses totalement en dehors du banc, juste tenu par mes jambes repliées dessous, je regarde mes poings posés sur mes cuisses.

Je vois Mammema saisir mon assiette en se levant ce qui surprend son mari.

- Non Lucette, repose ça. Je ne suis pas d'accord.

- Oh Raoul, tu me fatigues, je n'ai pas d'ordre à recevoir de toi. Et toi viens avec moi. Je la suis dans la cuisine dont elle ferme la porte. Tu n'aimes pas le poisson ?

- Oui.

Elle m’observe pensive. Moi je suis sur la défensive, poings et mâchoire serrée.

-Tu n'en mangeais pas chez tes parents ?

J’ai la tête baissée, je la regarde par en-dessous.

- Que parce que mon père me frappait et encore la plus part du temps,  je préférais les coups à manger cette merde.

- Bon alors d’abord, ce n'est pas de la "merde". Et ici, les enfants mangent ce qu'on leur met dans l'assiette.

Je hausse les épaules. Je m’en fous de leurs règles à la con.  Elle ne m’en fera pas bouffer.

- Vous pouvez me frapper, je m’en fous, ça ne me fait plus rien. Je peux aussi me passer de manger, j’en ai l’habitude.

Les poings serrés, je lève les yeux vers elle, la défiant en silence de me faire céder.

- Et à l'école, il n'y a jamais de poisson ?

- Si, je mange du pain.

Elle soupire. regarde autour d'elle puis va à la fenêtre, y prend six œufs, les casse dans un bol, les sale puis allume la gazinière et y pose une poêle où elle verse un peu d'huile puis les œufs. Cinq minutes plus tard, je reviens à table avec une assiette où trône une énorme omelette qui aurait pu nourrir six personnes.

Le papapa se penche vers moi mais sa femme lui pose une main sur l’épaule et lui intime de se taire.

- Non Raoul, aucun commentaire !



A un moment donné, le frère du colon se lève pour aller chercher une autre bouteille de vin et de l'eau. En passant, il se penche vers son frère.

- Tu as fait un beau cadeau à Maman avec cette nouvelle oie à gaver.

- Ouais, plutôt un petit jars agressif et capricieux à qui il faudra rogner bec et ergot !

1Mamie en alsacien

6 février 2010

Robert Mercredi 1 Octobre 1975 fin de la partie 2

Robert Mercredi 1 Octobre 1975 fin de la partie 2

 

 - Debout le fou furieux, Vas te préparer pour aller en cours.

 

C'est le caporal Caprais qui vient me réveiller.

Cette nuit j'ai dormi au mitard, mais je m'en fous, et si je suis renvoyé tant pis, car cette fois, l'autre con ne fera plus chier personne pour un certain temps et tout cas, plus moi.

 

J'arrive en retard en cours sans passer par la case petit déjeuner mais par la case infirmerie où j’ai vu Lorenzo au fond d’un lit. Quand il m’a vu, il s’est tourné.

Sans surprise, mon cher professeur me tend un vieux livre de physique avec un papier dedans, bref deux ou trois pages d'exos à rendre pour la veille.

 

- Il parait que tu l'as massacré et qu'il va être renvoyé.

 

Ça, je le sais, Caprais me l'a dit, mais que je serais sûrement moi aussi renvoyé. Hier en m'enfermant au mitard il m'a dit que cette nuit ne serait que la première qu'il fallait que je m'y habitue.

 

Nguyen au tableau m'énerve, je lève la main pour le remplacer.

- Toi, pas besoin de la lever pour la journée.

Je vais répondre au prof que ce n'est pas juste puis je me laisse partir en arrière sur ma chaise comme une flaque et pose ma tête sur le bureau derrière moi. Je me redresse, le prof s'est assis sur son bureau devant moi, me tournant le dos. J'ouvre mon cahier à la dernière page puis au crayon, écris en gros le début de la bonne réponse et le montre à Nguyen qui, ce con, fait une tête surprise. Le prof se retourne, je suis sage, les mains croisées sur le cahier fermé. Je vais pour le remontrer quand on toque à la porte, c'est Lorient. Il me signe de le suivre. Le prof me fait signe d'y aller.

- Tu sais où tu vas ?

- A l'échafaud ?

- Tu es un rigolo toi ? Nous verrons tout à l'heure si tu rigoles encore.

 

Lorsque Lorient toque à la porte du colon, la secrétaire me regarde en secouant la tête avec un air pincé.

Il me fait entrer et mettre au garde à vous devant le bureau du colon.

Ce dernier est en train d'écrire et ne s'arrête pas.

Par contre, il envoie péter le comptable qui entre sans toquer puis le suit et je reste seul.

Je passe en revue son bureau, des dossiers d'élèves, d'après la photo, je reconnais celui de Lorenzo qui cache celle du dossier du dessous. Sûrement le mien.

Juste devant moi, il y a un prisme doré avec son grade et son nom marqué dessus : Colonel Richard Granier. Ça sert à quoi ? Il a déjà son nom sur la porte, ça fait très imbu de lui-même, je trouve. Et puis, son nom tout le monde le connaît dans l'école.

Je crève d'envie d'aller voir la photo qui est dans le cadre doré dont je ne vois que le dos, mais je ne peux pas, je ne dois pas bouger car s'il ne me trouve pas là où il m'a laissé, je ne ferais qu'aggraver mon cas.

D'ailleurs, j'entends quelqu'un venir dans le couloir et s'arrêter au bureau de la secrétaire.

Je lève bien la tête.

 

C'est bien lui, il entre avec Mademoiselle Dionis, sa secrétaire.

- Tenez voici les dossiers des deux gamins, j'ai fait le brouillon des lettres, vous y mettez les formules d'usages. Vous ne pouvez imaginer ce que c'est dur pour moi d'en renvoyer un, c'est la preuve de mon incapacité.

- Mon colonel vous êtes trop dur avec vous même, ce gamin est irrécupérable, pour moi c'est surtout la faute des parents, vous avez vu comment, ils ont toujours été avec lui ?

- Oui mais justement que va-t-il devenir maintenant ?

- Ah ça ! Vous ne pouvez sauver tout le monde et votre priorité doit être de protéger d'abord les autres élèves.

- Oui sûrement, sûrement.

 

Je ferme les yeux très fort car à ne pas en douter, ils parlent de moi, là ! Je ne dois pas pleurer, ne pas leur donner ce plaisir. Mais ce n'est pas juste, je n'ai fait que me défendre.

 

Derrière moi, la porte se ferme, il est assis sans bouger, les bras à plat et les mains croisées sur le sous main vert de son bureau, je sais qu'il me regarde même si je ne vois pas ses yeux derrière ses carreaux noirs. Moi, je regarde dans la cour, c'est l'heure de la récrée du matin, les petits ont une balle qu'ils se lancent.

 

Le téléphone me fait sursauter, depuis combien de temps sommes nous là sans parler ? Il se lève et encore une fois disparaît. Je ne l'ai pas entendu fermer sa porte. Il me laisse sous la surveillance de sa secrétaire.

 

Je l'entends répondre plusieurs fois au téléphone, prendre des rendez-vous avec des parents. Elle est sèche avec eux. Mademoiselle Dionis fait rêver beaucoup de garçons. Faut dire que dans l'école, on a pas beaucoup de femmes ou de filles et c'est vrai aussi qu'elle est bien roulée surtout qu'elle ne porte que des jupes super collantes et des chemisiers qui ne demanderaient qu'à s'ouvrir comme disent certains. Sait-elle qu'ils la dessinent dans des positions assez... je ne sait pas comment dire assez provocantes et très déshabillées. D'y penser me fait sourire et me fait oublier où je suis.

 

J'ai mal aux jambes et j'ai failli lâcher mon calot.

Depuis combien de temps suis-je là ?

Dehors, je vois les mecs se regrouper devant le mess, j'ai faim. La cloche m'a fait sortir de mes rêves. Je m'aperçois que c'est pas plus mal qu'il ne soit pas là mais bon le colon aurait été là, mon cerveau d'ado débile ne m'aurait pas emmené si loin.

Derrière moi, j'entends la secrétaire dire à quelqu'un qui vient d'arriver, un homme car il a le pas lourd, qu'elle me laisse sous sa surveillance. Un bruit de chaise qu'on bouge puis plus rien. Qui est-ce ? Gâche ou un des capots.

 

J'en peux plus, j'ai faim maintenant.

La cours est vide.

Un bruit de chaise, il se lève ? On le relève sûrement ou il s'en va me laissant seul, mais faut pas rêver. Je pourrais me retourner mais non, je ne bougerai pas.

Je fais bouger mes orteils avec difficulté, mes pompes sont déjà trop petites et j'ai eu la flemme d'aller voir Madame Calliop.J’attends que mes pantalons soient trop courts pour aller lui en demander d'autres. Mais là, j'ai mal aux pieds. Pareil, j'ai envie de me gratter le nez mais j'hésite. Oh et puis zut, ça prend trente seconde et il n'y a personne devant moi.

 

Ça y est les autres sortent du mess, je me demande ce qu'ils ont eu à manger. C'est mercredi aujourd'hui, donc au dessert, c'était forcément ces petits triangles de gaufrettes enrobés de chocolat avec, avant, du fromage, ces carrés que l'on gobe comme ça alors qu'il faudrait les étaler sur du pain, mais on a pas le temps et puis c'est plus rigolo d'avoir ce truc pâteux qui t'en fout plein les dents et en fait moi je mange les deux ensemble ça donne un goût space qui m'amuse.

 

La porte claque derrière moi, je me redresse.

Il vient se planter devant moi, posant juste une fesse sur son bureau.

Je craque. Son silence m'achève. Là, franchement je préférerais qu'il me frappe. Je sens des larmes que je n'arrive pas à contenir.

- Pitié mon colonel ne me renvoyez pas, je ne sais pas où j'irai sinon .

- Vous renvoyer ? Ne vous inquiétez pas pour ça. Par contre vous déménagez. Vous vous entendez bien avec d'Aureilhan ?

- Oui mon colonel, il est sympa.

Pourquoi me pose-t-il cette question ? Claude n'a rien à faire dans l'histoire ? C'est juste entre Lorenzo et moi.

- Repos ! (Ouf ! C'est terminé ? Mais il ne m'a rien dit, ni puni. J'ose le regarder, il n'a plus ses lunettes, je le fixe aussi puis détourne les yeux. Ne pas le provoquer, même si là… je le ferais bien. Histoire de savoir à quelle sauce il compte me manger.) Le Caporal Lorient vous aidera à transporter vos affaires. Mais avant, allez voir le cuistot qu'il vous donne à manger.

Alors là, je ne m'y attendais pas. Je dois avoir l'air d'un poisson hors de l'eau. Je ne suis même pas puni ? Mais pourtant, je me suis battu.

Quand Lorient me pose la main sur l'épaule, je sursaute. Ça fait sourire le colon qui se lève et va se mettre debout devant la fenêtre les mains croisées dans le dos. Il regarde vers le haut. On le voit souvent comme ça quand il est dans son bureau. Qu'est-ce qu'il peut bien regarder?

 

- Bonhomme, tu sais que tu m'as fait gagner cinquante francs ?

- Hein ? Pourquoi ? Qu'ai-je fait encore ?

Lorient m'aide à défaire les draps de mon lit.

- Gâche et d'autres avaient parié que tu craquerais, Moi et madame Lang, on a gagné. T'es un petit con résistant, tu as tout mon respect. Tiens, vas rapidement porter ces draps à la blanchisserie, je t'attends ici.

Là-bas, ils refusent de m'en donner d'autres et je me creuse la cervelle pour savoir comment je vais faire mon lit sans drap ni couverture, enfin je verrai bien.

 

Lorient s'est couché sur mon matelas, il se lève en m'entendant.

- Aller accélère, je dois aller remplacer Caprais en salle de permanence. Je vide le contenu de mon armoire sur mon lit et soulève la pile. Il me prend les tennis et les boîtes de cirage. Go ! go !

 

Il me fait monter deux étages, et m'introduit dans une des chambres doubles, dessus il y a marqué : d'Aureilhan, Tramoni.

- Tram est parti, donc tu peux prendre son lit. Tu verras, je pense que tu t'entendras bien avec D'Aureilhan, c'est un garçon sérieux et travailleur. Il avait ton âge quand il est arrivé ici. Bon, par contre t'es consigné dans ta chambre cette après-midi donc profites-en pour faire tes pages de punitions et t'installer.

- Mais mon sac est resté en classe.

Je le vois soupirer.

- Bon OK ! Viens, je t'accompagne puisque les profs ne sont pas là !

 

En classe, il me dit de vider mon casier et de tout ramener dans la chambre. Je suis fier de passer dans la cours les bras chargés de mes livres, devant les collègues du dortoir de troisième qui me regardent.

Là-haut, je pose tout sur le bureau qui dorénavant sera le mien puis redescends à la cuisine avec lui.

Firmin et Jul m'accueillent en me tapant dans le dos. Je m'installe devant une platée de raviolis et au dessert, j'ai droit non seulement à mon triangle mais aussi à une glace. Purée, du coup, je me rebattrais volontiers !

 

Dehors avant de remonter, je serre la main à plusieurs mecs du premier cycle qui me disent merci ! Je suis surpris puis je comprends : Lorenzo est renvoyé !

 

 

 

 

 

 

24 février 2010

Robert jeudi 30 Octobre 1975 les Alpes Véro

Robert jeudi 30 Octobre 1975 les Alpes Véro



Je me mêle peu à eux.

Ce n'est pas que j'ai peur des filles mais ces derniers jours m'ont échaudé et puis ce n'est pas ma famille.

Je ramène mon bol dans la cuisine et le lave, j'ai hâte de retrouver mon bouquin au calme sous ma couette.

- Hep ! Holà pas si vite ! où vas-tu ?

Le pied sur la première marche, je me retourne pour regarder le colon couché sur le canapé, ses deux dernières assises sur son ventre.

- Dans la chambre. Je vais lire.

- Ne peux-tu le faire aussi ici.

Voilà pourquoi je monte dans la chambre, encore une fois, je suis le centre de l'attention de toute cette famille. Bon bin, let’s do some homeworks ! Mais si ça continue, je vais avoir fait tous les exos du livre.

Deux mains se posent à plat sur la table : le colon. 

Qu’ai-je fait encore ? Je lève les yeux vers lui, inquiet. Il sourit. Il m'enlève le stylo des mains, et m'emmène avec lui dehors.

 

Rémy débite les bûches que Papapa pose sur le billot, hier on leur en a livré plusieurs stères. Il me tend la hache en souriant. Je la prends, je fais mine qu'elle est trop lourde pour moi mais en fait elle est plus petite que celle de mon père. Je laisse retomber. La bûche tombe coupée en deux.

- Waouh, bravo !

Je hausse les épaules.

- La première fois que mon père m'a collé sa hache dans les mains, j'étais aussi grand qu'elle et je n'arrivais pas à la lever. La vôtre est plus légère et plus petite.

J'attends que l’un d’eux remette une autre bûche mais au lieu de cela, je les vois soupirer, lever les yeux au ciel. Ils ont quoi encore ? Ras le bol !

Je pose la hache et vais pour retourner dans la maison mais Papapa m'arrête puis posant son bras sur mes épaules, il me montre les filles, enfin Véro et les jumelles autour d'un vélo, debout à l’envers, posé sur sa selle. Je n'ai pas encore aperçu leurs grandes sœurs.

- Tu sais réparer une roue crevée ?

- Oui.

- Bon, alors va les aider.

Je ne peux m'empêcher de le regarder. Il a l'air sérieux, c'est ça le pire.

- Obligé ?

- Non, mais tu vas devoir aussi faire des efforts de ton côté, et ça, tu le sais.

Cette fois, c'est à moi de soupirer, je n'ai pas vraiment le choix.

Je m'approche d'elles en traînant les pieds.

- Je peux vous aider ?

Elles se retournent sur moi.

- Oh mon dieu, on nous envoie le sauveur. Parce que tu crois quoi ? Que parce que nous sommes des filles, on ne sait pas changer la roue d'un vélo ?



Wahoo ! Bon, et bien, moi, je rentre. Je jette un regard noir à Papapa et je retourne à mon bouquin, lui au moins, il ne m'envoie pas chier !

Installé en tailleur sur un des rocking-chairs, je ne la vois pas venir. J'ai presque une crise cardiaque quand elle le couche à l'horizontal. Pour me retenir des deux mains pensant me fracasser en arrière, j'envoie valser le livre et j'avoue, je crie comme une fille. Et l'autre idiote qui est pliée en deux devant moi. Et je ne peux ni la frapper ni l'envoyer chier car en criant, j'ai rameuté tous les adultes.

Richard vient se mettre entre nous deux et me regarde énervé.

- Qu'as-tu encore fait ?

Je n'attends pas qu'il m'engueule, je ramasse mon bouquin et monte dans la chambre.

Je claque la porte, me laisse glisser au sol derrière elle et laisse sortir ma rage en tapant de toutes mes forces à coup de poing contre le sol et les murs.

Un jour, je la tuerai !

Marre, marre, marre, c'est encore et toujours moi qui m'en prends plein la gueule alors que je n'ai rien fait ! Mais pourquoi ? J'suis franchement maudit !

- Robert, ouvre-moi s'il te plaît.

- Non !

- Dois-je aller chercher un des hommes ? Je me lève et ouvre à Mammema. Elle tient à la main un paquet de coton et un flacon. Elle me caresse la joue d’un air triste puis me serre contre elle. Véro nous a dit que tu n'as rien fait. Tu aurais pu le dire toi aussi.

- Il ne m'aurait pas cru.

Elle m'embrasse sur le front.

- Allez viens t'asseoir et fais-moi voir tes mains. Rémy faisait comme toi, tellement qu'un jour il a tapé trop fort sur du béton et a fini avec un plâtre. Du coup ça l'a calmé, mais s'il te plaît ne sois pas aussi stupide que lui. Elle me passe du coton arrosé d'alcool. Ça pique mais je m'en fiche. Ses gestes sont doux. Pourquoi Véro ne ressemble-t-elle pas à sa grand-mère ? Elle sourit. Quand elle lève les yeux, j'ai l'impression bête d'être pris en faute et je me sens rougir. Je me lève et vais devant la fenêtre en fourrant mes mains dans mes poches. Aïe ! Ça fait plus mal que l'alcool. Elle vient derrière moi, met ses bras autour de moi et pose son menton sur ma tête. 

 - A quoi penses-tu ?

Je réponds pas car je n'ai rien à répondre. J'aimerais être comme eux. J'aimerais être l'un d'entre eux mais je ne suis qu'un gamin qu'ils accueillent car ils ont pitié de moi.

On reste ainsi un instant puis elle me fait me tourner, m'essuie les joues et sans un mot me tenant contre elle, me fait descendre.



En bas, les filles sont toutes assises à la table où d'habitude je travaille, et là, ce sont elles, qui sont devant des livres et des cahiers.

Françoise me court dessus.

- Tu sais lire ?

- Non !

Elle est surprise une seconde puis se met à rire.

- Tu me lis une histoire ?

Elle tient un livre de contes, on s'installe sur le canapé et je commence à lui lire, Coco nous y rejoint le pouce à la bouche.



A midi, Gisou nous envoie tous les deux chercher les hommes pour manger et récupère Coco pour la mettre dans sa chaise haute.

Franchement, je souffle et affiche une mine mécontente quand elle vient nous le demander.

Finalement c'est Fanfan qui y va, moi, je reste sous le préau, à l’entrée du sas, et fais demi-tour en voyant son père la prendre sur ses épaules puis venir vers moi.

Je n'ai pas envie de voir, ni de parler au colon.

Dans le sas lorsque je pose la main sur la poignée de la porte d'entrée de la cuisine, celle-ci s'ouvre brutalement sur Véro et ses deux fidèles ombres.

- Tiens, le fou furieux.

- Non, le goret qu'on égorge.

- Bou hou hou ! Une des jumelles, les mains à la hauteur de son visage, mime quelqu'un d'effrayant.

Pour pouvoir passer, je la repousse violemment contre le tas de godasses où elle s’écroule, 





Derrière moi, j’entends Richard bloquer sa fille et l’empêcher de sortir.

- Où vas-tu jeune fille ? Tu es punie je crois, tu retournes avec moi dans le salon, je crois que tu as des excuses à présenter à quelqu'un. Tu l'as fait ?

- Non, Papa... me force pas à ça. Je te déteste.

- Et bien, tu seras punie jusqu'à ce que tu l'ais fait.



Avec Maïté et Isabelle, nous mettons la table. Isabelle passe derrière moi pour poser les assiettes.

- Désolée pour hier, avec Maïté, nous avons été débiles, j'espère que tu nous pardonnes. Maintenant vas voir Véro, et dis lui tout haut que c'est pas grave et que tu lui pardonnes comme ça Papa lui foutra la paix et vous serez réconciliés. Et en plus, tu auras le beau rôle.

Je regarde incrédule Isabelle qui vient de me chuchoter cette idée saugrenue. Moi, pardonner à Véro? Contrairement à elle, cette garce ne s'est pas excusée. Sur le coup, je suis contre totalement, j'aime bien voir Véro assise les bras croisés sur le rocking-chair en train de faire la gueule, les pieds remontés contre ses fesses.

Et puis...

Je pose le dernier verre et au lieu de retourner vers la cuisine, je vais faire un bisou à Coco dont la chaise haute est derrière le rocking chair. 

Et là, c’est à mon tour d'appuyer sur le dossier du fauteuil à bascule. À son tour de hurler. Non, non, moi, j'ai juste crié, OK ? Alors qu'elle… elle hurle tellement… qu'elle me fait presque pitié. Puis elle se lève et me court après, autour de la pièce. Je passe sous la table, tourne autour de Mammema puis des mutter, lorsque je passe à côté des jumelles, elles essaient de m'attraper, elles aussi. Le passage au-dessus du canapé est plus difficile car Véro me tient par la manche du pull et se retrouve avec le pull dans les mains et moi, torse nu. Là, je vois qu'Isabelle et Maïté tiennent chacune une jumelle et les mutter les plus jeunes mais personne ne nous engueule. Moi, je m'amuse comme un petit fou mais d'un coup, je m'arrête et lui fais face à Véro en souriant.

- Aller on fait la paix ?

- T'es qu'une pourriture !

- Non, je t'ai juste rendu la pareille.

On est devant la cheminée, le feu donne des reflets encore plus rouges à ses cheveux. Elle est toute rose de s'être énervée et ses yeux lancent des éclairs. D'un coup, je suis hyper malheureux, elle est trop belle mais c'est la fille du colon.

Elle ramasse mon pull et me le tend.

- Tu ferais bien de le mettre sinon Maman va te faire une scène. Et viens, on va manger.



Après le repas, pour ne plus me voir dans mes livres Richard se débrouille pour me trouver mille et une occupations que je fais en silence sans jamais rechigner. 

Mais cela aussi l’agace.

Pour finir, il m’envoie chercher du bois. La réserve à côté de la cheminée est pleine, je vais le lui dire mais je me tais. Il ordonne, j’obéis. Il est le colon, moi, son élève. 

Lorsque je reviens les bras chargés de bûches qu’il m’a dit d’aller chercher, il m’attrape par les épaules et, me met face à lui puis me secoue. Surpris, je laisse tomber une bûche qui loupe ses pieds de quelques centimètres.

- Pardon, mon colonel.

Oups ! Et puis flûte.

- Hein, quoi ? Mais arrête, arrête, c’est une corvée pour toi d’être ici ? Mais qu’est-ce qu’il t’arrive ? A l’école, je te vois rire. Alors qu’ici même si tu as ma propre mère qui te traite mieux que nous lorsque nous étions petits. On ne t’entend pas et tu tires tout le temps la gueule. Mais qu’est-ce qu’il faut que nous fassions pour que tu te sentes bien avec nous ?

Là, c'est carrément tout le reste des bûches qui tombent ; il fait un saut en arrière, moi non. Je reste comme statufié, les bras le long du corps. Mon regard va des uns aux autres, tous me regardent. Je monte en courant dans la chambre. Une fois là-haut, je me mets à pleurer de honte. J’en ai marre de rien comprendre. De ne pas comprendre ce qu’ils attendent de moi.



A dix-neuf heures c'est Véro qui vient me chercher sans un mot mais je m'assieds à côté d'elle et des jumelles pour manger stupéfaites.



Après le repas les filles commencent une partie de Monopoly assises par terre devant la cheminée. J’enjambe le plateau pour aller jusqu’à la pile de tapis-peau de vache. Isabelle me demande gentiment de passer derrière elle au retour. Je récupère ma carpette préférée, presque noire avec des poils tout doux. La tenant au-dessus de ma tête derrière mon dos, sa queue traînant au sol, je repasse au milieu des filles mais cette fois les pions et les fiches valsent. Elles crient, et j'esquive les coups en riant.

J’étale ma peau et me couche dessus à plat ventre les pieds posés presque dans le feu. Gisou me regarde de la porte de la cuisine, je lui fais mon plus beau sourire. Elle secoue la tête et retourne dans l’autre pièce.

Je remarque à portée de main, les nattes de Véronique, je tire d’un coup bref dessus puis joue l’innocent. Richard veut que je m'intègre, OK ! Je jouerai donc au même jeu que ses filles !






































14 février 2010

Caths Lundi 20 Octobre 1975 bébé es-tu là ?

Caths Lundi 20 Octobre 1975 bébé es-tu là ?



Ce matin, Tiph s'est levée de mauvaise humeur, les anglais ont débarqué cette nuit et comme le mois dernier, elle a mis du sang partout et a tâché la couverture et ils ont beau chercher dans le camion, il n'y a plus une seule protection quelle qu'elle soit.

Catherine se propose d'aller en acheter et pour ça, ils fouillent le camion à la recherche du peu d'argent qui leur reste.

Ce sera suffisant mais à midi, si aucun d’entre eux ne se débrouille pour trouver du fric, ils devront encore se serrer la ceinture. Catherine s'en fout, de toute façon, elle n'a pas faim, même parler de bouffe, lui donne la gerbe.

En attendant, Tiph se met un tee shirt plié dans la culotte.

Thibault s’exclame en aidant à sortir les couvertures ensanglantées.

- Putain, j'suis content de pas être une fille moi !

Mais michka le mouche énervée.

- Oui mais tu ne pourras jamais être enceinte comme Tach.

Cette dernière qui est déjà à une bonne dizaine de mètres du camion rentre la tête dans les épaules en continuant comme si elle n'avait rien entendu.

- Michka, qu'est-ce que tu racontes ?

- Bah, à part moi, qui biologiquement n'est pas conçue pour en avoir, la seule explication pour une vraie fille de ne pas avoir ses ragnagnas, c'est d'être enceinte, non ? Et elle vit avec nous depuis trois mois presque et Tiph est toujours la seule à les avoir eu donc sauf erreur à moins qu'elle se soit faîte opérée, Tach n'a pas de couilles...




- Tiens, tes couches ! Tach lance le paquet à Tiph qui l'attrape au vol avant de grimper dans le camion et d'en fermer la porte. Tous les autres la fixent et elle leur lance d’une voix agressive. Quoi qu'est-ce qu'il y a ? Oui j'suis en cloque et alors si ça vous emmerde, je peux aussi me casser.

Thibault réagit au quart de tour, tel un petit roquet.

- Ouais c'est ça casse-toi !

Michka fusille l'éternel ado du regard.

- Thib ça va pas ? Qu'est-ce qui te prend ? Moi, d'avoir un bébé à papouiller dans quelques mois ne me dérange pas du tout et si toi oui, c'est à toi de te casser.

Ce dernier se retourne vers l’homme debout derrière lui.

- Dan tu savais que Tach était enceinte ?

Catherine lève la tête du journal "Salut les copains" qu’elle a trouvé dans une poubelle et regarde Dan. Il la dévisage puis hausse les épaules.

- Non, mais je suis juste triste qu'elle n'ai pas eu le courage de nous le dire, car pour moi, ça ne change rien.





Michka s'est assise sur un carton à la sortie d'un supermarché et chante, enchaînant les airs d’Édith Piaf.

De temps en temps quelqu'un lui lance une pièce ou deux.

Dan s'est trouvé un petit boulot dans une ferme du coin avec Thib et Typhanie.

Catherine s'ennuie au camion. Dan a refusé que je bosse à ramasser les pommes. Et j'ai compris que maintenant qu'il sait que je suis en cloque, il ne va plus vouloir que je bosse dès que le travail sera un peu physique.

Catherine s'assoit sur les talons en face de Michka.

- Tu m'apprends à chanter ?

- Hum pourquoi pas. Tu veux apprendre laquelle ?

- "Non, je ne regrette rien".

Michka éclate de rire...






















 

9 janvier 2010

Robert lundi 22 juillet 1975 sortie

Robert mardi 22 juillet 1975 sortie

 

- Bonjour jeune homme, tu sors aujourd'hui je crois, tu es content ?

- Oh oui.

La jeune infirmière qui vient de me réveiller, semble amusée par mon cri du cœur.

Par contre la suite me plaît moins.

- Es-tu allé à la selle ?

J’évite de la regarder mais esquisse un sourire tout en sachant que quand je mens, ça se voit.

- Oui.

- Ce n’est pas beau de mentir. Cette fois, je souffle, marre qu’on me demande si j’ai fait pipi, caca, vivement que je ne les voie plus. L’ennui, c’est que si tu n’y es pas allé, le docteur refusera de te laisser sortir.Là, oui je la regarde. Non pitié ! Je veux foutre le camp d’ici, moi ! Donc, vas-y et ne tire pas la chasse.

- Mais je n’en ai pas envie.

- Avec tout ce que l’on t’a donné, c’est ennuyeux.

Je suis content car elle sort de la chambre. Bientôt je serai libre ! 

Hélas elle est de retour peu de temps après avec une collègue. Aïe, ça, ça pue !

- Bon, avant de te laisser sortir, nous devons examiner une dernière fois. Allonge-toi et mets-toi sur le côté. Je m’allonge comme elle me l’indique, en chien de fusil, pas très confiant. Mais lorsque l’autre infirmière se couche sur moi pour me tenir et que je sens la première me baisser le slip, je veux me débattre, partir, m’enfuir. Et je me sens violé à nouveau. Je suis désolé mon petit mais c’était le « Microlax » ou nous te gardions jusqu’à ce que tu le fasses seul et franchement, nous t'avons assez vu.

Moi aussi, je les ai assez vues !

C’es un fou furieux qui reste assis sur le bord du lit, tenu par les deux pour m’empêcher de me lever. Je refuse leur tendresse, je sais qu’elles n’ont fait que leur boulot. Elle ne m’a pas fait mal, ce n’était pas douloureux et pourtant elle m’aurait planté un couteau, j’aurais eu aussi mal.

Je n’entends pas ce qu’elles me disent. Je me débats contre ces mains sur mes épaules. Ces mains qui tiennent mes poignets posés sur mes cuisses. Ma tête a raté celle de l’infirmière. Je me débats, en rage. C'est la seule chose que je peux faire coincé entre celle debout devant moi et celle à genoux sur le lit derrière moi.

Puis elle me relâche.

- Tu peux y aller.

Cette fois la douleur est physique, elle me tord le ventre et ranime mes sentiments de haine envers tout ce qui m’entoure.

Elle attend en face de moi, debout devant la porte avec une serviette et un savon qu’elle me tend lorsque je me lève. Même ça, je n’ai pas pu le faire seul. C’est elle qui tire la chasse.

J’ai envie de mourir et je les hais, c’est viscéral comme mon envie de chier tout à l’heure.

Est-ce qu’avaler ce stupide savon, me fera m’étouffer ? Tenter de me noyer dans les chiottes? Non, ça me rappellerait le collège.

Et cette conne qui me regarde en souriant.

Ma voix me semble grave et sourde, pas celle de l’enfant que je suis.

- Sortez !

Je suis surpris de la voir sortir et refermer la porte derrière elle.



Lorsque je reviens dans la chambre, je suis seul.

Mes yeux sont secs mais mon stylo bic hurle à ma place sur les pages du cahier qui sera bientôt plein, j’ai tellement de choses à évacuer.



Le docteur Péret me tend un sachet plastique avant de le vider lui-même.

- Tiens, voilà ce que j'ai pu récupérer comme vêtements pour toi auprès d'Annie car votre maison est, et surtout ta chambre, toujours sous scellés.

Le docteur Péret pose sur mon lit, un slip, un short, un tee shirt blanc et le petit débardeur marron que m'a tricoté une cliente de l'hôtel.

Trente seconde plus tard, sous l’œil amusé du docteur je suis habillé et fin prêt à partir, j'ai même mis mes sandalettes.

Il est neuf heures, je commence à tourner en rond dans la chambre. Lui feuillette un des magazines qu'il m'a acheté, je lui récite les divers articles.

- Assieds-toi, tu me donnes le tournis.

Je m'assieds sur la chaise devant lui.

- Votre voiture est-elle garée  ?

- Dans le parking intérieur réservé aux médecins.

Il ne lève même pas les yeux pour me regarder.

- Pourquoi votre femme n'est pas venue ?

- Tu aurais aimé ?

- Oui, mais je comprends qu'elle ait eu autre chose à faire. Moi aussi, j'aurais d'autres choses à faire que d'attendre.

- Ah qu'aurais-tu d'autre à faire ?

Quelle question !

- Aller voir Caths par exemple, lui dire que je suis guéri.

Là, il me fixe.

- Alors soyons bien d'accord, une bonne fois pour toute, tu n'iras pas la voir et elle ne viendra pas.

Non ? C’est pas juste !

- Mais pourquoi, c'est pas juste.

Je tire la gueule.

- Robert !

Rien à foutre de lui. Je veux revoir Caths. Je m'enfuirai, je fuguerai mais j’irai la voir. Rien ne m’empêchera d’aller la voir.Je me lève, vais à la fenêtre, puis reprends mes aller-retour table de chevet, lavabo et mettant un pied par carreau du sol.

Il me prend par le bras et m'assied de force.

Je reste assis deux minutes, assis est un bien grand mot, je tourne sur la chaise de droite à gauche et de gauche à droite, vingt fois, trente fois puis me relève, cette fois c'est fenêtre, porte de la chambre.

- Assieds-toi !

Je m’assieds mais cinq minutes plus tard, je suis debout et le manège reprend.

À  onze heures quarante-cinq, la porte s'ouvre sur un médecin en blouse blanche que je n’ai jamais vu. Le docteur Péret se lève et lui serre la main.

- Bonjour mon garçon, je suis content de voir que tu as l'air d'aller bien. Je suis le chirurgien qui a réparé le puzzle que ton père s'est amusé à faire de toi et si tu le veux bien, je voudrais t'ausculter une dernière fois, alors viens te coucher sur le lit.

J'ai hâte de pouvoir partir, je m'allonge et il commence à me déshabiller quand la porte s'ouvre à nouveau, cette fois sur l'infirmière sadique. Je suis debout dans la seconde derrière le docteur Péret.

- Elle... elle sort . Cette cinglée je ne veux plus jamais qu'elle me touche.

Les deux hommes se regardent.

- Mademoiselle Meyer laissez-nous, je pense que j'arriverai à me débrouiller seul.

Je la vois hésiter mais finit par obéir au toubib en affichant une moue vexée.

Les deux hommes m’interrogent du regard.

- Elle est partie, tu peux revenir, que t'a-t-elle donc fait ?

Je leur raconte son sadisme par rapport à la gentillesse des autres.

- Étonnant, d'habitude elle est beaucoup aimée par les enfants. En tout cas, je suis content de mon examen et je te laisse sortir. Mais si tu avais mal ou le moindre souci n'hésite pas à revenir me voir, d'accord ?

- Oui docteur.

 

Quand il sort, nous lui emboîtons le pas, enfin presque. Moi je les double pour dévaler en courant les escaliers, je suis libre !

 

Je l'attends appuyé contre sa voiture.

Il n’est pas énervé, juste amusé.

- Au moins, on ne peut pas dire que tu n'es pas pressé de sortir. Je m'assieds à côté de lui à l’avant de sa citroën . On ne rentre pas directement, d'abord on passe par la gendarmerie, tu as toujours une déposition à faire.

- Non !

- Il n' y a pas de non qui tienne.

Et bien si, cela non, je ne sortirai pas de sa voiture, faudra qu’il me force. Et là, on rigolera.

- Et vous voulez que je leur raconte quoi ? Que mon père m'a baisé comme une fille.

Je pensais le choquer, même pas. 

- Par exemple, ce serait un début.

C’est ça, il peut toujours courir. C’est pas un truc qu’on raconte. Même à Caths, je ne le raconterai pas. J’aurais trop honte de l’avoir laissé faire. De ne m’être pas mieux défendu. 

- Non, je ne sortirai pas de la voiture.

Je croise les bras sur ma poitrine, les poings serrés comme ma mâchoire.

- Tu ne veux pas que ton père soit enfermé pour ne plus pouvoir faire de mal à personne ?

Non, je ne veux pas raconter ça à qui que ce soit. 

- Le père Camerer a été très clair, il faut pardonner !

- Oh lui !

Sa réaction me surprend. 

- Quoi, il est très gentil le père Camerer.

- Oui, très gentil mais moi et les gens d’Église tu sais. Enfin voilà, on est arrivé, tu ne joues pas le bébé, tu viens avec moi faire ta déposition.

Je remonte mes jambes que j’entoure de mes bras, le front sur mes genoux.

- Non !

Il se tourne vers moi, essaie de me relever la tête, je me débat.

- Sois raisonnable.

- Non !

Il soupire et redémarre.




Je suis accueilli chez eux par Madame Péret qui m'emmène dans ce qui sera ma chambre jusqu'à fin Août.

Ce que je repère de suite, c'est la bibliothèque aux rayons remplis de livres, d'anciennes bibliothèques Nelson et de la collection plein vent. Je prends le premier en haut à droite et commence à le lire couché sur le lit.




Je les lirai tous systématiquement en allant de la droite vers la gauche sur chaque étagère. Ce sera ma seule occupation avec celle de manger ou dormir.

Et d’essayer de m’échapper pour aller voir Caths.


































































































31 janvier 2010

Robert vendredi 12 septembre 1975 baston

Robert vendredi 12 septembre 1975 baston

 

 

Demain c'est samedi, je me couche content car pendant deux jours, les trois abrutis ne seront pas là, surtout que j'ai entendu Maxime inviter ses deux copains à venir chez lui pour profiter de sa piscine. Et bien profitez en bien, car moi aussi, j'irai à la piscine ayant hâte de mieux savoir nager. Je me vois déjà tenant une coupe en haut d'un podium.

En plus, derrière la salle des bassins, il y a une autre salle : une salle de muscu, j'ai envie d'aller y faire un tour.

J'ai encore les paroles du doc qui tournent dans ma tête : tu vas grandir ! Je ne veux pas devenir immense, non, ça ne m'intéresse pas mais juste assez pour pouvoir casser la gueule à Maxime et sa clique.

 

 

Une main se pose sur ma bouche.

- Ne cries pas, couches-toi sous ton lit.

Cette voix, je la connais, c'est celle de Nevière. Je lui obéis. A peine en-dessous, mon matelas se fait retourner ainsi que tous les autres avec leur locataire. Des armoires aussi, celles non fermées sont vidées de leur contenu. J'entends des coups. Il y en a qui se font tabasser, des cris puis plus rien.

La lumière s'allume, je sors de dessous mon lit. Le dortoir est dévasté.

- C'est quoi ce bordel ? Vous avez cinq minutes pour tout ranger.

Gâche est debout dans notre chambre, devant la porte, les bras croisés.

- Philippe, tu m'aides, je t'aides.

Je le vois hésiter puis il m'aide à remettre mon matelas et refaire mon lit. Je l'aide à mon tour, son lit puis son armoire.

On a finit, d'autres non, on s'est compris, on va ensemble en aider un autre.

A l'entrée de la chambre, les trois cons ont dérouillé, c'est eux qu'on a entendu crier.

Je tire Philippe par la manche.

- Carlos a l'air d'avoir vraiment mal, tu viens on va l'aider ?

- Lui, l'âme damnée de Maxime, il peut crever !

- Moi, j'y vais !

Carlos reste un moment immobile à me regarder ranger son armoire mais continue à galérer avec son lit. J'ai fini, je lui donne un coup de main puis vais vers mon lit.

Gâche m'appelle.

- Weisembacher venez ici ! Venez aider Lorenzo et Trudeau.

Je suis à deux doigts de lui dire non, quitte à me faire punir mais j'y vais. Je sais que cela les fera autant chier que moi. Ils me détestent autant que ce que je peux les détester.

 

 

 

- Garde à vous ! (Nous sortons de nos lits et nous venons nous mettre devant ceux-ci. Gâche passe devant nous. Il s'arrête devant moi, le regard mauvais.) Tu ne t'en sortiras pas toujours mon gars.

Je joue l'étonné mais je ne peux ni répondre ni bouger.

 

La lumière est éteinte depuis un certain temps mais je n'arrive pas à dormir, un mauvais pressentiment. Je vois le poing arriver et je me laisse tomber de mon lit.

- Robert puisque tes copains ont déclaré la guerre, c'est toi qui en feras les frais, maintenant tous les coups sont permis, je te tuerai !

- Eh ! ce ne sont pas mes copains, moi aussi, ils m'ont viré de mon lit !

Mais Maxime est déjà retourné dans le sien sans m’écouter.

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