Robert samedi 25 Décembre 1976 l'épingle
Robert samedi 25 Décembre 1976 l’épingle
Je suis d'abord réveillé par des coups de pieds que je veux commencer par rendre puis je m'aperçois que c'est encore une fois Coco. Quelle sangsue cette gosse ! Alors au lieu de la frapper, je la retourne dos à moi et la serre. Ça ne la réveille même pas, par contre je me bats contre elle pour lui enlever son pouce de la bouche car ça fait un bruit qui me donne la nausée.
Décidément je dormais mieux dans la chambre d'Olivier. Pourquoi le lit des parents bouge ? Je me redresse et je recouche vivement en mettant l'oreiller sur ma tête et celle de Coco. C'est pas vrai ça , ils n’ont pas honte ? On dort tous dans la même pièce franchement !
Oh la la je repousse Coco. J'ai pas de gant, je me mords la lèvre, j'ai trop envie. Je les hais ! Rouler en boule, j'essaie de penser à autre chose mais non pas possible. Je les déteste. Les filles aussi le matin elles sont comme nous ? Bon bin tout à l'heure, j'irai laver mon tee shirt que j'enlève le plus discrètement possible.
La chambre est vide. Ah ouais il est dix heures trente déjà. Aller debout ! De toute façon j'ai faim.
Pourquoi j'ai plus de tee shirt, moi ? Ah oui, je rougis en pensant à Richard et Gisou. Bon maintenant comment je crois qu'ils ont fait leurs filles. Franchement des fois je me trouve très con.
Lorsque je sors de la chambre, l’oncle des filles ouvre la sienne. Il se tourne vers moi.
- Bonjour jeune homme. Bien dormi ?
Je fais la grimace.
- Voui si on veut.
ça a l’air de l’amuser.
- Oh ! dur de dormir par terre ?
- Non, trop de monde dans cette chambre.
Il me montre l’intérieur de sa chambre en riant.
- Je t'aurais bien offert de venir dans la mienne, mais je ne crois pas que ton père soit d'accord.
Je réponds trop vite et m’en veux de suite.
- Moi non plus. D'abord il tique puis sourit. Oups, c'est sorti tout seul, j'espère que je ne l'ai pas vexé. J'aimerais me rattraper mais quoique je dise je vais encore plus m'enfoncer. Désolé, je dois aller pisser et aussi laver mon tee shirt.
Hum ça aussi sûrement car là il sourit encore plus. Bref, je file. Ras le bol quoi, c'est le premier homo que je rencontre, enfin je pense, je ne sais pas moi s'il y a des codes, des trucs à dire ou pas dire. Bien évidement hors sexe, mais là je ne m'y risquerais pas.
Sur la table, il n'y a plus rien des sucreries d'hier, zut, j'espérais bien en remanger.
- Bonjour Mamie Sophie.
- Oh tu as mis mon pull, il te va bien. Alors tu as ouvert tes autres cadeaux.
- Non, je vais le faire après avoir déjeuné.
- Tu viendras nous les montrer ?
- Oui Mamie.
Dans la cuisine, Gisou me sert du lait et un bout de brioche. J'ai envie de rire quand je la regarde car je ne peux m'empêcher de penser à ce matin.
- Qu'est-ce qui t'arrive ?
Je détourne les yeux.
- Rien !
Mais je m'étrangle en buvant et elle me tape dans le dos.
Richard vient se servir un verre d’eau et s’étonne de me voir tousser.
- Qu'est-ce qui lui arrive encore ? Il est malade ?
- Je ne sais pas, il rit bêtement depuis qu'il est arrivé et maintenant s'étrangle en buvant.
- Pardon Richard. Ce dernier s'écarte pour laisser passer Olivier qui va jusqu'au placard, prend une tasse, se sert du café et va pour ressortir mais quand il passe devant moi me montre mon verre de lait. C'est très bien de recharger le matin.
Et me fait un clin d’œil.
Là, je ne m'étrangle plus, je manque de recracher le lait que j'ai dans la bouche. Et je deviens écarlate. D'abord Richard ne réagit pas puis :
- Donne ça et va dans la chambre on en reparlera tout les deux.
Reparler de quoi ? Je ne comprends pas.
Dans la chambre, les filles sont toutes regroupées sur le matelas d'Isabelle qui coiffe une des jumelles. L’autre jumelle maquille Véro ce qui me donne envie de rire. Maïté, elle maquille Yvette en tirant la langue.
Pour aller jusqu’à mon lit, plutôt que de les contourner, je passe sur le lit des parents et là je découvre Coco silencieuse au milieu de mes paquets éventrés. Je me laisse tomber à genoux à côté d’elle et la redresse puis la secoue en lui criant dessus. Surprise, elle se met à pleurer.
- Non Coco ! Tu n'avais pas le droit, ce n'était pas à toi. Je voulais les garder ces papiers cadeau. Tu es méchante , méchante, méchante !
Isabelle et Mathilde me l'enlèvent des mains. Mon matelas est couvert de petits bouts de papiers colorés. Je pleure en les ramassant puis les porte à la poubelle dans la cuisine.
Les mutters me regardent passer inquiètes.
- Qu'est-ce qui s'est passé ?
Je refuse de laisser Gisou ou Sylvie me tenir. Elles me suivent jusque dans la chambre.
Elles ressortent avec Corinne qui pleure toujours.
J'ai deux maquettes, un avion et un porte avion. Ainsi que deux livres sur l'astrophysique et le dernier, c'est une grosse encyclopédie sur l'astronautique mondiale. Reste juste un petit cadeau emballé. Mais je ne l'avais pas hier soir ? Je le prends et le mets contre mon ventre puis je serre mes jambes entre mes bras et la tête entre eux, je me balance légèrement d'avant en arrière.
Isabelle vient s'asseoir à côté de moi et m'entoure de ses bras.
- Je suis désolée je n'ai pas correctement surveillé Coco.
- C'est pas grave, je suis juste trop con.
Je la repousse et me lève. Je sors et vais m'enfermer dans les chiottes assis par terre derrière la porte. Je n'en sors que lorsque Rémy me demande de lui céder la place.
Je ne sais pas où aller pour être seul.
Dans le salon, il y a un énorme fauteuil, je m'y roule en boule, tourné vers le dossier. J'ai toujours dans la main le petit paquet, il est plat et rectangulaire.
Mamie sophie veut que je la suive, je refuse.
- Viens manger mon garçon.
Elle me prend par le poignet mais je me débats et veux lui faire lâcher.
- Je n'ai pas faim.
Richard se met entre elle et le fauteuil.
- Laissez-le bouder, il finira bien par avoir faim.
Elle me lâche mais n’est pas d’accord.
- Mais Richard...
- Non Mamie, venez.
Je finis par m'endormir. Quand je me réveille, j'ai faim, j'entends les filles manger dans la salle d'à côté. Je viens m'asseoir à côté d'Isabelle. Mamie Sophie me pose une assiette avec un plusieurs des sucreries de Noël et m'embrasse et recoiffe mes trois millimètres de poils crâniens.
J'ai posé le petit paquet à côté de mon assiette. Il semble l’intriguer.
- Tu ne l'ouvres pas ?
Ma réponse est peut-être trop sèche.
- Non ! Plus tard.
Lorsque j'ai fini de manger, je débarrasse mon assiette et mon verre puis vais chercher l'encyclopédie et me remets sur le gros fauteuil pour le lire assis en tailleur.
- On m'a dit que tu savais bien jouer aux échecs, est-ce vrai ? Veux-tu bien faire une partie avec moi ?
- Oui Daddy.
Je gagne la première partie et Daddy réclame une revanche. Olivier vient se mettre derrière son père.
- Houla Dad si tu ne bouges pas ton cavalier tu vas être en échec.
- Hi my son.
Olivier s'assied sur le bras du fauteuil de son père. Je ne peux m'empêcher de le regarder et j'ai du mal à me concentrer.
Je dois finir vite cette partie car je n'ai plus envie de jouer. Je laisse Daddy gagner et je m'en vais immédiatement après. Olivier prend ma place et remet les pions à leur place.
Dans la chambre il n'y a personne, où sont-elles ? Je les trouve dans la chambre de Mamie qui leur montre comment tricoter.
- Ah tiens, il ne manquait plus que toi. Sais-tu tricoter ?
- Oui Mamie.
- Tu as appris avec qui ?
- Ma mère.
- Et qu'as-tu déjà tricoté ?
- Rien, en dehors de petits carrés dont ma mère s’est servi pour faire une couverture. Mais toujours faire le même geste au bout d'un moment ça me donne envie de tout casser.
Mamie Sophie me sourit.
- Oh alors, il faut que tu fasses du point irlandais ou du jacquard, tu ne t'ennuierais pas.
- Non merci, je préfère lire.
Une des jumelles ricane.
- Pffff ! moi je suis sûr qu'il se vante et qu'il ne sait pas.
Je hausse les épaules.
- Pourquoi j'avouerais savoir un truc de fille si ce n'est pas vrai.
- Un truc de fille, tu l'as vu ce gros macho.
Mamie Sophie est d’accord avec la jumelle.
- Marthe a raison, il y a beaucoup d'hommes qui tricotent sans pour cela être moins virils. Quand j'étais petite fille, là-bas dans les Landes, les bergers tricotaient tout en surveillant leurs troupeaux. Et le soir, à la veillée, hommes et femmes tricotaient en bavardant à la lueur du feu. Oui et bien pour moi le tricot, la couture et tous les trucs comme ça, c'est pour les filles, elle n'arrivera pas à me convaincre. D'ailleurs Olivier tricote très bien.
J'ai envie de rire mais me contiens, mauvais exemple, je veux pas être un pédé comme lui.
Je les laisse à leur occupation de fille et retourne ma solitude. Oups, j'ai oublié mon livre dans le gros fauteuil.
Lorsque j'entre dans le salon, Daddy et Olivier me regardent en souriant. Dans le fauteuil, mon livre a disparu.
Olivier veut m’aider.
- Tu cherches ton livre ?
- Oui.
- C'est moi qui l'ai pris pour le feuilleter. Dad m'a dit que tu étais féru d'avions et de tout ce qui tourne autour et que tu avais beaucoup aimé ma chambre. Alors si tu veux, je peux te donner toutes les maquettes et tous les livres que tu voudras. Au fait, tu as trouvé mon petit paquet ?
Je reste avec mon livre que j’ai retrouvé sur le bord du buffet, dans les mains, immobile, je suis assommé par ce qu'il vient de me dire. Mais pourquoi me font-ils tous ces cadeaux ?
Je sors de ma poche le petit paquet que je n'ai pas encore ouvert. Je repose le livre et déchire le papier du paquet, dedans il y a une sorte de grosse épingle à nourrice. J'ai déjà vu la même quelque part mais je n'arrive plus à me souvenir où. C'est un bijou en or, de ça, je suis sûr.
Mais pourquoi m'offre-t-il un bijou ?
- Ah ! Tu lui as donné ta seconde épingle, comme je te l'ai demandé, c'est bien mon fils. Il pourra la porter sur son kilt.
- Mon kilt ?
- Oui celui que tu portais hier. C'est le tien maintenant, je l'ai fait faire rien que pour toi mon petit puisque maintenant tu fais partie de notre famille.
- Mais...
En fait , je ne sais plus trop quoi dire.
Pourquoi font-ils tous comme si j'étais un membre de leur famille alors que c'est faux !
Je me rappelle bien ce que m'a dit Richard : après mes dix-huit ans, c'est moi qui choisirai de continuer à vivre avec eux. C'est bien, mais je ne serai toujours qu'un simple parasite, une pièce rapportée qui ne portera même pas leur nom.
J'ai honte car je n'arrive même pas à leur dire merci !
Je me sens tellement mal, c'est atroce. Dans une main, j'ai l'épingle et dans l'autre mon livre, je retourne vers la chambre. J'entends les filles et Mamie rire. J'ai envie d'aller tricoter avec elle, presque d'être une fille comme elles, de me fondre dans leur groupe.
Je pose le livre sur le lit des parents et m’assieds à côté. Et eux où sont-ils ?
A l'entrée, il n'y a ni leurs manteaux, ni leurs chaussures, ni ceux de Rémy et Sylvie. Je ne sais pas pourquoi, j’enfile mon blouson et mes baskets puis ouvre la porte d'entrée.
Je descends les escaliers en courant.
Dehors, il fait déjà nuit noire.
Devant moi, l'entrée de la résidence. Elle donne sur une grande rue, je m'élance et cours, droit devant tant que je peux.
Pourquoi ? Je ne sais pas.
Je ne veux pas partir. Je reviendrai. J'ai juste besoin de sentir le froid me brûler les poumons.
Je m'arrête au milieu d'une place ronde entourée de magasins et de bars fermés.
Une main se pose sur mon épaule et me fait me tourner. Je prends un aller-retour.
Richard !
Je me jette contre lui et me mets à sangloter.
Il est à bout de souffle. Il finit par refermer ses bras autour de moi.
- Je ne veux pas être qu'une pièce rapportée.
Il me tient à bout de bras devant lui.
- Là, tu mérites une deuxième paire de claques. Viens. Et tiens, mouche-toi. Qu'est-ce qui s'est passé ? Je lui raconte, les filles, Olivier, Daddy, le kilt et lui donne l'épingle que je serre toujours au creux de la main. Il commence par la regarder puis soupire et me la fixe sur mon manteau. Tu vois le sanglier sur l'épingle c'est l'emblème de la famille de Daddy. C’est un grand honneur qu’il te fait en te l’offrant. Tu es un sanglier toi aussi maintenant. Le nom, tu sais, a peu d'importance.
En tout cas, le baiser qu'il dépose sur mon front a un goût de bonheur.