Robert mercredi 31 décembre 1975
Robert mercredi 31 décembre 1975 Sage
Il est dix-sept heures, Claude vient se mettre debout devant mon lit et m’arrache le livre des mains et me tenant par le bras, me fait descendre en courant jusqu’au petit hall d’entrée de leur maison.
- Mets tes pompes et ton blouson puis viens !
A l’entrée de la cuisine sa mère beurre un plat à tarte.
- Avec ton père nous ne sommes franchement pas rassurés. Il n’a pas ton âge tu sais ? Tu es bien sûr de toi ?
- Oui mère, je prendrai soin de lui et oui je le surveillerai qu'il ne boive pas d'alcool. Mais mère, pitié. Parfois, vous et père ayez un peu confiance en moi. Non, je ne sais pas quand on rentrera, demain en tout cas, pas ce soir ni cette nuit.
Claude me tenant à nouveau par le bras, me pousse hors de la maison. Devant le portail, une voiture blanche flambant neuve. J'en fait le tour. Wahoo une Austin Mini Cooper !
- C'est ta voiture ? Elle est fun.
Je ne l’ai jamais vu aussi fier.
- Bon monte et ne me fais pas regretter de t'emmener.
Aline est sortie de la petite voiture et m’embrasse.
La voiture n’a pas de portières à l’arrière et elle a replié son siège pour me laisser passer à l’arrière, où je me pose au milieu, les bras posés sur le dossier de leurs sièges.
- Et tu m'emmènes où ?
Il soupire comme si je lui avais posé une question débile et je ne comprends pas pourquoi.
- On est le combien ?
Ben le lendemain d’hier et la veille de demain, il est drôle l’autre.
- Le trente et un, et alors ?
Il jette à Aline, un regard désespéré, ce qui la fait sourire.
- Et alors, tu viens fêter le nouvel an avec nous. Mais tu as entendu ce que j'ai dit à ma mère ?
- Ouais pas d'alcool !
- Pas d'alcool, pas de cigarette, pas de dope et... pas de filles.
- Eh alors je pourrai faire quoi ?
- T'amuser sagement.
- Super.
- C'est vrai qu'il est un peu petit pour l'emmener avec nous, tu ne crois pas ?
Je regarde Aline avec un grand sourire. Le petit, tu sais ce qu'il te dit ?
Elle ne le saura jamais car je suis poli avec les filles mais aussi parce qu’il y a son mec à côté d’elle et que je veux finir soixante quinze, vivant.
La voiture pue. Elle pue le neuf.
Claude n'a pas pu fêter son anniversaire, il compte bien se rattraper ce soir et cela explique ma présence parmi eux.
Le panneau indique Arcachon.
Oh ! La fiesta va se dérouler dans la maison de campagne des parents de Claude.
Le long de la route, une dizaine de voitures.
Aline descend pour ouvrir un portail et Claude fait avancer sa voiture jusqu’à l’intérieur d’un garage dont il a ouvert la porte avec une zapette. J’ai déjà viré ma ceinture et j’attends avec impatience qu’il sorte pour pouvoir sortir aussi.
Il sort très vite et me claque presque la porte sur les doigts et verrouille les portières. Puis me dit au-revoir de la main en s’éloignant.
- Comme ça, je suis sûr que tu seras sage. Je passe à l’avant. D’un coup je le vois paniquer et l’entends hurler : Pas les pieds sur les sièges !
Je suis un sale gosse mais jamais je ne mettrais des pieds avec des godasses sur des sièges en cuir blanc.
Quoique !
Je suis sur le siège passager, je me mets debout devant et fais mine de monter dessus. Il me menace, je lui souris et mets mon pied à un centimètre du siège. Il déverrouille la porte et se précipite sur la porte passager. J’ouvre la porte conducteur et prenant appui sur le siège et le volant, saute dehors puis fuis en courant.
Je percute un truc qui m’attrape par le bras.
- Hé Claude, c’est quoi ce mini bidasse ?
- Mon collègue de chambrée que mes parents m’ont forcé à emmener.
Je me retourne vers lui, surpris.
- Quoi ? C’est toi qui m’as invité.
En tout cas, son copain ne semble pas avoir envie de me lâcher malgré tous mes efforts.
- Mais il a quel âge ?
- C’est une tête d’ampoule, il a l’âge de ma sœur.
Hé non ! J’suis pas si jeune.
- Même pas vrai, j’ai quinze ans.
- J’en fais quoi ?
- Donne-le aux filles avec ordre de le surveiller.
Je ne suis encore une fois pas d’accord.
- Hé, je n’ai pas besoin qu’on me surveille.
J’en ai marre d’être petit, ce grand con, me porte carrément et j’ai beau me tortiller, rien n’y fait.
- Les filles, un cadeau de la part de Claude. Un mini bidasse de douze ans dont vous devez vous occuper et surveiller.
Lorsqu’il me pose, j’essaie encore et toujours de le faire me lâcher.
- Je n’ai pas douze ans et je n’ai pas besoin qu’on me surveille.
Quand enfin il me libère, il est immédiatement remplacé par un mur de filles. Toutes en moyenne doivent avoir dans les dix-huit, vingt ans. J’en connais deux du surf.
- Ah finalement, il a accepté de t’emmener. Je vous présente Robert, le gamin qui est venu faire du surf avec nous le vingt trois.
Mon regard fait le tour de ces visages mais leurs sourires me donnent un frisson dans le dos.
- Tu avais raison, il a des yeux magnifiques.
Si elle n’a parlé que de mes yeux aux autres filles, cela me va. Je leur fais mon plus beau sourire.
- C’est bête que ce soit encore un gamin, j’aurais du emmené Aglaé.
Bon, cette fois, le gamin, il taille la route. Hélas, Ghislaine me glisse son bras en travers de la poitrine et m’attire contre elle.
- Où vas-tu comme ça ? Claude veut que l’on te garde, on te garde, tu sera vite de meilleure compagnie qu’eux car toi, tu ne boiras pas. Et puis quoi encore ? Je ne suis pas là pour être «sage». Et puis comme je ne suis plus avec Francis, ce soir ce sera toi mon cavalier. Hou hou Carine, regarde mon nouveau petit copain.
Tiens donc, qui voilà, au bras de Carine ? Justin l’impuissant. Lui, si ce soir, il m’emmerde, je sais comment le calmer.
- Ghislaine, tu les prends au berceau ?
Là, mon gars il ne fallait pas !
- Vaut mieux un bébé qui assure qu’un croulant qui a des ratés.
Mouais, j’aurais dû me douter qu’il n’apprécierait pas. Il me fonce dessus. Il doit être du signe du taureau ce mec. J’esquive et fuis. La fuite, un art où j’excelle et l’avantage d’être petit, tu te faufiles plus facilement qu’un mastodonte de trois tonnes.
Je ne sais combien de gens Claude a invité mais ça dépasse la trentaine.
Dans la cuisine, d’autres filles. Un grand sourire et je les ai toutes à mes pieds.
En fait non.
Tant pis, je me sers un grand verre de bière et deux sandwichs et je retourne dehors.
Je profite pour faire le tour de la propriété. Le jardin, pas très grand, fait le tour de la maison. Il y a une dizaine d’arbres actuellement, vu la saison sous forme de squelettes mais deux sont emballés dans une sorte de tissu vert qui les transforme en gros bourgeons. au sol du gravier qui me rappelle l’école. Et il est entièrement entouré de sapinettes.
La maison, elle, est à deux étages, blanche avec des colombages verticaux peints en rouge tout comme le dessous du toit. D’un certain côté, elle me fait penser à un chalet, je la trouve mignonne.
Je me glisse à côté de Claude qui tient Aline par la taille et lui fait fumer une sorte de clope marron sous le porche de la maison.
- Ah t’es là toi ? Déjà en train de becqueter ? Tiens, tire là-dessus.
Je repousse sa main. Elle pue sa clope.
- Non, c’est bon, je ne fume pas.
Il insiste en s’énervant.
- Pauvre tâche, c’est pas une clope. Aller, ne joue pas à ton bébé. Tire.
Aline tente de s’interposer.
- Claude, tu as promis à tes parents.
Elle se fait elle aussi expédier. Je découvre un Claude que je ne connaissais pas.
- Mes parents je les emmerde, j’étais plus jeune que lui, la première fois.
Je prends l’espèce de cigarette et en aspire une bouffée. Et lui rend en toussant comme un malade. Non, c’est bon, la bière me suffira.
Retour à la cuisine, j’ai fini mon verre et j’ai encore faim.
Ghislaine arrive derrière moi et me repasse ses bras autour des épaules.
- J’ai retrouvé mon petit bonbon.
Tiens, ça aussi c’est nouveau.
- Depuis quand je suis un bonbon ? Bon maintenant si tu veux me sucer, tu peux, je ne t’en empêcherai pas.
A la tête de la fille, je crois que je suis passé à deux doigts d’une baffe. Adieu, jolie Ghislaine. Quoique pas si jolie que ça.
Je finis mon troisième verre de bière.
A côté de la tireuse à bière il y a un grand bol rempli de morceaux de fruits. Je serai d’accord pour un petit dessert. Je ne vois pas de bol, mon verre vide fera l’affaire. Dans un haut verre, des petites cuillères avec un très long manche. J’en prends une et vais me trouver un coin où m’asseoir car je suis hyper fatigué.
En bas, il n’y a plus de place et dehors il fait trop froid. Donc les marches de l’escalier m’accueillent. Les fruits sont super bons et il y en a même que je n’avais jamais mangé avant. J’ai envie d’aller m’en chercher un second verre mais pour me lever, je dois poser le dit verre… et j’y renonce mais on me prend par la main.
Je me laisse faire en riant, ses mains sont douces mais j’ai trop sommeil et l’odeur de l’oreiller me rappelle quelque chose, je ne sais plus quoi et je m’en fous.
Je repousse ses mains et veux lui expliquer pourquoi.
- Non, j’ai sommeil !
Mais l’ai-je dit ou l’ai-je rêvé ?