Robert lundi 16 Mai à Vendredi 20 Mai 1977 tests BA 705
Robert lundi 16 Mai à Vendredi 20 Mai 1977 tests BA 705
Réveil à trois heures et départ à quatre heures pour être à cinq heures à la gare. Nous rejoignons la base aérienne de Salon où se trouve aussi cette fameuse école où avec certains copains nous rêvons de finir. De là, en compagnie d'élèves pilotes que je jalouse et envie, nous décollons dans un Transall pour la base de Tours.
Je m'assieds le plus loin possible des jeunes pilotes et j'évite même de les regarder car Richard m'a répété à chaque fois que l'on se croisait la semaine dernière : " Je t'entends dire un mot sans qu'on te l'ai demandé, tu seras en simple visiteur sans passage de tests."
Purée, on ne nous laisse pas le temps de rêver. A peine le pied posé au sol. Nous sommes pris en main et nous abandonnons le colon. D'abord accueil puis présentation et visite de la base.
Comme nous sommes douze ce qui semblerait beaucoup on nous partage en quatre groupes, le dernier donc le mien, le bonheur d'avoir un nom qui commence par W, direction les tests médicaux. Ceux que je redoutais le plus mais il semblerait que tout soit OK. Sauf que je suis trop jeune et chacune des personnes qui m'adresse ne serait-ce qu'une fois la parole, me le dit, me le répète.
- Oui je sais mais ce n'est pas grave, ce sera fait pour la session 1978.
Et tous semblent soit être amusés, soit être agacés.
- Parce que t'es sûr d'être pris ?
- Non, mais je vais tout faire pour.
Lors de la mesure, la femme me rappelle que je vais sûrement encore grandir et que selon ma taille définitive, je risque de faire pilote de transport et non pilote de chasse. Si elle avait vu mes mains derrière mon dos, elle aurait vu que je croisais les doigts.
A midi, nous retrouvons le colon. Avec lui, un gars qu'il me semble connaître, un commandant.
Nous mangeons à la cantine1 mais il vient avec nous. Même là, Richard semble connaître plein de monde qui viennent lui serrer la main. C'est stupide de ma part mais à chaque fois que je vois quelqu'un le saluer, cela me remplit de fierté. Mais une fois assis, l'une des personnes qui lui a serré la main vient nous parler. Je ne sais pas pourquoi mais quand il nous dit bonjour, je me lève et les autres m'imitent.
- Salut les taupins2, il y a six ans, je remplissais de désespoir votre colonel, ne faîtes pas comme moi.
Je fixe Richard, il me fait un léger signe de tête.
- Vous étiez à Aix comme nous ?
- Non, pas comme vous, je me suis arrêté en troisième, et si toi et quelques uns, je ne vous connais pas, certains de tes camarades font semblant de ne pas me connaître alors que j'ai partagé leur dortoir. En tout cas les garçons, je vous dit tout de même merde pour la suite.
Lorsqu'il s'est éloigné, je regarde les autres mecs pour essayer de repérer ceux qui ne l'ont pas salué. Et je ne comprends pas pourquoi.
L'après-midi, j'ai droit à l'épreuve du simulateur. C'est ouf ce truc et je m'y éclate.
- Tu as déjà piloté un avion ?
- Oui, je suis breveté planeur et moteur.
Puis test du palonnier, où déjà Andréani, Bachelet et Morvan se voient recalés. J'angoisse puis finalement je trouve ça assez simple.
Pour Michel et Jussieu ce sont les tests médicaux qui ont raison d'eux.
Pour la nuit, nous nous retrouvons dans deux dortoirs pour dix normalement mais le colon nous partage en deux groupes de six et dort dans notre dortoir, la gueule des autres mecs, c'est très amusant.
Réveil à six heures par un Richard déjà habillé, j'hallucine, aucun d'entre nous l'a entendu se lever.
Nous participons au lever du drapeau, faut deux volontaires, je fais mine de vouloir avec un sourire très expressif, il me fusille du regard et choisit Nevière et Despéro. J'ai réussi mon coup, je déteste franchement tout ce qui est "cérémonie".
En tout cas, de suite après, on nous distribue un flottant et un tee shirt bleu AA. Oh purée, mais c'est de la torture, et je reste un moment à regarder mes mains avec dans l'une le short et l'autre le tee shirt. L'aviateur déjà en tenue de sport qui vient de nous les distribuer, revient vers moi.
- Tu as un souci le calisson ?
Je regarde Richard, puis-je m'exprimer ? Déjà il lève son pouce vers son cou mais n'achève pas son geste car l'autre a surpris mon regard et s'est tourné vers lui.
- Non,non mon... je ne sais même pas son grade. Je me disais que peut-être dans quelques mois, je porterai effectivement ces vêtements.
- Ah non, si tu es à Salon, ils seront différents.
Je m'efforce de rester dans le groupe de tête pendant l'heure de footing auquel nous participons avec une dizaine d'autres militaires.
Dès la douche et le petit déjeuner terminés, nous reprenons les tests, écrits et oraux cette fois.
A midi, j'ai peu d'appétit car je n'ai pas su répondre aux questions techniques sur le fonctionnement aussi bien de l'armée que des avions qu'ils m'ont posé.
L'après-midi les tests sont plus physiques et là aussi, j'ai l'impression de tout foirer.
Le soir, mon lit m'accueille dans un état de nerfs peu compatible avec le sommeil réparateur dont j'ai besoin.
Il me sort du lit où je ressemblais plus à une carpe en manque d’eau qu’à un humain en train de dormir.
- Debout bonhomme, viens avec moi en tenue de sport.
Je suis Richard et nous repartons courir. Quand nous revenons, je n'ai plus aucun mal à m'endormir.
Les autres sont tous déjà en train de descendre dans la cour pour le lever de drapeau mais Richard m'a dit d'attendre dans la chambre.
- Aujourd'hui garçon, tu vas avoir droit au psy and co. Tu ne dois jamais hésiter en répondant. Ne fais jamais allusion à tes cauchemars, ni au fait que tu vois déjà le professeur R. à Sainte Marguerite, compris ? Et surtout évite les romans, des phrases courtes toujours positives. Allez viens !
Alors là, il a gagné, j'ai l'impression que tout s'écroule autour de moi. Là, c'est sûr que je vais dire des conneries, c'est ma spécialité. Je le suis la tête baissée, contemplant mes souliers et me répétant en boucle : réfléchis avant de parler. Réfléchis avant de parler… Mais pourquoi n'ai-je pas bouquiné des livres de psycho ? Peut-être parce que ça ne m'intéresse pas et qu'il n'y en a pas dans la bibliothèque de l'école. Quoique ça, ce n'est pas sûr, faudra que je cherche.
- Weissenbacher vous attendez quoi ?
Quoi qu'est-ce qu'il y a ? Totalement dans mes pensées j'ai loupé qu'il me désignait comme volontaire pour porter le drapeau. Et flûte !
Encore des tests écrits mais cette fois c'est un QCM qui me pose problème car au trois quart des questions, j'aurais donné une autre réponse. Richard a raison, je dois rester dans les clous et je coche les cases qui pour moi semblent les plus pertinentes. Mais… Une fois finis, j’hésite, je me relis, j’ai envie de tout effacer et de tout recommencer. Je soupire. J’suis perdu. Je lève la tête, je croise le regard du sergent qui nous surveille, il me tend la main, je me lève difficilement de ma chaise. Il me prend mes feuilles, j’ai l’impression que le sol tangue sous mes pieds, ça y est mon compte est réglé. Il les parcourt puis sourit.
- Vas attendre dans le couloir, on t'appellera.
Le cœur au bord des lèvres, je reste à fixer le mur du bâtiment d'en face, le sourire du gars m'a glacé. Puis d'un coup, j'ouvre grand la fenêtre pour voir passer le T33 qui vient de décoller, pour cela je me penche au maximum. Une main vient me saisir par la ceinture.
- Holà mon gars, ne te suicide pas.
J'ai un immense sourire en faisant face au lieutenant-colonel bedonnant et aux cheveux gris à qui j'ai fait peur semble-t-il et que je salue respectueusement .
- Pourquoi voudrais-je me suicider ? Ce serait con, je touche presque au Graal. J'essayais juste d'apercevoir l'avion qui vient de décoller.
- Bon alors, viens avec moi, tu es bien Robert Weissenbacher ?
- Oui mon colonel.
Il a les yeux comme des soleils, marrons clairs et des milliers de petites rides, bon j’exagère… juste… un peu.
- Je suis le lieutenant Colonel Jeanjean psychiatre de mon état et nous allons un peu parler toi et moi d'avions, tu veux bien ?
D’avions ? Alors là, tant qu’il veut ! Puis je pense au colon et… mon sourire disparaît. Je dois faire attention à ce que je dis.
- Oui mon colonel.
- Pas besoin de me donner mon grade à chaque fois. Alors je vois que tu n'as que seize ans, tu sais que tu es trop jeune ?
Je soupire.
- Oui mais j'ai l'habitude, j'ai toujours été trop jeune.
- Et ce n’est pas toujours facile, non ? Expliques-moi ?
Il me fait entrer dans son bureau en premier, une main sur mon épaule. Il me laisse devant son bureau. Il y a deux chaises, je reste debout.
- Maternelle à deux ans et demi, CP à quatre ans, sixième à huit ans, bac à quatorze.
Il a une petite moue appréciative accompagnée d’un petit geste de la tête. Je me suis tû. Il s’arrête, me regarde, mon dossier toujours ouvert dans ses mains. Je pense au colon… je ne dois que répondre à ses questions et oublier les romans.
- Et à Aix, cela se passe comment ? Car certains de tes camarades ont six ans de plus que toi.
- Bien, pour la première fois, on ne m'a pas fait sentir cette différence d'âge.
Il semble surpris.
- Et toi, tu la ressens cette différence ?
Je décide d'être franc, Richard est mignon mais si je mens je serai mal à l'aise et lieutenant-colonel le verra.
- Quand je suis arrivé je n'étais pas pubère, j'enviais leur taille et ... leurs poils. Et voilà, il se marre, il me prend pour un con. Je respire un bon coup. Maintenant, je ne la ressens plus surtout que musculairement j'en ai dépassé certains.
Il est maintenant, assis dans son fauteuil comme mon psy de Marseille, les jambes croisées, les mains croisées aussi, à plat sur son genou.
- Donc tu es sportif.
Pour l’instant ses questions me vont.
- Oui, on peut dire ça.
- Et pourquoi veux-tu être pilote?
Ah celle-là, j’y ai déjà beaucoup réfléchi.
- A cause de mon grand-père qui s'est engagé dans la RAF pendant la guerre et de mon tuteur qui est pilote aussi et que j'ai pris comme modèle.
Là, il semble intéressé.
- Ton tuteur ? Tu es orphelin ?
Coco c’est écrit sur le dossier que tu as sous le nez.
- Non, mes parents ont perdu leurs droits parentaux pour maltraitance aggravée.
- Oh ! Pourrais-tu m'en parler ?
- Je pourrais mais pour moi c'est du passé et je préfère donc m'en abstenir.
- D'accord je note. Mais attends, cela s'est passé en soixante-quinze, non ? Voilà pourquoi ton visage me disait quelque chose Bien bien et qui est ton tuteur ?
- Le colonel Granier.
Il s’est redressé et se met face à son bureau et parcourt mon dossier.
- Ah oui je vois, le directeur de l'école, évidemment, bien sûr. Pourquoi veux-tu lui ressembler ? Tu le trouves beau ?
Quoi ? C’est quoi cette question à la con ?
- Ah bin ça, je n'y avais jamais pensé. J'en sais rien. C'est un homme. Il doit sûrement l'être. Je veux lui ressembler parce que c'est un pilote et qu'il est ce que j'espère devenir. Mais aussi parce que je lui suis reconnaissant pour tout ce qu'il a fait pour moi, qu'il a su m'apporter et me donner.
- Peux-tu m'expliquer.
Je reprends mon souffle et déglutis, c’est maintenant que je dois faire gaffe à ce que je vais raconter.
- Je vais essayer. D'abord lui et sa femme lorsque je suis avec eux me traitent comme leur fils. Si l'école militaire m'a appris la patience et l'obéissance. Eux m'ont montré ce qu’était une vraie famille. Pas comme celle où j'ai grandi, régie par la peur et le manque qu’il soit matériel, on était très pauvres et je n'ai mangé plus ou moins à ma faim qu’à partir de mon arrivée à l'école. Ou au niveau des sentiments car avant même avec ma copine, je ne savais pas ce qu'était la tendresse et penser aux autres.
Il a posé mon dossier et me fixe.
- Et aujourd'hui, tu penses avoir changé ?
- Oh oui monsieur, j'ai découvert, appris et je continue à apprendre.
Et là… le mec, il me sèche.
- Et donc tu ne veux pas devenir pilote car tu aimes les avions ?
- Oh si, ma chambre chez mon tuteur et à l'école ont les murs couverts de posters d'avions. Je lis tous les livres que je trouve dessus. Quand je serai plus vieux dans mon appart j'aurais une télé pour regarder les chevaliers du ciel et d'autre films
- Ton tuteur n'a pas la télé chez lui ?
- Si, si bien sûr.
- Et bien je vais te rendre ta liberté car je dois en voir d'autres. En tout cas je te souhaite d'arriver à être celui que tu veux devenir et tu sembles être sur le bon chemin.
Richard est dans le couloir avec Vermont et Despéro. Il serre la main du psy qui l'invite à entrer, nous laissant tous les trois seuls dans le couloir.
Les deux sont inquiets pour moi.
- Dis donc, il t'a gardé longtemps.
Je change de sujet.
- Vous avez réussi les tests vous ? Despéro semble sûr de lui, pas Vermont. J'aimerais bien aller dans la centrifugeuse.
Vermont devient vert rien que d’y penser.
- Non ! Ne me dis pas qu'on va y avoir droit, je suis sûr que je gerbe de suite moi.
Despéro se met à rire.
- Moi, j'ai trouvé l'infirmière super canon.
- Quelle infirmière ?
Vermont et moi nous nous regardons surpris. Pour nous qui sommes passés quasi ensemble, pas de nana, juste des vieux mecs tout rabougris.
Richard sort du bureau du psy. Il semble énervé.
- Vermont à vous. Vous deux vous attendez avec moi. Quoique toi, j'ai envie de te faire satelliser.
- Quoi ? Pourquoi ? Qu'est-ce que j'ai encore fait ?
Mais je repère à son petit sourire et les coins de ses yeux légèrement plissés qu'il est content, qu'il contient son sourire.
- Je t'avais dit de parler le moins possible.
Je hausse les épaules.
- C'est ce que j'ai fait. Je n'ai donné que des réponses succinctes. J'ai même refusé de parler de mon passé.
- Ah oui ça je sais. Du coup c'est moi qui ai dû raconter à ta place.
- Mais il a pas le droit, c'est mon histoire, c'est mon passé, si je ne veux plus en parler c'est mon droit, non ? Il se prend pourquoi ce bibendum.
- Robert !
Il peut m’engueuler m’en fous, je vide mon sac.
- Quoi ? Ras le bol, j'en ai marre d'être réduit à mon passé, comme si je ne pouvais exister qu’à travers ou grâce ou à cause de lui. Mon passé je l'ai enterré, je ne veux plus qu'on m'en parle, marre, marre marre.
J'ai les poings serrés, raide face à Richard, je dois donner l'impression que je vais lui rentrer dedans car Despéro semble limite effrayé.
Richard me serre contre lui et me chuchote à l'oreille.
- Calme, calme, il ne faut absolument pas qu'il te voit comme ça. Calme ! Il me lâche et je me mets face à la fenêtre mais d'un coup, je pars en courant vers la cage d'escalier où je boxe le mur. Je l'entends dire à Despéro de ne pas bouger et je le vois arriver en courant lui aussi. Tu veux tout louper ?
- De toute façon, je suis trop jeune, ils me l'ont tous dit, faudra que je refasse tout ça l'année prochaine, alors bon. Il me tient par les bras et me fixe.
- Qu'est-ce que je t'ai déjà dit ?
Je le regarde dans les yeux.
- Jamais renoncer car sauf si on est mort, il y a toujours de l'espoir.
- Bon retournons avec ton camarade.
C'est Thierry qui nous attend, Claude est entré à son tour et nous voyons arriver Hugo et Michel accompagnés d'un aviateur qui salue Richard puis s'en va.
L'après-midi encore des tests.
Le soir, débriefing avec des galonnés qui nous disent que nous recevrons nos réponses dans un mois.
Lorsque un autre lieutenant-colonel nous demande si nous avons des questions, je lève la main et Richard se raidit.
- Pardon mon colonel, la centrifugeuse ne fait pas partie des tests ?
Je vois tous les gradés y compris Richard avoir un immense sourire. Le lieutenant-colonel regarde sa montre, se tourne vers ses collègues et l'un d'eux s'éloigne.
- Tu aurais voulu tester ?
Cette fois, c'est moi qui ai le sourire.
- Oui, mon colonel.
- Approche. Ton nom ?
- Weissenbacher
- Ah c'est toi ? Il a posé une main sur mon épaule et me détaille de la tête au pied. L'autre gradé est revenu et fait un signe de tête au colonel. Mon commandant, pouvons-nous ?
- Oui.
- Bon alors suivez-moi.
Dans un couloir, il toque à une porte et me pousse dans une pièce où un homme en blouse blanche me dit de me mettre en tee shirt, il m'applique des fils sur la poitrine et les fait ressortir par le col et les joint à d'autres fixés sur ma tête.
Les tenant tous dans une main, il m’emmène dans une autre pièce et là me fait m'asseoir dans la machine infernale après avoir enlevé mes chaussures et ouvert ma ceinture et mon pantalon. Il me brêle au siège et fixe les fils sur la paroi derrière moi.
- Ça va ? Si tu veux qu'on arrête fait ce geste, d'accord ? De toute façon, on te surveille de là-haut sur un écran et tu es filmé.
Je lève les yeux et dans une salle en surplomb, je vois d'autres blouses blanches mais aussi les collègues et Richard. Je leur tire la langue. La cabine est bien fermée. Lorsqu'elle commence à tourner, j'ai un peu le trouillomètre à zéro puis je me dis que je ne risque rien.
Au-début c'est drôle mais bientôt j'ai envie de vomir et j'ai l'impression d'être totalement écrasé. J'ai l'impression que mes os vont tous être réduits en bouillie mais déjà la pression redescend. Et lorsqu'elle stoppe, je suis déçu, je ferai bien un autre tour.
- Félicitation jeune homme, tu as une sacrée résistance.
En nous dirigeant vers le mess, nous assistons au départ de deux mirages IIIC pour notre plus grand bonheur.
Il ne nous a pas demandé de nous dispatcher dans les deux dortoirs et comme un seul homme nous sommes tous entrés dans celui dont il a ouvert la porte en premier.
Il est debout dans le couloir et son regard passe sur chacun de nous.
- Bon les garçons pour cette dernière soirée, je vous laisse seuls, je vais vous faire confiance, à dix heures, extinction des feux, compris ?
Je le regarde.
- Tu… vous allez où mon colonel ?
Il fait claquer son calot sur sa cuisse, amusé.
- Et en quoi cela vous regarde-t-il ? Il se met à sourire, je vais rejoindre d'anciens copains d'escadre. N'oubliez pas vingt-deux heures. Ah oui, j'ai ça pour vous puisque vous avez tout fini.
Et il jette sur le lit devant lui, quatre tablettes de chocolat et une boîte de bonbons.
Après son départ, on laisse Xavier faire le partage car avec lui on sait que ce sera vraiment équitable.
Despéro me fait signe de venir avec lui, on va dans l'autre chambre. Pourquoi veut-il qu'on s'isole ?
- Si t'a besoin de parler de ce qui s'est passé cet après-midi. Il est quoi pour toi le colon ? Il y a plein de rumeurs qui tournent sur vous deux.
Je hausse les épaules et retourne dans l'autre chambre.
Des groupes se forment pour s’asseoir sur les lits par quatres autour des propriétaires des jeux de cartes. Bex se tourne vers nous.
- Et bé vous êtes des rapides tous les deux, c'était bon au moins.
- Olivier, t'es qu'un gros con !
- Et toi un sale pd.
Despéro se met devant moi, comme moi il serre les poings.
- Répète ça ?
Xav à son tour vient se mettre entre nous deux ainsi que Vermont. Mais Bex se lève et enfonce le clou.
- Si l’autre l'est pas un pd, il fricote quoi avec le colon, y a des parents qui veulent plus d'un pd pour dirlo.
Je n’en peux plus de ces allusions,
- Mais vous êtes tous franchement trop cons, c'est mon père, il m'ont adopté car mon géniteur a abusé de moi et m'a tellement fracassé avec l'accord de ma mère qu'il m'a laissé pour mort.
Je ressors et vais me rouler en boule dans un coin de l'autre chambre dont j’ai fermé la porte, restant dans le noir.
J'entends la porte s'ouvrir doucement et des pieds se mettre en cercle autour de moi. Je rentre la tête attendant je ne sais pas quoi mais pas quelque chose d'agréable.
Ils poussent les lits et s'asseyent en tailleurs autour de moi.
- Désolé d'être un gros con.
Olivier s’est assis juste à côté de moi.
- C'est ça toutes tes cicatrices ? me demande Xavier.
Maxime aussi s’excuse.
- Pardon d'avoir pensé des conneries, le prochain que j'entends dire des trucs sur toi, je le bute.
Par contre Xavier ne comprend pas.
- Mais pourquoi t'as rien dit depuis le début ?
- Et Garrot ? me demande alors Michel
- Quoi, Garrot ?
Je ne sais pas si dans cette obscurité ils voient ma tronche mais là franchement elle affiche une incompréhension totale.
- Bin oui, Garrot et toi ?
- Garrot franchement, je donnerais ma vie pour ne plus partager ma chambre avec lui. J'ai hâte que ce soit les vacances pour être débarrassé de lui.
Yann me pose une main sur l’épaule. J’ai un frisson. Je me retiens de réagir violemment, trop violemment.
- Maintenant gros, tu veux bien nous raconter ?
Je soupire, puis je lève la tête et les regarde, je ne vois pas leurs visages mais je sais que tous me fixent. Je l'ai raconté à Claude et à Marion, pourquoi pas à eux ?
Lorsqu'il revient à onze heures, nous ne sommes pas couchés, il va nous engueuler en nous surprenant, mais pendant un moment, il reste à nous écouter parler, puis allume la lumière. En passant devant lui chacun de nous s'excuse. Deux minutes plus tard nous sommes tous couchés.
Le réveil pique un peu mais à neuf heures nous sommes dans le train direction Le Mans. C'est un TER où nous n'avons pas de place donc où nous restons debout dans le compartiment vélo. Juste que, dans le compartiment d'à côté, il y a quatre filles très mignonnes mais Richard est intraitable et même Xav se voit menacé d'être puni. Moi je sais que si les punitions ne pleuvent pas c'est d'abord parce qu'il est content de nous mais aussi, je le connais bien, qu'elles tomberont plus tard.
Dans le train suivant nous avons des places dans trois compartiments de huit ce qui énerve Richard. Finalement en faisant des échanges ils réussit à nous garder un compartiment entier de huit où nous nous entassons tous les douze. Lui s'exile dans le compartiment contigu mais débarque tout le temps. Je finis par me sacrifier et Xav vient avec moi pour aller lui tenir compagnie et finalement Michel nous rejoint aussi. Une heure plus tard, il nous laisse pour aller s'installer dans l'autre compartiment et Despéro vient nous rejoindre.
Assis devant la fenêtre, je laisse mon esprit vagabonder. D’un coup Xavier tape sur ses cuisses.
- Claude sort les cartes, on se tape une belote, Bob t'es avec Michel.
Peuvent pas m’oublier ?
- Pff je suis obligé de jouer ?
Trois voix me répondent.
- Oui !
- Dîtes moi les jeunes, vous êtes dans quelle école ?
Nous nous retournons sur un des quatre autres hommes qui sont assis avec nous.
- Lycée militaire d’Aix en Provence.
- Vous êtes loin de chez vous.
- Non pas moi, ma famille est de Niort.
- Pourquoi tu n'as pas choisi Autun, c'est plus près de chez toi ?
- Mon père qui a choisi, déjà j'ai évité la navale. Mais là, j'avais prévenu mon père, je me casse d'une manière ou d'une autre.
Là, Xavier m'en bouche un coin, jamais je n'aurais pensé qu'il puisse être capable de se rebeller contre une autorité quelle qu'elle soit.
Claude distribue les cartes, mon jeu est noir comme mon âme…
- Bon Bob, tu prends ou pas ?
- Non j'ai pas de cœur.
Xavier lève les yeux au ciel.
- Non, tu recommences.
Michel souffle exaspéré.
- Il ne recommence pas, il le fait exprès.
Claude soupire.
- Robert t'es chiant.
Je leur montre mes cartes.
- J'ai dit que je ne voulais pas jouer et puis je ne mens pas, regardez j’ai que du pique ou du trèfle et aucun habillé.
Despéro m’arrache les cartes des mains
- Fous le camp, vas rejoindre ton pater, t'es aussi chiant que lui et envoies-nous un autre gars.
Dans l'autre compartiment ça pue.
Richard fronce les sourcils en me voyant débarquer.
- Qu'est-ce que tu fais là ?
- Il leur faut un quatrième pour la belote et moi je déteste jouer aux jeux de cartes.
Il a d’un coup un grand sourire et se lève.
- Oh tiens, c'est une bonne idée ça, je vais faire le quatrième.
Quand je le vois sortir, je le suis pour me délecter de la tête des trois autres qui est, il faut l'avouer, absolument impayable.
Quant à moi, je me glisse à sa place et je me laisse aller à dormir.
A midi, Richard me réveille en me donnant deux sandwichs et une bouteille d'eau comme aux autres.
A Marseille, nous entrons en force dans le TER pour Aix qui commence à démarrer.
Le soir quand Garrot me demande comme Claude :
- Alors ça c'est bien passé ?
Je lui réponds:
- Tu sais que t'es trop jeune !
Et ce soir-là, en me couchant, j'aimerais pouvoir me réveiller un an plus tard.
1 Mess des hommes du rang.
2 Élèves de classe de prépa