Robert lundi 29 août 1977 Salon
Robert lundi 29 août 1977 et plus si affinité
C’est le soleil qui me réveille et sa présence en uniforme debout à côté de mon lit.
- Qu’est-ce qu’il se passe.
- Tu sais quel jour on est ?
- Oui je crois.
- Et quelle heure ? A mon poignet pas de montre. Il la tient entre son pouce et son index. Elle a dû me l’enlever et arrêter le réveil prévu. Je m’assieds. Debout et habillé, lavé prêt dans cinq minutes dans la cuisine et peut-être que je te la rendrai. On mange un morceau et on part.
Lorsque je débarque dans la cuisine, il y a non seulement les parents mais aussi Mammema et Papapa. Ce dernier se penche vers moi pour me confier tout bas.
- Ta grand-mère a tenu à venir pour soutenir sa bru mais moi je sais que c’est pour pouvoir pleurer comme quand on a accompagné son fils quelques années en arrière.
Tout en le tapant gentiment, Mammema le pousse pour venir m’embrasser.
- Raoul, franchement, pourquoi tu me fais passer . Tu racontes n’importe quoi. C’est seulement que oui, cela va nous ramener à une époque où nous étions encore jeune et beau.
- Mais vous êtes toujours jeunes et beaux.
- Richard, qu’est-ce que ton garçon veut nous soutirer pour ainsi nous flatter.
- Mais rien. Je…
- N’écoute pas ce vieux ronchon. Continue mon petit à me dire de si jolies choses. Papy c’est un homme. Nous les femmes par contre, nous savons apprécier quand un beau jeune-homme nous dit qu’on est belle. Pas vrai Gisèle ?
- Oh oui et puis avec lui, c’est naturel, pas besoin de le prier. Il fera une hécatombe lorsqu’il commencera à s’intéresser au sexe opposé.
- Parce que tu crois qu’il a attendu ton autorisation ? J’en ai déjà entendu de belles sur son compte.
- Ah tiens donc, raconte-nous donc mon amour.
A quatorze heures, lorsque Richard se met derrière le volant du break au côté de son père. Les deux femmes m’encadrent à l’arrière. Ils ne m’ont pas laissé une seule fois la possibilité de penser à l’issue de cette journée.
C’est seulement une fois sortis du parking de leur immeuble que je réalise et que mon cerveau se met tout seul sur off pour le monde extérieur.
En deux fois, mon repas va nourrir les plantes du bas côté et je finis le trajet appuyé à la portière, fenêtre grande ouverte.
Dans le parking bien plein de l’école, des familles font déjà leur adieu à des garçons tous beaucoup plus vieux que moi.
Despéro m’attend juste à côté du portail tenant comme moi, d’une main sa convocation et de l’autre son sac. Au sourire qu’il me fait, je sens qu’il n’en mène pas plus large que moi.
Si les autres sont restés à la voiture, Richard, lui nous accompagne serrant maintes mains et se présentant uniquement comme le directeur d’Aix.
Les familles sont parties et nous ne sommes plus qu’une centaine de jeunes mecs qui se demandent à quelle sauce nous allons être assaisonnés.
Il y a plusieurs bus.
Chacun d’un se remplit, je me présente devant le troisième juste après Despéro.
- Ton nom ?
- Robert Weisembacher.
Je vois l’aspirant aller à la dernière feuille de son dossier et biffer mon nom dessus, à côté il y a un petit dessin cabalistique qui ne me dit rien qui vaille et de la tête, il me désigne aux autres militaires présents.
- Tu peux monter le fiston.
Ils nous font asseoir avec nos sacs sur nos genoux, un à droit et un à gauche, avec Claude nous voilà séparés. Le dernier à s’asseoir est suivi par deux mecs en kaki.
- Tirez les rideaux et mettez vos mains sur votre tête et le visage entre vos coudes sur votre sac.
Le bus enfin démarre puis roule, roule, roule… je ne pensais pas que cette base était si grande.
Le silence est angoissant…
- Descendez, descendez, fissa, fissa !
Un pax devant moi, loupe une marche en descendant du bus, on entend les militaires le traiter de tous les noms.
Nous sommes répartis en compagnies, elles même séparées en deux brigades.
Nous devons courir jusqu’à une tente, dessous, trente lits.
- Posez vos sacs sur un lit et dehors ! Fissa, fissa !
Ils nous font mettre en ligne, et là commence une inspection où chacun de nous se fait mettre plus bas que terre, quelque soit notre tenue, elle devient pour eux, l’objet de moquerie. Je ne sais pas combien de temps ça dure mais assez longtemps pour que la nuit soit tombée.
En guise de repas, on nous distribue un sandwich au thon, un sachet de chips et une petite bouteille d’eau que nous devons expédier debout en cinq minutes. Je comprends pourquoi je me suis tapé du poisson matin, midi et soir pendant dix jours. Mais c’est toujours aussi mauvais.
Pour nous faire digérer, une petite balade s’imposait, il va sans dire, main sur l’épaule du gars devant nous, moi sur l’épaule d’une fille, nous partons en file indienne dans la garrigue. Merci Richard encore une fois qui m’a fait mettre en jean et basket même si ça me vaut des moqueries : «encore un sportif de salon».
Devant moi, elle galère avec sa jupe et ses talons. Derrière-moi, le pax me percute dedans à chaque fois que je stoppe pour rattraper la fille.
- Hé les mecs j’ai aussi un couple ici… le vampire il aimerait se farcir le fiston.
Et encore marcher ça va, mais courir dans le noir, combien se sont retrouvés par terre ? Tous je pense, au moins une fois.
Enfin retour sous la tente.
Explication bâclée en deux minutes de comment refaire le lit le lendemain et nous voilà tout habillés dans nos sacs de couchage. Dehors un orage pète et je crois que nous avons tous croisé les doigts pour que la tente soit bien arrimée.
Mais nous n’étions qu’à peine endormis que des bras musclés et sans douceur nous jettent au sol.
- Debout, garde à vous.
Putain que c’est dur, putain que ça fait mal. Certains râlent, ils pompent. Puis nous pompons tous, c’est ça la cohésion nous expliquent-ils, nous allons vite intégrer à la dure cette notion.
Lorsque enfin le clairon sonne nous avons dû dormir deux heures en tout et de façon hachée. Nous allons tous vite apprendre durant les deux prochains mois, à dormir peut-être peu mais n’importe où, dans n’importe quelle position et dans n’importe quelle condition.
Après un petit déjeuner rapide, commence alors notre circuit d’accueil avec entre autres, la signature de nos formulaires d’engagement. Moment fort pour moi de devoir apposer ce petit gribouillage longuement répété sur des dizaines de feuilles de mes cahiers... Sous les yeux et de ce souriant capitaine dont je fixe le macaron qui orne sa poitrine.
- Tu veux devenir pilote ?
- Oui mon capitaine.
- Alors je te le souhaite mais seul toi et ton travail pourront te l’offrir. Bonne continuation.
- Merci mon capitaine !
Puis c’est réception du paquetage auprès du service. Nous entrons en civil et nous ressortons habillés de pieds en cap de kaki avec au bout des bras un gros sac kaki, un sac paquetage beige et un gros sacs poubelles dont nous devons faire rentrer le contenu dans la toute petite armoire puis que nous passerons une nuit complète à marquer en cousant sur absolument chaque pièce un morceau du long ruban bien roulé, avec notre matricule.
Mais pour moi et mes collègues de chambrée c’est d’abord coiffeur. Si pour moi cela ne me change guère, pour Willemin et Zugger qui sont arrivés avec pour l’un une coupe à la Claude François et pour l’autre une coupe d’enfant sage avec la raie sur le côté. L’expression sur leur visage nous permirent nos premiers fous rire communs.
Puis de suite après le coupe-tif nous sommes pris en photo et franchement ce ne sont pas celles où je me trouve le mieux.
La fin du parcours administratif signe aussi la fin du séjour sous tente et notre assignation à une chambre à six. La mienne est bien sûr au dernier étage. Les filles ont un étage qui leur est réservé où elles ont rejoint les secondes années.
Nous ne sommes à peine dans la chambre, à faire entrer difficilement le contenu de nos sacs dans nos armoires qu’un pax en kaki, visage de la même couleur et casquette vissée sur le crâne passe dans les couloirs en hurlant :
- En tenue de sport, short et tee-shirt dans la cours dans deux minutes.
Les choses sérieuses commencent.
Nous voilà répartis en compagnies, elles même séparées en deux brigades.
Et jusqu’à l’heure du repas, le commandant D qui va encadrer notre promotion tente de nous expliquer qui fait quoi et simplement qui est qui dans notre encadrement plus restreint. Et j’y revois mon pilote de chasse qui sera notre brigadier. Un jour, je serai à sa place !
Mais aussi et je pense que pour lui c’est le plus important, actuellement, nous les bleu-bite nous ne sommes que des crasses de meules qu’il va tenter de transformer en hommes.
Et comme un con en entendant son discours, je me mets à sourire car pour moi la jolie blonde à ma droite aura du mal à devenir un homme.
- Vous là-bas, qu’est-ce qui vous fait rire ? Présentez-vous !
Je me raidis.
- Élève Weisembacher Robert promotion 77 seconde compagnie, deuxième brigade.
- Sortez du rang et venez nous montrer comment on fait cent pompes.
Ma punition faite, je me redresse et au garde à vous attends l’autorisation de retourner à ma place. Ils sont quatre à me tourner autour.
- Tu sais ce qu’on fait au fistons ici, on les résorbe, on les réduit à rien, tu entends ? Dans une semaine, tu pleureras en nous suppliant de te rendre à ta maman.
Lorsque je rejoins ma place, mes deux voisins ont l’air plus secoués que je ne le suis moi-même et j’ai beaucoup de mal à réfréner le sourire amusé qui monte. Ce sourire qui m’offrira ici comme à Aix ou ailleurs plus tard, de nombreuses occasions d’être puni...
- Putain j’en aurais même pas fait trente !
Elle… Elle va devoir apprendre à se taire.
Un des bleus se dresse devant elle et lui hurle dessus.
- Qui t’a permis de parler ? Puis la prenant par le bras, il la fait sortir du rang. Là, il est rejoint par deux autres mais des kakis. Puisque tu veux parler répète : Oui mon lieutenant, élèves officier du personnel navigant.
Elle répète mais se trompe car les deux verdâtres la bousculent, la repoussant vers l’autre comme si elle était une balle qu’ils se renvoyaient. Le bleu alors continue à lui hurler dessus.
- Répète ! Répète !
Quand elle revient se mettre à sa place, j’ai envie de lui dire un truc sympa mais je me tais et ça me donne une de ces rage qui ne se calme que lorsque nous revenons nous remettre en rang après avoir fait trois fois le tour de la PO.
Et nos repas, on en parle ?
Manger des petits pois ou de la purée sans couvert et ce en moins de dix minutes.
Manger assis sous la table et l’assiette bien à sa place sur la table.
Manger assis sur nos chaises, l’assiette posée au sol.
Manger debout sans couvert, dos à la table, et tout en mangeant aidé de la voix notre voisin qui est à l’inverse de nous et dont nous voyons l’assiette.
Manger ou plutôt faire manger notre voisine et dans mon cas ma voisine les yeux bandés.
Je me répète que tout ça a une raison d’être, enfin je l’espère…
En tout cas, nos estomacs apprennent à ne jamais être pleins. Et pas question comme à l’école de remplir nos poches de morceaux de pain. Cela me vaudra comme à d’autres de pomper, de pomper et encore pomper car si un pompe, les autres aussi… c’est ça leur vision de la cohésion.
Mais le pire, c’est le manque de sommeil, dormir une heure puis se faire réveiller et obéir à leur moindre folie, comme celle de devoir nous habiller en uniforme de fantaisie .
- Tenue BUC, papillon, chaussures de combat.
Et on apprend vite ce que veut dire mettre une ou l’autre paire de chaussures. Baskets : on va sur le terrain de sport et là, encore ça va. Les noires, ça va aussi, on va en cours. Mais les rangers cela veut dire : marche, dix, vingt, trente kilomètres avec sur le dos un sac de trente kilos.
Ah ces marches journalières, un bonheur pour «les pauvres petits bébés à leur môman», pour toutes «ces fillettes pleurnicheuses» qui se plaignent d’une ou deux petites ampoules. Je finis souvent avec un sac en plus. Certains donnent la main à celui de derrière ou pousse celui de devant. De toute façon, comme ils nous ont dit : «Vous terminez tous ou vous ne terminez pas !»
La fille, je la vois serrer les dents, le blond derrière moi, je le tire puis je lui prends son sac. Pourtant il est un ancien pipin, il devrait savoir marcher. Enfin, je m’en fous.
Il s’appelle André et elle Monique mais on l’appelle tous Momo ça fait moins fille car franchement avec ses cheveux courts et sa hargne, on a du mal à voir en elle une fille. Et puis elle sait se défendre, certains d’entre nous en ferons les frais mais ça, c’est une autre histoire…
Ces marches on s’y fait mais ce sont nos retours dans des chambrées où le Mistral à souffler. Parfois c’est juste tout le contenu de nos armoires jeté par les fenêtres et réuni en un tas immense au milieu de la PO qu’il nous faut résorber. Ou parfois c’est le mobilier qui a disparu laissant une chambre nue constellée de nos affaires mélangées. Et à nous de parcourir toute la superficie de l’école pour retrouver puis ramener lit ou armoire et ensuite tout ranger avant l’heure fatidique de huit heures ou nous devons être en rang avant d’aller en cours. Et tant pis pour ceux n’auront pas pu dormir. Quant au petit déjeuner, nous l’oublions souvent pur et simplement.
Ma ceinture déjà trop grande au début va bientôt pouvoir faire deux fois mon tour de taille.